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Campagne de prévention du VIH : l'homofolie se déchaîne !

Si certains en doutaient encore, maintenant nous pouvons l’affirmer : l’homosexualité n’est pas encore acceptée dans notre société. La polémique qui accompagne la nouvelle campagne de prévention du VIH, destinée aux homosexuels, en est la preuve. Lancée mi-novembre par le ministère de la Santé sur les réseaux sociaux et diffusée sur les panneaux publicitaires, elle met en scène des couples homosexuels s’enlaçant et des messages invoquant la nécessité de se protéger pour des « coups d’un soir ». Vandalisme, censure, tweets scandalisés… Le message a décidément du mal à passer.

Un cercle vicieux : informer, censurer, résister
Peu après la diffusion de 8000 affiches dans 130 villes de France, les attaques fusent de toutes parts. Les mairies les plus conservatrices, comme celles d’Aulnay-Sous-Bois et d’Angers, exigent le retrait des affiches, aux abords des écoles en particulier, car elles sont jugées susceptibles de heurter la sensibilité des enfants. La censure commence, la guerre est lancée.
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, riposte immédiatement ; elle sollicite non seulement la communauté des réseaux sociaux, en invitant à partager les visuels, mais aussi la justice, en portant plainte pour censure. Certes les principaux révoltés se comptent parmi les fervents militants de la Manif pour tous et les membres des associations de familles catholiques, mais le débat devient très vite, et avant tout, d’ordre politique. S’envoyant des tweets comme des balles de ping-pong, la droite et la gauche se positionnent en faveur, ou non, du retrait des affiches et élargissent la polémique à la question épineuse de la place de l’homosexualité dans notre société.
Le schéma est classique : les plus réactionnaires s’offusquent d’une atteinte à la sensibilité de l’enfant alors que les défenseurs des homosexuels se battent pour l’égalité des couples et l’acceptation de l’homosexualité aux yeux du grand public. Les arguments des élus contre la campagne se basent sur la protection de l’enfance et la défense des bonnes mœurs bafouées par ces affiches « volontairement provocantes ». Christophe Béchu, maire d’Angers, justifie alors le retrait des affiches en spécifiant que la même demande aurait été effectuée s’il s’agissait de couples hétérosexuels.
Hypocrisie tendancieuse ou argument recevable ? Quoiqu’il en soit, c’est la question de l’acceptation des homosexuels qui se pose : l’homosexualité, selon les défenseurs de cette campagne, n’est pas une anomalie que l’on doit cacher aux enfants.
Une polémique confuse : deux combats opposés, un ennemi commun
Le problème ne s’arrête pas là. Dans une logique de mise en abîme, la seconde couche du débat questionne la stigmatisation des homosexuels dans la société. Et si cette campagne n’était non pas une atteinte à la décence mais une énième condamnation de l’homosexualité ? En effet, trop souvent accusés d’être à l’origine du virus du Sida et d’entretenir majoritairement des relations instables, les homosexuels tentent d’échapper à ces stéréotypes dégradants. Pourtant cette campagne de prévention, en visant uniquement une population homosexuelle, renforce ces idées. « Coup de foudre, coup d’essai, coup d’un soir », « Avec un amant, avec un ami, avec un inconnu » : un message qui peut effectivement porter à confusion. Triste paradoxe en effet : une campagne grand public qui pour une fois met en avant l’homosexualité semble s’inspirer des plus grands clichés qui l’entourent.

