Flops

Quand New Balance perd pied

Baskets brûlées, jetées dans la cuvette des toilettes, voire embrochées … Mais pourquoi de telles réactions ? Une phrase de la marque New Balance interprétée comme un soutien au nouveau Président des États-Unis, Donald Trump, met le feu aux poudres. Les consommateurs s’enflamment et expriment leur rejet de la marque au travers de critiques qui déferlent sur les réseaux sociaux. La question qui se pose ici, est celle de la sur-interprétation des faits mais surtout du malaise de la marque face à ce feedback incontrôlable.
Rappel des faits
Au lendemain de l’élection de Donald Trump, Matthew LeBretton, responsable des affaires publiques de New Balance, est interviewé par Sara Germano, journaliste du Wall Street Journal, sur la question du Partenariat Trans-pacifique (Trans-Pacific Partnership ou TPP). Ce dernier vise à libéraliser le commerce et les investissements entre ses douze États-membres par le retrait des barrières tarifaires et entraîne, par conséquent, une délocalisation de la production des entreprises. Les dirigeants de New Balance s’opposent à ce dernier point dans la mesure où la mise en avant du « Made in USA » demeure pour eux primordiale. Dans ce contexte, Matthew LeBretton déclare : « L’administration Obama ne nous a pas écoutés et sincèrement, nous avons le sentiment qu’avec le président Trump les choses vont aller dans le bon sens ». Le responsable des affaires publiques aurait probablement dû réfléchir à deux fois avant de « parler politique ».
Un embrasement sur les réseaux sociaux
Les propos de Matthew LeBretton sont immédiatement relayés sur la toile, et les utilisateurs de Twitter et de Facebook accusent New Balance de soutenir Donald Trump. Même si cette déclaration n’a pas pour vocation d’afficher un véritable soutien et relève d’un simple constat à l’égard de la politique économique du nouveau Président des États-Unis, peu importe, les anti-Trump y voient une raison légitime de se retourner contre la marque et utilisent pour cela massivement les réseaux sociaux qui portent et décuplent leurs réactions. L’écho se fait ressentir jusque dans les grands médias. La notion de viralité prend alors tout son sens : l’histoire se propage, contamine, et mobilise les individus à une vitesse phénoménale.

Le pouvoir de l’interprétation
Il aurait été judicieux que Matthew LeBretton anticipe ces réactions et s’exprime autrement sur le sujet.
En effet, rares sont les internautes qui se lancent dans des analyses pointues et distancées de la situation. Au contraire, ils réagissent à chaud sur les faits et leur « décodage », si l’on reprend le terme de Stuart Hall, est nécessairement différent de celui souhaité par la marque. L’interprétation demeure souvent « négociée » voire « oppositionnelle » d’autant plus que les individus souhaitent faire valoir leur opinion face à ces grands empires que sont les marques. Ils ont conscience que leur parole a désormais un poids.
Aujourd’hui, n’importe quel individu peut jouer le rôle de leader d’opinion, et par là même, tout consommateur peut exercer une influence sur les autres consommateurs. Ces derniers se sentent en retour plus en confiance avec des individus qui n’ont pas un avis dicté par une ambition de profit comme c’est le cas des entreprises. Les consommateurs créent ainsi l’image de marque ou du moins l’entretiennent par le biais d’une influence mutuelle. Ils prennent en ce sens le pouvoir sur la marque qui devient elle-même dépossédée de son identité et de ses convictions. Sans le consommateur, cette dernière n’est rien, d’où la nécessité qu’elle expose le meilleur d’elle-même et qu’elle ne se risque pas dans des paroles plus ou moins hasardeuses qui pourraient être mal interprétées.

 
La cerise sur le gâteau
Comme si la situation n’était pas assez compliquée à gérer, il a en plus fallu qu’un blogueur néonazi reprenne au pied de la lettre les propos de Matthew LeBretton. Sur son blog, Andrew Anglin publie un article intitulé « Your Uniform: New Balance Just Became the Official Shoes of White People » et affirme que New Balance est « la marque officielle de la Révolution Trump ». La sur-interprétation est ici à son comble et réduit considérablement la marge de manœuvre de la marque dans la mesure où celle-ci représente une désastreuse réappropriation de son discours. Certes, il était difficile pour New Balance d’envisager de telles répercussions suite à cette phrase prononcée de manière quasi innocente.
Néanmoins, la politique est un domaine dans lequel une marque n’a pas à s’immiscer. Si elle souhaite réellement « parler politique », il est nécessaire qu’elle prenne en compte toutes les éventualités afin de connaître les risques auxquels elle s’expose. La politique est un domaine clivant dans nos sociétés, c’est pourquoi politique et marques ne font pas bon ménage (un des derniers bad buzz en date étant le scandale Michel et Augustin)
Une communication de crise trop formelle
Désemparée face à ces réactions quelque peu excessives, la marque soumet deux communiqués dans lesquels elle défend sa position vis-à-vis du TPP mais précise qu’elle ne partage en aucun cas les propos controversés de Trump. Elle rappelle également que l’opposition au TPP ne concernait pas que ce dernier mais aussi Hillary Clinton et Bernie Sanders. Néanmoins, le mal est fait. Proposer une telle explication est banal et n’a pas beaucoup d’intérêt pour les consommateurs. Ce qu’il faut, c’est avancer et chercher sans attendre à redorer son image en s’écartant des moyens traditionnels. Tout est question de timing et d’ ingéniosité.
Pour que les traces ne viennent pas entacher New Balance sur le long terme et impacter le comportement d’achat futur des consommateurs, pourquoi ne pas rebondir sur ce bad buzz et s’orienter vers une solution plus créative qui viendrait pallier ce discours ? C’est dans des coups durs comme celui-ci qu’une marque possède paradoxalement une grande visibilité sur la scène médiatique. Le moment est parfait pour faire preuve d’un grand pragmatisme. La marque a l’opportunité de pouvoir retourner la situation à son avantage. Ne serait-il pas gratifiant pour elle de se lancer dans une communication originale et innovante telle qu’une campagne sous le signe de l’autodérision par exemple?
En réaction à cette haine, il faut se battre à armes égales et ce n’est pas un communiqué formel qui va résoudre la situation. D’autant plus qu’en attendant, certains concurrents se lèchent les babines, dont Reebok qui profite explicitement de cette mauvaise passe pour proposer aux ex-adeptes New Balance les modèles Reebok Classic.

