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Consommation, publicité et NBA : passage au Verizon Center de Washington

 
L’Amérique est la terre du marketing tout-puissant. Lors de la rencontre entre les Washington Wizards et les Chicago Bulls, nous avons été impressionnés par l’enrobage publicitaire du match de basketball. Tout l’espace, spatial et temporel est occupé par la publicité et rien n’est laissé au hasard. Chaque seconde est calculée, chaque portion de terrain et de gradin possède un potentiel marketing à exploiter tout au long du match.
 
Lancés francs et sandwichs au poulet
Le complexe sportif est étudié pour faire du moindre espace un mini-évènement marketing. Une fois passées les portes du Verizon Center, nous devons traverser une boutique aux couleurs des Wizards avec tout l’attirail habituel : casquettes, maillots de l’équipe, drapeaux, calendriers, gants ; tous les articles possibles et imaginables, à condition de contenir le symbole de l’équipe – l’aigle – ainsi que le logo et les couleurs de l’équipe qui joue à domicile. Avant d’arriver à nos sièges, nous croisons au moins une quinzaine de mini-stands vendant d’énormes bretzels, des sandwiches, des frites, des sodas, et puis à nouveau des bretzels, et des frites et des sodas. En abondance. Le parcours du spectateur est criblé/jonché d’obstacles marketing qui l’incitent à mettre la main à la poche. Pour assister au match, le spectateur a donc le choix entre un ticket et un « all you can eat ticket » qui comprend de la nourriture à volonté pendant toute la rencontre. Quand bien même le spectateur ne serait pas conquis par toutes ces douceurs, il se fait bombarder de burritos Chipotle à la mi-temps ! Un match de basket, c’est bien, un match de basket avec nourriture et drapeaux, c’est mieux. Tout est fait pour nous le rappeler. Partout.

Nous sommes enfin à l’intérieur, assis à nos places. L’occupation de l’espace est impressionnante. Il y a bien évidemment le terrain au centre mais au-dessus, c’est l’avalanche de couleurs, un raz-de-marée d’animations en tout genre. Quatre énormes écrans publicitaires surplombent le terrain de manière à être visuellement accessibles depuis n’importe quel siège. Le contenu des programmes mêle publicité et contenu sportif. Avant le match, les écrans diffusent des pubs pour les produits proposés à l’intérieur de l’enceinte. Pendant la rencontre, chaque panier déclenche un court spot pré-enregistré du joueur qui vient de marquer en même temps que le speaker crie son nom, ils encouragent les supporters à crier (« Make some noise ! »). Et soudain, la magie : le speaker annonce au public que si un joueur de l’équipe adverse manque trois lancés francs d’affilée, c’est sandwich au poulet pour tout le monde ! Ainsi, plus aucune séparation entre jeu et consommation, le déroulement du match influant directement sur la consommation du public. Résultat des courses : le joueur des Bulls a manqué trois lancées et tout le monde s’est rué sur les stands après le coup de sifflet final. Société de consommation et consommation en société.
 
Temps morts et pom-pom girls !
Au basketball, chaque entraineur peut demander plusieurs « temps morts » lors de la rencontre pour recadrer ses troupes, casser la dynamique de l’équipe adverse ou simplement par stratégie. Ces temps morts sont utilisés à merveille pour communiquer sur l’équipe à domicile et en montrer une image positive : au programme, des spots mettant en scène les joueurs (« Les Wizards à la Maison Blanche », « les Wizards au ski », « les Wizards à la plage », etc), des animations (pom-pom girls, mascottes, challenges plus débiles que les autres : « amuse-toi à manger un Oréo sans t’aider des mains ». L’animation la plus utilisée est la « Cam » qui consiste à filmer des personnes dans le public et leur demander un bisou, une danse ou une grimace).

 
Evidemment, une équipe de basketball n’est rien sans ses pom-pom girls qui se tiennent au bord du terrain en effectuant des chorégraphies qui rythment les célèbres sons d’orgue destinés à déstabiliser l’adversaire ou à encourager son équipe. Chaque minute possède une finalité marketing, il n’y a justement jamais de « temps morts ». Une rencontre de NBA est un exemple parfait de « sportainment » à destination d’un public familial : on vient au Verizon Center pour voir un show qui dépasse le sport. Tout est mis en place pour détourner le spectateur du jeu, tant et si bien que la marketisation du basketball tend à casser ce que le sport nous offre de mieux : l’imprévu.
 
