Société

Le datajournalisme va-t-il sauver les médias d'information ?

Perte d’audience, concurrence accrue, baisse de confiance… Les médias d’information payants sont aujourd’hui confrontés à une crise. Depuis quelques années émerge une pratique journalistique qui semblerait pouvoir leur redonner leur dimension d’antan : le datajournalisme.
Le « journalisme de données » est une technique qui consiste à analyser un vaste ensemble de données complexes (des data) pour en extraire des informations pertinentes et les rendre intelligibles au grand public. Les sources sont fiables, les informations à la fois attrayantes et intéressantes. L’intérêt du datajournalisme pour les médias d’information est d’autant plus visible lorsqu’il permet de faire des gros coups, qui boostent l’audience – les « Panama Papers » en sont un exemple criant. Mais lorsqu’il a prétention à devenir hégémonique, à être seul détenteur du Vrai, le datajournalisme dévoile ses failles. Nate Silver, star du datajournalisme aux Etats-Unis, en a récemment fait les frais en prédisant un score de 2% pour Donald Trump aux primaires républicaines.
La « crise » des médias d’information payants
Si l’on parle d’ordinaire de « crise » des médias d’information, c’est pour désigner la presse quotidienne française dont les ventes ne cessent de diminuer. Il faut pourtant nuancer cette affirmation, le déclin de 8,6% des ventes papier en 2015 étant assez bien compensé par les abonnements sur format digital, qui ramènent la baisse générale à 1,4%. Cependant plusieurs facteurs montrent que les médias d’information – pas uniquement la presse – connaissent actuellement des difficultés.
Un secteur très concurrentiel
Les quotidiens d’informations font face à la concurrence des médias gratuits. La plupart d’entre eux est aujourd’hui passée au bimédia, avec une version du journal disponible en ligne. Mais face au rythme auquel court l’information sur Internet, les quotidiens donnent accès à une grande partie de leurs contenus gratuitement en comptant sur les revenus publicitaires de leurs sites. C’était sans compter sur les « bloqueurs de pub » – AdBlock en tête – qui ont permis aux internautes de ne plus subir l’omniprésence d’annonces autour de leurs articles. Face à cela, plusieurs quotidiens ont mené une « opération contre les bloqueurs de publicité » en mars dernier.
A la télévision et à la radio, la concurrence est surtout à l’oeuvre entre les médias eux-mêmes. On comptera bientôt pas moins de quatre chaînes d’information sur la TNT : BFM TV, ITélé, LCI (arrivée le 5 avril), et la chaîne info du service public à partir de la rentrée prochaine. De même, la case la plus importante en radio est la matinale, dont la mission principale est d’informer.
Une perte de confiance
La confiance des Français dans les médias ne cesse de s’effriter. C’est du moins ce que dénote le « Baromètre 2016 de confiance des Français dans les médias » réalisé par TNS Sofres sur un échantillon de 1061 personnes. On y découvre que le degré de crédibilité des médias est en chute libre : sur Internet, il s’élève à 31% (huit de moins que l’année passée), 50% pour la télévision (-7%), 51% pour la presse (-7%) et 55% pour la radio (-8%). De même, 64% des interrogés considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique, et 58% des pressions de l’argent.
Le constat est sans appel : les médias d’information pâtissent d’un déficit commercial et de confiance. C’est là que le datajournalisme entre en scène. Il va permettre à plusieurs médias d’informations de réaliser un coup d’ampleur mondiale, qui va alimenter leurs Unes pendant plusieurs jours.
Les « Panama Papers », la plus belle réussite du datajournalisme
Leur nom est un symbole à lui tout seul. Les « Panama Papers », en hommage aux « Pentagon Papers » du New York Times de 1971, sont une version 2.0 du journalisme d’investigation : un datajournalisme porté à une échelle mondiale. Ce sont en effet 370 journalistes issus de 109 médias internationaux qui ont épluché les quelques 11,5 millions de documents (2,6 téraoctets de données) de Mossack Fonseca, spécialiste de la création de sociétés écrans basé au Panama. Les rédactions, coordonnées par le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ), ont démontré que les data alliées à un travail collaboratif permettent aux médias de faire des gros coups.
 

