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Art selfie : de l'Art à l'Arrière-plan

 

De passage à Paris en octobre dernier, Jay-Z et Beyonce se sont offert le luxe de poser devant la Joconde. On ne compte plus les likes et les retweets de cette photo, caractéristique du mouvement « Art Selfie » : il s’agit simplement de faire un selfie devant une œuvre d’art. D’après le New York Times, cette pratique tirerait son origine de la Frieze, foire londonienne d’art contemporain, en 2012. Depuis, elle ne cesse de s’ériger en tendance de fond : le collectif new-yorkais DIS en a même fait un livre, intitulé #ArtSelfie, paru le 27 octobre dernier. A l’heure où nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le caractère esthétique de nos selfies, le Art Selfie pose de nouvelles questions. De quels enjeux l’Art Selfie est-il porteur ? Quelles sont les conséquences de cette pratique sur l’œuvre d’art d’une part, et sur le concept même de selfie d’autre part ? Faut-il voir dans l’Art Selfie la dilution de l’œuvre d’art dans la représentation instrumentalisée de celle-ci, ou au contraire une nouvelle forme esthétique, caractérisée par une alliance entre art contemporain et culture populaire ?

« La culture, c’est fun »

La pratique de l’Art Selfie remonte déjà à quelques années. Mais elle ne s’est érigée en tendance de fond que suite à la création, le 22 janvier dernier, du « Museum Selfie Day », à l’initiative de Marlène Dixon. Cette passionnée de musée voulait « montrer que la culture, c’est fun ». Il s’agit en fait de « dédramatiser » les musées, comme l’explique la directrice de la communication du musée de Cluny dans un article paru dans Libération. Le récent succès du Art Selfie de Beyoncé et Jay-Z, ainsi que la sortie du livre #ArtSelfie montre que cette tendance semble s’imposer. Tendance encouragée par les musées eux mêmes, qui y voient un moyen de faire interagir les visiteurs avec les œuvres d’art, et ainsi de favoriser leur communication : « nous voulons encourager la participation des gens qui nous suivent sur les réseaux sociaux » explique la directrice du musée des Beaux-Arts de Lyon, dans Libération. Mais que nous dit en réalité le succès de cette tendance sur la nature même de l’Art Selfie ? De quoi ce succès, qui se traduit par un regain d’intérêt pour les musées, est-il le nom ?

L’œuvre d’art à l’arrière-plan

La nature même de la pratique de l’Art Selfie pose un certain nombre de problèmes quant à la valeur de l’œuvre d’art. Il suffit d’ouvrir le livre récemment paru intitulé #ArtSelfie pour s’en convaincre : les gens qui se prennent en selfie ont le dos tourné à l’œuvre. Le musée devient un lieu où l’on se promène en tournant le dos aux œuvres d’art. L’œuvre d’art n’est plus regardée, elle n’existe plus pour elle-même. Ce phénomène opère donc une redéfinition du rapport entre l’œuvre et le spectateur. Michael Fried, dans La place du spectateur, explique que l’œuvre d’art n’existe que par la présence du spectateur. En ce sens, faire un Art Selfie, et donc tourner le dos à l’œuvre, c’est nier son rôle de spectateur, et par conséquent c’est nier à l’œuvre son statut d’œuvre d’art. Le véritable spectateur, c’est celui qui observe le résultat : non pas une œuvre d’art, mais la représentation de celle-ci, reléguée au rang d’ornement d’un selfie qui se donne ainsi une caution arty. Le seul art de l’Art Selfie, c’est « l’Art de se montrer » (Stylist).

Orsay-Shakira

La violence de l’ArtSelfie

Ainsi, l’Art Selfie semble démontrer une volonté d’instrumentalisation de l’art pour donner une valeur ajoutée au simple selfie. Mais que nous dit cette volonté de donner une caution arty au selfie sur le selfie lui-même ? Si le preneur de selfie ressent le besoin d’associer à son selfie une œuvre d’art, c’est peut-être parce que celui-ci n’existe pas en soi. Le selfie, pour exister ( au sens de sortir –de) de son image d’autoportrait narcissique, recherche un prétexte qu’il trouve en la présence de l’œuvre d’art. Le selfie, recherchant cet appui, témoigne d’un manque; manque s’opposant cependant à la plénitude de l’œuvre. Tout se passe comme si le selfie avait besoin de ce qui n’a pas besoin de lui pour exister. L’Art Selfie est un mariage forcé entre un selfie et une œuvre d’art. En ce sens, l’Art Selfie est porteur d’une charge très violente : la représentation de soi devant l’art est capable de tuer le caractère esthétique de l’œuvre.

Du spectateur au spect’acteur

Au-delà d’une simple critique esthétique de la notion d’art selfie, le fait que la pratique de ce dernier se soit érigée en tendance invite à se poser d’autres questions. L’Art Selfiene témoigne-t-il pas de ce que Walter Benjamin appelait dès 1935 dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité, la déperdition de l’aura de l’œuvre d’art ?

Mais il faut aller plus loin qu’une simple critique. Peut-être peut-on voir dans l’Art Selfie une nouvelle forme esthétique, un changement du statut de l’œuvre d’art : si celui qui se prend en selfie devant une œuvre d’art n’est plus spectateur, il devient spect’acteur. Marcel Duchamp disait que le spectateur complète le travail de l’artiste. C’est peut-être parce qu’il illustre bien ces propos que l’Art Selfie a autant de succès et s’érige en tant que nouvelle forme d’art contemporain.

 
Alexis Chol
Sources :
artselfie.com
news.artnet.com
news.artnet.com
tmagazine.blogs.nytimes.com
jean-boite.fr
francetvinfo.fr
newt.liberation.fr

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