AFROSTREAM
Société

Afro on demand

Afrostream est une plateforme de vidéos à la demande créée en Novembre 2013 par Tonjé Bakang. Après une période d’essai qui a débuté le 1er septembre, puis son lancement officiel le 1er octobre 2015, zoom sur l’évolution d’un média prometteur.

 
 
 
 
 
 
AfroStream est la première plateforme française à proposer des films, des séries, des dessins animés et des spectacles (et bientôt des documentaires) afro-culturels. Ce nouveau mode de consommation de produits culturels afro, souvent laissés de côtés par les médias, a immédiatement trouvé son public, las de ne pouvoir accéder qu’à des contenus en streaming illégaux ou de mauvaise qualité. Preuve à l’appui : la plateforme réunit déjà presque 90 000 personnes sur Facebook et plus de 3000 abonnements. Le fonctionnement est simple, il y a trois types d’abonnements, de 6,99 euros par mois à 99,99 euros par an, qui permettent un accès illimité à divers contenus. La plateforme s’envole, les abonnés se multiplient et différents projets sont en cours de développement. Elle prépare la création d’une application mobile pour fin novembre et la réalisation d’une production originale en 2018 (il existe déjà une web série diffusée sur Youtube « Les Ways de Mimi »).
Aujourd’hui elle propose une sélection de Nollywood, des films à succès comme Think like a Man, Bande de filles, ou encore, depuis quelques jours, suite à son nouveau partenariat avec Sony Pictures Television, un grand nombre de films inédits en France comme The Wire, et des films plus classiques comme Bad boys avec Will Smith. Mais Afrostream ne se rêve pas seulement en diffuseur de culture afro, la plateforme a une plus large ambition et veut maîtriser l’ensemble de la chaîne, de la production à la diffusion de contenus.
 
 

 
 
 
 
 
Repérée par Y Combinator (l’incubateur de la Silicon Valley qui a aidé des sociétés comme Airbnb ou Dropbox), intégrée à la plateforme MYTF1 VOD, soutenue par Orange, et partenaire de Sony, AfroStream, la plateforme attire l’attention des géants du secteur depuis deux ans. Sont-ils séduits par la volonté de défendre une culture et de la diffuser, par le fait que le cinéma africain connaisse un succès énorme depuis quelques temps et mobilise un grand public, ou bien encore parce que l’Afrique est dans la ligne de mire de la plateforme qui veut en faire son marché numéro un ? Orange en tout cas ne doute pas du potentiel d’Afrostream et investit entre 500 000 et 3 millions d’euros via sa filiale Orange Fab France. L’opérateur explique qu’ils ont beaucoup en commun, en commençant par la diffusion de contenus. Ce dernier ne cache plus sa volonté de créer un Netflix à la française et voit dans ce partenariat la possibilité de se familiariser avec ce type de projet. Orange est d’ailleurs présent dans bientôt vingt pays africains où il réalise 10% de son chiffre d’affaire. Cet investissement va lui permettre d’appuyer sa présence et son image auprès des populations africaines (Afrostream est disponible en Côte d’Ivoire, au Sénégal mais aussi en France, en Belgique, en Suisse, au Luxembourg et le sera dans certains pays anglophones d’ici 2016), mais va également lui permettre d’enrichir son offre de contenus, car Afrostream devrait être lancé l’été prochain sur la TV d’Orange.
 
 

 
 
 
 
 
Afrostream se veut porteur d’identité pour ceux qui n’ont pas accès aux contenus afro. Les deux fondateurs veulent « montrer des héros qui ressemblent aux gens autour de nous et particulièrement l’homme et la femme noire, peu présents sur les écrans français. » Depuis quelques années, on voit se développer des médias ethniques en réponse à un sentiment d’appartenance à la société qui s’affaiblit. Les films et les séries sont à la fois des supports et des producteurs d’identités. Ils font fonctionner un imaginaire commun à travers le langage, les images, les relations ou encore les musiques. Cette culture commune nous touche, elle mobilise nos souvenirs et nos affects et nous permet de nous identifier aux personnages. Aujourd’hui, on sera plus touchés par un film qui va nous rappeler nos vacances d’été dans le Sud, ou nos repas de famille (oui, oui) qu’un film qui laisse notre partie droite du cerveau indifférente. Tonjé Bakang précise : « Durant mon adolescence, je regardais les séries et émissions américaines. J’y voyais enfin des gens comme moi, qui faisaient des blagues similaires à celles de nos familles africaines. En France, la seule représentation de la diversité dans l’humour était Jamel Debbouze » et veut ainsi « faire découvrir le monde à travers un autre point de vue, ne plus se contenter du regard caucasien ». Afrostream se considère comme plus qu’un simple média ethnique et cible toutes les personnes attirées de près ou de loin par la culture afro à travers le monde. En Afrique, grande oubliée de Netflix (pour l’instant), Afrostream veut développer la production et la diffusion de films afro, et va devoir se heurter à la concurrence que représente IrokoTV au Nigéria.
 
 

 
 
 
 
 
 
Si l’ambition sans limite du fondateur d’Afrostream laisse espérer un avenir prometteur pour la plateforme à la conquête du marché africain, ce dernier ne doit pas oublier que Netflix prévoit de « conquérir le monde » d’ici 2016, et que son arrivée sur le continent Africain risque de compromettre l’ascension fulgurante de la start-up …
Victoire Coquet
Sources :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/26/afrostream-se-reve-en-netflix-africain_4584215_3212.html
https://afrostream.tv
Crédits images : 
afrostream.tv

