Peopolisation des politiques : comment Magali Berdah désacralise l’homme providentiel
À deux mois de l’élection présidentielle de 2022, les candidats n’hésitent pas à multiplier les dispositifs médiatiques sur lesquels ils interviennent dans le cadre de leur campagne. Zoom sur les nouveaux ressorts qu’emploient les candidats sollicités par Magali Berdah, Karine Lemarchand et autres personnalités médiatiques.
Ces derniers mois, les personnalités politiques, en plus de leurs traditionnels meetings, débats télévisés et vidéos de campagne sur les réseaux sociaux se sont montrés sous un autre jour, semblant les détacher du caractère politique de leur ethos. Qu’il s’agisse des femmes politiciennes qu’a reçues Karine Lemarchand pour Une ambition intime ou des candidats à la présidentielle envahissant des espaces traditionnellement apolitiques – ou du moins traitant de sujets plus frivoles – tels que la chaîne YouTube de Magali Berdah ou l’émission Face à Baba animée par Cyril Hanouna, cette stratégie soulève des enjeux liés à l’ethos de nos candidats et relevant de leur peopolisation.
La peopolisation, une affaire de visibilité
Apparue dans les années 2000, la notion de peopolisation fait référence à l’anglicisme people mais peut aussi, en France, renvoyer à la presse d’indiscrétions sur la vie des célébrités, notamment liées au monde du spectacle. Pourtant, ce phénomène est bien plus ancien que le terme le désignant, puisqu’il a commencé à se manifester en premier lieu dans les années 1930, lorsque les acteurs de cinéma étaient starifiés. Par la suite, ce procédé s’est étendu aux personnalités politiques en France. On se souvient de la médiatisation de la vie de famille de Giscard d’Estaing, de la grossesse de Ségolène Royal, ou encore du couple de Nicolas Sarkozy et de son épouse Cécilia.
Qu’est-ce que ces narrations de l’intime de nos dirigeants dans l’espace public ont en commun ? Elles cherchent à bâtir un « capital de visibilité » que Nathalie Heinich explique par le fait d’être « connu par plus de personnes que l’on n’en connaît », ainsi qu’une mise en visibilité sans limite, au sens de Foucault, c’est-à-dire que tout de ces personnalités est rendu visible : leurs convictions, leurs aspirations, leur épanouissement personnel qui, dans la pensée citoyenne influencerait leur carrière politique ; en somme, une logique de transparence et d’authenticité censée séduire l’électorat – mais pas que.
Une starification qui désacralise la figure politique
Derrière cette réappropriation des ficelles médiatiques visant à satisfaire la curiosité et le voyeurisme des citoyens, les politiciens cherchent non seulement à être vus et reconnus par leurs électeurs, mais également à être perçus comme sympathiques. Cette logique consiste à ressembler à monsieur et madame-tout-le-monde : à émouvoir la plus grande cible électorale possible, donc.
Cette rhétorique était déjà exploitée par Valéry Giscard d’Estaing, qui allait jusqu’à désacraliser la figure du politique du Président en allant dîner chez les Français. D’une part, la figure politique est starifiée, tandis que de l’autre, elle va au plus près des citoyens. De ce fait, la peopolisation fait des personnalités politiques des stars et les rapproche des Français les plus communs, mais ce même rapprochement brise de facto la distance entre citoyen et politique, alors que cette distance est inhérente au statut de célébrité.
Ce rapprochement apolitise alors, paradoxalement, le politique. Les traits de personnalité que l’on se plaît à prêter à tel ou telle candidat·e sont alors remplacés par une image plus appréciable, loin de l’image rigide et sévère que certains arborent lors de leurs meetings.
Ainsi, sur le canapé de Karine Lemarchand, les participantes acceptent bien volontairement de mettre leur vie intime au service de leur course à la présidentielle. Se dresse alors le portrait d’une Marine Le Pen adoucie et sensible, aimant les animaux, d’une Anne Hidalgo au parcours supposément compliqué, fierté de sa famille, ou encore d’une Valérie Pécresse proche de ses enfants, qui a partiellement sacrifié sa vie de famille pour sa carrière ; des parcours qui peuvent parler à bon nombre de mères de famille.
Derrière cette promesse d’apprendre à connaître qui est la femme qui se cache derrière la politicienne, en toute prétendue sincérité, se dresse la construction de l’ethos de ces candidates. Selon Machiavel, « gouverner, c’est faire croire ». Dans cette campagne, le projet politique est-il alors si important ? Il est en tout cas court-circuité par l’identité que se façonnent nos candidats, permettant de capter un électorat parfois hésitant ou pas engagé politiquement.
On comprend alors en quoi « l’histoire des candidats à la présidentielle obéit aux règles du récit qui valent pour les stars du grand écran ». Vedettifiés, les candidats se permettent alors de séduire par leur personne, à la manière des célébrités du monde du spectacle.
Entre célébrités et politiciens, quand Magali Berdah s’empare de leur image
Poussée à l’extrême, cette logique de peopolisation répond certes au désenchantement des figures politiques, mais n’y répond pas toujours. Au-delà d’être un ressort commun pour développer leur capital sympathie, elle constitue un nouveau chef d’accusation envers eux. Si les candidats envahissent les plateaux télévisés d’émissions en tout genre (plus seulement politiques) et les écrans des réseaux sociaux, la confusion entre eux et les people de la sphère artistique et du divertissement se renforce un peu plus à chaque innovation médiatique.
