Politique

Stig: la démocratie 3.0 ?

La lassitude croissante des citoyens et le désintérêt massif pour la politique créent de nouvelles problématiques autour de la notion de démocratie qui est aujourd’hui questionnée. Mais comment répondre aux attentes des citoyens en matière de participation sans, pour autant, bouleverser l’ordre établi ? Les technologies digitales telle que l’application « Stig » pourraient-elles représenter une alternative envisageable ?

Stig, qu’est ce que c’est ?

Stig* (du mot stigmergie : désigne une forme d’intelligence collective auto-organisée où les projets sont conduits par les idées plutôt que par une personne ou un groupe), c’est le petit nouveau dans le monde de ce que l’on appelle communément la « Civic-Tech », concept encore récent et assez méconnu du grand public. La Knight Foundation* (fondation américaine qui finance des projets liés au journalisme et aux médias) décrit la Civic-Tech comme un secteur devant, à terme, supprimer la distance instituée dans les rapports entre gouvernements et citoyens tandis que, pour le journaliste Alex Howard, il s’agit d’un « outil ou processus que les individus ou les groupes peuvent utiliser pour influencer la scène publique ». Mais Micah Sifry, de Personal Democracy, ajoute une condition: cet outil doit absolument avoir pour fin une amélioration des conditions de vie du plus grand nombre pour être considéré comme une Civic-Tech. L’idée sous-jacente et centrale dans le développement de cette application, c’est que les nouvelles technologies, notamment digitales, peuvent, à terme, nous permettre de renouer le dialogue entre les citoyens et leurs institutions politiques.
« Proposer – Voter – Améliorer », voilà les trois mots d’ordre de cette application fondée par deux jeunes français : Jérémie Paret et Germain Lecourtois. À l’origine de cette application, le sentiment, de plus en plus marqué, de ne pas être assez écouté par les représentants politiques. Nombreux sont ceux en effet, du moins en France, qui ressentent une certaine forme de décalage entre la réalité et les actions ou discours des élus politiques (et quoi de mieux pour en témoigner que la récente polémique autour de l’évaluation assez approximative du prix d’un pain au chocolat par J.F. Copé). Certains pourraient penser que la démarche est parodique et que ces propos sont ceux que l’on pourrait tenir au détour d’une conversation dans un café … Pourtant, le malaise politique est bel et bien présent et ce mouvement de contestation est loin d’être marginal. Les deux concepteurs de l’application en sont conscients, preuve en est du FAQ du site officiel, où ils sont assez nombreux à affirmer avoir eu la même idée d’application sans forcément aller au bout de leur projet. Car Stig n’est pas la première initiative citoyenne à cet égard. La mise en place en 2014 du vote d’un Budget Participatif à Paris en est la preuve : les Parisiens étaient invités à déposer des projets d’aménagement du territoire ou d’amélioration des conditions de vie de leur ville, et étaient ensuite invités à voter pour la réalisation de ces projets.

La volonté générale

La question de la représentation politique n’est pas une problématique récente et de nombreux philosophes ont déjà abordé le sujet auparavant. Dans le Contrat Social, Rousseau nous explique que la volonté générale, par nature, ne peut pas être représentée car « la volonté, individuelle ou générale, est inaliénable et irreprésentable en ce qu’elle est un premier commencement à l’origine de nos actions ». Longtemps chez le philosophe, le rejet de la représentation politique a été perçu comme le point faible de sa pensée, du fait même de sa nécessité dans la pratique politique des démocraties modernes… Mais aujourd’hui, qu’en est-il ?

Stig : une nouvelle forme de contrat social ?

Les modes traditionnels de dialogue entre les citoyens et les représentants politiques, ne fonctionnent plus. C’est là qu’interviennent les nouvelles technologies : en nous offrant de potentielles réponses qui constituent une nouvelle piste de réflexion pour nous orienter vers ce qui semble être une démocratie numérique et plus participative, une démocratie 3.0.

Cette application se donne pour ambition de mettre fin aux préjugés qui avancent le fait que les masses, si elle veulent bien l’intérêt général, ne le voient pas toujours… Seulement, selon Jerémie Paret (le co-créateur de Stig), c’est également le cas des élus : « D’après la définition de la démocratie, nos élus ont pour rôle de légiférer en fonction de la volonté générale. Or, ils ne la connaissent pas vraiment ». Cette application propose ainsi de fournir aux Français un moyen d’influencer et d’aider les élus dans leurs actions en créant « la première vision en temps réel de la volonté générale », démarche noble et légitime qui a pour but de redonner la voix au peuple. Attention toutefois, cela n’est en rien une forme d’anarchisme car les élus politiques ne sont pas évincés du processus, au contraire ! Et c’est là ce qui fait la particularité de cette application en ce qu’ils sont même invités à y participer aux cotés de tous.
Avec Stig, on trouve plusieurs catégories variées selon les projets et leurs domaines d’action, comme il est possible de le constater sur la version bêta de l’application.

stigstigUne utopie?

Ce projet d’injecter plus de participation dans le processus démocratique n’est-il pas voué à l’échec ? N’est-ce pas là encore une manifestation d’un désir bien légitime mais utopique ? Cette application en est encore à ses balbutiements, mais elle s’ancre dans un mouvement bien plus large, celui d’une contestation des modes de représentation politiques … Et les enjeux sous-jacents sont énormes. Et c’est parce que les enjeux sont importants que l’on peut s’interroger sur les éventuelles limites d’une telle démarche : les élus peuvent effectivement participer, mais comment les inclure et leur faire progressivement accepter l’idée de ne plus être seuls aux commandes ? Comment légitimer cette démarche ? Face à des institutions qui semblent assurer la stabilité du régime, Stig parviendra-t-elle véritablement à s’affirmer ? Quoi qu’il en soit, il semble tout à fait légitime de se demander si compte tenu des obstacles à la mise en place d’un tel système, il ne serait pas trop tôt pour parler d’une démocratie numérique.

Le bilan

Stig n’a pour le moment rien d’officiel et ne prétend pas remplacer le mode institutionnel de la démocratie représentative. Toutefois, elle témoigne, si ce n’est tant de la nécessité d’une restructuration des modes de dialogues politiques, du moins d’un profond malaise sociétal auquel il devient de plus en plus pressant de mettre fin. C’est en cela que son potentiel est important et qu’il nous revient de porter attention à son développement dans les mois à venir.
Lina Demathieux
Twitter: Lina Dem

Sources :
Budget participatif de Paris : à vous de voter! – de Christine Henry pour Le Parisien  Consulté le 26/10/16
Site de la Mairie de Paris  Consulté le 26/10/16
Stig : la première application de démocratie universelle en mode 3.0  Consulté le 23/10/16
getstig.org Consulté le 26/10/16
Stig, l’appli qui veut faire la loi, de Margaux Lacroux, pour Libération. Consulté le 26/10/16
–  La critique de la représentation politique chez Rousseau, article de Philippe Crignon.
–   Le Contrat Social, Rousseau
–   Compte Twitter de Stig

Crédits photos :
–    Infographie tirée du site welovegreen.fr (Madame la maire, j’ai une idée : budget participatif de Paris)
–    captures d’écran et vidéo issues du site getstig.org

Tags:

One thought

  • Très intéressant; on a hâte de lire de nouveaux articles sur la démocratie représentative. c’est un sujet d’actualité à développer pour soi et pour les autres.

Laisser un commentaire