Flops

Les fans pour vous servir

 
The Walking Dead doit une partie de son succès à la performance de ses cliffhangers (1), méticuleusement répartis à chaque épisode pour s’acheminer vers le midseason (2), qui constitue une réserve émotionnelle assez puissante pour perdurer jusqu’à la reprise de la série. 
Mais cette année, le savant engrenage se voit menacer par la rouille, après un élément narratif que certains n’hésitent pas à qualifier de meurtre. Que s’est-il donc passé pour qu’AMC se voit contraint d’expliquer à quelques 50 000 consommateurs d’apocalypse pourquoi il a « tué » leur personnage préféré ? 
La mort des personnages principaux est le lot d’un nombre croissant de séries télévisées, qui jouent ainsi avec les nerfs de leur audience – jusqu’alors dans un climat de relative complicité. Lorsque la midseason de Walking Dead paraît sur les écrans, révélant la mort de Beth, elle provoque la colère d’une vaste communauté de fans qui, aussitôt, promeuvent la pétition « Bring Beth back ». Sur change.org, cette pétition regroupe à ce jour 56 854 signataires passionnés qui strient la toile de commentaires mécontents.
Les critiques se situent généralement à deux niveaux, et révèlent une approche intéressante de ce qu’est devenu la consommation de divertissement pour beaucoup d’utilisateurs. En premier point, la frustration affective engendrée par la disparition d’un personnage devenu familier semble être désormais un motif légitime de réclamation, qu’on pourrait résumer à cet amer constat : « Ce n’était pas le produit  que j’attendais. » 
La seconde facette de ces critiques procède de cette tendance qu’a le web de donner le même temps de parole à l’amateur qu’au professionnel, et concerne directement, cette fois, la compétence des réalisateurs qui n’auraient pas exploité le potentiel scénaristique du personnage « tué ». Ce faisant, ils auraient lésé le consommateur en ce qui relèverait littéralement d’une faute professionnelle. 
C’est la naissance d’un autre type de fan service. De quoi s’agit-il ? Initialement, de clins d’oeil adressés par l’auteur d’une œuvre à ceux qui la suivent, afin de s’en attirer les bonnes grâces – procédé particulièrement employé dans l’univers des mangas, où il n’est pas rare de tomber sur un hors-série dévoilant les charmes d’une héroïne populaire…
Cette tactique devient désormais d’ordre préventif, voire impératif.
Le fan service réussi ou la tendance diplomate
Si AMC n’a pas encore répondu à ces accusations d’assassinat gratuit, d’autres producteurs se prêtent au jeu du fan service, avec plus ou moins d’élégance.
Au moment où Masashi Kishimoto relève le douloureux défi de clore une saga au succès mondial en heurtant le moins de fans possible, Gotham, nouvelle série de la FOX, se prête au jeu du fan service assumé. Véritable vitrine du genre, Gotham est aux amateurs de Marvel ce que le green-washing est aux images de marque, soit un gage de reconnaissance et, dans une certaine mesure, de prestige inattaquable.
D’autres encore entretiennent des liens plus discrets, mais tout aussi efficaces avec leur communauté – liens qui naviguent à loisir entre les clins d’oeil et les mesquineries soigneusement dosées. Sur la page Facebook d’American Horror Story, une série télévisée à la capicité de teasing redoutable, les community managers procèdent à une véritable analyse de terrain. Aussitôt un personnage est-il porté aux nues qu’un portrait en est publié sous un jour peu flatteur ; les plaisanteries devenues cultes au sein des amateurs sont rapidement intégrées au langage de la page officielle.
La palme du fan service revient peut-être à la série Supernatural, qui publie régulièrement des méta-épisodes sur le ton de l’humour, reprenant avantageusement les codes et les propos de la communauté de fans pour les intégrer à son scénario, clamant ainsi que ces derniers font partie de l’aventure.

La série-télévisée sanctionnée par ses clients
Quel message ces rapprochements entre production et consommateurs délivrent-ils ? Le brouillement volontaire de cette frontière n’est pas du goût de certaines productions, qui se réclament d’une certaine liberté artistique, ni de certains consommateurs qui estiment n’avoir aucune légitimité pour intervenir dans le processus d’élaboration d’un contenu culturel. 
Toute proportion gardée, il est difficile de donner tort à l’une ou l’autre des parties. Les fans se sont toujours emparés de l’objet culturel – livre, film, série télévisée – sans prendre massivement d’assaut ses auteurs pour exiger des prestations supplémentaires. Maintenant que les réseaux rassemblent et fédèrent les groupes d’intérêts, la force numéraire et économique des téléspectateurs est conscientisée, et s’envisage comme un contre-poids face à l’industrie culturelle.
Est-ce le devoir du producteur de se plier aux exigences du public, ou doit-il être intraitable, fidèle à sa vision artistique ? Jusqu’à quel point s’étend sa responsabilité auprès de sa communauté ?
D’aucuns répondraient simplement que la production est sanctionnée, en cas d’impair, par la simple absence de ses télé-spectateurs habituels et potentiels. Mais ce mécanisme de boycott peut-il s’appliquer de manière aussi idéalement systématique en ce qui concerne les séries télévisées, conçues pour fidéliser et créer un besoin de suivi ? Produit à la rencontre de l’art et du marketing, le format des séries télévisées engage et retient le consommateur tout en étant dégagé de toute responsabilité par le caractère artistique du produit lui-même, échappant du même coup à la plupart des obligations légales inhérentes à un produit commercial… Cet équilibre fragile est justement bouleversé par la « clientélisation » des fans, qui semblent ne plus hésiter à exiger le meilleur de leurs chaînes préférées. 
A l’exemple de Mass Effect 3, qui, sous l’impulsion de 67 000 signataires, s’est vu forcé de réécrire une fin pour son best-seller, les médias culturels doivent désormais craindre les réactions de leur public plus si dévoué.
Marguerite Imbert
Sources
Change.org
facebook.com
gamekult.com
Crédits photo
thewalkingdead.com
cuckaluhr.com
(1) Type de fin ouverte créant le suspens
(2) Période entre janvier et avril qui marque le retour de certaines séries, ou leur lancement.

Dossiers et conférences

Qui es-tu, héros traditionnel ?