Steven Clerima

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Les discours de Newtown

 
La fusillade de Newtown du 14 décembre 2012 relance le débat autour des armes à feu aux Etats Unis et en fait l’une des préoccupations majeures de la politique d’Obama. La surmédiatisation de l’évènement entraîne de nombreuses analyses qui mettent en avant les chiffres effrayants des victimes d’armes à feu (selon demandaplan.org, 33 personnes meurent chaque jour sous le coup d’une arme à feu aux États-Unis).
Cependant il semble que le traitement médiatique en lui-même échappe aux réflexions, tant il s’insère dans la construction généralisée du fait divers. En tant qu’objet d’étude, celui-ci a été établi depuis longtemps comme la résultante d’un besoin primaire du public, agissant sur les foules comme un catalyseur d’angoisse et d’empathie. Pourtant une brève analyse du traitement médiatique de la tuerie de Newton et de ses effets sur le public nous conduit à penser les limites possibles de ce storytelling de l’information.
À l’instar des fusillades de Columbine, Virginia Tech ou Aurora, le traitement de la figure du tueur devient le centre névralgique du récit construit autour de la tragédie de Sandy Hook. Son identité et son passé sont longuement commentés et alimentent une fascination bien connue du public pour les figures transgressives. Cette prise de position des médias peut néanmoins s’avérer problématique : d’une part, elle reflète souvent l’ambition du tueur de sortir de l’ombre, et de l’autre elle peut entrainer des mouvements pervers. Ainsi dans le cas du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta, la révélation de l’identité du meurtrier à entrainé la naissance de nombreux blogs de fans lui vouant un culte. Mieux encore, il a été nommé fin décembre “NewsMaker of the Year 2012” par The Canadian Press. Cette distinction a provoqué de vives réactions, obligeant les jurés à justifier leur choix par l’omniprésence du tueur dans les médias et le traitement médiatique dont il a bénéficié. Ce prix ne serait que l’illustration de choix éditoriaux qui, dans la course à l’audience, misent sur les ressorts passionnels du fait divers plutôt que sur l’analyse raisonnée, qui est alors relayée au second plan.
Face à ce triste constat, force est d’admettre la puissance marchande du fait divers et son impact émotionnel sur le public. Nécessaire donc, mais dans une certaine limite. Si elle n’est pas précisément encadrée, l’exposition des faits divers les plus violents comme la tuerie de Newton, présente un risque fort pour le public comme pour les médias. Il peut conduire à une désensibilisation des publics, mais aussi à un effet de défiance pour l’appareil médiatique.
Dans le cas de Sandy Hook, l’attention est détournée des problèmes sociaux au profit d’une lutte d’influence politique, menée de front par la NRA. En proposant de poster des policiers armés dans chaque école, Wayne LaPierre élude le problème des motivations psychologiques du tueur. L’inquiétante porosité des frontières entre fiction et réalité n’entre pas dans le combat politique. Ainsi, la fusillade et le discours d’Obama ont eu pour conséquence une hausse notable de la vente d’armes à feu et la prolifération des discours “pro-guns”. La vision ironique d’Art Spiegelman, représentant des enfants armés pour aller à l’école sur une couverture du New-Yorker en 1993, pourrait devenir réalité.

Pour s’opposer à cette spirale infernale 800 maires américains ont constitué l’association demandaplan.org, qui souhaite obtenir de l’administration Obama un contrôle plus règlementé de la vente d’armes à feu. Cette campagne bénéficie d’une large médiatisation, en partie due au soutien d’Hollywood. Dans un clip qui dépasse les 6 millions de vues, acteurs et entertainers nous invitent à rejoindre leur action contre la violence des armes. Dans cette lignée, comment ne pas proposer une réflexion « de l’intérieur » sur l’influence des produits culturels, qui font le succès d’Hollywood, auprès des jeunes générations. Une telle vidéo n’en serait que plus pertinente.
Cette question cruciale nous renvoie ainsi au rôle des médias dans notre manière d’appréhender les événements comme celui de Newton. Phénomène récent, le commentaire du fait divers s’émancipe de la sphère médiatique officielle et gagne les réseaux. Face à la prolifération de ces discours anonymes, la police d’État du Connecticut menace de poursuivre les utilisateurs qui répandraient volontairement de fausses informations concernant la tuerie. Le citoyen, par tous les biais, cherche à s’approprier ces récits.
L’intense médiatisation de la tuerie de Newton donne à cet évènement tragique un poids politique fort, susceptible d’influencer le vote citoyen. Ancré dans une société, le fait divers en révèle bien souvent les pires travers, et finit peut-être par l’incarner s’il occupe une place trop grande dans notre hiérarchie de l’information.
 
Clémentine Malgras
Sources
Sandy Hook Shooting: The Speculation About Adam Lanza Must Stop
http://www.demandaplan.org/
http://www.newyorker.com/online/blogs/hendrikhertzberg/2012/12/guns-in-banks-are-not-like-guns-in-schools.html
Howard Kurtz and Lauren Ashburn weigh in on the media's coverage of the Newtown shooting