Pauline Baron
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Sources :
• Inconnu « États-Unis. New Balance, Trump et les néonazis : décryptage d’une étrange polémique », Courrier International, 15/11/16, consulté le 15/11/2016
• BABIN Justine, « Trump, néonazis et baskets brûlées… le “bad buzz“ de New Balance », Les Echos, 17/11/2016,    consulté    le    17/11/2016
• PARKINSON Hannah Jane, « Does New Balance really support Trump? », The Guardian, 15/11/2016, consulté le 16/11/2016
• WOOLHOUSE Megan, « Reebok engages in some social media teasing of New Balance », The Boston Globe, 18/11/2016, consulté le 19/11/2016
• ANGLIN Andrew, « Your uniform New Balance just became the shoes of white people », The Daily Stormer, 12/11/2016, consulté le 15/11/2016
Crédits :
• twitter
• diplomatie-digitale.com
 

Société

Le datajournalisme va-t-il sauver les médias d'information ?

Perte d’audience, concurrence accrue, baisse de confiance… Les médias d’information payants sont aujourd’hui confrontés à une crise. Depuis quelques années émerge une pratique journalistique qui semblerait pouvoir leur redonner leur dimension d’antan : le datajournalisme.
Le « journalisme de données » est une technique qui consiste à analyser un vaste ensemble de données complexes (des data) pour en extraire des informations pertinentes et les rendre intelligibles au grand public. Les sources sont fiables, les informations à la fois attrayantes et intéressantes. L’intérêt du datajournalisme pour les médias d’information est d’autant plus visible lorsqu’il permet de faire des gros coups, qui boostent l’audience – les « Panama Papers » en sont un exemple criant. Mais lorsqu’il a prétention à devenir hégémonique, à être seul détenteur du Vrai, le datajournalisme dévoile ses failles. Nate Silver, star du datajournalisme aux Etats-Unis, en a récemment fait les frais en prédisant un score de 2% pour Donald Trump aux primaires républicaines.
La « crise » des médias d’information payants
Si l’on parle d’ordinaire de « crise » des médias d’information, c’est pour désigner la presse quotidienne française dont les ventes ne cessent de diminuer. Il faut pourtant nuancer cette affirmation, le déclin de 8,6% des ventes papier en 2015 étant assez bien compensé par les abonnements sur format digital, qui ramènent la baisse générale à 1,4%. Cependant plusieurs facteurs montrent que les médias d’information – pas uniquement la presse – connaissent actuellement des difficultés.
Un secteur très concurrentiel
Les quotidiens d’informations font face à la concurrence des médias gratuits. La plupart d’entre eux est aujourd’hui passée au bimédia, avec une version du journal disponible en ligne. Mais face au rythme auquel court l’information sur Internet, les quotidiens donnent accès à une grande partie de leurs contenus gratuitement en comptant sur les revenus publicitaires de leurs sites. C’était sans compter sur les « bloqueurs de pub » – AdBlock en tête – qui ont permis aux internautes de ne plus subir l’omniprésence d’annonces autour de leurs articles. Face à cela, plusieurs quotidiens ont mené une « opération contre les bloqueurs de publicité » en mars dernier.
A la télévision et à la radio, la concurrence est surtout à l’oeuvre entre les médias eux-mêmes. On comptera bientôt pas moins de quatre chaînes d’information sur la TNT : BFM TV, ITélé, LCI (arrivée le 5 avril), et la chaîne info du service public à partir de la rentrée prochaine. De même, la case la plus importante en radio est la matinale, dont la mission principale est d’informer.
Une perte de confiance
La confiance des Français dans les médias ne cesse de s’effriter. C’est du moins ce que dénote le « Baromètre 2016 de confiance des Français dans les médias » réalisé par TNS Sofres sur un échantillon de 1061 personnes. On y découvre que le degré de crédibilité des médias est en chute libre : sur Internet, il s’élève à 31% (huit de moins que l’année passée), 50% pour la télévision (-7%), 51% pour la presse (-7%) et 55% pour la radio (-8%). De même, 64% des interrogés considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique, et 58% des pressions de l’argent.
Le constat est sans appel : les médias d’information pâtissent d’un déficit commercial et de confiance. C’est là que le datajournalisme entre en scène. Il va permettre à plusieurs médias d’informations de réaliser un coup d’ampleur mondiale, qui va alimenter leurs Unes pendant plusieurs jours.
Les « Panama Papers », la plus belle réussite du datajournalisme
Leur nom est un symbole à lui tout seul. Les « Panama Papers », en hommage aux « Pentagon Papers » du New York Times de 1971, sont une version 2.0 du journalisme d’investigation : un datajournalisme porté à une échelle mondiale. Ce sont en effet 370 journalistes issus de 109 médias internationaux qui ont épluché les quelques 11,5 millions de documents (2,6 téraoctets de données) de Mossack Fonseca, spécialiste de la création de sociétés écrans basé au Panama. Les rédactions, coordonnées par le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ), ont démontré que les data alliées à un travail collaboratif permettent aux médias de faire des gros coups.
 