Après que Nicolas Sarkozy ait côtoyé les vedettes de la Star Ac’ en couverture de Closer, il est désormais possible que Marlène Schiappa, Ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, fréquente Isabeau, Maïssane et autres influençeuses issues de la télé-réalité en « story » Snapchat de Magali Berdah, et les reçoive place Beauvau. Le débat politique quitte lui aussi les émissions spécialisées et les chaînes d’informations pour être animé par Cyril Hanouna dans Face à Baba, alors que l’animateur est également habitué à fréquenter des vedettes du spectacle et des candidats de télé-réalité sur le plateau de son talk-show.
Les deux premiers participants à cette émission, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon, sont également les deux premiers à avoir accepté l’invitation de Magali Berdah, agent d’influenceurs issus de la télé-réalité qui a lancé en janvier son concept consistant à filmer 24 heures avec un candidat à l’élection pour sa chaîne YouTube.
Dans la même logique que celle de l’émission animée par Karine Lemarchand, Magali Berdah promet de faire découvrir les candidats aux élections et « qui ils sont vraiment », en plus de leurs projets politiques. Elle annonce ainsi que sa chaîne lui permettra de partager à sa communauté les domaines des influenceurs, de l’économie, mais aussi des sujets de société destinés à « vulgariser la politique » et à « la rendre plus accessible ».
Par ce raccourci, s’opère un passage de l’influence à la politique qui associe ces deux domaines, tant bien que la frontière entre les deux devient alors poreuse. Les personnalités politiques n’ont plus seulement en commun avec les influenceurs un média ou une personnalité médiatique, puisqu’ils sont eux-mêmes statufiés en influenceurs.
Inévitablement, sans même s’intéresser au contenu de ses interviews avec les candidats à la présidentielle, le simple fait qu’elle soit l’interviewer suffit à modifier la perception que l’on se fait des candidats qu’elle interroge. En raison de son parcours professionnel et de sa notoriété associée aux programmes de télé-réalité, elle ne porte pas les mêmes symboles que le journaliste d’une chaîne d’information ou d’une émission politique. Quand bien même Magali Berdah tente de se re-brander, son personnage est connoté à un genre de divertissement aux considérations triviales et ces connotations sont projetées sur ses invités.
En ce sens, Antoine Léaumont, responsable de la communication digitale de Jean-Luc Mélenchon, déclare sans ironie que ce dernier « est un influenceur » dans la vidéo consacrée à la rencontre entre le candidat et Magali Berdah (où celle-ci le qualifie plus tard de « vraie rockstar »). Cela s’explique à la fois par les idées et convictions que le candidat partage à ses citoyens, mais aussi par le rôle de créateur de contenu qu’il endosse dans le cadre de sa mise en visibilité. Ainsi, Léaumont ne se prive pas de vanter le million et demi d’abonnés que Mélenchon comptabilise sur TikTok.
Le politique comme égérie de marque
Tantôt désacralisé, tantôt starifié, le politique s’empare des mécaniques de peopolisation pour réaffirmer son identité et les idées qu’il porte à travers sa personne. Chef de rang de son parti, ou même « tête d’affiche », pour rappeler les similitudes entre sa médiatisation et celle des célébrités, tout l’enjeu de sa visibilité dans les médias et de ce que ces derniers en font relève de la représentation. Cette représentation porte autant sur le pouvoir que sur la personne qui l’exerce, comme en témoigne Raphaël Llorca dans La marque Macron, où il s’intéresse au renouveau politique qu’incarne le président sous un nouveau prisme : celui de la « marque politique », pour laquelle le candidat est un produit à marketer. Peopolisé, parfois contre son gré, la personnalité politique doit se réapproprier les codes de ce processus pour s’assurer une maîtrise de son image, et s’assurer de capter un électorat par de multiples manières. Certes, un des moyens de garantir cette adhésion est de convaincre avec un projet politique ; mais il est aussi possible de persuader l’électorat à travers la construction d’une personne charismatique, dont l’objectif est de se vendre comme la prochaine figure mythique de l’homme providentiel.
Alexandre Lenoble
Sources :
Dakhlia, J. (2007). People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopolisation. Questions de communication, 12, 259-278.
Delporte, C. (2008). Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé : Le cas français. Le Temps des médias, 10, 27-52.
INA (2006, 17 août). peopolisation-des-politiques
Gegout S. (2021, 13 décembre). Marlene Schiappa démasquée avec les influenceuses, Un fromage moisi associé à son nom.
Garzon H. (2022, 4 janvier). “Face à Baba” : après Éric Zemmour, découvre le nouvel invité de Cyril Hanouna.
Fossat M. (2022, 14 février). Présidentielle : la “papesse de la télé-réalité” se lance dans les interviews politiques.
Guerithault A. (2021, 8 novembre). “Une ambition intime” : Une mise en scène qui reprend les codes de la télé-réalité.
Berdah M. (2022, 9 janvier). MON PROJET – (Magali Berdah).
Berdah M. (2022, 2 février). 24H AVEC MÉLENCHON – Immersion à la présidentielle épisode 2.
Llorca R. La marque macron, désillusions du neutre. 2021, Ed. de l’Aube
Jarrassé J. (2020, 3 décembre). “Devine qui vient dîner…” : quand Valéry Giscard d’Estaing s’invitait à la table des Français.
Leroux, P. & Riutort, P. (2014). « Passer à la télé »: Analyser la présence des professionnels de la politique au sein des émissions conversationnelles. Réseaux, 187, 51-77.
Illustration : © Bilal Berkat
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