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"Emmenez vos enfants voir des gens tout nus" VS Take me (I'm Yours): vous reprendez bien un peu d'art ?

Force est de constater que les stratégies communicationnelles et structurelles évoluent dans le monde de l’art. Ces dernières semaines, deux exemples représentatifs des ces évolutions nous ont été donnés. Les parisiens ont pu en effet être les spectateurs, dans le métro, de campagnes publicitaires singulières.
Mais avant cela, rappelons que les rapports entre publics et arts n’ont jamais été évidents, et à l’heure d’une société de consommation exacerbée, le manque de glamour de l’art classique ne joue pas en la faveur d’une simplification de ces rapports.
Il faut néanmoins remarquer la naissance d’une nouvelle forme d’art: en effet, n’importe qui peut s’approprier le titre d’ artiste grâce aux applications de photographie telles qu’Instagram : le glamour reprend vie, devient art et le voilà qui confère à présent à l’image des qualités artistiques ! Mais dans quelle mesure cette dernière, rapidement produite, rapidement exposée, et consommée à la même allure peut être être classée dans le monde de l’art ? C’est un autre débat, mais on voit que le jeu de l’artiste est de plus en plus répandu, et que l’art est devenu l’affaire de tous, produite et consommée par tous.
De fait, il faut observer les modifications opérées au sein même du monde de l’art : j’entend par là le monde institutionnalisé, celui qui correspond à des règles définies et qui, par essence, est moins glamour. Et bien les choses changent! Mais dans quel sens ? Prenons deux ovnis qui ont fait surface dans les couloirs du métro parisien entre les mois de septembre et novembre : d’une part, la campagne de publicité du Musée d’Orsay et du Musée de l’Orangerie et d’autre part, celle pour l’exposition Take me (I’m Yours) prenant place à la Monnaie de Paris.

Le musée , c’est glamour
On observe ici deux campagnes étonnantes qui attirent l’oeil du badaud et c’est normal. La première fait sourire par son décalage (en effet, l’écart entre oeuvre classique et slogan provocateur ou faisant écho à des références très actuelles est décliné sous plusieurs formes : “Emmenez voir des gens tous nus” accolé sur un nu d’Auguste Renoir ou encore “Emmenez vos enfants voir ni Fast ni Furious” sur une carriole emmenée par un cheval de Douanier Rousseau). Ici, la campagne de pub menée par l’agence Madame Bovary veut inciter les parents à emmener leurs enfants découvrir les chefs d’oeuvres de la peinture, photographie et sculpture du XIX ème et début du XX ème siècle. Pour ce faire, cette campagne cherche à donner une nouvelle vision de l’art classique : tout d’un coup, aller au musée devient aussi cool qu’aller au ciné voir Taxi 7. Cet art là est alors montré comme de l’entertainment : la culture est accessible, consommable, standardisée. Venez au musée, c’est divertissant, venez au musée, vous ne serez pas perdus au milieu de références incompréhensibles, le musée c’est facile, (et ça se consomme comme tout le reste).
Mmm, Y’a bon l’art
De l’autre coté, nous avons Take Me (I’m Yours) qui succède à la Monnaie de Paris aux nains de Noël phalliques de la Chocolate Factory de Paul McCarthy. Take Me (I’m Yours) c’est un projet artistique conçu par Christian Boltanski et Hans Ulrich Obrist et recréé vingt après sa première exposition à la Serpentine Gallery à Londres. Ici, toutes les oeuvres sont à la disposition du spectateur, elles font lieu d’interaction entre celui-ci et les artistes, elles sont vouées à se disperser et à modifier chaque jour la forme de l’exposition. L’exposition prend fin avec la dissémination totale de ses oeuvres, emmenées par les spectateurs. Si cette exposition interroge la valeur d’échange de l’art, elle n’en est pas moins dérangeante, elle aussi. Et si le rapport de l’homme à l’art était réellement celui-ci, celui de la consommation? Et que cette relation n’était pas montrée du doigt, comme avec cette exposition qui propose un méta regard sur le lien homme-art, mais bien entretenue par nos institutions culturelles ? Il est dangereux de mettre en place ce type de performances complaisantes et de croire que les spectateurs y vont pour réfléchir sur la valeur d’échange de l’art. C’est bien ce types de performances qui entretiennent la dégradation du lien entre l’art et le monde, et le modifient : on n’est plus liés aux oeuvres par l’émotion, mais bien par la consommation boulémique de représentations.

