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Comment les plateformes en ligne, des sites internet aux réseaux sociaux, ont-elles pu permettre l’émergence d’artistes musicaux…pour le meilleur et pour le pire ?

Les années 2000 puis 2010, marquées par un enracinement progressif et final d’Internet dans nos quotidiens, ont vu l’avènement de plusieurs plateformes en ligne et de réseaux sociaux qui sont devenus des lieux de partages musicaux et, de ce fait, de véritables tremplins pour les artistes émergents. Voici un petit tour d’horizon de ces plateformes musicales.

Les années 2000 et l’ère Myspace

Exemple d’une page Myspace : ici celle de l’un de ses créateurs Tom Anderson

Fondé en 2003 par les américains Tom Anderson et Chris DeWolfe, Myspace connaît une ascension fulgurante : il est, entre 2005 et 2008, le réseau social avec le plus grand nombre d’utilisateurs et compte à son apogée, en 2008, 115 millions d’utilisateurs actifs. Le principe est simple : créer une « page Myspace » personnalisée où il est possible d’ajouter photos, vidéos, infos personnelles mais aussi morceaux musicaux. Il donne alors une chance aux artistes émergents de créer une page virtuelle où ils peuvent partager leur musique avec les autres utilisateurs. Quelques artistes et groupes ont donc pu connaître un net succès grâce à la diffusion de leur musique via Myspace. C’est par exemple le cas de la chanteuse britannique Lily Allen qui a réussi à se faire une place dans l’industrie musicale après avoir posté en 2005 plusieurs maquettes ayant rencontré un vif et rapide succès. 

Le groupe Arctic Monkeys est, lui, considéré comme le premier phénomène musical né d’Internet après la création de leur page Myspace par leurs premiers fans qui souhaitaient partager leurs premières démos (alors que le groupe lui-même n’avait jamais entendu parler de ce site!). En France, nous pouvons prendre l’exemple d’Orelsan qui a rencontré ses premiers succès sur cette même plateforme, ce qui lui a offert une visibilité instantanée. Pour prendre un dernier exemple, c’est là aussi qu’a été découvert le DJ Calvin Harris.

Le rôle clé de SoundCloud dans la seconde partie des années 2010

2017 est une année importante pour la plateforme suédoise de distribution audio créée 10 ans auparavant. Elle est marquée par le fort développement du SoundCloud rap. De manière générale, les SoundCloud rappers sont tous les rappeurs ayant commencé une carrière underground via cette plateforme, mais le SoundCloud rap désigne surtout un genre musical à part entière. Il est parfois appelé mouvement lo-fi en raison d’une technique d’enregistrement de « basse fidélité » (=low-fidelity). Avec l’aide d’une première fanbase solide, ces rappeurs ont pu être découverts par un plus large public et atteindre une certaine notoriété. En 2017, le critique de musique du New York Times Jon Caramanica déclare en effet que le SoundCloud rap « est devenu, au cours de l’année écoulée, le nouveau mouvement le plus important et le plus perturbateur du hip-hop ».

Ainsi l’emo rap, genre ayant pour caractéristique d’allier des sonorités proches du rock indépendant ou de la pop punk au rap dans une atmosphère mélancolique, a connu une nouvelle vague lors de cette « génération SoundCloud » avec des noms comme Lil Peep, Juice WRLD ou XXXTentacion, tous 3 disparus prématurément, qui avaient connu leurs premiers succès sur cette plateforme. Le mumble rap (de l’anglais « to mumble », « marmonner »), sous-genre de la trap assez clivant, s’est aussi fait une place à cette époque avec des rappeurs comme Lil Pump ou 6ix9ine… Mais la liste est encore longue : Playboi Carti, Trippie Redd, Lil Uzi Vert ou Denzel Curry ne sont que quelques exemples de plus. En France, ce phénomène n’a néanmoins pas connu un aussi gros engouement qu’aux Etats-Unis (et Booska-P explique bien cela : ici) : seul le collectif 667 pourrait à la limite représenter les SoundCloud rappers français… Pour prendre un exemple en dehors du rap, Billie Eilish, alors âgée de 14 ans, a rencontré son premier succès via cette même plateforme avec sa chanson Ocean Eyes en 2015. 