 
Les médias d’information participants ont redoré leur blason. Associées à la rigueur journalistique, les data ont une utilité citoyenne. Elles permettent de dévoiler les abus des puissants au monde entier. Avec les « Panama Papers », les médias d’information sont du côté du peuple. Et ce dernier le leur rend bien. Pour preuve le bond des ventes papier du Monde, seul journal français ayant pris part à l’opération : +109% le premier jour de la publication des révélations, +56% le deuxième. Le trafic web n’était pas en reste, avec 6,4 millions de visites cette semaine-là dont un tiers sont passées par un contenu « Panama Papers ». L’émission Cash Investigation (sur France 2), affichait quant à elle 17,1% de part d’audience pour son numéro consacré au scandale. On pourrait croire que le datajournalisme est tellement efficace qu’il finira par tout remplacer.
Le cas Nate Silver, ou quand le datajournalisme se brûle les ailes
Nate Silver est une star du datajournalisme aux Etats-Unis. Il doit cette popularité à deux coups d’éclat. Son site spécialisé dans le journalisme de données, FiveThirtyEight, a prédit les résultats dans 49 des 50 Etats durant les élections présidentielles de 2008 et a réalisé un sans-faute en 2012. Auréolé de ces succès, le datajournaliste affirmait en juin 2015 que Donald Trump n’avait que 2% de chances de s’imposer aux primaires de son parti. Bien que sa méthode (basée sur l’analyse des sondages et de l’histoire du pays) semble sans failles, Nate Silver s’est vu contraint de réévaluer cette estimation à 13% en janvier 2016 et a été ensuite dépassé par les événements.
N’a-t-il pas droit à l’erreur ? C’est sans doute ce qu’il aurait pu plaider s’il n’avait pas tenu des propos visant à décrédibiliser le rôle des éditorialistes politiques. Quelle importance pourraient avoir leurs opinions, leurs ressentis face à l’exactitude mathématique du datajournalisme ? Aucune, si l’on en croit son article publié le 23 novembre 2015 sur FiveThirtyEight. Intitulé « Dear media, stop freaking out about Donal Trump’s polls », il y réfute les critiques de ceux qui « couvrent la politique pour vivre ».
Depuis les abandons de Ted Cruz et John Kasich, les adversaires de Nate Silver ne cessent de faire remarquer ses erreurs d’estimation, souvent avec mauvaise foi. Ils mettent le doigt sur les erreurs, passant sous silence les nombreux succès. Le datajournaliste a par ailleurs reconnu avoir utilisé une méthode moins rigoureuse qu’à son habitude pour effectuer ses analyses dans le cas de Donald Trump et a révisé sa copie.
Que retenir de tout cela ? Le datajournalisme est une évolution profitable au secteur de l’information, en quête de renouvellement et de regain d’attrait. Mais lorsqu’il traite de politique, il a une limite. Certes il permet d’analyser la part sociologique de l’Homme : les statistiques illustrent ou dévoilent un fait social qui, en tant que norme, peut servir à prédire quelques comportements. Mais il ne peut percevoir le pouls d’une nation, son caractère ambivalent et imprévisible, aux traductions fortes (l’émotion collective, le débat…). Jusqu’à preuve du contraire, l’âme d’un peuple ne transparaît pas dans des données informatiques, ni dans les sondages.
Clément Mellouet 
Sources: 
La Dépêche, Presse: les quotidiens se battent pour compenser le déclin du papier, 03/02/2016
Le Figaro, Opération contre les bloqueurs de publicité, 21/03/2016
TNS Sofres, Baromètre 2016 de confiance des français dans les médias
NationalArchives.com, Pentagon Papers
Five Thirty Eight
Five Thirty Eight, Dear Media, Stop Freaking Out About Donal Trump Polls, 23/10/2015
Crédits photos: 
Observatoire du Web Journalisme
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