Flops

Allo… rthographe ?

L’orthographe est un sujet épineux. Si elle est vue comme un simple outil de sélection par certains, elle est discriminante pour d’autres. En France, la tendance favorise le premier point de vue : écrire correctement va de soi, et l’opinion ne pardonne pas. La ministre de l’Éducation nationale en a récemment fait les frais.
À vos stylos…
La dictée est encore un exercice auquel se plient des millions d’écoliers. En novembre dernier, le ministère de l’Éducation nationale a publié une étude sur les performances en orthographe des élèves en CM2. La même dictée est soumise aux classes à plusieurs années d’intervalle : 1987, 2007 et 2015. Au fil de ces trois évaluations, il est indéniable que le niveau orthographique a chuté — considérablement chuté même. Sur une dizaine de lignes sans grande difficulté, 10,6 fautes étaient comptées la première année. À l’occasion du deuxième test, en 2007, on dénombrait 14,3 fautes. Jusqu’à 17,8 erreurs en 2015.
Ainsi, les élèves qui s’apprêtent à rentrer au collège ont une maîtrise de plus en plus faible de la langue française. L’exercice adoré ou redouté qu’est la dictée est ensuite relayé au second plan, et les fautes s’installent durablement dans les habitudes des étudiants. Comme le note Loïc Drouallière dans son ouvrage Orthographe en chute, orthographe en chiffres, les élèves ayant une moins bonne maîtrise en orthographe subissent une « spirale régressive ». Autrement dit, « les faibles deviennent encore plus faibles alors que les bons se maintiennent à leur niveau d’origine. »
Outil de sélection
Si l’orthographe se détériore pendant le collège, il en est de même durant les études supérieures. Quel que soit le niveau auquel l’élève arrête ses études, arrive le moment de l’entrée dans la vie active qui nécessite, de ce fait, les envois de lettres de motivation et du CV.
L’orthographe est un des critères sur lesquels l’employeur juge les candidatures. Tout simplement parce que l’orthographe apparaît comme un outil de sélection. Et la liste des arguments soutenant qu’il est normal de bien écrire est longue. L’orthographe n’est-elle pas essentielle pour toute personne voulant intégrer le monde du travail ? Pour être crédible, ou bien même compréhensible ?
Rappelons qu’à l’occasion de la réforme de l’orthographe, beaucoup de Français ont joué sur l’importance des accents. Ils ont rappelé celle de l’accent circonflexe, qui, s’il est omis, peut donner lieu à un changement de sens… radical. Un exemple cocasse a été ainsi très utilisé par les opposants à la réforme : « Je vais me faire un petit jeûne. » mis en parallèle avec « Je vais me faire un petit jeune ».
L’orthographe sinon le flop
Au-delà, tout comme un employeur ne prend pas au sérieux une lettre de motivation qui contient des fautes, les articles avec des coquilles sont moqués, et les campagnes de publicité avec la moindre erreur sont taclées. Le flop, lui, guette.
En 2013, le Bled, véritable ouvrage de référence, a lui-même perdu toute crédibilité en laissant passer une énorme faute de conjugaison sur une de ses affiches. « Bled en français, en langues, en philo, pour vous *accompagnez toute l’année », peut-on lire. Quand un « z » remplace le « r », le scandale éclate !

Les fautes d’orthographe peuvent également coûter cher… Très récemment, la librairie du Congrès a dû arrêter la vente en ligne du portrait officiel de Donald Trump car une erreur s’était glissée dans la citation. Un « o » manque et c’est le flop présidentiel.

