Agora, Com & Société

Le denim-poubelle

 
Levi’s a lancé en janvier dernier, pour sa collection Printemps 2013,  une nouvelle gamme de jeans éco-friendly : Waste<Less. Conçus avec 20% de plastique recyclé (issu de bouteilles et d’emballages plastiques triés et traités), ces nouveaux jeans répondent aux exigences de la marque d’adopter une image saine et respectueuse de l’environnement auprès de ses consommateurs. Ce lancement poursuit ainsi les engagements de la marque depuis 2009, et fait écho à la précédente gamme Water<Less qui proposait une fabrication moins gourmande en eau.
Avec l’audacieux slogan « These jeans are made of garbage » (*Ces jeans sont fait de déchets), les jeans Waste<Less allient un discours éco-responsable au style reconnaissable de la marque californienne. Quels intérêts présentent alors le développement de gammes « green » pour les géants du prêt-à-porter ?
Avant tout, les marques cherchent à améliorer leur réputation auprès d’un public mieux informé et plus concerné. À l’image de la campagne « Detox » de Greenpeace qui a bénéficié d’une forte publicité, un réel besoin de connaître la qualité et l’origine des produits que nous consommons émerge.
Lancée en juin 2011, « Detox » engage les grandes marques de prêt à porter telles que Levi’s, Zara, C&A, Benetton et bien d’autres, à éliminer la présence de composés chimiques nuisibles pour la santé et l’environnement dans leurs produits. Après avoir dénoncé le gâchis et la pollution des eaux employées dans leurs chaînes de production aux quatre coins du monde, Greenpeace s’est attaqué aux ethoxylates de nonylphénol, des substances chimiques présentes dans les vêtements, qui perturbent l’environnement et peuvent causer des troubles du système endocrinien (*responsable de la production d’hormones).
Ainsi, le 12 décembre 2012, Levi’s a rejoint le mouvement et s’est engagé à réduire drastiquement la présence de substances toxiques dans ses jeans, tout en assurant dès juin 2013 une visibilité majeure sur les données de pollution provenant de ses fournisseurs.
Dans ce contexte, Waste<Less n’apparaît plus seulement comme un précurseur de tendances, mais plutôt comme le contre-pied d’une campagne nuisible. Mieux encore, Levi’s répond à une prise de conscience massive des risques écologiques et sanitaires que présente l’industrie textile. Cette tendance marketing très rentable permet donc de satisfaire les exigences des nouveaux consommateurs, tout en dissimulant sous le masque du recyclage et de l’éthique, les étapes cruciales de production et de distribution, qui demeurent la source majeure de pollution dans l’industrie. La bonne conscience étiquetée « green » se vend si bien qu’il devient alors difficile de faire le tri entre les marques qui érigent cette valeur comme outil de vente et celles qui se fondent réellement sur cette pensée.
Ceci étant dit, Levi’s n’aura pas manqué d’être dénoncé pour ses pratiques (communes) douteuses, et la volonté de la marque de s’associer au courant du recyclage en proposant des solutions originales, ne peut être blâmée. Au contraire, sa force d’influence peut justement participer à l’éducation des consommateurs et créer chez eux l’envie d’une mode détoxifiée.
 
Clémentine Malgras
 
Sources :
Lancement Waste<Less: #!
Video Greenpeace « Detox Levi’s »: http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=x173k1cRSzE

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Société

Voir la communication et mourir

Du 11 octobre au 31 décembre 2012, se tient à la Gaîté Lyrique l’exposition HELLO™, par le collectif H5. Le principe en est simple, et pourtant déroutant : une marque créée de toute pièce, HELLO™, avec pour but d’explorer les outils et les stratégies marketing des marques et surtout d’interroger sur leur influence.
Il ne s’agit pas de dénoncer la société de consommation, comme l’a déjà fait le collectif dans un court-métrage d’animation anxiogène et déroutant, mais bien de recréer un acteur fictif du système et d’observer son influence.

Tout commence avec un nom, « HELLO™ », et un logo : un aigle inoffensif, simpliste et coloré. Vient s’ajouter une musique, « Hello inc. » composée par le producteur français Alex Gopher et agrémentée de plusieurs remixes.
L’image de la marque en devient presque infantilisante, comprendre plus insinuante.
Dans les locaux de la Gaîté Lyrique, pourtant, le malaise s’accroît. Tout commence par une voix féminine qui susurre à l’oreille des visiteurs des slogans publicitaires, dans une salle bleuté, sombre, aux murs recouverts de plumes stylisées en feutrine.

Plus loin, étalée sur un pan de mur, la figure d’un aigle en gros plan, un prédateur celui-là, dont les yeux se meuvent et laissent, à dessein, la désagréable sensation d’être surveillé.

Une longue table dans le plus pur style « conseil d’administration » avec de hauts sièges, des blocs-notes, des bouteilles d’eau, le tout parfaitement blanc, sans identité, désincarné. Et au fond, projetée sur le mur, une présentation façon PowerPoint, plus vraie que nature, plus convaincante que jamais. C’est ça la magie du PowerPoint.

