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Mens sana in corpore sano

L’esthétisme du corps et l’importance de l’image de soi sont plus que jamais au cœur des préoccupations actuelles de notre société (enfin si on fait abstraction du cas Trump). Manger healthy et faire du sport sont des paramètres essentiels pour certains. Tout cela permettrait en effet de répondre aux critères absolus (et de plus en plus remis en question) des diktats de la beauté occidentale et à se…    rapprocher de Dieu ? C’est le pari que font aujourd’hui certains lieux de cultes chrétiens du pays de l’Oncle Sam. Des salles de fitness dans des églises, un pari fou ?

« Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous ? »
L’église n’est-elle pas censée être le haut lieu de la spiritualité, de la méditation et de l’élévation de l’âme, loin de l’agitation des corps et des désirs de la chair ? Lorsque l’on se dit « église », on pense cantiques, on pense religion, mariage, baptême, communion, foi… Mais aux États-Unis, l’église devient haut temple et gardienne de votre silhouette.
C’est d’abord le magazine Outside qui nous fait part de cette nouvelle tendance. Orgues et chaînes hi-fi ultra modernes, vitraux représentant la vierge Marie et spots de lumière artificielle – le contraste est saisissant dans la salle à ogives de la Houston First Baptist Church, au Texas. Cette église a en effet investi plus de 250 000$ en 2009 pour rénover son espace intérieur afin d’en faire une salle de sport moderne et équipée de matériel dernier cri (terrain de basket, salle de musculation, salle cardio, vestiaires, pistes de bowling !). ‘I just pray Father … to be strong and to be healthy … in Jesus’s name, amen’. (« Je prie Seigneur… pour être fort et en bonne santé … au nom de Jésus, amen. ») Ainsi commence la session de sport de cette église, session initiée par Debbie Brown, l’instructeur en charge du cours de pilâtes, tandis que les membres du groupe, en débardeur et baskets, murmurent ensemble un dernier « amen ».

Simple tendance anticonformiste ou véritable phénomène de société ?
Cette tendance ne semble dater que de quelques années, toutefois elle s’ancre dans un mouvement beaucoup plus large et plus ancien qui est celui du Muscular Christianity. Mouvement philosophique apparu en Angleterre au milieu du XIXème siècle, il se caractérisait par une forte prise de conscience de l’importance du devoir patriotique, de la virilité et de tout ce qui faisait d’un homme un homme. Cela se traduisait bien évidemment par des critères bien définis et relativement réducteurs comme la beauté physique et enfin « l’expulsion de tout ce qui relève de près ou de loin de la féminité, de ce qui n’est pas Anglais et de tout ce qui serait excessivement intellectuel ». Beau programme n’est-ce pas ? L’objectif n’est autre que celui de voir le corps se mettre au service du spirituel et de la religion chrétienne.

Une réponse à deux crises majeures que sont l’obésité et la perte de foi ?
Mais que cache véritablement cette nouvelle tendance qui attire les plus curieux ?Un problème de société tout d’abord : l’obésité, véritable fléau outre-Atlantique où plus de 170 millions d’individus sont concernés (soit environ 38% des adultes et 17% des adolescents selon un rapport du Centre de contrôle de la prévention des maladies du 7 juin 2016). Avec son programme « Let’s move » lancé par Michelle Obama en 2013, le gouvernement américain est entré en guerre contre l’obésité et a dans sa lancée, tenté d’entraîner des membres de la société civile, dont les communautés religieuses. Ainsi, plus de 900 000$ de fond ont été débloqués par le département de la santé afin que les églises développent des programmes de santé et de prévention de l’obésité. Lutte contre l’obésité donc, mais encore ?
Si les églises tentent tant bien que mal de se moderniser, ce n’est pas uniquement pour des raisons de santé publique, mais aussi pour des raisons d’ordre religieux. Si nous ne pouvons radicalement affirmer que le christianisme est en crise, il faut admettre qu’il a tout de même connu au cours des dernières décennies d’importantes mutations qui témoignent de la reconfiguration de la foi aux États-Unis. C’est ce qu’indique un report du sérieux Pew Research Center (Centre de recherche américain qui fournit des statistiques et des informations sociales) dans une enquête publiée en mai 2015. Dans celle-ci, on découvre que le nombre de chrétiens (Catholiques et Protestants) ne cesse de baisser, tandis que celui des nones (« non affiliés » dont athées et agnostiques) augmente. L’Amérique, au même titre que l’Europe, semble doucement s’orienter vers la voie de la sécularisation. Ainsi, dans un pays obsédé par sa propre image, l’installation de salles de gym peut être considérée comme une solution durable pour une église qui essaie d’attirer de nouveaux fidèles afin de contrer la baisse des taux de fréquentation des lieux de culte.