I’m lost in the supermarket
Quand le premier cas s’adresse à un public large, en lui faisant miroiter la promesse d’un entertainment (les enfants vont être bien déçus en arrivant au musée), la promesse d’une culture facile d’accès, facile à consommer; le second cas s’adresse lui à une élite, qui a déjà vu les classiques, et qui recherche le moderne, le nouveau, la crème de la réflexion contemporaine sur l’art. Cette exposition, où tout s’emporte, est d’un ludique désarmant, et répond à cette demande actuelle par rapport à l’art : Allez-y, consommez ! Mais elle devient aussi un noyau de réflexion creuse de “spécialistes” qui ont déjà tout vu, d’une élite qui y va non pas pour prendre les objets mis à disposition du spectateur mais bien pour réfléchir sur l’éventuel impact de cette exposition.Néanmoins, quelle est la valeur réflexive de cet impact quand il produit l’effet probablement inverse de son but initial et participe bien au glissement de l’art vers la consommation, du musée vers le supermarché (c’est d’ailleurs Karl Lagerfield qui avait transformé le grand Palais en Chanel supermarket à la Fashion Week de mars 2014 – il avait déjà tout compris lui-). Un supermarché où on achète notre entrée pour faire le plein de références contingentes, qui s’envoleront dans les prochaines heures ou bien les prochaines semaines. Et si le musée devenait un médium qui transporterait les oeuvres de manière aussi fluctuante et rapide qu’Instagram ?
On n’attire pas les mouches avec du vinaigre, et quand le grand public et l’élite sont attirés par la même sauce dans laquelle les institutions font baigner l’art, celle de la consommation, il faut se demander une chose: l’art classique va-t-il disparaitre ? Plus personne ne pleurera jamais devant Le Radeau de la Méduse ? Est-ce la fin des rêvasseries face aux couchers de soleil de Monet ? On croit souvent que le temps forge les classiques en art, mais est ce que les classiques, obsolètes, ne sont attirants que s’ils sont montrés aujourd’hui comme des biens de consommation ?
Il faut espérer que la consommation ne soit pas le nouveau classique artistique. Et comme dirait Baudelaire :
“La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien. »

 
Maud Cloix
Crédits photos : 
Chanel Shopping center au Grand Palais, fashion week mars 2014 
Publicité pour  l’exposition musée d’Orsay et musée de l’Orangerie
Exposition Take me I’m yours, Monnaie de Paris
Eugène Boudin, Deauville, coucher de soleil sur la plage, 1893
 

kama sutra
Société

De l'art, du sexe, du buzz : la débandade cul-turelle ?

 
Entre les performances d’art contemporain massivement relayées sur les réseaux sociaux et les expositions dont la promotion crée le buzz, les événements culturels puisent généreusement dans le registre du sexe pour aguicher le public et semblent ainsi utiliser un ressort publicitaire éculé pour se faire connaître. L’art serait-il destiné à devenir une marchandise comme une autre ?
Le boom des expositions cul-turelles
Comment prendre le métro parisien sans remarquer les innombrables affiches pour les expositions sulfureuses de la saison Automne-Hiver 2014 ? Au programme : le marquis de Sade au musée d’Orsay, le Kâma-Sûtra et l’amour au temps des Geishas à la Pinacothèque. Evidemment, la nudité et la sexualité sont loin d’être des sujets artistiques nouveaux. Et il n’est pas question dans ces expositions de choquer. Au contraire, l’exposition « Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l’art indien » vise à faire découvrir cet ouvrage du IVe siècle sous un jour nouveau, à éclairer son approche de la spiritualité, loin de l’image d’un traité pornographique et salace, comme le souligne Alka Pande, le commissaire de l’exposition. La rétrospective sur le marquis de Sade est quant à elle composée d’extraits de son œuvre, illustrés par des toiles de Goya, Picasso, Rodin, Ingres… Point de subversion scandaleuse, en somme.

