Société

Com' pour tous, tous pour un

 

C’est le sujet qui fait le quotidien des Français depuis quelques mois : l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, dont le texte a été voté à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Les pro et les anti (sous les appellations très similaires de « Mariage pour tous » et « Manif pour tous », au point que parfois, on pourrait les confondre) sont plus que jamais mobilisés pour défendre leurs positions. Dimanche 21 avril encore, les manifestants opposés au projet de loi étaient entre 45 000 (selon les estimations des autorités) et 270 000 (d’après les manifestants) à battre le pavé dans les rues de la capitale. D’autres mobilisations sont prévues, notamment le 5 mai.
C’est néanmoins avec beaucoup d’étonnement qu’on a pu voir une France en colère, venue en famille, défiler dans la rue contre le projet du gouvernement, criant « Hollande, démission !» allant même jusqu’à forcer les grilles de l’Assemblée Nationale. Le mouvement, dont la communication est infiniment bien rodée et qui bénéficie de l’image et de la médiagénie de Frigide Barjot, personnage devenu emblématique, a cependant dépassé le simple cadre de contestation du projet de loi : récupération politique, débordements, escarmouches à l’Assemblée Nationale, radicalisation…Chacun reprend le mouvement pour son compte et mitonne sa propre recette communicationnelle, au risque donc de brouiller les pistes et d’alimenter un sujet qui passionne le pays, mais qui divise les Français. En effet, ceux-ci sont d’autant plus sensibles à la réponse apportée aux problèmes économiques et sociaux latents que c’est en partie la conséquence de ce raz-de-bol généralisé qui a hissé la gauche au pouvoir. Retour sur quatre actes de cette tragédie 2.0.
1ère épisode : Frigide Bardot, trublion engagé ou redoutable communicante ?
 Dans un très bon article du Plus du Nouvel Observateur, Philippe Moreau Chevrolet décrit Frigide Barjot avant tout comme « une amuseuse publique qui cultive son réseau ». Mais elle est aussi une communicante politique aguerrie, militante du RPR déjà engagée à l’époque où elle chantait dans le groupe humoristique « Jalons », avec son compagnon Basile de Koch, frère de Karl Zéro. Philippe Moreau Chevrolet souligne d’ailleurs qu’elle a gagné la bataille médiatique là où de nombreux conservateurs de droite ont fini au rang de personnages ringards et décrépis : « Frigide Barjot a mieux compris que Christine Boutin, Philippe De Villiers ou autres figures ringardisées de la politique française, comment fonctionnait le système médiatique. Elle se rapproche davantage, par sa gouaille et sa capacité à se forger un personnage, de figures comme Nadine Morano ou Marine Le Pen. » L’auteur souligne en ce sens la propension de Frigide Barjot à avoir recours à ce qu’on appelle l’infotainment, en mâtinant ses saillies politiques d’humour, à l’image de ce fameux slogan de la Manif’ Pour Tous : « Y’a pas d’ovules dans les testicules ».
2ème épisode : Le Printemps Français, entre mobilisation et radicalisation
Après les nombreux rassemblements qui ont eu lieu depuis le 17 novembre, des scissions ont pu apparaître dans le rang des opposants, et ceci s’est très bien vu le 24 mars. En effet, un groupe de manifestants a décidé de passer au-delà des consignes préfectorales en voulant investir les Champs Elysées. En marge des militants trop « bisounours » derrière Frigide Barjot, ceux que l’on considère comme une agrégation de mouvements disparates sous le label « Printemps Français » se sont lassés des simples marches officielles et ont cherché à multiplier les opérations de type « happening », plus marquantes, mais aussi plus violentes. Élus socialistes chahutés, local d’association LGBT vandalisé, activisme forcené sur les réseaux sociaux : ce sont eux. C’est bien parce que leur matraquage communicationnel est efficace que le mouvement a pris autant d’ampleur : en reprenant des codes soixante-huitards (une initiative déjà repérée dans les campagnes d’affichesde la Manif Pour Tous) voire même de gauche (le poing levé et le slogan « on ne lâche rien », à un mot près celui utilisé par le Front de Gauche). Selon Jean-Yves Camus, politologue, la récupération des symboles de la gauche s’inscrit pleinement dans une stratégie communicationnelle :
« Le mouvement tente de dépasser le clivage droite/gauche pour éviter de se restreindre au peuple de droite. Il utilise donc des symboles audibles, réutilisables, pour faire de son combat une question de société et positiver le mouvement en faisant appel aux valeurs humanistes. (…) En France, quand on veut gagner un capital de sympathie auprès du public, on utilise des symboles de gauche. (…) Le Printemps français veut acquérir une image de modération et de non-conformisme, et le premier code de la gauche, c’est la manifestation.  »
Ce que confirme Thomas Guénolé, politologue lui aussi et maître de conférences à Sciences Po : « Ce qu’il y a de bizarre avec ce mouvement, c’est qu’il y a une vraie démarche de communication visuelle qui ne se soucie pas de la cohérence. On est dans l’émotionnel. Le message en lui-même n’est pas rationnel, mais la cohérence émotionnelle est là. »
En recyclant de tels codes ancrés dans l’imaginaire français comme celui de la contestation (légitime), le Printemps Français cherche donc à éviter la stigmatisation. Petit bémol : les composantes, disparates comme nous l’avons dit précédemment, de ce mouvement ne sont pas aussi modérées que le laisse entendre Béatrice Bourges, l’égérie du mouvement. Parmi elles, on retrouve des associations catholiques extrêmes, comme le Renouveau Français ou Civitas, mais aussi des groupuscules d’extrême-droite à l’instar du GUD, des Jeunesses Nationalistes ou du Bloc Identitaire qui donnent donc du fil à retordre aux dirigeants du mouvement en terme d’image auprès de l’opinion publique.
3ème épisode : « Ils ont gazé nos enfants » ou le bienfait des chaînes d’info en continu
Le 24 mars, les manifestants contre le mariage gay n’ont pas le droit de pénétrer sur l’avenue des Champs-Elysées mais ces images, mises en ligne sur Internet, montrent de manière accablante le comportement provocateur, agressif voire irresponsable – je pense au monsieur qui, prenant son enfant sur ses épaules, hurle « On va mettre les enfants devant ! » – de certains individus énervés.