Il est évident que l’objectif n’a jamais été de critiquer le mode de vie ou la pratique homosexuelle, mais d’inciter à visiter le site « sexosafe » où se trouvent les différents moyens de contraception pour homosexuels. Car, dans les faits, ceux-ci sont encore les plus touchés par le Sida (43% des nouveaux cas en 2015), et doivent donc être particulièrement ciblés par la prévention. C’est, du reste, ce qui est clairement précisé par le slogan présent sur chacune des affiches : « les situations varient, les modes de protection aussi ».
La question se pose néanmoins : à qui revient le droit d’être scandalisé ? Aux homosexuels qui se sentent stigmatisés par le message transmis ou bien à une droite réactionnaire effrayée par la portée idéologique de ces affiches ? Dès lors, cette campagne, aux conséquences de plus en plus notables et curieuses, fait ressortir deux combats aux directions radicalement opposées, ayant pourtant la même cible.
Finalement, puisque la démarche du ministère de la Santé fait face à de telles polémiques, doit-on parler d’une réussite ou d’un échec communicationnel ? Certes la campagne a fait parler d’elle, mais il semble trop tôt pour se prononcer sur sa portée effective. Ajouter des visuels avec des couples hétérosexuels aurait peut-être révélé si les attaques étaient dirigées contre l’homosexualité en elle-même, ou bien contre une représentation trop suggestive de la sexualité.
Quand la pub touche une corde sensible
Cette polémique révèle les contraintes et les responsabilités qui pèsent sur la publicité, et sur les contenus médiatiques en général. En effet, en nous alignant sur l’opinion favorable à cette censure, un contenu publicitaire ne doit jamais être trop provocant et ne doit pas heurter la sensibilité d’une population. Et lorsque la sexualité, sujet délicat voire tabou dans nos sociétés, est abusivement présente dans une publicité, cela peut être choquant. Cependant, le scandale est ici clairement axé sur la question de l’homosexualité, puisque le message ne peut pas, selon les opposants à la campagne, être compris par les jeunes.
Dès lors, ce débat n’est que le reflet d’une société confuse.
Au cœur de cette polémique sociétale, médiatique et politique, la question demeure : en quoi ces affiches sont-elles plus choquantes que de nombreuses publicités invoquant la sensualité voire la sexualité de la femme ou d’un couple hétérosexuel ?
Prenons pour exemple la marque de lingerie Aubade qui a lancé une campagne de publicité intitulée « Leçons de séduction ». Sur diverses affiches, sont mis en évidence des corps féminins presque nus, légèrement recouverts de dentelle, dans des positions aguicheuses. La dimension sexuelle est d’autant plus renforcée par les messages qui accompagnent ces photos : « le mettre au pas, au trot, au galop », « être légèrement culottée », « lui remonter le moral »… Promotion d’une sexualité libérée et d’une image quelque peu réductrice de la femme : un cocktail qui ne nous est pas inconnu ! Et pourtant, cette campagne n’a suscité aucune polémique, bien au contraire, il semble qu’elle soit plutôt appréciée aussi bien par les hommes que les femmes.

La responsabilité de ces campagnes de prévention est de délivrer un message à toute une société mais aussi de diffuser l’image de cette société, ce qui la dessine et la définit. L’homosexualité entre peu à peu dans les mœurs mais cette polémique montre qu’elle n’a pas encore une place stable et approuvée.
Sur Twitter, un internaute, se demandant ce qu’il va dire à sa fille de 8 ans face à ces affiches, touche involontairement du doigt le problème, et peut-être sa solution : les parents ne devraient pas craindre que leurs enfants soient choqués par la vision d’un couple homosexuel; au contraire, la jeunesse est une arme essentielle pour combattre les préjugés et soutenir l’évolution des mentalités. Atteindre une cible jeune serait le seul moyen de faire de l’homosexualité une norme légitime, médiatiquement, socialement et idéologiquement parlant. Les modes de prévention varient, les mentalités aussi ?
Madeline Dixneuf
Sources :
• 20 minutes, Sida: Pourquoi les affiches d’une campagne de sensibilisation dérangent, Damien Meyer, publié le 23/11/2016, consulté le 10/12/2016
• Le monde, Affiches de prévention du sida : Touraine saisit la justice à la suite d’une « censure », François Béguin, publié le 22/11/2016, consulté le 10/12/2016
• La croix, Une campagne contre le sida fait polémique, Christine Legrand, publié le 20/11/2016, consulté le 11/12/2016
• L’express, Une campagne de prévention anti-VIH visée par des anti-mariage gay, express.fr, publié le 18/11/2016, consulté le 13/12/2016
• France Tv info, Vidéo la campagne de prévention contre le VIH qui créé la discorde, Nicolas Freymond, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Non, ces affiches de prévention contre le sida ne sont pas un cliché sur les homosexuels, Marine Le Breton, publié le 01/12/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Plusieurs maires Les Républicains censurent une campagne de prévention contre le SIDA, le gouvernement les attaque en justice, Anthony Berthelier, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Têtu, La campagne publique de prévention gay menacée de censure, Julie Baret, publié le 21/11/2016, consulté le 20/12/2016
Crédits :
• Affiches de la campagne de prévention contre le VIH par le Ministère de la Santé
• Capture d’écran Tweet de Louis Ronssin
• Capture d’écran Tweet de Marisol Touraine Affiches de la campagne de prévention contre le VIH
• Capture d’écran Tweet marst76
• Capture d’écran Tweet Nicolas Sévilla, Laurence Rossignol, Baptiste C_A
• Affiche campagne publicitaire Aubade
 