Plusieurs personnages, une seule symbolique : le héros traditionnel comme archétype
A l’évocation de la notion de héros traditionnel, les mêmes figures s’imposent presque immédiatement dans l’esprit de la plupart d’entre nous : les plus âgés revoient avec émotion (ou une pointe de cynisme) Charles Ingalls fendre inlassablement ses bûches de bois, les plus jeunes penserons plutôt à Eric Camden, le sage père de famille nombreuse de la série américaine Sept à la maison. Qu’ils soient pasteurs ou bûcherons, entraineurs sportifs ou employés de la CIA, ce qui frappe lorsque l’on se penche un peu plus sur ces héros qui jalonnent nos séries télévisées, ce sont les nombreuses similitudes qui les lient (bonté, honnêteté, fiabilité, et une pléiade de mots finissant par –té que nous détaillerons plus tard). Au point de pouvoir parler d’un archétype du héros traditionnel, qui se décline dans le temps et dans différentes situations, mais qui s’offre à voir dans toute son unité lorsque l’on s’amuse à comparer les rôles symboliques joués par les personnages qui l’incarnent.

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True Detective
Les Fast

True Detective, une série « d’anthologie »

 
Le 12 Janvier dernier, HBO lançait sa série évènement : True Detective, l’histoire de la traque d’un tueur en série au Etats-Unis entre 1995 et 2013 par deux enquêteurs au tempérant opposé. Attendue par tous, True Detective réussi son pari et rapproche définitivement les médias télé et cinéma.
Créée en 2012 par Nic Pizzolatto, devenu showrunner pour HBO après une courte carrière d’écrivain, la série adopte une forme originale et de plus en plus en vogue : l’anthologie.
Le terme désigne une non-continuité scénaristique entre chaque saison : les personnages et les intrigues sont renouvelés, tout en gardant un fil rouge et des problématiques communes. Les exemples les plus connus et qui ont popularisé le genre sont Les contes de la crypte, Black Mirror ou American Horror Story. Cette nouvelle approche permet un renouvellement important, ainsi que des scénarios plus ciselés puisque devant concentrer leur intrigue sur une petite dizaine d’épisodes.
True Detective dispose d’autres arguments pour séduire le public mais surtout les chaînes : une intrigue puissante, un réalisateur – Nic Pizzolatto, le créateur – talentueux, mais surtout un jeu d’acteur irréprochable de Matthew McConaughey et Woody Harrelson, tous deux plus habitués aux plateaux de cinéma qu’à celui d’une série télévisée.
Tous ces éléments réunis ont créé un véritable « buzz » lors de la mise en vente de la série aux channels américains. C’est finalement HBO qui a raflé la mise. Les critiques américaines et françaises sont dithyrambiques : « Les performances de Woody Harrelson et Matthew McConaughey figurent parmi les meilleures vues cette saison à la télévision, voire toutes années confondues » écrit le San Francisco Chronicle.
Ainsi, force est de constater que les liens entre série télévisuelle et cinéma sont désormais tant sur le média que sur la qualité même des contenus.
 
Adrien Torres
Sources :
Allocine.fr
Lesinrocks.fr
Liberation.fr

affiche un village francais
Société

N'essayez pas de résister

 

Pour annoncer la diffusion de la cinquième saison de sa série Un village français, France 3 a sorti les grands moyens. C’est le moins que l’on puisse dire ; presse, spot publicitaire diffusé au cinéma, importante campagne d’affichage, rien ne semblait trop beau. Mais ce qui est particulièrement remarquable n’est pas tant l’aspect quantitatif de cette campagne que le ton décalé qui a été choisi.

Le spot publicitaire tout d’abord. Au cours de la vidéo, le spectateur a d’abord l’impression de se trouver devant un « simple » extrait d’épisode. On retrouve les personnages habituels, dans un décor et une ambiance tout à fait typiques. Mais alors que le jeune garçon pose une question brûlante quant au retour de son père prisonnier, son interlocuteur allemand s’adresse tout à coup au spectateur en lui conseillant de suivre la nouvelle saison pour enfin découvrir la réponse.