Bruno Roger-Petit souligne dans son article le fossé qui existe entre la réalité des images et des comportements, et le discours que les organisateurs, les manifestants et les politiques de droite ont tenu contre l’État et le gouvernement par la suite. En regardant la vidéo, on s’aperçoit très bien que les manifestants sont en situation de provocation délibérée des forces de police, se rendant dans des zones qui leur sont interdites ; la police réagit certes, mais en ciblant les individus excités et en les gazant à l’aérosol. Les chaînes d’info en continu, répétant inlassablement les mêmes images d’un manifestant excédé hurlant « Mais pourquoi vous nous gazez ? », ont ainsi fait la lie de la récupération politique. Dans cette bataille du 24 mars, c’est évidemment Frigide Barjot et ses acolytes qui gagnent sur le terrain de la communication, car en adoptant une position froide et technique, le gouvernement a parfaitement alimenté le discours du mouvement, qui joue sur l’émotion. Cela laissait donc un boulevard si ce n’est une autoroute aux personnalités de l’UMP, qui n’ont évidemment pas raté le coche, de Jean-François Copé, en passant par Laurent Wauquiez, aux députés Philippe Meunier et Philippe Cochet :

4ème épisode : Cendrillon a perdu sa ballerine
La nuit du 18 au 19 mars 2013 restera certainement dans les mémoires : cette nuit d’échauffourées à l’Assemblée (où une malheureuse huissière a fini par écoper d’un malencontreux coup), où des députés épuisés et survoltés s’écharpaient une dernière fois sur le texte ouvrant le mariage aux couples de même sexe est aussi la nuit où la politique communicationnelle (par opposition à la politique politicienne) s’est dévoilée sans ambages. On connaissait le flacon d’anthrax de Colin Powell brandi à l’époque en pleine séance de l’ONU, ou de la bible de Christine Boutin pendant le PACS. La ballerine (qui appartenait en fait à une jeune militante de l’UDI), brandie comme un trophée de guerre, est pour Philippe Meunier (qui semble découvrir que les CRS sont en fait garants de l’ordre public et peuvent, éventuellement, ne pas être très gentils avec les manifestants) le symbole d’un État qui lance des CRS casqués sur des jeunes filles pacifiques et sans défense.