 
Les médias d’information participants ont redoré leur blason. Associées à la rigueur journalistique, les data ont une utilité citoyenne. Elles permettent de dévoiler les abus des puissants au monde entier. Avec les « Panama Papers », les médias d’information sont du côté du peuple. Et ce dernier le leur rend bien. Pour preuve le bond des ventes papier du Monde, seul journal français ayant pris part à l’opération : +109% le premier jour de la publication des révélations, +56% le deuxième. Le trafic web n’était pas en reste, avec 6,4 millions de visites cette semaine-là dont un tiers sont passées par un contenu « Panama Papers ». L’émission Cash Investigation (sur France 2), affichait quant à elle 17,1% de part d’audience pour son numéro consacré au scandale. On pourrait croire que le datajournalisme est tellement efficace qu’il finira par tout remplacer.
Le cas Nate Silver, ou quand le datajournalisme se brûle les ailes
Nate Silver est une star du datajournalisme aux Etats-Unis. Il doit cette popularité à deux coups d’éclat. Son site spécialisé dans le journalisme de données, FiveThirtyEight, a prédit les résultats dans 49 des 50 Etats durant les élections présidentielles de 2008 et a réalisé un sans-faute en 2012. Auréolé de ces succès, le datajournaliste affirmait en juin 2015 que Donald Trump n’avait que 2% de chances de s’imposer aux primaires de son parti. Bien que sa méthode (basée sur l’analyse des sondages et de l’histoire du pays) semble sans failles, Nate Silver s’est vu contraint de réévaluer cette estimation à 13% en janvier 2016 et a été ensuite dépassé par les événements.
N’a-t-il pas droit à l’erreur ? C’est sans doute ce qu’il aurait pu plaider s’il n’avait pas tenu des propos visant à décrédibiliser le rôle des éditorialistes politiques. Quelle importance pourraient avoir leurs opinions, leurs ressentis face à l’exactitude mathématique du datajournalisme ? Aucune, si l’on en croit son article publié le 23 novembre 2015 sur FiveThirtyEight. Intitulé « Dear media, stop freaking out about Donal Trump’s polls », il y réfute les critiques de ceux qui « couvrent la politique pour vivre ».
Depuis les abandons de Ted Cruz et John Kasich, les adversaires de Nate Silver ne cessent de faire remarquer ses erreurs d’estimation, souvent avec mauvaise foi. Ils mettent le doigt sur les erreurs, passant sous silence les nombreux succès. Le datajournaliste a par ailleurs reconnu avoir utilisé une méthode moins rigoureuse qu’à son habitude pour effectuer ses analyses dans le cas de Donald Trump et a révisé sa copie.
Que retenir de tout cela ? Le datajournalisme est une évolution profitable au secteur de l’information, en quête de renouvellement et de regain d’attrait. Mais lorsqu’il traite de politique, il a une limite. Certes il permet d’analyser la part sociologique de l’Homme : les statistiques illustrent ou dévoilent un fait social qui, en tant que norme, peut servir à prédire quelques comportements. Mais il ne peut percevoir le pouls d’une nation, son caractère ambivalent et imprévisible, aux traductions fortes (l’émotion collective, le débat…). Jusqu’à preuve du contraire, l’âme d’un peuple ne transparaît pas dans des données informatiques, ni dans les sondages.
Clément Mellouet 
Sources: 
La Dépêche, Presse: les quotidiens se battent pour compenser le déclin du papier, 03/02/2016
Le Figaro, Opération contre les bloqueurs de publicité, 21/03/2016
TNS Sofres, Baromètre 2016 de confiance des français dans les médias
NationalArchives.com, Pentagon Papers
Five Thirty Eight
Five Thirty Eight, Dear Media, Stop Freaking Out About Donal Trump Polls, 23/10/2015
Crédits photos: 
Observatoire du Web Journalisme
Youtube 
 

Journal Le 1
Les Fast

Le papier encore number one ?

 
Un seul sujet, une fois par semaine et imprimé sur une seule feuille. Le nouveau défi d’Eric Fottorino est un pied de nez aux pessimistes qui voient le journal du futur privé de son support traditionnel, le papier. Ancien directeur du géant Le Monde, il lance le 9 avril le premier numéro du journal Le 1 avec comme fil rouge « La France fait-elle encore rêver ? ». Et c’est à l’aide de contributeurs de choix – comme Edgar Morin, Elisabeth Badinter ou encore Régis Debray – que l’hebdomadaire entend répondre à « la crise des contenus » qui menace le « quatrième pouvoir » : plus que de l’information brute et immédiatement consommable, il offre une pause littéraire et des regards critiques inspirants.
Autre nouveauté ?
Le journal Le 1 ne veut pas être de ceux que l’on retrouve piétinés à la sortie du métro ; tel un « livre-objet » dépliable – il s’agit en fait d’une feuille A1 pliée en trois –, il se donne à lire en moins d’une heure. Côté argent, ce petit dernier de la presse papier prend le risque de se vendre à 2,80 euros quand les autres titres peinent à s’écouler. Tiré à 250 000 exemplaires et dépouillé de publicités en tous genres, Le 1 marque définitivement une petite révolution. Jusqu’à s’en tenir à un seul actionnaire : Henry Hermand, qui a déjà financé Le Matin de Paris, un quotidien désormais disparu.
Avec une place inédite sur le marché médiatique, Eric Fottorino arrivera-t-il à signer le retour en force du papier avec Le 1 ?
 