Mais surtout, ce sont les affiches qui sont les plus surprenantes. Elles sont signées par le responsable de marque de l’Agence Australie, Laura Maître, et ses deux créatifs, Jean-Philippe Ridon et Frédéric Debruycker. Trois différents modèles ont été conçus autour de trois slogans : « En 43, il y avait déjà du réseau », « Vous allez être occupés », « Vous allez devoir vous libérer ». Chacun d’entre eux est construit autour d’un jeu de mots qui permet de dresser un parallèle linguistique entre la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui. Les termes « réseau », « occupés » et « libérer » font ainsi référence à la France occupée puis libérée grâce (entre autres) aux réseaux de résistants. Mais ces mots renvoient aussi aux moyens de communication (réseaux sociaux par exemple) et emplois du temps (souvent chargés, d’où les expressions « se libérer » et « être occupé ») actuels. Dans le dossier de presse de la série, la chaîne explique avoir voulu s’appuyer sur le réalisme. La typographie choisie rappelle ainsi les messages que les résistants inscrivaient parfois sur les murs des villes occupées, en guise de contestation de l’occupation. Par ailleurs, on distingue en bas de chaque affiche les personnages principaux de la fiction, comme pour marquer la stabilité et la force de la série, la continuité de la nouvelle saison avec les précédentes.
Jusque là, on pourrait penser que France 3 a tout bon. Et pourtant. Si cette campagne de publicité a été majoritairement saluée (notamment par le site AlloCiné qui loue « l’audace » de la chaîne), c’était sans compter sur l’effroi des journalistes de Rue89. C’est sûr qu’en postant sur Twitter « Saison 6 : « ça gaze sur France 3″ ? », Pascal Riché annonçait la couleur. S’il planait encore quelques doutes quant à la réception de la campagne par ces journalistes, le titre de leur article sur le sujet se charge de clarifier les choses : « Promo de France 3 : ‘Vous allez être occupés’… ou choqués ». Les reproches adressés à France 3 vont dans deux sens mais se rejoignent en un point : le manque de respect envers la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, le spot publicitaire dérange dans la mesure où il crée un suspens ludique jugé inapproprié au propos. De même, le décalage des affiches arrache un sourire qui ne serait pas de circonstance (d’où le jeu de mots volontairement plus malsain et inacceptable de Pascal Riché). C’est sûr que vu comme ça… Mais alors France 3 a-t-elle vraiment été trop loin ?
Cette campagne de publicité est-elle efficace ou dessert-elle le contenu de la série dont la grande qualité ne cesse d’être soulignée ?
De toute évidence, le ton adopté rend la démarche intrigante, attractive, moderne et dynamique. C’est une entreprise audacieuse et courageuse, qui tend à rompre avec l’image traditionnelle de France 3. De cette manière, la chaîne tente sûrement d’attirer un nouveau public, peut-être plus jeune, en tout cas plus nombreux. Face au nuage de publicités qui envahissent l’espace public, il est désormais essentiel de se distinguer pour espérer être efficace. La qualité du produit ne suffit pas toujours, les marques sont « condamnées » à être originales. Et n’est-il pas justement dans l’intérêt de la mémoire collective d’encourager le plus grand nombre à regarder ce genre de fiction historique de qualité, qui ne se contente pas de raconter l’histoire mais qui la problématise et la remet en perspective ? De la même façon, le spot publicitaire s’inscrit d’une certaine façon dans la logique de la série. L’interruption de la scène par l’acteur qui encourage le spectateur à suivre la série représente une certaine mise à distance. L’acteur et son personnage se dédoublent, ce qui rompt l’illusion et invite donc à prendre un certain recul sur la réflexion proposée par la fiction.
Ainsi, si la campagne est certes moins subtile que la série, elle reste efficace car originale, audacieuse, et tout de même bien pensée. Irrésistible.
 
Margaux Putavy
Sources
Rue89
Allociné

Com & Société

Un passé qui ne passe pas

Le Frankfurter Allegemeine Zeitung a lâché une véritable bombe le 26 avril dernier: Horst Tappert (1923-2008), l’homme qui a incarné pendant un quart de siècle (1974-1998) et 281 épisodes le célèbre inspecteur allemand Derrick, aurait été, en 1943, engagé dans les Waffen-SS.
Quand la banalité du mal se cache derrière celle du bien
Le coup est d’autant plus rude que la série est chargée en symboles. Diffusée dès le début des années 70, elle a contribué à améliorer l’image du pays, marqué par la « banalité du mal », notamment à travers les valeurs incarnées par son personnage clé : un peu terne, conservateur mais honnête et travailleur. Diffusée dans 102 pays, la série illustrait le succès du « made in Germany ».
A l’annonce de la nouvelle, la consternation est grande, particulièrement en Allemagne, où Horst Tappert est une icône télévisuelle. En Bavière, on envisage de lui retirer le titre de « commissaire honoraire de la police bavaroise » qui lui avait été décerné en 1980. Les différentes chaînes de télévision déprogramment les épisodes qu’elles devaient diffuser. « Nous ne voulons pas honorer un acteur qui a menti de cette façon sur son passé », explique le producteur de la chaîne norvégienne Max. Ces décisions suscitent nombre de polémiques.
Entre éthique et politiquement correct
Il ne faut bien sûr pas omettre le devoir de mémoire. Un tel passé ne peut être mis sous silence, et à coup sûr, les habitués de la série auraient désormais porté un autre regard sur leur inspecteur préféré. L’affaire pose en effet un problème d’éthique : peut-on continuer à accepter sur nos écrans un ancien nazi ? D’autant que la série fait face à un paradoxe assez gênant, puisque Derrick se caractérisait par son pacifisme, sa volonté d’éviter l’usage des armes, et sa lutte quotidienne pour la justice. Clin d’œil sadique du nazi, ou marque d’un caractère pacifiste en rédemption ? La réponse est peut-être effrayante… ou non. C’est bien ce qui dérange : on n’en sait rien.
C’est pourquoi les médias et les politiques sont accusés de ne réagir que conformément à la « bien pensance », en tenant le même discours diabolisateur. Le politiquement correct prend (encore) le pas sur l’analyse et la réflexion. Or on est à même de se demander si le passé certes trouble, mais non complètement élucidé, de Horst Tappert justifie cette diabolisation. « Les documents dont nous disposons pour le moment ne permettent pas de comprendre les circonstances de son engagement, ni s’il a été soumis à des pressions au moment de s’engager », explique au Spiegel l’historien Jan Erik Schulte. De fait, la réponse n’est pas simple.
Une polémique née de faits encore flous
Historien spécialiste du nazisme, Guido Knopp estime qu’«on ne doit pas se précipiter pour le clouer au pilori», en rappelant que la Waffen SS était une «troupe criminelle» mais que tous ses soldats n’étaient pas forcément coupables d’exactions. En effet, de grandes zones d’ombre demeurent ; Tappert a-t-il intégré cette division par conviction ou par pressions ? En effet, si jusqu’en 1940, la Waffen-SS est exclusivement constituée de volontaires devant prouver leur filiation aryenne, ce n’est plus aussi vrai trois ans plus tard. Face au manque de troupes, elle renonce à l’engagement volontaire et élargit le recrutement.« La pression pour devenir Waffen-SS était très forte en 1943, surtout sur les jeunes hommes », souligne l’historien allemand.
Pourtant, cette complexité de l’affaire ne transparaît pas dans les médias, au vu des titres de presse de ces derniers jours. La communication est claire : le sujet est tabou. 70 ans après, il effraie toujours, ce qui explique l’ampleur des réactions ; Tappert est un nazi, on l’enterre et on n’en parle plus. La honte d’avoir encensé un nazi pendant des années, de n’avoir rien vu, la peur de ces souvenirs qui hantent encore notre inconscient collectif,… beaucoup de choses expliquent la construction de ce tabou. La prégnance dans les esprits européens d’un passé qui ne passe pas est encore bien visible.
D’ailleurs, cette posture pseudo-éthique oublie non seulement que l’on ne connaît pas toute l’histoire, mais oublie plus largement l’Histoire elle-même en alimentant le portrait manichéen de cette Allemagne du début du siècle : les soldats allemands semblent avoir, aux yeux des journalistes européens, acquis le monopole international de l’horreur. Or il est peut-être dangereux de réduire la barbarie humaine au nazisme.
D’où les interrogations qui entourent l’arrêt des diffusions de Derrick : peut-on aller jusqu’à bannir complètement un acteur et sa série ? Peut-on s’asseoir sur la série, instrument de la réhabilitation d’une Allemagne salie par les crimes du nazisme ? Nier complètement cette deuxième existence de Tappert, celle que l’on connaît le mieux, ne pourra pas, à priori, nous apporter la « rassurance » dont on a encore besoin.
 