La ballerine qui a mis le feu à l’Assemblée… par lemondefr
On peut donc se demander quel sera l’avenir de ce mouvement, alors qu’aujourd’hui la loi a bel et bien été votée. Frigide Barjot annonçait déjà il y a quelques jours qu’elle comptait maintenir une dynamique jusqu’aux municipales (dans plus d’un an tout de même) et faire ainsi de son mouvement un phénomène politique à part entière. Une petite épine dans le pied de la droite française, qui au FN comme à l’UMP, ont tant bien que mal essayé de se positionner et de surfer sur la vague communicationnelle de toute cette affaire. Le sujet du mariage pour tous a en effet ouvert une brèche dans la société française, qui l’a rendue beaucoup plus perméable au discours politique. C’est au détriment cependant d’autres préoccupations de l’opinion publique, qui se cristallisent aujourd’hui en dangereuses frustrations.
Laura Garnier
Sources :
La manif pour tous, une opération de com réussie
http://babelon.babel31.com/la-manif-pour-tous-une-operation-de-communication-reussie/
Manif pour tous : gaz lacrymo, images choc et une victoire pour Frigide Barjot sur Le Plus du Nouvel Observateur
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/805559-manif-pour-tous-gaz-lacrymo-images-choc-et-une-victoire-pour-frigide-barjot.html
Violence à la manif pour tous : des réactions démesurées à l’UMP, la preuve en image sur Le Plus du Nouvel Observateur
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/805336-violence-a-la-manif-pour-tous-des-reactions-demesurees-a-l-ump-la-preuve-en-images.html
Frigide Barjot à l’Elysée : une redoutable femme politique à la com’ bien huilée sur Le Plus du Nouvel Observateur
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/768440-frigide-barjot-a-l-elysee-une-redoutable-femme-politique-a-la-com-bien-huilee.html
Qui se cache derrière le printemps français ? Sur Libération
http://www.liberation.fr/societe/2013/04/13/qui-se-cache-derriere-le-label-printemps-francais_895764
Le printemps français et le symbolisme de gauche sur Slate
http://www.slate.fr/story/71511/printemps-francais-symbole
Mariage pour tous : une ballerine met le feu à l’Assemblée sur Le Monde
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/04/19/nouvelle-manifestation-anti-mariage-pour-tous_3162599_3224.html

Politique

Entre échanges cordiaux et dure réalité…

 
Même à l’autre bout du monde, une souffrance reste une souffrance… Et au-delà des cultures, les êtres humains semblent pouvoir la comprendre. La mondialisation aurait-elle du bon finalement ?
Car les informations circulent, et circulent vite. C’est pourquoi, au lendemain de l’attentat du Marathon de Boston du 15 avril 2013, nous pouvions trouver sur la toile une photographie aussi frappante que polémique.
Sincères condoléances…
En effet, à l’heure des réseaux sociaux et du « village global » de MacLuhan, une information n’a jamais eu le pouvoir d’être aussi puissante à deux endroits complètement différents. C’est donc sur Twitter que les révolutionnaires syriens ont envoyé un message d’une efficacité redoutable aux Américains, encore sous le choc des bombes de Boston. Cette photo incarne dès lors cette suprématie d’Internet dans l’immédiateté de la communication.
Vendredi 19 avril, les habitants de Kafr Nabl, une ville située au nord-ouest de la Syrie à environ trois cents kilomètres au nord de Damas, ont profité des manifestations hebdomadaires pour présenter leurs condoléances aux États-Unis. La photo est prise devant des ruines, et la banderole tenue par ces Syriens parle d’elle-même :
« Les bombes de Boston représentent une triste illustration de ce qui se passe quotidiennement en Syrie. Acceptez nos condoléances.
La révolution syrienne KNRC Kafr Nabl, 19.4.13. »