Société

Arrêtes-toi si tu peux

 
Pour mes doigts. Pour mes 30 ans. Pour l’exemple. Pour lui.
De grands rectangles colorés qui se superposent, des messages accrocheurs en lettres blanches sans cohérence apparente.
Puis, en plus petit, cette conclusion : « On a tous une bonne raison d’arrêter de fumer. »
Dans le métro, cette campagne de l’INPES ne vous aura pas échappé.

A contrepied des campagnes traditionnelles qui mettent l’accent sur la santé, les problèmes cardio-vasculaires ou les déformations atroces dues au tabac, l’INPES change d’angle et mise sur une stratégie plus ludique. La campagne repose en effet sur l’auto-analyse et surtout la motivation du fumeur. Pour une fois, l’arrêt du tabac est proposé de manière positive ; l’accent est mis sur la carotte plutôt que sur le bâton.  Chaque fumeur est invité à trouver « sa bonne raison » d’arrêter.

Dans son communiqué de presse, l’INPES explique : « Le point de départ et non le moindre est la motivation (…). Si les risques du tabac sont bien identifiés par chacun, la motivation aurait besoin d’être encouragée. »
La version vidéo de la campagne propose une approche empathique. On y voit des scènes de la vie quotidienne susceptibles de trouver un écho en chaque fumeur. A chacun sa motivation, qu’il s’agisse de la santé, de l’entourage et de ses proches, de raisons financières ou encore esthétiques.

Voilà ce qu’en dit Yvan Attal, le réalisateur du film « Les raisons » : « Penser les choses « à l’envers », c’est-à-dire penser à tout ce qui permet de mieux profiter de la vie sans cigarette, est un bien meilleur point de départ pour donner envie d’arrêter à celui qui fume. C’est la dimension humaine, esthétique, et émouvante de ces scènes qui donnera peut-être envie à certains de décrocher ».
Tabac et publicité
Petit focus sur le lien entre tabac et campagnes de communication.

Pour lutter contre le tabac, on peut lister trois tendances générales : l’incitation à modifier son comportement, la réglementation et enfin les mobilisations collectives. Les stratégies des campagnes évoluent et s’adaptent aux comportements. Le site de l’INPES répertorie les différentes stratégies des campagnes depuis 1976 (date de promulgation de la loi Veil) :
1976 : première pierre de l’édifice
De 1993 à 1996 : une communication positive
De 1997 à 2001 : « Vous pouvez vous faire aider ! »
Depuis 2001 : « Ne supportez plus la fumée des autres ! »
2001-2003 : informer sur la toxicité de la cigarette
Depuis 2004 : « Fumer, c’est dépassé »
En 2010, renouveler les messages
En 2011 et 2012, l’Inpes mise sur la motivation
Retrouvez ici toutes les campagnes de communication de l’INPES :
http://www.inpes.sante.fr/10000/themes/tabac/campagnes.asp
Mais qu’en pense le public ?
Alors, des campagnes efficaces ? L’INPES a mené l’enquête.
D’après eux, le public est demandeur de campagnes « dures » pour dénoncer les méfaits du tabac, comme c’est le cas dans la campagne anti-tabac « Révélation » de 2002 :

Mais pas seulement.
La nocivité de la cigarette est connue de tous, c’est pourquoi il y a une demande concernant la difficulté d’arrêter. Avec cette nouvelle campagne, on insiste sur la dédramatisation du sevrage.
Pour ceux qui préfèrent arrêt plus en douceur, il y a toujours les cigarettes électroniques. Des couleurs, des parfums, des tailles différentes. Il y en a pour tous les goûts. Avec près d’un million d’utilisateurs occasionnels et 500 000 vapoteurs réguliers, on ne présente plus l’e-cigarette, véritable phénomène de mode.
Le succès d’une campagne anti-tabac repose sur certains principes : communiquer sur la santé publique requiert quelques précautions. Il s’agit de ne pas stigmatiser ou inquiéter, ne pas imposer de normes sociales, ne pas décrire les risques sans proposer des solutions, etc. Comme le souligne l’INPES, « cette communication est d’autant plus délicate qu’elle peut paraître intrusive, normative et aller contre la liberté des individus. »

Un exercice délicat, donc, auquel l’INPES se prête avec plus ou moins de succès. « On a tous une bonne raison d’arrêter », c’est déjà un changement d’angle par rapport aux campagnes précédentes.
En bref, une campagne qui a le mérite de communiquer d’une manière différente.
 