Bénédicte Mano

Agora, Com & Société

« Real humans »

 
Le 4 avril 2013 sur Arte sera diffusée la série à succès suédoise « Real Humans » (Äkta Människor). Cette œuvre de science-fiction, diffusée pour la première fois en janvier 2012, se déroule en Suède, dans un futur proche, où les hommes cohabitent avec des hubots (androïdes inspirés des modèles actuels japonais). Compagnons utiles et intimes, les hubots prennent peu à peu visage humain, et deviennent capables de ressentir des émotions et d’accomplir des actions malhonnêtes.
En s’attachant au destin d’une famille et de ses hubots, le créateur de la série, Lars Lundström, s’échappe des représentations traditionnelles de la science-fiction pour accentuer la dimension dramatique de l’intrigue. Les scènes sombres, rappelant l’univers silencieux de la série Les Revenants, s’opposent aux décors pastel d’une banlieue futuriste, pour mieux accentuer la division de la société sur la question des hubots. La série se noue autour d’une intrigue avant tout policière, basée sur le quotidien de personnages ordinaires.
Ainsi, leur existence s’intègre parfaitement dans la fiction réaliste permise par l’intimité des foyers. Ce qui interroge le créateur, c’est avant tout le rapport social et les conflits psychologiques entre hubots et humains. Véritable miroir, la machine reproduit les réactions de son propriétaire, se soucie de sa santé et de son bien-être, allant même jusqu’à investir la place d’un amant ou d’une mère. Mais cette fonction de compagnonnage trouve ses limites dans le regard d’une partie de la société, qui fait front contre cette mixité dérangeante. Dénonçant les rapports amoureux et sexuels avec les hubots, les déviances du marché noir qui en fait d’idéales prostituées tout comme les couples affichés, « Real Humans » s’apparente aux groupes d’extrême droite. Ici, les parallèles avec notre société sont constants.
Real Humans est donc un excellent hybride des films de science-fiction, tel qu’ Intelligence Artificielle de Spielberg. Il s’agit de reproduire par la fiction les angoisses et les travers de la société. Derrière le masque grossier des hubots, se cache la sempiternelle interrogation : l’homme est-il bon ? Pourtant, là où True Blood accentue les vices et les imperfections, Real Humans semble hésiter. Le malaise grandit à mesure que le doute s’installe quant au rôle du hubot dans la société. L’homme doit-il aimer sa créature ou en avoir peur ? D’ailleurs, le sous-titre de la série, « Qu’avons-nous encore fabriqué ? » nous rappelle l’idée d’une science babélienne qui s’acharne à dépasser le divin. Ce thème de prédilection se retrouve dans la pensée de Mary Shelley avec Frankenstein ou le Prométhée moderne, où elle reproduit entre l’homme et sa machine l’idée du Créateur. Ce rapport conflictuel nourrit toute une mythologie parfaitement distillée dans la série, à l’image de la réponse d’un hubot sur la question de son origine : « Nous venons de vous, de votre imagination ».
En effet, l’étrangeté des hubots, avec leurs yeux bleus électriques et leurs visages lisses, est révélée dès les premières secondes de la série, lorsqu’ un groupe de hubots libres cherche à fuir la destruction. Dotés d’une conscience, d’opinions et d’initiatives, cette bande incarne l’innovation à son extrême, l’homme-machine parfait.
Cette hypothèse s’inscrit dans la continuité du mécanisme de Descartes et traverse les imaginaires collectifs depuis les premiers automates jusqu’aux avancés de l’électronique avec le courant cybernétique de l’après-guerre.
Aujourd’hui, le robot intrigue toujours, comme le prouve l’exposition achevée début mars au Musée des Arts et Métiers : Et l’Homme…créa le robot[1]. On pouvait y découvrir les progrès des robots chirurgiens, des prothèses nouvelle génération et s’interroger sur le robot de demain. Tout nous indique que le futur proche de Real Humans pourrait être le nôtre, et c’est sur cette vraisemblance que se joue l’intrigue. Proche de l’angoisse de la série Les Revenants[2], Arte développe à l’instar de Canal+, la dimension transmédia qui nourrit le succès attendu de la série. Ainsi, vous pouvez découvrir sur le site[3], dès la diffusion du premier épisode, le 4 avril 2013, le Hubot Market dans lequel il est possible de constituer son propre robot et de le partager sur les réseaux sociaux.
 Clémentine Malgras

 

[1] Le site de l’exposition :

[2] Lien vers le dossier Fast’NCurious consacré aux Revenants : http://fastncurious.fr/category/edito/dossiers

[3] Le site de la série Arte : http://www.arte.tv/fr/real-humans-100-humain/7364810.html

 

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Dossiers et conférences

Les Revenants, tout un symbole

 
Entre réel et fantastique, les Revenants parviennent à créer un entre-deux grâce à certaines interfaces symboliques. Découvrez lesquelles avec Sibylle Rousselot et Clara Iehl.
 