Repéré par le journaliste américain de « Foreign Policy », David Kenner, qui l’a relayé sur son blog, ce tweet s’est ensuite abondamment dispersé sur le réseau social, notamment par les comptes d’opposants au régime de Bachar al-Assad.
Les habitants de Boston ont alors, dès le lendemain, décidé de répondre par la même méthode. La photo fut aussi postée sur Twitter : une vingtaine de personnes posent autour d’un message écrit en arabe et en anglais qui peut se traduire par :
« Amis en Syrie, nous souhaitons également la sécurité pour vos familles et espérons la paix. Avec amour, Boston, 20.4.13 »
Pas si sincères que ça…
Cependant, au-delà de l’échange cordial entre les deux peuples, qui est tout à fait louable, les mots sont là, puissants et pleins de sens, mais surtout remplis de vérité. La pensée des Syriens résonne, traverse l’écran de l’ordinateur pour venir titiller nos petites vies tranquilles. Sans minimiser d’aucune façon la gravité de l’attentat de Boston, il faut tout de même souligner la réelle ambiguïté du message. À moins que ce dernier ne soit justement double, et assumé comme tel. Car oui, entre peuples endeuillés, on se soutient, mais pas trop.
Il ne faut effectivement pas oublier que des tragédies telles que celle de Boston sont devenues le triste quotidien des Syriens, et de bien d’autres peuples. L’électrochoc est donc efficace : lorsque l’on regarde la communication massive et l’omniprésence des images sur les bombes du Marathon face à la souffrance des Syriens qui continue d’être ignorée, il semble bien que cette image prend une dimension extrêmement symbolique.
Mais les habitants de Kafr Nabl n’en sont pas à leur premier message, et c’est sur un ton humoristique, voire cynique, que ces Syriens s’adressent à nous par des banderoles riches de sens. De « The Godfather, Le Parrain » avec Bachar el-Assad en passant par l’analogie des relations entre les États-Unis et la Syrie avec le Petit Chaperon Rouge et le Grand Méchant Loup, ces images ne manquent pas d’originalité pour décrire une situation dramatique et des enjeux cruciaux. C’est sur le site Occupied Kafranbel que l’on peut découvrir ces chefs-d’œuvre communicationnels qui font sérieusement réfléchir… Ils font appel à nos imaginaires collectifs, à nos mèmes, à nos cultures : ce sont Hulk, Oncle Sam, Popeye, Gollum, Titanic ou encore le jeu Angry Birds (ici, « Angry Syrians » !) qui revêtent des rôles d’émetteurs redoutables.

Ainsi, au-delà du débat de la véracité des informations où de la simplification (ou non) des relations internationales, il s’agit ici de tirer sa révérence devant un impact et une efficacité communicationnels en temps de guerre. Les messages circulent, et circulent vite : il faut ici faire fonctionner la mondialisation et tenter d’accorder aux Syriens de Kafr Nabl le droit d’expression qu’ils revendiquent à travers la mise en ligne de ces photographies.
Le message se dessine alors comme une interpellation de la communauté internationale afin d’éveiller les consciences. S’agit-il de rappeler au monde des priorités de plus en plus ignorées, voire oubliées ?
 
Laura Lalvée
Sources :
Rue 89
Bag news
Le Monde (blog)

Publicité et marketing

Il faut que je t’avoue quelque chose…

 
La carte de l’humour
« Comment ça tu as revu ton ex ? »

Sentiment de culpabilité, accélération du pouls, mains moites : en réaction à certaines phrases ou situations stressantes, le mécanisme de transpiration s’enclenche, facteur d’odeurs corporelles indésirables.
Pour le lancement de sa nouvelle gamme de déodorants « Stress protect », Nivea joue la carte de l’humour. La marque a fait appel aux services de l’agence DRAFTFCB pour sa campagne publicitaire, dont les affiches sont actuellement visibles dans le métro parisien. S’appuyant sur les petites phrases du quotidien qui sont facteur d’anxiété, Nivea met en scène les moments stressants et banals de la journée.
Sur les réseaux sociaux, la stratégie semble payante puisque les visuels trouvent grâce aux yeux des internautes, avec des commentaires du type « Bien joué, ça sent le vécu » ou « Oui on le sent bien » (Facebook).
D’autre part, Nivea avait créé le buzz avec son opération de caméra cachée « Stress test » à Mexico et dans l’aéroport de Hambourg. La vidéo de l’opération, diffusée le 12 février sur You Tube, a été visionnée plus de 5 millions de fois en deux semaines, avec près de 15000 impressions et plus de 1700 commentaires.
Comme quoi, l’humour paie (cf l’article de Marie-Hortense Vincent à ce sujet).
Un discours scientifique
Davantage que le simple humour, Nivea souligne discrètement sa vocation scientifique à travers cette nouvelle campagne. Rappelons que « L’Observatoire Nivea », constitué d’un comité scientifique, a été créé en 2006 dans le but de diffuser la recherche sur le corps.
En effet, sur son site (ici), Nivea explique de manière détaillée le processus de la transpiration, avec des explications de type scientifique : « On peut distinguer 2 formes majeures de transpiration : La première, la plus connue, est la transpiration thermique. Sa fonction principale est de réduire la température corporelle (…), elle vient des glandes sudoripares dites exocrines. La seconde est la transpiration due au stress ou transpiration émotionnelle. »
Et de conclure, sans surprise: « Il est prouvé que NIVEA STRESS PROTECT offre une protection efficace contre la transpiration due au stress. »
Dans les visuels, la connotation « médicale » est soulignée par les courbes graphiques du battement cardiaque, dont le rythme s’accélère en raison du stress.
Image et identité : de la tendresse au stress
Avec cette campagne d’affichage, Nivea rompt avec son image traditionnelle. En effet, la marque communique habituellement sur l’archétype maternel ou paternel, à coups de touchantes scènes de tendresse entre une mère et son nouveau-né à la peau douce. Un univers familial et rassurant, dominé par l’image maternelle et la symbolique de la caresse.