Clara de Sorbay
Sources :
L’INPES, ici et là.
Minutebuzz
Le Figaro

Société

Jacques a dit : « vous reprendrez bien une part de tarte ? »

 
A la suite de la première campagne contre les violences éducatives, lancée en 2011, la Fondation pour l’enfance relance un spot de sensibilisation, visible depuis ce 22 juin 2013. L’agence ROSAPARK est la créatrice de cette campagne TV/web ; 30 secondes de film, déjà analysées par cet article FastNCurious de vendredi.
Campagne de 2011 :

Campagne de 2013 :

L’interdiction des « violences éducatives ordinaires » faites aux enfants, si elle est acquise en Suède par exemple, fait débat en France… même si la grande majorité pense qu’il y a des claques qui se perdent. Il n’y a qu’à voir les sondages amateurs lancés par les sites de presse en ligne, du type « Faut-il une loi pour interdire la gifle » par le Figaro, en date du 18 juin 2013 (91,87 % de non).
Les plus sarcastiques trouvent toujours le bon mot pour exprimer leur hébétude, face à ce qu’ils considèrent comme un excès de moralisme social. Narquois, l’auteur de cet article remarque : « Les droits des enfants déchaînent les passions : tandis que certains se battent pour leur donner « un papa, une maman », d’autres promeuvent l’abolition de la GPA (Gifle Parentale Autoritaire) ».
Mention spéciale pour le commentaire de cet internaute sur le site du Huffingtonpost : « la ville où ça doit faire mal, c’est bien Gif(le)-sur-Yvette ! La pauvre Yvette ! ».
Toutefois le projet anti-baffes, ou plus sérieusement de lutte contre toutes les formes de violence physique et psychologique faites aux enfants, fait l’objet d’un consortium serré entre médias et politiques.
L’agence réalise « gracieusement » ce spot de prévention grand public, selon le dossier de presse référent, en partenariat avec France Télévisions. Et la Fondation pour l’enfance, à l’origine du projet, bénéficie de soutiens stratégiques, dont l’action se répercute sur un maillage élargi. On trouve ainsi dans les supporters une élue de l’Assemblée nationale, impliquée dans la lutte contre les violences faites aux femmes et son pendant de répercussions douloureuses sur les enfants. Il y a aussi une bibliothécaire, qui analyse les droits des enfants par le prisme de la littérature : « Des écrivains, au nom de leur humanisme, Montaigne et Rabelais se sont opposés aux châtiments corporels imposés aux élèves et on se souvient des règles libérales de l’Abbaye de Thélème ! ». Cette bibliothécaire à double casquette, également Vice-présidente du Conseil Régional d’Ile-de-France, insiste sur le rôle des infirmier(e)s et assistantes sociales dans les écoles, en faveur du combat contre les châtiments corporels, et en appelle à une prise en main politique. Et puis on rencontre un docteur pédiatre, députée de Paris de 2009 à 2012, auteur de livres d’éducation pour les parents (« L’autorité sans fessées ») et surtout auteur des propositions de loi en 2010 « visant à abolir les châtiments corporels infligés aux enfants » et « visant à abolir toutes les formes de violences physiques et psychologiques infligées aux enfants ».
La sensibilisation se fait bien au travers de multiples canaux : par l’édition papier, l’éducation scolaire, la tentative de législation et le concours du web et de France Télévisions. Le dossier de presse monté par la Fondation pour l’enfance, comme support et justification de cette campagne, présente toute l’architecture de cette communication, comme la notice minutieusement détaillée d’un médicament, (d’une seringue, ajouterait le sociologue Harold Lasswell [1]).
Entre moralisation et prise de conscience, l’essentiel est de marquer les esprits. Rien n’est pire que l’indifférence, le mutisme. La mort est silencieuse, n’est-ce pas. D’où la nécessité de provoquer la discussion, et de marquer les esprits par un aphorisme incisif : « Il n’y a pas de petites claques ».
Pour ce qui est des slogans sumos, ou termes catcheurs, une campagne du même ton a été réalisée pour la première fois, et avec brio… en Arabie Saoudite.
« Certaines choses ne peuvent pas être couvertes », indique la bien-nommée catch-phrase, en éclairage de cet œil au beurre noir, que ne peut cacher le fameux niqab.