Outil de discrimination
L’orthographe est une aptitude, au même titre que savoir compter. Cette capacité fait appel à la mémoire visuelle, plus ou moins développée en fonction des individus. Certains ont des difficultés pour retenir des règles de grammaire, d’autres sont mauvais en calcul mental. Et pourtant, le calcul mental n’est pas un facteur déterminant dans l’embauche !
Mais le fait est que la langue française apparaît comme un patrimoine qu’il faut défendre, protéger, et respecter. Récemment, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud- Belkacem, s’est, malgré elle, réessayée à la dictée. Un ancien professeur de français a collecté ses fautes d’orthographe, les a mises en ligne sur Twitter, et a souligné l’ironie de la situation.
Mal écrire est mal vu. L’orthographe confère une valeur sociale. Selon un sondage, 84% des Français sont en effet gênés lorsqu’ils commettent une faute : cela renverrait une mauvaise image. Presque autant d’individus sont choqués de repérer une erreur dans un texte officiel (enquête Ipsos pour les Editions le Robert). De l’exigence d’une graphie irréprochable est née cette discrimination.

Eh bien… Après avoir écrit cet article, une seule envie m’anime. Celle de vous avouer que je discrimine moi-même. Au menu des restaurants, j’aime chercher la faute d’orthographe – car il y en a souvent une. Et fréquemment, je la trouve en commandant des profiteroles écorchées.

Victoria Parent-Laurent
Sources :
• DEBORDE Juliette, « Réforme de l’orthographe : ce qui change vraiment », Libération, 04/02/2016, consulté le 21/02/2017
• 20 minutes, « Etats-Unis : Une faute d’orthographe dans le portrait officiel du président Donald Trump », 20 minutes, 14/02/2017, consulté le 21/02/2017
• RATOUIS Alix, ROLAND-LEVY Fabien, « La grande injustice de l’orthographe », Le Point, 27/08/2009, mis à jour le 03/09/2009, consulté le 21/02/2017
• LE GAL Thibaut, « L’orthographe est un marqueur social qui donne une image de soi », estime le linguiste Alain Rey, 20minutes, 04/09/2014, mis à jour le 05/09/2014, consulté le 22/02/2017
Crédits  :
• Photo 1    de    couverture    :    L’Obs
• Photo 2 : saramea
• Photos 3 et 4 : captures d’écran Twitter

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Salafistes, la puissance de l'image

Le mois de janvier a, comme toujours, connu de nombreuses publications ou sorties d’œuvres culturelles et politiques – et des polémiques qui les accompagnent. Les bruits autour d’un film sorti récemment sous un titre plutôt accrocheur et déstabilisant sont probablement parvenus à vos oreilles. Salafistes, un documentaire de François Margolin, nous plonge au cœur du djihadisme au Mali et a pour objectif principal de dévoiler la réalité d’une forme de terrorisme de beaucoup méconnue. 
 Pourquoi un tel tollé sur ce film qui a pour vocation d’être un documentaire sur un monde terroriste que trop peu connaissent ? 
 Un documentaire qui fait l’effet d’une bombe
Salafistes a été décemment sorti dans le contexte de tension politique que nous connaissons, à la suite des multiples attentats terroristes à l’échelle internationale depuis plus d’un an maintenant. Sa sortie était réfléchie et les réalisateurs étaient forcément conscients du débat que provoquerait la sortie du film. Et c’était bien là l’objectif affiché des réalisateurs, qui soulignent avant tout un acte citoyen, de salut public : parler des dessous du terrorisme, pour éveiller les consciences à des aspects méconnus du terrorisme et participer à l’enrichissement du débat autour du terrorisme en société. Mais en terme d’agenda médiatique, le film ne pouvait s’attendre à une semaine aussi chargée en terme de polémiques concernant le terrorisme.  En effet, il est révélé peut de temps avant l’intervention politique de Najat Vallaut Belkacem, ministre de l’Education nationale, dans le Supplément de Canal +, dans laquelle les propos d’Idriss Sihamedi, dirigeant de l’association humanitaire islamique Barakacity, font scandale.  
 La sortie de Salafistes s’inscrit donc dans un contexte tendu. Le documentaire retrace, du Sahel à la Syrie en passant par l’Irak et la Tunisie, la pensée de cette mouvance terroriste. Comme dans tout documentaire, François Margolin, assisté du journaliste mauritanien Lemine Ould M. Salem, affichent clairement leur volonté de révéler les dessous, même choquants, de cette organisme de terreur. Après visionnage, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a déclaré déconseiller la diffusion du documentaire aux personnes de moins de 18 ans. Cette décision est-elle légitime de par la violence des scènes présentes dans le film ou cette censure est-elle une atteinte à la liberté de chacun d’être conscient des enjeux actuels ? 
 Un sujet clivant
 Le documentaire a essuyé de nombreuses réserves concernant la diffusion de la violence salafiste comme œuvre culturelle dans les salles de cinéma. Nombre de personnes ont dénoncé la présence de scènes trop choquantes, beaucoup d’autres ont aussi fait valoir que ce documentaire était en réalité une plate-forme de propagande gratuite pour Daesh. 
 Qu’en penser ? Si les avis divergent sur la question, la presse semble prendre parti à l’unanimité pour la défense la liberté d’expression. 
 Décrire ce film comme vecteur de la communication de Daech c’est faire le postulat que son public peut se laisser influencer par les propos tenus par les prédicateurs, s’insérer dans une vision tchakhotinienne avec un viol psychique du public et soustraire aux français leurs capacités réflexives. Les réalisateurs s’insurgent «  Dire que pour les adultes, cela va, mais pas pour les jeunes, c’est le principe même de la censure. Or, je pars du principe qu’il faut prendre les spectateurs pour des gens intelligents, quel que soit leur âge. » 
 Le langage des ministères oscille entre abérration devant la brutalité des images et dénonciation d’une présumée apologie du terrorisme…pour finalement aboutir à une exploitation dans un nombre restreint de salles réservé à un public majeur.  
 Si l’on condamne la violence du réalisme du documentaire de François Margolin, comment dès lors justifier du réalisme journalistique quotidien, parfois aussi choquant que le film Salafistes ? On pense notamment aux Unes récentes affichant la photo « choc » du petit Aylan sur les plages d’Egypte, ou encore de la récente campagne de Reporters Sans Frontières.