Ici, on passe à un tout autre style. Le monde de protection et de bien-être laisse place au stress et à l’anxiété. La marque rompt avec son identité visuelle, traditionnellement bleue et blanche, abandonnant ses belles photographies pastelles au profit de simples phrases de couleur blanche écrites sur fond violet.

Comment ne pas évoquer la stratégie de certaines campagnes pour rencontres extra-conjugales, et notamment celle de Gleeden ? Les allusions à l’infidélité ne manquent pas – soulignons que dans la symbolique occidentale, le violet est associé à la jalousie – et les sentences en forme de maximes (« Je dois t’avouer quelque chose », « Comment ça tu as revu ton ex ? », « Il faut qu’on parle ») ne sont pas sans évoquer les aphorismes de Gleeden.
De la tendresse à l’anxiété, de la famille à l’infidélité, du bleu rassurant au violet tourmenté. Avec cette campagne, l’identité visuelle de Nivea change du tout au tout. Reste à savoir si les consommateurs apprécieront.
Alors, flop ou stratégie gagnante ?
 
Clara de Sorbay
Sources :
La fiche du produit
L’Observatoire Nivea
Meltybuzz
Vanksen.fr

Société

Marques et consommateurs, une grande histoire d'amitié ?


L’explosion des réseaux sociaux, permettant à tous nos faits et gestes d’être à présent likés, partagés, commentés par nos amis, a contribué à faire de l’amitié une valeur omniprésente dans la société actuelle. Et les marques ont ainsi été les premières à chercher à devenir « amies » avec leurs consommateurs, parfois jusqu’à l’overdose… Serait-il temps pour elles de trouver de nouveaux moyens de se saisir de cette question de l’amitié virtuelle ?
Marques et consommateurs, une grande histoire d’amitié ?
Comme l’écrit Claire Bidard, sociologue au CNRS 1 : « L’amitié est perçue comme désintéressée mais aussi comme détachée des contingences sociales courantes et opposées en cela aux autres modes de sociabilité. Elle se fonde sur un engagement des seules qualités intrinsèques des partenaires indépendamment de leurs positions dans un système social impliquant pouvoir, utilité ou prestige. ». Ainsi l’amitié est investie d’un imaginaire de désintéressement, d’engagement ne dépendant que des qualités profondes de chaque individu. Il n’est dès lors pas difficile de comprendre l’intérêt, pour les marques, sans cesse accusées de malhonnêteté, tromperie et mensonge, de s’emparer de cet imaginaire pour créer du lien avec leurs consommateurs.
Et pour cela, quoi de mieux que les réseaux sociaux ? Présence continue, contenu varié, conversation, communauté… Bingo ! Les marques ont semble-t-il enfin tous les moyens de devenir nos nouvelles meilleures amies ! Les community managers se sont alors multipliés, avec plus ou moins de succès au départ, mais la professionnalisation toujours plus importante du métier laisse espérer que le community management sera toujours d’une plus grande qualité.
Malgré cela, cette « amitié » est pourtant loin de convaincre tout le monde. Ainsi le 21 avril 2013, Tom Evans, consultant en communication sur les médias sociaux, écrit un billet sans concession sur le site www.psfk.com intitulé « Pourquoi les marques ne sont pas vos amies », avec l’argument simple mais percutant qu’un vrai ami n’a pas pour objectif de vous vendre un produit. Il dénonce ainsi ces marques qui cherchent à agir comme un faux meilleur ami.
D’autant plus que sur les réseaux sociaux, sommes-nous vraiment amis même avec ceux que nous avons volontairement ajoutés ? Mon avis est que les internautes se laissent de moins en moins leurrer par cet idéal, et certaines marques comme Nescafé l’ont bien compris, en réussissant à se saisir de cet imaginaire de l’amitié avec un brillant second degré.
Tester ses amitiés virtuelles avec un vrai Nescafé
La campagne « Really friends ? », imaginée par Publicis Conseil, attaque ainsi cette question de l’amitié sur les réseaux sociaux de front en suivant, sous la forme d’une web-série, Arnaud, un jeune trentenaire qui part à la rencontre de ses amis Facebook à l’improviste, armé de deux tasses de Nescafé.