Ce n’est pas HELLO™ qui y est à l’honneur, sinon toutes les marques aujourd’hui tant la présentation PowerPoint est devenue universelle et partout identique.
Bref, tout ce qu’il faut pour du story-telling poussé à son comble et redoutablement efficace. Voilà bien le point névralgique : HELLO™ est incroyablement cohérente, efficace et ludique. C’est une marque dans toute la puissance de son image que l’on vous donne à voir, et que vous aurez envie d’aimer. Pourtant, que produit-elle, que fait-elle ? Nous n’en saurons rien.
L’aspect créatif et ludique se suffit à lui-même, et vous suffira. On ne peut s’empêcher de repenser au Meilleur des Mondes d’Huxley, à 1984 d’Orwell, à Nous Autres de Zamiatine, face à cette séduisante absurdité, exclusivement superficielle. Mais vous ne trouverez, en fait, aucune critique chez le collectif H5. Rien ne vous indiquera quoi penser, comment réagir. On ne vous donnera à voir que cette marque créative et sympathique. Une marque qui veut tellement se faire aimer qu’elle obtiendrait de vous n’importe quoi.
Un peu comme les sympathiques Angrys Birds qui servent d’égéries au mastodonte Google via son navigateur Chrome, comme l’inoffensif et graphique oiseau de Twitter, comme autant de mascottes auquel on se remet sans vraiment s’interroger.
C’est là qu’apparaît toute la perversité d’une image si alléchante, si bien travaillée, si cohérente, et pourtant si désincarnée.
Tout est magistralement résumé dans l’intitulé de l’exposition : « Le marketing est-il un jeu d’enfant ? »
Mais il est parfois tellement inquiétant de se l’imaginer comme un jeu dangereux. Comment se méfier de Coca-Cola quand ses campagnes de Noël parviennent brillamment à faire renaître chez nous un brin de magie, d’Apple quand on observe son image si léchée, si sobre, de Total quand on voit ses publicités pleines de vie et de sentiments, de Danone, si attachée à notre bien-être ?
Finalement, ce que H5 nous rappelle et qu’il est sain de garder à l’esprit pour le consommateur comme pour les marques, même s’il ne s’agit là que d’une évidence, c’est qu’on a trop souvent tendance à confondre ce qu’une marque donne à voir, et ce qu’est l’entreprise qui l’a construite.
Oscar Dassetto

Pack de Flamby King Size Nestlé
Société

Flanby, on a tous à y gagner

 
Il y a eu Le Général, il y a eu VGE, il y a eu Tonton, il y a eu Chichi, il y a eu Sarko puis il y a eu… Flanby. On ne choisit pas son surnom, on choisit encore moins ceux qui vous le donnent. Pour l’anecdote, c’est le socialiste Arnaud Montebourg qui, le premier, a affublé François Hollande de ce sobriquet si sympathique. C’est l’inconvénient d’organiser une primaire: les coups bas partent plus tôt, et sont susceptibles d’être recyclés par le camp d’en face. Les militants de droite ne se sont d’ailleurs pas gênés. On aurait du mal à le leur reprocher.
Flanby c’est excellent. Flanby, c’est exquis. Quel meilleur moyen de discréditer un candidat à la magistrature suprême que d’associer son image à celle d’un flan retourné dégoulinant de caramel. Très honnêtement, on ne voit pas. Tout y est, le gras synonyme d’oisiveté, la texture flasque pour la difficulté à choisir et à s’affirmer et enfin le caramel, péché de gourmandise et donc faiblesse dans notre morale chrétienne. Comme en plus Flanby est d’abord un produit pour les enfants, le surnom connote de surcroît l’immaturité. Une chose du coup est certaine, si le remuant Arnaud est  nommé ministre, il ne l’aura pas dû à des courbettes.
Tout cela n’a néanmoins pas empêché le candidat socialiste de gagner cette élection présidentielle. Chose intéressante d’ailleurs, il n’a jamais protesté contre ce surnom, ne s’est pas insurgé, n’a pas menacé de traîner qui que ce soit en justice. C’était intelligent. Rien de pire pour la victime de railleries que de protester contre les railleurs. Cela vaut aveu de faiblesse et attire au mieux la pitié, au pire de nouvelles salves de moqueries. Il aurait pu par contre répondre, pour tenter de réorienter les rires vers son adversaire. Si l’idée lui est venue, il a eu assez de lucidité pour en voir le danger. François Hollande a cherché pendant ses deux campagnes, pour l’investiture socialiste et la Présidence de la République, à être à la hauteur juste, c’est-à-dire à bonne distance des conflits partisans. Il ne pouvait donc se permettre de descendre sur un terrain si glissant, même par l’intermédiaire de ses militants.
Ne lui restait donc plus qu’à accepter, où à feindre d’ignorer ce surnom peu enviable. La chose peut sembler dure. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, cela en valait sûrement la peine. En ne disant rien, François Hollande a montré de la force, de la solidité. Au lieu d’être démonté par de basses attaques ou de s’abaisser à leur niveau, il a hissé sa stature en ne leur accordant pas la moindre importance publiquement. Plus loin, les premières connotations attachées au désormais célèbre produit laitier sont peut-être en train de se faire oublier, du moins en partie. Ainsi, Flanby pourrait bien se transformer en force pour le nouveau Président, le sobriquet devenant finalement un atout en forme de capital sympathie.
Et la marque Flanby dans tout ça ? Elle s’est tout simplement payé un buzz à l’œil. Comme le dit la directrice marketing des produits frais du groupe Lactalis-Nestlé : « les gens entendent ou lisent très souvent le nom de notre marque et, avec un peu de chance, ils le gardent à l’esprit » (1). En paquet, sur assiette, sur buste, planant au-dessus du palais de l’Élysée ou en rayon à côté d’un certain camembert, on aura de plus beaucoup vu le produit en question, sans qu’il soit, lui, jamais réellement mis en danger. Si au marketing de Lactalis-Nestlé, on la joue prudent et on dit ne pas s’attendre à des hausses « impressionnantes » (1), difficile de nier qu’il s’agit là d’une belle affaire. La marque enregistre évidemment un beau gain de notoriété, sans coût financier ni d’image en outre.
Faut-il dès lors penser que Flanby, on a tous quelque part à y gagner ? L’ambitieux Arnaud sera en mesure de répondre à cette question mercredi.
 
Romain Pédron
(1) – streetpress.com