Quand le fantastique s’invite dans la chair
En premier lieu, on peut dire que la série des Revenants s’inscrit, par définition, dans une dialectique fondatrice : celle de la rencontre entre l’ailleurs et l’ici-bas.
La corporalité humaine imprègne fortement les huit épisodes : cette odeur forte de la vie, celle du sang, se mêle simultanément à l’odeur de la mort, de la décomposition.
Il s’agit d’une chair bien réelle, et là repose l’intrigue de la série : cette chair est partagée tant par les vivants que par les morts … vivants. Dès le premier épisode, Jérôme Séguret souligne le cœur du problème : c’est bien beau de vouloir briser la mort, mais encore faut-il que la vie ait les moyens de recoller les morceaux. Avec ce regard psychologique sur l’intégration des revenants, la série prend le parti d’une fiction incarnée.
Elle accentue ainsi les postures des corps, immortalisés sur les photos de Léna ou du  bar local, blafards sous l’éclairage anxiogène de cette ville où les morts reviennent. Qui dit résurrection, dit corps. La première chose que font tous les revenants quand ils le peuvent, c’est manger, excessivement. Les revenants sont bien des plus-que-vivants. Cette accentuation de la corporalité se traduit par la focalisation de la caméra sur la peau. Les peaux de Victor, Simon, comme Camille, qui voient leur nouveau corps se nécroser, et partir en lambeaux. La peau du dos de Léna, où surgit une cicatrice grandissante, blessure inconnue que seule une mixture végétale parvient à soigner.

La mort s’incarne elle aussi au sein de la série. Outre l’enterrement de M. Costa au début, la mort apparaît sous une lumière plus crue encore, dénudée et sans pudeur, lorsque le cadavre de Simon est refourgué dans les tiroirs de la morgue. Elle rôde comme une menace à la nuit tombée, en la personne de Serge qui incarne la grande faucheuse cannibale, tout en endossant le rôle du chasseur de bêtes sauvages.
A la chair souffrante, marquée par les lésions et l’action putride de la mort, répond  la chair de désir, brûlante de vie : sexualité bestiale, chasse, cannibalisme. L’insatiable appétit de vie provoque l’instinct de mort, mais surtout le sursaut de sur-vie, avec le retour des défunts. Il s’agit presque d’un éternel cercle vicieux – ou vertueux ? Nous n’avons que le fin mot du début – dans laquelle la vie se mord éternellement la queue.

La série s’ancre non seulement dans la chair, mais aussi, plus généralement, dans l’espace et la matière : il y a l’eau, thème si puissant de la série (abordé plus loin dans l’article) que l’on veut contenir, les bois environnants que Serge débite avec rage, la pierre tombale violée par des vivants incrédules, et même le cuir du déguisement de Julie, lacéré au moment de son agression. La matière semble transgressée, aussi bien que la chair. Sur un plan global, la spatialisation de l’histoire apporte sa propre pierre à l’édifice corporel de la série. Les habitants  évoluent dans des lieux forts, typiques, à l’identité marquée. Le site internet insiste ainsi sur les lieux-dits : « place mairie », « tunnel », « le chalet des Costa », « la Masure », « le barrage », « the Lake Pub », « l’abribus ». Les montagnes prennent le village en étau, de sorte que le décor agit en vase clos, comme l’enveloppe charnelle dont on ne peut s’échapper… même en mourant !
La tentative de fuite et le déchaînement sont la conséquence de cette vie exacerbée, principe même de l’hybris que les Grecs dénonçaient en leur antique sagesse. Le barrage s’est rompu et les morts reviennent.
Cette fracture de la réalité, de l’entendement, invite à lever les yeux vers le ciel, du moins questionner le sur-réel. Et la série d’assaisonner son intrigue de re-venants avec une spiritualité du tout-venant.
Il y en a pour tous les goûts en effet, le motif commun étant la recherche du lien entre l’ici et l’au-delà. La religion, parce que son but premier, sémantique, est de « relier », se retrouve dans la traditionnelle église de village avec son curé, que les personnages ne manquent pas de venir chatouiller sur le sujet épineux de la Résurrection. Les allusions bibliques et mystiques émaillent elles-aussi la série. On note par exemple les expressions de « brebis égarée » et d’« ange », la focalisation sur les crucifix, les prénoms de Simon et Pierre, ou même le chiffre 7 (lors des analepses 7 ans en arrière), celui des 7 péchés capitaux ou des 7 dons du Saint-Esprit, généralement considéré comme un chiffre plénier et parfait.

Surgit également un questionnement d’ordre purement méta-physique, chez Julie notamment, qui ne croit en rien si ce n’est qu’elle a survécu pour une raison surnaturelle. Cette raison lui apparaît sous les traits d’un revenant, Victor ; entre les deux se développe une sorte d’alchimie magique que Victor synthétise avec ses croyances d’enfant. Elle est sa fée protectrice.
Et comment aborder le sujet de l’au-delà sans faire allusion à la voyance et au spiritisme ! C’est le personnage de Lucy qui intervient sur ce point, personnalisation même du passage entre la chair et l’esprit puisqu’elle communique avec les morts au moyen de relations … sexuelles. L’atmosphère vaporeuse de la série, saturée de miroirs, de bougies et de voiles ou tentures, ancre davantage encore l’intrigue dans cette ouverture au surnaturel. Le hameau constitue d’ailleurs un terreau d’imaginaires propice aux fantasmes. L’indice du journal de presse sur le site internet l’écrit clairement : ce sont des gens qui aiment interpréter ce qu’ils voient. Il brouille cependant les pistes, au risque de noyer la série dans un bain de mystère, en comparant les survivants de la catastrophe du barrage à des fantômes… A moins qu’effacer toutes frontières entre réel et sur-réel ne soit précisément le but de la série. Elle se hisse ainsi avec force sur la crête du fantastique, avec le risque de chuter dans l’abîme des questions sans réponses. La curiosité de l’audience veut qu’on lui rende des comptes.