Le café Nescafé, à travers l’objet matériel et emblématique de la tasse rouge apparaît donc comme le moyen de créer ou recréer le lien amical de façon concrète. La marque réussit donc à se présenter comme un symbole de convivialité, tout en se dégageant avec humour de la vision légèrement utopique des réseaux sociaux comme plateforme joyeuse et gaie où nous retrouverions tous nos meilleurs amis pour partager encore plus de moments ensemble… En effet, ici, rien de tout cela. Arnaud part à la rencontre d’amis Facebook aussi variés qu’un pote du lycée « aussi génial que chelou », une fille dont il ne se souvient plus, ou encore une autre qui l’a supprimé sans raison… Des situations pas forcément glorieuses dans lesquelles tout le monde peut se reconnaître, et qui font mouche.
Alors que les études montrent une fréquentation de Facebook toujours en baisse, notamment chez les jeunes, il me semble ainsi important que les marques sachent prendre le tournant d’une certaine distanciation dans l’utilisation des réseaux sociaux. Au risque sinon que cette distanciation s’applique également à la marque, et que l’amitié marque/consommateur perde définitivement toute crédibilité.
Judicaëlle Moussier
Note :
1 Claire Bidard, L’amitié, un lien social, Paris, La découverte, 1997
Sources :
/2013/04/brand-messaging.html
http://www.businessweek.com/stories/2008-05-09/how-to-build-brand-friendshipbusinessweek-business-news-stock-market-and-financial-advice
http://www.mediapost.com/publications/article/171199/#axzz2RUQ4o5KI

Really Friends ? by Nescafé

Société

Frigide Barjot ou le bruit médiatique au détriment d’une solidité argumentative

(parce que dans la vie, on ne peut pas tout avoir)
 
Ils feront peut-être un encart dans le prochain Closer : “Karl Zéro et Frigide Barjot règlent leurs différents sur les bancs publics”. La lettre ouverte de l’animateur à sa belle-soeur le 15 avril dernier sur le Huffington Post et les réponses qui s’en sont suivies (toujours à travers les médias – peut-être un truc de famille) sont le baromètre de cette tempête sociale déclenchée par la loi Taubira.
“Égérie” et porte-parole du mouvement anti-mariage pour tous, Frigide Barjot a envahi notre actualité. L’occasion de revenir sur sa communication et les contradictions – aussi bien dans le discours que dans les actes – que porte ce personnage hyper-présent sur la scène médiatique depuis le début de sa campagne.
Un style de “catho branchée”
LA pro de la “mini-jupe” présente une panoplie d’accessoires roses, du T-shirt moulant aux cuissardes fuchsia, en passant par un blog dont les couleurs feraient pâlir Barbie. Femme haute en couleurs et en 3D (Dégingandée, Dévergondée et Décontractée), quand elle s’attaque aux médias, elle passe à la 3G (Grosse Gueule et Grossière). Madame aime souvent rappeler comment on fait les enfants : “c’est un Monsieur qui rentre dans une Dame” (merci pour le code de la route !). N’hésitant pas à afficher son habitude des boîtes de nuit, elle affirme son propre style, autant pour rassembler que pour marquer les esprits. N’est pas catho conservatrice et night-clubbeuse qui veut !
Une histoire de Sainte Nitouche ?
Pas vraiment. Avant d’être une croyante, Frigide Barjot a d’abord été une communicante. Issue de Sciences-Po Paris, elle a d’abord été dans les coulisses en participant notamment à la politique de communication du RPR et à la rédaction des discours de Charles Pasqua. Rapidement après être “passée avec âme et mini-jupe à Jésus” en 2004, elle se lance dans un premier sujet médiatique : la défense de Benoit XVI, taraudé par de nombreuses critiques sur son intégrisme. Depuis 2012, elle s’est trouvé un nouveau dada : la lutte contre le mariage et l’adoption des homosexuels.
Parmi les sept porte-paroles officiels du mouvement de la “Manif pour tous”, Frigide est sans doute la plus visible (forcément, le rose fluo, ça ne passe pas inaperçu !). Dans cette croisade contre le mariage gay, notre fausse BB se trouve investie d’une double-mission :
Encourager les manifestants du haut de son char en criant férocement dans le haut-parleur et faire preuve de “média-appeal”.
Défendre les messages des Français qu’elle représente sur la scène médiatique. Là-dessus, FB en prend pour son grade.
Une “gay-friendly”
Avant d’aborder la question de la loi Taubira, rappelons l’essentiel : Frigide aime les homos ! Elle adore rappeler qu’elle traîne dans des bars gays ou chanter les louanges de ses amis homos si serviables ! Cette overdose d’amour avait sans doute pour but de montrer qu’il existait une séparation bien nette entre lutte contre le mariage gay et homophobie. Mais ce discours “pare-balles”, qui en agace plus d’un, ne fonctionne pas, l’argument semble hypocrite.
Mais alors, une mauvaise communicante ? 
Lorsque l’on en parle, qu’entend-on sur Frigide ? Tantôt désespérante, tantôt “marrante” : la porte-parole du mouvement anti n’est pas prise au sérieux par la majorité de la population et crée aussi des divergences dans son propre camp. Savoir écrire des discours argumentatifs est une chose, argumenter lors d’un débat en est une autre. Un seul exemple suffit à montrer sa fragilité dans ce domaine : le débat avec Caroline Fourest lors de l’émission “On n’est pas couché”.