Laura Pironnet
Sources :
L’Express
Libération
Le Monde
Crédit photo :
Bertrand Guay / AFP

Flops

Flop informationnel : l’annonce erronée d’un crash d’avion sur Twitter

 
La Toile s’est enflammée ce jeudi 27 mars suite à la publication d’un tweet par le 112, le service d’urgence des Canaries, qui a annoncé la « chute d’un avion en mer ». Or celle-ci s’est avérée être une erreur… n’empêchant cependant pas une reprise massive de cette information erronée par la presse locale, les réseaux sociaux, puis les médias internationaux.
Ce déluge informationnel peut, certes, trouver son explication dans le mystère du vol MH370, fraîchement sur-commenté par les médias nationaux et internationaux. Mais il souligne surtout une question intrinsèque à nos circuits d’information actuels : dans quelle mesure les journalistes peuvent-ils relayer les informations diffusées sur les réseaux sociaux et sur le Net en général ?
Sur le site de France Info, un internaute s’indigne à propos de la précipitation des journalistes qui ont réagi à chaud à l’annonce publiée sur Twitter :

Ce point d’actualité soulève effectivement un paradoxe inhérent au métier de journaliste. Celui-ci se trouve aujourd’hui recomposé avec la montée en puissance des réseaux sociaux qui ont fortement accéléré la vitesse de circulation de l’information. Nos circuits d’information contemporains semblent se caractériser par le paradoxe suivant : visant une information immédiate, les acteurs du monde de l’information s’engouffrent dans une course à l’information et au sensationnalisme, et tendent à négliger la qualité de l’information qu’ils fournissent.
Aujourd’hui, entre immédiateté et fiabilité, entre précipitation et vérification, le défi de nos circuits d’information réside ainsi dans cette double exigence d’une information à la fois réactive et fiable.
 La reprise massive de l’information erronée du crash d’avion en Espagne met en lumière un constat : l’abondance de l’information qui nous entoure se fait souvent au détriment d’une qualité de son contenu.
Ainsi peut-on voir l’émergence de nouvelles pratiques de la part des producteurs d’information, qui s’attachent à suivre une méthodologie précise qui respecte l’exigence d’une information hautement fiable et vérifiée. A ce titre, la méthode du « fact-checking », après avoir été massivement promue comme principe de vérification de la parole publique sur Twitter, commence à être utilisée comme méthodologie journalistique dans certaines rédactions.
Les Décodeurs du Monde sont l’une de ces plateformes qui s’attachent à publier du contenu de qualité. Ses journalistes s’appuient sur une démarche d’investigation basée sur des analyses strictes des données données élaborée autour du concept même du « fact-checking ».
Après avoir été un blog dédié au « fact-checking », Les Décodeurs se sont institutionnalisés en une rubrique à part entière sur le site du Monde.fr : ici.
Les journalistes « Décodeurs » affirment vouloir « traiter des rumeurs et des intox qui circulent sur la Toile pour, là encore, distinguer le vrai du faux », tout en associant réactivité à une démarche de vérification factuelle :
 Les Décodeurs du Monde, ce sont des vérifications factuelles, des explications et du contexte autour de l’actualité du moment, au rythme des réseaux.
 Une telle démarche de décryptage mérite-t-elle pour autant d’être étendue à tout média souhaitant interpréter les informations qui circulent sur la Toile ?
Quoiqu’il en soit, en cette ère de déluge informationnel, la clef pour délivrer une information fiable et de qualité réside peut-être après tout dans l’application du précepte : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ».
A bon entendeur.
Alexandra Ducrot
Sources :
La Tribune : « Un crash d’avion annoncé par erreur enflamme la toile »
Latribune.fr
Franceinfo.fr
Crédits photos :
TwitteRadar.com