Comment expliquer qu’un documentaire, qui respecte une même déontologie journalistique que le journalisme de la presse écrite, connaisse davantage de censure que la presse écrite nationale ? La violence de l’image est-elle acceptée quand elle est seule, au dépit du reportage de terrain qui repose tout entier sur elle ?
L’image tue
En refusant la diffusion du documentaire et en déplorant la présence d’une voix-off encline aux commentaires qui contre-balanceraient la logohrrée islamique, serait-ce sous-entendre que chacun des français est en puissance un terroriste ? Cela reviendrait à faire de l’image un vecteur plus puissant qu’elle ne l’est en réalité.
Dans Imaginaire et Post-modernité  Michel Maffesoli parle de l’image comme un mésocosme entre le microcosme personnel et le macrocosme collectif, «  un monde du milieu qui fait un lien, établit une relance » Ainsi l’image n’aurait donc, selon M. Maffesoli, aucune proximité avec ces idéologies, il n’y aurait donc aucune raison d’émettre des réserves sur les finalités que peuvent avoir la vue de ce film sur un public lambda dont l’horizon d’attente serait critique !
Dans la classe politique aussi bien que chez les journalistes ou dans l’opinion publique, le sujet est brûlant et inévitablement clivant. Cependant, si le but était de masquer dans les méandres du silence ce documentaire pour en limiter l’impact, l’importante couverture médiatique autour de ce film contribuera sans doute à provoquer l’effet inverse.
Jérémy Figlia 
Sources: 
http://www.bvoltaire.fr/dominiquejamet/salafistes-nest-censurant-realite-quon-change,2350001
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1475025-salafistes-interdit-aux-de-18-ans-insense-notre-2 documentaire-est-un-acte-citoyen.html 
http://www.msn.com/fr-ca/actualites/photos/salafistes-on-a-risqué-notre-vie-pour-montrer-ce-que-3 pensent-ces-gens/vi-BBoJxnh?refvid=BBoDbEc
Serge Tchakhotine, Le viol des foules