Si Frigide reste souriante et amicale durant tout le débat, et ce malgré le rejet flagrant du public et des invités, ses propos peu cohérents, incisifs et peu clairs font qu’elle fait perdre patience à son public (c’est finalement Natasha Polony qui défend plus efficacement la position anti !). S’ensuit une décrédibilisation du mouvement qu’elle représente.
Un personnage parfois insaisissable car inconstant : un électron libre en somme ?
Pleine de contradictions dans son propos, inconstante dans ses opinions qu’elle assène cependant avec force, Frigide Barjot représente bien, au sein du mouvement anti, cette tranche qui s’oppose avec véhémence au projet de loi Taubira non pas sur la base d’arguments rationnels et réfléchis, mais sur un ressenti purement subjectif et donc difficile à défendre lors d’un débat.
Don DeLillo, dans White Noise, faisait écho à ce concept selon lequel un signal (ou un bruit de fond) peut favoriser la communication ou la performance des individus en fonction de sa fréquence. A défaut d’être le noyau fédérateur, Frigide est l’électron libre agitateur de la première ligne. Encore un effort petite Barjot, il ne te manque plus qu’à construire une argumentation dénuée de contradictions.
 
Sophie Pottier et Pauline St Macary
Pour aller plus loin…
http://www.la-croix.com/Actualite/France/Frigide-Barjot-egerie-contestee-des-opposants-au-mariage-pour-tous-_NG_-2013-01-11-897853
http://www.huffingtonpost.fr/2013/04/14/mariage-gay-lettre-ouverte-frigide-barjot-facebook_n_3079850.html
http://you.leparisien.fr/actu/2013/01/16/portrait-d-un-anti-mariage-gay-frigide-barjot-18203.html
http://www.bvoltaire.fr/alaindebenoist/frigide-barjot-a-fait-avorter-le-mouvement,18944

