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Roosh V: le coach en séduction "qui vous veut du bien"

Coqueluche du mouvement néomasculiniste (mouvement qui prône le retour à la domination masuline), Daryush Valizadeh (plus connu sous le pseudonyme de Roosh V) est un bloggeur et youtubeur américain de 36 ans, coach en séduction autoproclamé, ouvertement raciste et misogyne.
Doté d’une véritable communauté d’internautes, tous plus charmants les uns que les autres, constituée et fédérée autour de l’idéal du retour de la domination masculine ( très loin des préceptes de l’amour courtois), Roosh distille ses conseils en amour, sexualité et politique grâce à une stratégie de communication bien rodée. Livres, conférences, site internet, réseaux sociaux : retour sur le bloggeur le plus détesté des Etats Unis (voire du monde) ?
Roosh, le grand frère
Son site sobrement intitulé Le retour des rois ne laisse pas de place au doute. Roosh V et quelques « invités » publient des articles portant sur des sujets aussi variés que les phénomènes de société, la politique, la paternité et bien sûr la place de la femme (quasi inexistante). Les titres de ses articles sont courts, nets, précis, destinés à interpeller le lecteur et les internautes, à les faire réagir (Why Anglo-American Women Are Terrible Financial Investments – Pourquoi les femmes Anglo-Américaines constituent-elles un mauvais investissement financier ? ; Are There Legitimate Reasons To Be Fat?- Y a-t-il des excuses à l’obésité ?) en sont des exemples frappant.
Tous ces articles, florilèges de la théorie masculiniste, s’adressent aux hommes tout d’abord sur un ton didactique : Roosh part d’une question générale, d’un constat, d’exemples tirés de sa propre vie présentés comme des arguments d’autorité, pour les interroger et les étudier afin d’en tirer une vérité générale énoncée de façon virulente. Il se met dans la position de l’éclaireur, du prophète venu pour guider les hommes, et les rassurer sur leur situation en expliquant que le retour à la domination masculine est possible, mais que les hommes manquent juste de clés pour rétablir la situation.
Selon lui, les hommes blancs seraient les nouveaux souffre-douleurs de la société. Roosh n’hésite ainsi pas à critiquer les pouvoirs politiques, la société, ainsi que les médias dans une logique conspirationniste. On ne nous dit pas tout, et tout est fait pour écraser l’homme blanc.
Ce mentoring s’illustre d’abord dans la séduction et l’amour : il défend dans un de ses articles que « L’homme est le chef de la famille », et s’attèle, tout au long du texte, à déculpabiliser les hommes de leur volonté de retrouver une situation de leadership. Une idée qu’il explique dès le début en écrivant : « il faut rappeler que l’homme est naturellement le chef de la famille. Ce n’est pas un fait culturel ». Pour guider son apprenti, et en bon coach qui se respecte, Roosh tire ses idées de l’histoire, prouvant ainsi le bien fondé de ses propos (la Grèce Antique et l’Empire romain dans son texte).
Youtubeur, Roosh communique aussi avec des vidéos pédagogiques notamment en matière de femmes, la plupart sont courtes et sont l’occasion d’accompagner les spectateurs de la même façon que le ferait une youtubeuse beauté. Dans l’une d’elles, il explique ainsi que s’intéresser aux filles est une perte de temps : « When you overvalue a girl by thinking you need to spit your high-octane game, your brain concludes that it’s dealing with something ‘important.’ It will then increase your anxiety and fear about making a mistake…” (« Lorsque vous surestimez une fille en pensant que vous avez besoin de sortir le grand jeu, votre cerveau conclut qu’il a affaire à quelque chose d’ « important ». Il augmentera alors votre anxiété et la peur de faire une erreur … ») Or, c’est bien connu, à quoi bon s’embêter à séduire une fille ? Au fond elle n’a pas son mot à dire, elle n’existe que pour assouvir les désirs masculins.

Un poète maudit ?
Roosh V se considère pick-up artist. Il considère en effet que ses techniques pour “draguer” les filles peuvent être élevées au rang d’art, la drague est pour lui un jeu.