Le contexte certes ici est différent, mais d’aucuns pourraient arguer que, en ce qui nous concerne, certaines tapes correctrices, en amont, pourraient bien éviter les torgnoles pulsionnelles, en aval.
 
Sibylle Rousselot
Sources :
Dossier de presse
[1] LASSWELL Harold, Propaganda in the World War

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Flops

Tu la veux celle-là ?

 
Il y a une dizaine de jours, la Fondation pour l’Enfance lançait la diffusion d’un spot déjà copieusement discuté, « La Gifle », avec une frappante (mes excuses) phrase finale : « Il n’y a pas de petite claque ».

Moins mélodramatique que le précédent coup d’éclat de la Fondation (2011), ce spot joue cependant sur le même ressort essentiel, que l’on retrouve dans la majorité des opérations de sensibilisation : le choc.
Comme « Under my skin » de la British Heart Foundation en 2009, « Kan c non, c’est… » du CFCV la même année, ou encore le remarqué « Insoutenable » de la Sécurité Routière en 2010, les avatars des différentes formes de prévention ne peuvent échapper à ce registre s’ils prétendent toucher efficacement les publics. C’est par exemple ce qui a été vérifié par Karine Gallopel et Christine Petr dans L’utilisation de la Peur dans les campagnes de Prévention : la peur, associée à une phrase, une image ou un concept qui la cristallise et la rattache à la banalité du quotidien, n’a pas son pareil pour faire changer les comportements.
Mais l’ennui avec une gifle – qu’au reste beaucoup trouvent salutaire dans le spot – c’est qu’elle ne porte aucunement les mêmes enjeux que les exemples cités plus haut : à moins d’être extrêmement commune (mais nous basculons alors dans la maltraitance pure et simple), elle ne sera jamais synonyme de mort, de crime ou de vie détruite.
Les statistiques abondent pour relier déséquilibres, alcoolisme ou violences à l’âge adulte avec la réception de claques durant l’enfance, mais il est bien sûr proche de l’impossible d’établir rigoureusement le cheminement d’un éventuel traumatisme.
Il en va de même pour les avis d’experts qui se manifestent autour de la campagne : la gifle serait un aveu d’échec pour l’adulte et un apprentissage de la violence pour l’enfant, mais ces suppositions laissent chacun libre d’y aller de son contre-exemple personnel.
Et c’est par ce biais que la campagne est censée se rattraper : le commentaire. Là où le spectacle d’un accident sanglant sur la route est avant tout reçu personnellement par le spectateur, une simple déclaration appelle au contraire à la conversation. « Il n’y a pas de petite claque » devient le motto à abattre ou à défendre selon celui qui l’aborde, et chaque internaute peut se laisser aller au plaisir double de contredire quelque chose et de le faire à coups d’exemples à première vue pertinents, tirés de sa vie ou de celles de ses proches. L’agitation qui en résulte peut même être récupérée par les médias qui lui donnent voix, puisqu’elle est un prétexte parfait pour matérialiser l’existence d’une communauté sur, par exemple, un site d’actualités.  Une sorte de Big Picture (The Guardian, 2012) à moindres frais.
Si le message de « La Gifle » en lui-même n’aura probablement qu’une portée discutable, le spot n’est pas un Flop complet. Car à travers les critiques soulevées, la Fondation pour l’Enfance a réussi à faire entrer une nouvelle discussion dans l’espace public – même la « petite claque » a son intérêt, car elle ne forme qu’une phrase courte, plus proche du proverbe que du slogan et qui peut aisément devenir un lieu commun dans les conversations – c’est exactement ce qu’ont accompli, en leur temps, le « Non c’est non » dans un contexte d’agression sexuelle, ou le « Si j’étais un homme, tu me parlerais comme ça ? » en matière de sexisme. Reste à savoir si la mayonnaise prendra sur le long terme.
Et pour le plaisir de soulever la question, il est tentant de se demander quelles adaptations cette recette pourrait connaître. Si la gifle parentale peut devenir si aisément le centre de l’attention, quels autres messages pourraient être transformés en proverbes de sagesse populaire ?
 
Léo Fauvel
Sources :
RTL
France Info
La Croix
Causeur