Le lien humaniste, quant à lui, remplace sur le terrain une religion un peu trop éthérée (cf. les réponses psycho-gazeuses du prêtre), sous les traits caritatifs de l’association La Main Tendue. D’un No Man’s Land initial elle devient le cœur même de l’intrigue, lors de l’ultime épisode. La Main Tendue concrétise l’effort des habitants pour faire face à l’imprévu, depuis l’accueil bienveillant proposé à tous, y compris les revenants, à la posture de citadelle assiégée face à la horde finale de zombies. Ce revirement paradoxal souligne combien ténue est la relation établie avec l’au-delà.
La dimension surnaturelle s’immisce dans la fracture du réel. On ignore l’origine-même de cette fracture, si c’est l’étrange qui s’impose ou la normalité qui dysfonctionne. Or la réponse surgit précisément dans l’interstice. Il existe une troisième dimension, celle de l’entre-deux.
L’entre deux, l’interface, la dualité
Les doubles
Présents à foison dans la série, on les trouve dans les reflets de miroirs, de vitres, ainsi que dans l’eau, mais également dans la gémellité, les couples de personnages, et au niveau technique, dans les séparations de plan. Les reflets dans les miroirs et vitres sont omniprésents. Dès le premier épisode, lorsque Camille entre chez elle, on la voit en double du fait du miroir à côté de la porte. La première fois que Simon voit Adèle, on a même un double reflet : dans la vitre et dans le miroir d’Adèle.

Ces reflets ont d’abord une fonction pratique. Dans les premiers épisodes surtout, ils sont multipliés afin de montrer que ces revenants sont bien réels. En effet, dans les légendes de fantômes, sorcières, vampires, zombies et autres personnages légendaires, ceux-ci n’ont pas de reflet dans les miroirs – c’est même un moyen d’élimination de sorcière ou de vampire. Ces reflets semblent donc appuyer la réalité des revenants, en les rendant plus concrets, plus réels, plus palpables. Voir son propre double dans un miroir est également une façon de prendre conscience de soi.
Les vitres et miroirs représentent aussi des séparations entre vivant et revenant : Victor et Julie sont séparés par la vitre de l’abribus ; Simon rencontre d’abord Julie, et de même, il est séparé d’elle par une vitre. Ainsi, les vitres prennent une autre dimension : celle de  l’entre-deux.

La gémellité est incarnée dans les personnages de Camille et Léna, mais également dans le fait que les personnages fonctionnent souvent par deux. On pourrait dresser une longue liste de tous les « couples », dont certains seraient plus évidents que d’autres. On pense évidemment à Julie/Victor, Simon /Adèle, Camille/Léna, mais on peut aussi considérer les duos Lucy/Simon, Léna/Jérôme (son père), Camille/Claire (sa mère), etc. On retrouve cette dualité dans le générique, lorsqu’on aperçoit deux personnes qui s’embrassent allongés dans l’herbe à côté de deux tombes (on remarque d’ailleurs la présence d’un papillon, dont on reparlera plus loin) et dans les affiches de la série.
Cette dualité est accentuée par une technique cinématographique : la division dans les plans. Par exemple, lorsque Claire revoit Camille pour la première fois, celle-ci est dans la cuisine tandis que la mère est en bas des escaliers : elles se voient, s’entendent et peuvent se parler et sont pourtant dans deux pièces différentes. Cet effet particulier est créé par l’architecture très ouverte de la maison des Séguret.
Enfin, les reflets dans l’eau (comme par exemple dans le générique, on voit une petite fille tourner autour d’une colonne, un ballon rebondir, or le reflet dans la flaque d’eau est différent) sont d’autant plus importants que l’eau est un élément central dans Les Revenants.
L’eau
En effet, le lien de transition entre le réel et le fantastique, c’est l’eau. Entre surface et profondeur, comme un miroir qui ouvre à une autre dimension.
On y revient sans cesse. L’eau est omniprésente, du générique au décor ambiant : elle alimente en électricité, et représente donc la raison d’être du village, qui est venu s’installer au bord du lac. Cette eau–énergie se transforme ainsi en fluide électrique, comme le montre la tension des lignes de l’usine dans le générique. Symbole de vie, elle est au cœur du questionnement que pose la série : les revenants sont-ils des vivants à part entière, malgré le fait qu’ils sont censés être morts ? Bien des exemples nous laissent penser que les revenants seraient mêmes plus vivants que les vivants. (On pense à Victor et son sourire impassible face à la nervosité de Julie, ou à l’innocence de Camille dans les premiers épisodes face au mal-être évident de Léna). L’eau, et plus généralement cette interface de miroirs et de vitres, est le lieu à proprement parler d’une révélation. Elle dévoile de fait la présence des personnes, à travers les judas ou les portes vitrées, jusqu’à ramener à l’air libre tout un village englouti.
Le thème de l’eau se fait l’essence-même de la série. Les affiches sont ainsi constituées autour de ce motif du double, dans la photographie comme la typographie. Elles jouent de l’inversion et de l’imparfaite symétrie entre le réel et son reflet, le binôme du vivant et du revenant ; ce n’est pas un jeu de miroir exact puisque la série se construit autour de l’étrange et de l’anormal, avec le retour de ces morts. Quant à la typographie du titre, elle se fixe justement autour d’une ligne de brisure qui décale le haut et le bas, reproduisant l’effet d’optique propre à l’eau.
Cette eau est même source de vie spirituelle, puisqu’elle est symbole de renaissance et de purification. Le journal de Serge, un des indices laissé sur le site, insiste sur cet aspect salvateur de l’eau, quasi-baptismal. Sa mère l’enjoint en effet d’y laver ses péchés. Il se sent lui-même attiré par le lac, comme hypnotisé, attiré par cette énergie fluide. Le pouvoir de celle-ci demeure cependant ambigu : eau qui sauve, eau qui noie. Car elle est aussi celle qu’il faut contenir par le béton du barrage, celle qui a détruit tout un hameau, des centaines de vies, animales comme humaines.