Ce mouvement né il y a une quarantaine d’années a fait parler de lui « grâce » à Julien Blanc. Dans une vidéo de 2014 il expliquait comment attraper des jeunes japonaises dans la rue en collant leur visage à son entrejambes pour mimer une fellation (le coach s’était vu interdire l’entrée dans plusieurs pays comme le Canada et le Brésil, et avait été expulsé d’Australie où il résidait à l’époque). Face au tollé, il s’était justifié en expliquant qu’il s’agissait uniquement d’une blague de mauvais goût.
Dernièrement, Roosh a été propulsé sur le devant de la scène via un de ses articles relayés sur son compte Twitter (très actif) et les réseaux sociaux. En 2014, il propose une idée quelque peu surprenante pour éradiquer le viol : “Si le viol devient légal, une fille n’entrera plus jamais dans une chambre avec un homme qu’elle ne connaît pas à moins d’être absolument sûre qu’elle est prête à coucher avec lui”
Après le tollé d’une telle déclaration, Roosh a bien essayé de se défendre prétendant que l’ironie était un de ses procédés favoris pour défendre ses idées, et qu’il ne fallait pas prendre cela au premier degré.
Il n’empêche, qu’est ce qui nous prouve qu’il ne pense pas ce qu’il dit ?
Après tout, son site défend l’idée d’une femme intéressante « uniquement pour sa beauté et sa fertilité », incapable de réfléchir. L’un de ses articles propose aux hommes des solutions pour littéralement « ramasser des jolies filles ». La femme n’est qu’un objet de d’ornement comme un autre.
De là à faire du viol un bienfait de société, il n’y a qu’un pas.
Ces coachs en séduction ne sont pas forcément influents (Roosh ne compte « que » 21 880 abonnés), mais ils restent dangereux : quoi de mieux que d’exploiter les peurs et les faiblesses de certains hommes pour donner de la force à ses idées ? Roosh s’adresse essentiellement à un public d’hommes blancs, qui se sentent comme dépossédés de leur virilité, craignant les femmes. Les commentaires que l’on peut lire à la suite de ses articles ne laissent pas de place au doute quant aux caractéristiques majeures des fans de Roosh. Sur l’article parlant des femmes américaines que nous avons évoqué plus haut, un certain Jason exprime son mépris total « I would, without a doubt, be more comfortable with having a 7 year old boy handle my money than I would 95%+ of adult women. They want money but they can’t handle it.” (“J’aurais, sans aucun doute, plus confiance à laisser un garçon de 7 ans gérer mon argent qu’à plus de 95% des femmes adultes. Elles veulent l’argent, mais ne savent pas le gérer »).Il parait si simple alors de faire des femmes des objets intrinsèquement inférieurs aux hommes et interchangeables, tantôt soumises au bon vouloir des hommes, tantôt sorcières villes et perverses transformant les garçons innocents en des fourbes séducteurs.
Face à cette peur du féminisme et de sa conception par beaucoup comme une théorie extrémiste qui vise à assoir une domination de la femme sur l’homme, il parait important de rappeler que le féminisme est « un mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société » (Larousse).
Face à ces mauvaises interprétations, plusieurs personnalités ont décidé de définir et de réhabiliter le féminisme par l’humour. On pense notamment à Orelsan et Gringe qui livrent leur propre version du féminisme dans la mini-série Bloqués.
Arianna Delehaye
Sources :
Terrafemina, Un « coach en séduction » raciste et misogyne incite à agresser sexuellement les femmes japonaises, Novembre 2014
Les inrocks, Roosh V, le “pick-up artist” qui voulait légaliser le viol, annule ses conférences, 05/02/2016
Et juste pour le plaisir :
Crédit photo : 
YOUTUBE/ROOSH V
 

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Vous avez-dit sexisme ?

Le 25 avril prochain, le jugement sera rendu pour le rappeur Orelsan traduit en justice pour une énième affaire « d’incitation à la haine » et « injures ». La plainte déposée par plusieurs associations féministes, dont Les Chiennes de Garde, devant le tribunal correctionnel de Paris, n’a pour le moment abouti qu’à une relaxe, mais l’affaire n’est pas encore enterrée. On se souvient de la polémique suscitée en 2011 par le titre rendu tristement célèbre par ces débats « Sale Pute ». Le combat des féministes perdure mais pour le public cela reste une discorde nauséeuse. Aurélien Cotentin, alias Orelsan, faisait à l’époque couler l’encre de nombreux titres. La chanson, purement fictionnelle, lui aura tout de même couté cher : interdit de séjour dans de nombreuses salles de concerts, évincé de divers festivals et interdiction d’interpréter ce morceau jusqu’à nouvel ordre. La polémique lui aura certes, offert une certaine notoriété mais le chanteur est tout de même pris pour cible et devient le bouc émissaire d’une lutte qui ne semble finalement pas le concerner.