YouTube ou TikTok, plus récemment, ont aussi permis l’ascension de certains artistes…

Pour le cas de YouTube, l’exemple le plus représentatif est sûrement celui de Justin Bieber : ce jeune canadien totalement inconnu de 13 ans a atteint une notoriété très rapide grâce aux vidéos de lui chantant postées par sa mère sur la plateforme de vidéos… Sur TikTok, des artistes ont aussi pu voir leur carrière décoller comme Lil Nas X avec son hit Old Town Road ou même, avec un succès à plus petite échelle, Wejdene avec son titre Anissa… 

Que penser d’un succès musical provoqué par un forte exposition en ligne et de sa pérennité?

Dans certains cas, cela a été très propice à une carrière musicale solide et à un succès sur le long terme. Mais, finalement, les exemples cités supra ne sont qu’une minorité parmi tous les artistes en herbe ayant tenté de se faire un nom en partageant leur musique sur ces plateformes.

Et même si un artiste peut connaître le succès avec une vidéo/chanson qui devient rapidement virale, cela ne garantit pas pour autant une carrière durable. Un article intitulé « Les artistes qui ont percé grâce à Internet » paru en 2011 sur le site Belge Pickx avait pour but de faire une liste des artistes qui ont « explosé » grâce à Internet : on y voit certes Justin Bieber, alors âgé de 17 ans, mais cet article regroupe plusieurs artistes (Greyson Chance, Dave Days, Esmée Denters…) qui avaient, selon ses dires, tout pour devenir des superstars après un démarrage en force mais, en 2024, ils ne sont qu’un lointain souvenir…

La question est alors de comprendre les modalités d’un succès musical permis par une exposition en ligne. Contrairement aux concerts, moment où l’artiste est face à un public qui réagit en direct à sa musique, sur ces plateformes un écran sépare l’artiste de ses potentiels fans. Il est donc bien plus compliqué d’évaluer le succès, représenté seulement par des chiffres et des commentaires. Nous ne savons même pas pourquoi et comment les internautes ont été amenés à consommer tel ou tel contenu musical. Ainsi, tout cela se traduit très souvent par un succès fragile et éphémère.

Le cas de TikTok et de ses trends à temps limité permet de mettre des morceaux particuliers en avant, que ce soit des morceaux un peu plus anciens qui resurgissent soudainement selon la loi de TikTok ou de nouveaux morceaux d’artistes que le réseau social projette sur le devant de la scène. C’est une belle opportunité mais le problème est que les gens, à moins qu’ils n’aillent se pencher dessus, ne connaissent qu’une infime partie du travail de tel ou tel artiste émergent, partie qui se résume souvent à un extrait de 15 secondes. La chanson Bad Habit de Steve Lacy est un bon exemple. En effet, une vidéo d’un de ses concerts montre que le public ne connaît que le refrain de sa chanson, à savoir la partie qu’il a vu passer en boucle sur TikTok. Le travail de ces artistes se voit alors décrédibilisé, étant réduit à une boucle de 15 secondes…

Le partage de création étant désormais facilité par Internet, les artistes sont-ils toujours aussi authentiques ?

Depuis ces dernières années, il est commun de voir des artistes proposer de nouvelles chansons en les introduisant comme des trends TikTok, certains créant même en amont une danse pour anticiper une possible trend. C’est par exemple le cas de Jason Derulo et de sa chanson Savage Love, dont le clip est destiné à montrer une chorégraphie facile à apprendre. Cela vient alors questionner l’intention des artistes qui créent ce type de contenu.

TikTok n’est-il pas aussi l’endroit pour simuler une sorte de proximité entre un artiste émergent et sa communauté ? La chanson de Gayle ABCDEFU, devenue connue grâce à TikTok, en est le parfait exemple : la chanteuse américaine publie pour la première fois sa chanson en version acoustique dans une vidéo qui répond à un commentaire lui demandant d’écrire une chanson de rupture avec l’alphabet, ce qu’elle fait alors avec brio. Mais cette demande très précise est loin d’être le fruit d’un simple hasard. Il s’est révélé que la personne à l’origine de ce commentaire n’était autre que la directrice marketing d’Atlantic Records…son label. Ainsi, cette apparence d’authenticité n’était qu’une stratégie toute prête.

Le succès musical rencontré en ligne est donc à prendre avec des pincettes et à évaluer sur le long terme.


Perrine Bassard

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