En fait, c’est davantage la communication mise en place autour de ces événements qui pose question. Les deux expositions de la Pinacothèque laissent entrevoir leur postulat : le sexe attire. Mais c’est sans doute le musée d’Orsay qui joue le plus sur cet attrait, en réalisant une vidéo de promotion érotique. Dans celle-ci, des corps nus s’étreignent. Cette vidéo ne laisse personne indifférent : on est choqué, sidéré, touché. Le buzz généré par celle-ci, sanctionnée sur YouTube par l’interdiction aux mineurs, montre que le musée a vu juste en jouant sur le caractère mobilisateur du sexe, comme il l’avait fait pour son exposition Masculin/masculin dont la vidéo avait elle aussi été censurée. Ce qui dérange, c’est l’utilisation par une institution culturelle de ressorts intimement liés à la publicité. Le procédé est gros, énorme, même. Or le fait d’utiliser des procédés communs à la publicité fait entrer l’art dans le commercial, le transforme en marchandise.

L’art et la manière de faire le buzz
L’art contemporain et notamment les « performances », fonctionnent par l’étonnement, le choc ou la perplexité d’un public. On pense par exemple au sapin aux airs de plug anal exposé sur la place de la Concorde pendant la FIAC, la Foire d’Art Contemporain à Paris. Mais quand Milo Moiré assure «évoquer la création de la peur», nous, nous voyons avant tout une femme nue en train de pondre, avec son vagin, des œufs remplis de colorant qui s’éclatent mollement sur une toile blanche. Cette artiste suisse a marqué les esprits avec sa performance à l’Art Cologne 2014 et ce qui est sûr, c’est que même si on n’est pas passionné d’art expérimental ou voyeur, il a été difficile d’échapper à ses vidéos qui ont circulé sur tous les réseaux sociaux. Dans la même veine, l’australienne Casey Jenkins avait fait le buzz après avoir tricoté avec de la laine préalablement introduite dans son vagin et imbibée de sang menstruel.

La débandade culturelle ?
En fait, selon la sociologue de l’art Nathalie Heinich, « l’utilisation du vocabulaire de la transgression, et notamment de la culture pornographique […] rend ces œuvres accessibles aux néophytes. » On observe ainsi un engouement sans précédent pour l’art contemporain, en particulier pour les performances. Mi-octobre, par exemple, 500 000 visiteurs se sont pressés dans les espaces dédiés à la performance de la FIAC. Et tout au long du mois d’octobre, d’innombrables sites d’informations et journaux ont publié des articles intitulés « Comment parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? ». La question ne serait-elle pas plutôt « Pourquoi vouloir parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? » ? Cette popularisation de l’art contemporain est, en réalité, biaisée. Car si la transgression exposée un peu plus haut est suffisante pour faire le tour de YouTube, ces performances n’intéressent pas véritablement le monde de l’art. Elles sont périphériques et n’ont d’ailleurs fait parler d’elles que sur les sites d’information généralistes et les réseaux sociaux. Difficile de croire donc à un art mis en danger par une « publicitarisation » d’événements marginaux…
 
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
Le Monde, « Le Kama-sutra, lointain souvenir du désir », samedi 15 Novembre 2014
konbini.com
Stylist n° 067, « Quand la performance étouffe l’art », 30 octobre 2014
Crédits images :
amessagetoindia2.wordpress.com
offi.fr
Crédit vidéo :
DailyMotion