Aujourd’hui ce sont huit de ses chansons qui sont concernées par la plainte du collectif féministe contre le viol, la Fédération Nationale Solidarité Femmes, l’association Femmes solidaires, les Chiennes de garde et le Mouvement français pour le planning familial. Une attaque de front pour mieux faire tomber le rappeur. Réduire huit petites phrases de textes fictionnels, dont la part de sens critique ou de second degré n’est pas à exclure, semble donc un peu facile et triste aussi ; l’ensemble du travail d’un auteur ne se résume pas à 3% de ses chansons sorties de leur contexte. Une polémique inutile qui pointe pourtant des questions plus profondes et plus encrées dans l’inconscient collectif franco-français. Bouc émissaire d’une réalité pourtant plus complexe. La lutte, si légitime soit elle, des Chiennes de garde, semble pourtant parfois prendre pour cible les mauvais protagonistes, à l’image de ce rappeur dont les textes fictionnels sont clairement à mettre à distance (et c’est précisément ce que fait le public, pas si bête). La question des cibles semble primordiale dans la lutte féministe. On ne peut pas parler à tout bout de champ de sexisme lorsque le second degré ou la fiction est de mise. En revanche, le sexisme ordinaire, lui, perdure. Il continue presque paisiblement son bout de chemin. Sexisme ordinaire vs combat « moral », à l’image de l’expérience de Damien Saez : les affiches de l’album « J’accuse », en 2010, placardées dans les souterrains du métro parisien avaient été rapidement retirées (l’affiche, dite « sexiste », présentait une jeune femme nue, aux talons hauts, posant langoureusement dans un chariot de supermarché, voir photo ci-dessus). Il a une nouvelle fois été censuré par la RATP Medias Transports jugeant les derniers élans artistiques de la pochette de l’album Miami trop scandaleux (voir l’image ci-dessus).  Mais si les tentatives de prises de position de certains artistes restent incomprises, les véritables clichés sexistes, diffusés plus ou moins subtilement, s’inscrivent durablement dans le paysage médiatique.
Combien d’affiches présentes dans ces mêmes souterrains dévoilent sous notre nez les corps dénudés, des femmes aux postures « suggestives », des ménagères soumises ?
Question bête. On retrouve aujourd’hui une forme de sexisme faussement masqué partout, et sans complexe dans les jeux vidéos, voir l’article de Virginie Béjot à ce sujet.
Nos affiches, nos couloirs de  métro, nos publicités, nos jeux vidéos etc. C’est dans une sorte d’enlisement général dans un ensemble de clichés héréditaires que nous stagnons. À l’heure du mariage pour tous, il serait de bon ton de faire reculer quelque peu le sexisme invisible qui nous impose encore des plafonds de verre et autres comportements moyenâgeux. Mais si les français sont de plus en plus sensibilisés aux questions du sexisme, il s’avère que seulement 12% repèrent les stéréotypes sexistes dans une publicité, un sondage réalisé à l’occasion d’une étude menée par l’institut de sondage Mediaprism qui révèle clairement le problème des enjeux actuels de la lutte féministe. En ce qui concerne les campagnes de communication justement, on ne peut plus s’attaquer aux faux problèmes. Lorsqu’un artiste comme Damien Saez pointe clairement le problème avec un angle critique, on devrait se réjouir plutôt que de se désintéresser des réalités faussement masquées, qui continuent de propager un sexisme invisible.
Margot Franquet
Sources :
Capucine Cousin, « Le sexisme invisible », Stratégies n° 1714 7/03/2013
Clémentine Mazoyer, 14/03/2013, http://lci.tf1.fr/culture/musique/la-pochette-de-l-album-de-damien-saez-refusee-par-des-annonceurs-7880729.html
Alice Moreno, 21/03/2013, http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/la-justice-juge-le-sexiste-orelsan_1233740.html#article_comments