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Catherine Deneuve et #BalanceTonPorc, le rendez-vous médiatique manqué

La tribune du Monde signée par cent femmes, dont l’actrice Catherine Deneuve qu’on ne présente plus, réclamant un « droit d’importuner » — qui serait consubstantielle à la liberté sexuelle — a déclenché un tollé chez les féministes, comme chez certains observateurs touchés par le scandale de l’affaire Weinstein. L’occasion pour nous, blog sur l’actualité de la communication, de nous pencher sur les ressors médiatiques de cette indignation et la manière dont elle s’est manifestée, notamment sur les réseaux sociaux.


Il ne s’agira donc pas ici de souscrire ou de condamner les propos qui sont tenus dans cette tribune, mais bien de s’interroger sur le « ratage communicationnel » dans lequel cette tribune s’inscrit et l’incompréhension qu’elle a suscitée, en particulier auprès des victimes d’agressions ou de harcèlement sexuels.

#BalanceTonPorc : Kézako ?


La campagne #BalanceTonPorc, équivalent francophone de #MeToo lancé par l’actrice américaine Alyssa Milano, fait suite à l’affaire Weinstein dénonçant les nombreuses agressions et différentes formes de harcèlements sexuels dont le célèbre producteur s’est rendu coupable. Plus qu’une simple réaction face à ces scandales précis, cet hashtag traduit une aspiration aux changements des comportements des hommes envers les femmes, notamment dans le milieu hollywoodien connu pour son machisme, et surtout pour son hypocrisie, voire son aveuglement sur la question du harcèlement et des agressions visant la gente féminine. Le récent cas de James Franco, accusé d’avoir agressé une femme tout en soutenant cette campagne, en serait l’un des exemples les plus éloquents.
Cette campagne a suscité une vague de dénonciations sans précédent sur Twitter, et ce, des deux côtés de l’Atlantique. Des milliers de femmes — médiagéniques comme anonymes — ont saisi cette occasion pour mettre en lumière les agressions et/ou actes de harcèlements qu’elles ont subis. Beaucoup se sont félicités de ce vaste mouvement de mobilisation médiatique sur les réseaux sociaux, participant à la « libération de la parole » des femmes, nécessaires selon certains, pour que la société puisse avancer sur ces questions.

Une tribune et un tollé


La campagne #MeToo et #BalanceTonPorc a démontré, une nouvelle fois, tout le pouvoir mobilisateur des réseaux sociaux et sa capacité à influencer le débat public. À tel point que, face à ce mouvement médiatique de grande ampleur, Catherine Deneuve et 99 autres femmes plus ou moins connues, ont co-signé une tribune pour Le Monde, dénonçant entre autres ce mouvement contestataire féminin qui amalgamerait viol et simple « drague lourde » et défendant surtout, un controversé « droit d’importuner » qui, en son absence, mettrait la séduction en péril.
Les réactions ne se sont pas fait attendre sur les réseaux sociaux, ainsi que dans les médias. Énormément de femmes, atteintes ou non de violences sexuelles, ont accusé Catherine Deneuve de manquer de solidarité envers celles qui ont été agressées. L’un des griefs reprochés à l’actrice est d’avoir une vision de la réalité biaisée du fait de son « statut privilégié » de « femme belle, riche et blanche » et donc, de ne pas saisir l’ensemble des discriminations qui auraient à trait à l’intersectionnalité.

Cette immense réaction face aux propos tenus dans cette tribune constitue donc un premier, et non des moindres, ratage communicationnel pour les 100 femmes co-signataires. Les excuses de Catherine Deneuve démontrent, en effet, qu’aucune d’entre elles ne s’étaient attendues, ni même préparées à de tels retours, aussi vifs et massifiés. D’autant plus que les échos de cette tribune ont largement dépassé les frontières de l’Hexagone et font aussi débats à l’étranger ; preuve du formidable effet de multiplicité qu’occasionnent les relais d’informations sur les réseaux sociaux.

Au-delà du scandale, le format « tribune » à revoir ?


Et si le deuxième ratage communicationnel de cette tribune était tout simplement son format ? Même si cette forme de publication, largement éprouvée dans l’histoire médiatique, est connue pour susciter des débats publics acerbes et parfois même dangereux pour la sécurité civile (cf. le fameux « J’accuse » de Zola, paru dans L’Aurore en 1898), elle ne semble pas convenir à tous les messages. L’une des caractéristiques de la tribune ou de la lettre ouverte, surtout signée par des personnalités publiques de la trempe de Catherine Deneuve, est d’être publiée dans un média, et par la suite, de voir son contenu être retransmis par d’autres. Difficile donc, dans ces circonstances, de ne pas voir sa position subir des raccourcis ou être mal interprétée. D’autant plus lorsque l’une co-signataires, Brigitte Lahaie, déclare que l’« on peut jouir lors d’un viol ».
De plus, le propre d’une tribune est d’être une « réaction à ». Or, dans un moment pareil, où les dénonciations explosent et où les femmes ont le sentiment d’être entendues dans leur parole et dans leur expérience de victime, le « retour de balancier » était inévitable.
Enfin, la tribune, avec ses exigences de brièveté et de concision de la thèse soutenue et avancée, ne permet pas, quel que soit l’objet du propos, d’en restituer la profondeur. Par ailleurs, la tribune voit ses limites être amplifiées par la publication sur Internet, la lecture en diagonale, caractéristique de celle pratiquée sur le Web, permettant d’autant moins de saisir « l’esprit » du texte. Celui de Catherine Deneuve en a fait les frais… à tort ou à raison : libre à vous de juger !

Sara Lachiheb

 

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