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Hip-hop et manga : le combo gagnant des « sous-cultures »

La semaine dernière, ADN et Kazé ont annoncé que Nekfeu prêterait sa voix au super vilain All For One pour la sortie de la saison 2 de My Hero Academia en version française. Cette nouvelle est à l’image d’une affinité entre deux univers culturels très populaires en ce moment dans l’Hexagone : le hip-hop et les mangas.

Il y a encore peu de temps ceux-ci étaient vus comme des « sous-cultures » à l’univers violent, voire vulgaire ; pour ainsi dire dénigrés par la culture dominante. Aujourd’hui, à travers le sample, les références textuelles, la création de personnages et le doublage d’anime, le rap français participe grandement à la popularité du manga sur le sol français, qui est aujourd’hui le deuxième plus grand consommateur de manga au monde après le Japon.

Personnages de Shōnen et rappeurs : une identification fructueuse ?

« Le flow qui foudroie Gon et Kirua, des robots, des ninjas, du rap et des pizzas, Kawabunga », tel est le programme annoncé par Orelsan et Gringe dans le morceau Ils sont cool, extrait de l’album Le Chant des sirènes (2011). Le duo reprend ici un code de l’animation japonaise : un générique musclé qui caractérise les personnages et annonce l’intrigue. Avec ce morceau en particulier, le duo table sur l’affection portée par les fans d’animation japonaise aux « openings » et notamment à la musique de manga.

L’influence de la culture nipponne va donc bien au-delà des simples punchlines, puisque l’on peut constater que certains rappeurs s’identifient à des personnages de shōnen. Pour ceux qui ne connaissent pas ce mot (jeune homme ou adolescent en japonais), c’est le nom donné aux mangas d’action ayant un schéma actanciel très codifié : le héros devient de plus en plus fort au fur et à mesure de combats contre des vilains de plus en plus puissants. Certains artistes utilisent même les mangas pour la création de leur nom de scène. Par exemple, Maître Gims, a tiré son nom de « Mugi » (« gimu »), diminutif du surnom de Luffy dans One Piece (« Mugiwara », Chapeau de paille en version française).

L’exemple de PNL et de leurs innombrables références à Dragon Ball Z ne peut pas être laissé de côté. En effet, les deux frères ont souvent utilisé des images de l’anime pour leurs clips, ou même des montages utilisant les célèbres déplacements en nuages du manga, comme le montre cette vidéo publiée à l’occasion d’un showcase au Palais de Tokyo. Le duo étant spécialisé dans le « cloud rap », ce rapprochement est donc une manière très ingénieuse de se démarquer et de créer des personnages à qui les fans peuvent s’identifier à leur tour.

Ce phénomène va de pair avec les codes du rap et du hip-hop : les battles et rap contenders sont perçus comme des combats initiateurs, la compétition et les rivalités étant de mise. Orelsan représente de bien des façons l’aboutissement de cette transposition des codes du manga dans la musique. En devenant la voix française de Saitama dans One Punch Man, un personnage avec lequel il partage une certaine image nonchalante et marginale, il devient un exemple de l’implantation finale du rap et des mangas dans les grands médias de masse français.

Deux cultures propres à une même génération

La popularité des deux phénomènes s’est développée à peu près au même moment, soit à partir des années 1980 et 1990. Ainsi, cela explique en partie cette hybridation des deux cultures. En effet, les rappeurs qui font aujourd’hui des références à divers mangas comme Dragon Ball Z, One Piece ou Naruto ont grandi avec le Club Dorothée et les premières diffusions françaises d’animes. A ses débuts, la référence est discrète et ne sert qu’à titre de comparaison, à l’image de Doc Gynéco se comparant au némésis de Goku (Dragon Ball Z) : « comme Végéta, le super guerrier de l’espace, j’ai mauvaise réputation et un cœur de glace » (Est-ce que ça le fait, 1996).

Aujourd’hui, ce name-dropping est toujours présent (« J’ai la dalle comme ce con d’Luffy », dans Yeux disent Lomepal fait référence au personnage principal de One Piece) mais les références se font de plus en plus nombreuses et appuyées. On peut donc en déduire que le public et les artistes en sont venus à partager une même mythologie personnelle. Les références au manga sont maintenant comprises et, à l’image d’Orelsan, peuvent permettre de toucher un public qui n’est pas forcément amateur de rap.

La musique de manga influence aussi beaucoup les rappeurs et représente un point de repère pour le public. Une référence en-soi discrète, mais qui fait beaucoup pour la construction d’un lien fort avec les fans. Un des meilleurs exemples est C’est Tout : Guizmo sample le générique japonais de Saint-Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque en version française).

La génération à laquelle appartiennent le public et les artistes compose une même cohorte d’individus et une cible commerciale. En effet, les maisons d’édition nipponnes spécialisées dans le shōnen ont aujourd’hui à peu près la même cible marketing que dans les années 1980, soit des adolescents et des jeunes adultes, principalement masculins à l’origine. Ce ciblage du public fait écho à celui que l’on peut constater dans l’industrie musicale du rap, ce qui peut donc aussi expliquer cette affinité. Ce succès commercial serait donc comme une revanche face au dénigrement et préjugés qui ont longtemps entouré les deux genres dans le paysage culturel français.

Mathilde Caubel
Références:

  • https://www.booska-p.com/cinema/new-nekfeu-doubleur-dans-la-saison-2-de-my-hero-
    academia-n98365.html
  • https://www.franceculture.fr/emissions/pixel-13-14/la-france-l-autre-pays-du-manga
  • https://yatta.animedigitalnetwork.fr/article-mangas/rap-et-manga-le-clash-round-2
  • https://www.booska-p.com/new-le-rap-francais-c-est-dragon-ball-z-dossier-n66815.html

Crédits photo:

  • fanart représentant Orelsan et Saitama, réalisé par @camilletqr sur Instagram
  • photo de couverture: extraite de https://www.booska-p.com/new-le-rap-francais-c-est-dragon-ball-z-dossier-n66815.html

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