Une stratégie qui paye ?
Aussi insolite et superficiel que cela puisse nous sembler, force est de reconnaître la capacité de résilience d’une foi en déclin qui s’efforce de s’adapter et de se transformer au gré des mutations de la société. L’Église s’immisce dans le business du sport, au grand dam de ses concurrents les plus traditionnels, et élabore de nouvelles stratégies communicationnelles pour attirer ceux qui, obsédés par le culte du corps, se seraient écartés du droit chemin. Alors certes, nous ne risquons pas de voir émerger ce genre de tendance en France sans voir les plus conservateurs monter au créneau, mais affirmons le encore une fois : Thou Shalt Work Out !*.
Lina DEMATHIEUX
@linadmth
LinkedIn
*Tu feras de l’exercice !
Sources :
• LINDELL Henrik, Le christianisme américain est-il en crise ? – La Vie
• DE ROBIEN Perrine, Quand les églises se transforment en salles de sport – Radins.com, consulté le 23/01/2017
• Muscular Christianity, consulté le 22/01/2017
• REUGE Guillaume, Etats-Unis : un esprit saint dans un corps sain – Libération, consulté le 23/01/2017
• America’s Changinf Religious Landscape – demographic study for the PewResearchCenter, consulté le 23/01/2017
• CREAPILLS, Ces églises qui installent des salles de sport pour attirer les fidèles – Creapills, consulté le 22/01/2017
• Churchfitness, consulté le 23/01/2017
• BERESINI Erin, Thou Shalt Work Out – Outside, consulté le 23/01/2017
Crédits :
• nymag
• Le Figaro
• labyrinthyoga

Le Thigh Gap par Eleonore Péan
Archives

Jacques a dit : Et mon thigh gap, tu l'aimes mon thigh gap ?

 
Le thigh gap, il y a celles qui l’ont… et celles qui le veulent. Véritable raz de marée depuis quelques mois sur les réseaux sociaux, on ne finit pas, sur la toile et ailleurs, de voir s’étaler photos, conseils, exercices minceur, mises en garde, ou encore bashing de la fameuse pratique. Chez les adolescentes, depuis plusieurs mois déjà, il est l’objectif suprême, le saint Graal. Les réseaux sociaux en sont le terrain de jeux privilégié : Facebook, Twitter, Instagram, Tumblr, Pinterest, aucun n’échappe à la vague.
Le thigh gap dans son plus simple appareil

Communément décrit comme l’écart qui sépare le haut des cuisses en position debout (les pieds joints), on pourrait le placer sans céder aux raccourcis comme le descendant glamour de la lignée pro-ana, aux côtés de ses amis #Thinspiration, #Fitspiration ou encore #Ana-mia (comprenez Anorexia-Boulimia). Seulement voilà, derrière ce thigh gap se cachent des techniques qui relèvent, disons le clairement, de la torture. Parce qu’effectivement, manger des cotons imbibés de confiture ou des glaçons pour tromper la satiété, c’est donner une toute autre dimension au mot « originalité » ; pour autant, ça n’en reste pas moins une pratique qui mériterait d’être remise en question, de par sa singulière ressemblance avec les « astuces » des pro-ana. Sur Twitter, @Chiboui a beau dire qu’ « une fille anorexique c’est horriblement moche mais le thigh gap c’est trop beau », le chemin pour y arriver reste le même. On découvre d’ailleurs avec stupéfaction sur le même réseau que certaines continuent d’arborer leur poids en pseudo, tout en martelant des encouragements… dont elles sont les uniques destinataires.

