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Jacques a dit : « j'accuse, tu accuses, il accuse…» : rhétorique de l'insulte et victimisation

 

Gérard Depardieu a claqué la porte du territoire et enclenché, par la même occasion, chez diverses personnalités, une salve de diatribes verbales à son égard. De son pied de nez spectaculaire au fisc français – spectaculaire car donné à voir en spectacle – surgit un enjeu de taille pour le phénoménal Cyrano : son fameux panache. « Je ne demande pas à être approuvé, je pourrais au moins être respecté ! » insiste-t-il dans la lettre ouverte adressée au Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Cette prise de parole accusatrice se trouve à l’origine d’un chassé-croisé d’injures et d’indignations véhémentes au sein de l’espace médiatique de la presse.

Le poids de l’injure

Le Premier ministre a été invité à s’exprimer le 12 décembre sur le cas Depardieu : « Je trouve cela minable (…) C’est une grande star, tout le monde l’aime comme artiste. Payer un impôt, c’est un acte de solidarité, patriotique ». L’acteur, blessé, ripostait dans le journal du JDD au moyen d’une lettre ouverte. Le commentaire de M. Ayrault a fait mouche. Sa botte secrète : l’emploi d’un seul petit mot, « minable », pourtant lourd de sens. C’est bien pour cela qu’il est préférable, afin d’éviter des ennuis, de peser ses mots, qui plus est en politique et a fortiori sur une chaîne publique de télévision. Tout bon orateur sait déguiser la vindicte directe, facilement répréhensible, par quelques habiles détours. De fait, le mot n’est rien sans le contexte qu’on lui donne, et c’est précisément ce que M. Ayrault a tenu à souligner pour sa défense. À droite on lui reproche d’avoir été insultant le 12 décembre. L’injure serait-elle donc un faux pas de la communication ? « Je n’ai pas traité de minable M. Depardieu », dixit M. Ayrault, « j’ai dit que ça avait un côté minable effectivement » d’établir sa résidence en Belgique pour payer moins d’impôts. Le qualificatif visait donc davantage le comportement de l’exilé fiscal que l’homme-même. Or voilà bien le centre de cette effusion polémique, à laquelle ont ensuite participé Philippe Torreton, Catherine Deneuve, Brigitte Bardot et tant d’autres encore : l’argument ad hominem, cher aux pamphlets et autres coups de gueules engagés depuis la nuit des temps.

Une tradition historique

La polémique sur la fuite des exilés fiscaux est donc déplacée, puis supplantée par la question de l’honneur. Il s’agit même d’un code de l’honneur, qui réactualise dans l’écriture pamphlétaire la tradition des duels entre gentilshommes. Plus généralement, l’argument ad hominem a pour but de décontenancer l’adversaire. Il discrédite sa position au regard de sa personnalité, ce qui est le propre de l’attitude sophiste. Repérer ces piques verbales permet parfois de redécouvrir la violence rhétorique de certains évènements cruciaux dans l’histoire contemporaine de la France. Zola, en son temps, avait provoqué, en « accusant », une folle farandole d’insultes lors de l’affaire Dreyfus. On pense également aux termes ouvertement antisémites, utilisés par les opposants à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), à l’endroit de la ministre Simone Veil en 1974. Sans aller aussi loin dans l’insulte, le sarcasme est réputé pour être un excellent outil de sape, dans le champ politique en particulier ; et ce, du célèbre « Napoléon le Petit » lancé par Victor Hugo le 17 juillet 1851 au tacle plus récent d’un Charles Pasqua : « Monsieur Fabius est au Premier ministre ce que le Canada Dry est à l’alcool ».

Argument ad hominem, communication abominable ?

La meilleure illustration de cette stratégie rhétorique, dans la polémique qui nous occupe, est la tribune publiée par Philippe Torreton, « Alors Gérard, t’as les boules ? », dans Libération. À la lettre ouverte répond la tribune : même type de mise en scène. Il s’agit bien d’un exercice oratoire, puisqu’ il se livre au public. Philippe Torreton apostrophe directement son confrère du septième art et lui rentre littéralement dans le lard. « Tu voudrais qu’on te laisse t’empiffrer tranquille avec ton pinard, tes poulets, tes conserves, tes cars-loges, tes cantines, tes restos, tes bars, etc. (…) Nous faire avaler (…) que l’homme poète, l’homme blessé, l’artiste est encore là en dépit des apparences… » C’est tendre le bâton pour se faire battre, car la méthode est peu orthodoxe. L’attaque personnelle risque d’être contre-productive, puisque l’assaut mène à la victimisation de l’adversaire. Catherine Deneuve monte ainsi au créneau : « Ce n’est pas tant Gérard Depardieu que je viens défendre, mais plutôt vous que je voudrais interroger. Vous en prendre à son physique ! A son talent ! ». Et Brigitte Bardot d’insister que M. Depardieu est « victime d’un acharnement extrêmement injuste ».

Jeter l’opprobre publiquement, c’est prendre le risque paradoxal qu’on vous renvoie l’ascenseur, en vous collant l’étiquette du bourreau. C’est un risque communicationnel que M. Hollande a bien compris, lui qui a ainsi préféré les félicitations au blâme, en soulignant le patriotisme fiscal de ceux qui demeurent en France.
 
Sibylle Rousselot
Sources :
Stéphane Lembré, « Thomas Bouchet, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique de la Restauration à nos jours », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2010, mis en ligne le 22 mars 2010, consulté le 21 décembre 2012.
Libération, ici et .
U-Bourgogne.fr

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