Le papillon
Enfin, le papillon, symbole de renaissance, ou plus exactement de métamorphose, de changement, est omniprésent dans la série. Dans la mythologie grecque, le papillon est même symbole d’immortalité (or, on sait que les revenants ne peuvent pas être tués une deuxième fois). C’est le papillon qui vient à la vie le premier, comme s’il annonçait les phénomènes étranges à venir. Il semble vouloir s’échapper, fuir peut-être. Il est souvent associé à une vitre ou un miroir (notamment des les  épisodes 1 & 8), ce qui rappelle le symbole de l’entre deux, de l’interface. Le papillon est également associé à la lumière dans les épisodes 1 & 5.

Le papillon, avec ses ailes aux couleurs vives, contraste avec les « ternes teintes de la désolation » (indice n°4 sur le site, journal sur la catastrophe), ce qui en fait une figure rassurante, tout comme Lucy vis-à-vis des autres personnages de la série. Elle n’est pas forcément un personnage rassurant pour les téléspectateurs, mais elle est incontestablement douce et sa présence semble apaiser les personnages de la série, que ce soit Jérôme ou Simon avec lesquels elle a un rapport sexuel afin de connaître leur passé, ou Alcide qui veille sur elle lorsqu’elle est à l’hôpital et qui lui écrit une lettre (indice n°3 sur le site).

Une étrangeté latente
La surface de l’eau comme les miroirs révélateurs ne sont que l’expression de la profondeur, d’une réalité autre. Le genre fantastique repose sur la dynamique de l’étrange, dont le sens premier est ce qui est extérieur, étranger.
La prégnance d’un trouble croissant, ici, est évidente. Le mal qui ronge, qui corrode, est un ressort typique des films de zombie. Un mal qui hante, en définitive.
On ressent tout d’abord la tension de l’eau. Elle est palpable dans sa décrue, au fil des épisodes, et notamment sur le visage ainsi que dans les conversations des ingénieurs du barrage. La tension se traduit d’ailleurs concrètement en énergie, grâce à l’usine.  Puis la sur-tension intervient avec la coupure d’électricité, manifestation d’une perturbation étrangère, tout comme cette eau boueuse qui surgit des lavabos.
On peut aussi relever la tension humaine. La peur est évidemment présente, mais ce sont surtout les diverses violences qui en témoignent, dans les blessures tout comme les agressions physiques et verbales.
Enfin, l’atmosphère même de la série laisse suinter, avec brio, une sourde inquiétude. De nombreux commentaires ont été faits sur l’esthétique peaufinée de cette première saison,  soulignant par exemple le rôle signifiant des jeux de lumière ou l’intervention d’une musique identitaire. Les affiches concentrent quant à elles tout l’esprit de la série, à savoir la rencontre de l’étrange. Miroir d’eau emblématique et constitutif de l’image, duos morts/vivants, surface/profondeur, teintes grises et verdâtres…
Ce mal qui ronge se définirait presque comme une perversion, si l’on tient compte par exemple de la perte d’innocence des enfants. La fille d’Adèle, ou le petit Victor se trouvent plongés au coeur de drames. Ils voient la mort en face, et cette perturbation de leur ingénuité ressort dans l’expression-même de l’occupation enfantine : le dessin. Point de charmantes princesses ou de bonhommes souriants, mais des gribouillis monstrueux et sanguinolents, ainsi que des portraits de suicidaires.

Le sentiment de sécurité est lui aussi perverti : la menace ne vient plus de là où on l’attendrait. Ainsi l’église n’est plus un refuge, ce que Simon apprend à ses dépens lorsque les gendarmes viennent l’y arrêter. Ainsi la maison d’Adèle qui voudrait cacher les amants se révèle-t-elle truffée de caméras. Ainsi le barrage semble-t-il ne plus remplir sa fonction.
L’homme semble totalement démuni devant le cours de la vie parce que l’étrange surgit dans son intimité. Il n’est plus rien alors, car il est en prise au déterminisme du temps et de l’espace, du passé qui régit le présent, du lieu-prison dont la fuite est impossible. Par delà l’empreinte de la désagrégation et de la finitude, la peau dont on a déjà vu l’importance, va jusqu’à concrétiser chez les défunts revenus la marque de l’étrange. En effet, il s’agit bel et bien d’une nature périssable, et ce même après la mort. Non moins dérangeante est l’intrusion de l’étrange au sein même du corps, dans les blessures, voire dans le ventre d’une femme (cf. le bébé d’Adèle, fruit de son union avec le revenant Simon).
Finalement, on assiste à l’aboutissement d’une intrigue où tout est renversé : psychologie devenue action, familles écartelées, hameau déserté, menace généralisée.
Cependant tous les repères ne sont pas bouleversés. Ces repères-clefs sont ainsi davantage mis en exergue,  tels des piliers résistants à la dévastation. Le motif du double se révèle en effet être un lien, et ce entre Victor/Julie, Camille/Léna, Camille/la mère, Léna/le père, Lucy/Simon, Adèle/Thomas. Des points d’ancrage sont enfin repérables dans l’atmosphère de flou et d’inconnu : la musique, lancinante, inquiète mais rassure en même temps, parce qu’on la reconnaît. La métamorphose qui réside dans la présence du papillon, s’exerce dans l’évolution psychologique des personnages, souvent positive. Le sacrifice de certains vivants pour leurs morts, inversion ultime, symbolise finalement la victoire de la vie, parce qu’ils croient en la renaissance.
 
Sibylle Rousselot (pour « Quand le fantastique s’invite dans la chair » et « Une étrangeté latente »
Clara Iehl (pour « L’entre-deux, l’interface, la dualité » et « Une étrangeté latente, bouleversante »)