Les réseaux sociaux, des nids d’épidémies ?
Sur Internet, plus question de se comparer à ses copines ; aujourd’hui sur Tumblr, c’est avec le mannequin le plus en vue du moment que vous entrez en rivalité. Cara Delevigne, Snejana Onopka, autant de comptes Twitter qui ont de quoi faire rêver des ados complexées à l’ère numérique de l’obsession de soi. Difficile alors de ne pas faire le rapprochement entre la publication régulière de ses photos (très) personnelles et l’exhibitionnisme. Non sexuel, peut être, mais un exhibitionnisme de groupe qui ancre un mouvement et imprime sa norme au reste des utilisatrices. Parce que toutes ces photos sont autant de potentiels déclencheurs pour les non initiées. Au début, il y a une photo, un idéal peut-être, une comparaison. Puis un complexe, une humiliation, une adhésion. Une adhésion qui pour certaines se révèle adopter une maladie comme mode de vie, une vie où l’on comptabilise chaque calorie ingérée, où l’on se pèse 10 fois par jour, où l’on s’enferme dans une quête dont le moteur ne tient qu’à un nombre de followers ébahis devants les résultats, mais incapables de vous raisonner. Un programme somme toute assez ahurissant, d’autant qu’il séduit des filles de plus en plus jeunes, n’excédant pas les 11 ou 12 printemps.
Et les réactions de la plèbe dans tout ça ?
Dans les médias, la pratique se retrouve largement décriée par les médecins, qui voient en cette quête de la minceur une porte ouverte à l’anorexie mentale. Ils rappellent d’ailleurs que cet attribut dépend en réalité de la morphologie de chacune – certaines, aussi minces soient elles, ne pourront jamais obtenir le précieux écart ! –
Sur les réseaux sociaux, rien n’y fait : ni les détracteurs, ni les tentatives des plateformes d’interdire certains hashtags ou mots clés, comme #anorexia ou #thinspiration. Un engagement qui mérite pourtant d’être salué, qu’il s’agisse d’une action sociale, ou simplement de la volonté de se protéger de l’image peu valorisante qu’apporte une telle publicité. Malheureusement, ces mesures n’auront su arrêter le phénomène, Internet ayant cette précieuse faculté de donner libre champ aux opprimés sur les forums périphériques, blogs perso, ou autres espaces difficiles à surveiller.
Chez les stars, Robyn Lawley, la célèbre mannequin australienne taille 42, a tiré la sonnette d’alarme cette semaine. Elle monte au créneau alors qu’il y a un peu moins d’un an, une photo d’elle en lingerie s’est retrouvée sur une page Facebook « Pro thigh gap ». Commentaires humiliants, insultes, autant de mots inacceptables qu’elle condamne dans une interview fin octobre 2013. Elle y déclare vouloir « des cuisses plus grosses et musclées […] nous voulons toutes des choses différentes, mais les femmes ont déjà suffisamment de pression pour avoir à subir en plus la pression d’avoir un thigh gap ».

Endiguer le phénomène, mais comment ?
Face à la dangerosité d’une telle mode et surtout à la vitrine que constituent les réseaux sociaux pour la diffuser, de quels outils disposons-nous ? En 2008, pour tenter d’enrayer le courant de l’anorexie, le Ministère de la Santé a signé une charte d’engagement volontaire et d’interdiction de l’apologie de l’anorexie sur Internet, sans plus d’effet que la campagne de pub qui avait mis en scène Isabelle Caro (décédée depuis) sous l’objectif d’Oliviero Toscani. Cette campagne de sensibilisation avait suscité un vif débat (publicité retirée de l’espace public à Milan car son affichage coïncidait avec la semaine de la Fashion Week), mais sans notable changement des mentalités.
En 2010, le CNRS s’est intéressé à son tour à l’incidence du réseau social sur l’épidémie des troubles alimentaires, en effectuant une étude sociologique comparative de sujets ana-mia en France et aux Etats Unis, à travers une restitution de leurs réseaux sociaux en ligne et hors ligne, en vue de la conception de campagnes d’information et de politiques d’intervention en matière de santé publique.
Quand on sait qu’en mars 2013, The Lancet a publié une étude prônant la stimulation cérébrale profonde – en d’autres termes, des électrodes dans le cerveau – comme traitement de l’anorexie, on redoute la suite. À mode extrême, solutions extrêmes ?
 
Eléonore Péan
Sources :
L’étude de l’Institut Interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain sur la sociabilité « Ana-Mia »
TheDailyBeast – Interview de Robyn Lawley
La Nouvelle Edition du Grand Journal du 29/10
L’étude parue sur The Lancet, revue scientifique médicale britannique
Photos :
Une – Journald-unerondeastucieuse
Photo Robyn Lawley – The Daily Beast

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