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Société

Dehors ou mort

 
Pasticheur et auto-proclamé successeur de Jacques Mesrine, Christophe Khider cherche à prouver encore une fois qu’il est au-dessus des lois, qu’il est le seul décideur de son futur. Le voyou communique, annonce lors d’un ersatz de conférence de presse, qu’il s’évadera, comme une évidence absolue, comme un devoir qu’il doit accomplir. Il joue, s’amuse de provoquer, de choquer et d’essayer de déstabiliser une justice qui, en plus d’être aveugle, restera sourde face à ses espiègleries d’amuseur public.
Pourtant nous l’écoutons, à moitié révoltés, amusés et presque respectueux d’une telle annonce. Le voyou dicte ses volontés comme dans un faux-semblant de testament, 2052 étant la date limite de sa vie carcérale. Vilain merle gazouillant son impertinence, Khider tente de se réapproprier le mythe du bagnard exploité afin d’envoyer la droite finale qui pourrait compléter la campagne de galvaudage de l’autorité carcérale, déjà entamée par l’évasion de Redoine Faïd il y a quelques jours.
La communication de ces numéros d’écrou est habile car elle utilise les codes de la conspiration pour faire croire que la justice ne serait qu’un colosse aux pieds d’argile, une citadelle prenable ; un système pourri par un millier de taupes assujetties au grand-banditisme. Monsieur Khider semble bien sûr de lui, il annonce avec fierté qu’il s’échappera, comme une évidence incontournable, un devoir à accomplir face aux injustices dont il fut victime.
Rien ne tient plus, les derniers barreaux des prisons se briseront par l’opinion publique. Faïd et Khider ont prouvé que la maison France est désormais à genoux devant un banditisme tout puissant et capable de tout. L’arrogance de ces condamnés agit directement sur la puissance aveugle de la justice en essayant de prouver que la privation de liberté est devenue une sentence abjecte et immorale.
La puissance de l’annonce renforce le plaidoyer de ces hommes qui refusent la sanction prononcée. Ils tentent de faire valoir leurs actes en soulignant le fait que la justice les a condamné à une peine offensant l’humanité. Génuflexion soumise des média par rapport à ces vauriens élevés au rang de héros. Le doute s’installerait presque. L’insolence cache-t-elle une part de vérité ? Le courage nécessaire pour annoncer de tels projets ne dissimulerait-il pas une évidence inavouable ?
Voilà le deuxième effet « Kiss-Kool » de cette confession de voyou trop heureux d’offenser rondement l’appareil législatif. Nous allons finalement nous rallier à la cause défendue par Redoine Faïd au moment où le journal télévisé de 20h nous annoncera son évasion. Nous serons fiers de lui afin d’oublier l’affront inacceptable, narcoleptiques insomniaques que nous sommes. Nous rejoindrons nécessairement sa cause en étant presque impressionnés de ses convictions réalisées.
Vivre pour une cause et mourir en la défendant : c’est de cette manière que le grand banditisme nous propose une utopie que nous serions prêts à défendre, nous, petit peuple sage à la vie ringarde et plate.
Ite missa est.1

Emannuel de Watrigant
 
1 « Allez, la messe est dite »

Politique

Les Liaisons Dangereuses

 

« La haine est toujours plus clairvoyante et plus ingénieuse que l’amitié ». Évoqué par Laclos au 18e siècle, ce principe n’a pas pris un pli et les enveloppes envoyées au sénateur Roger Wicker et au président Barack Obama en sont bien l’exemple.
Comment les moyens de communication deviennent-ils des armes destructrices ?
Lorsque Valmont et la marquise de Merteuil correspondent, c’est le contenu des lettres qui est dangereux, leurs actions, leurs secrets, leurs projets. Et déjà la relation épistolaire devient dramatique par les propos qu’elle tient et les conséquences qu’elle implique à leur découverte.
Avec les lettres du 16 et 17 avril dernier, c’est le moyen de communication lui-même qui est empoisonné.
La recette, un peu fantastique mais malheureusement vérifiée, est simple : saupoudrez vos écrits d’une pincée de poison mortel ! En effet, à partir d’une certaine dose, le pouvoir toxique de la ricine, cette macro-molécule, peut être létal.
Alors quand le moyen de communication est empoisonné, il devient difficile de communiquer. Ce ne sont plus les mots qui sont toxiques, ce ne sont plus les manières de les utiliser qui sont néfastes mais c’est la lettre qui devient une arme.
De la peur de l’autre à la peur d’une communication homicide
Les interactions entre les hommes sont souvent compliquées. En effet, les valeurs, les sentiments, le tempérament propre à chacun, amènent à la méfiance de ce qui est autre. D’autant plus que ce qui est méconnu voire inconnu a tendance à attiser cette peur.
La communication reste le moyen pour appréhender et connaître autrui. Cependant lorsque les codes de cette dernière sont corrompus il est difficile de ne pas s’en méfier.
Avec la remise au goût du jour des lettres empoisonnées c’est la peur de la souffrance et de la mort qui entrent dans l’imaginaire de la communication interindividuelle.
En parallèle des attentats à la bombe de Boston, le bioterrorisme et la terreur d’une mort invisible sont de nouveaux éléments à ajouter à ce moyen de communication. L’évolution des usages de la lettre fait aussi évoluer sa conception. Au delà de la lettre de cachet qui vouait arbitrairement à la prison ou à la mort ceux à qui elle était envoyée, la lettre empoisonnée agit sans que celui qui la lit ne s’en rende compte. Et c’est cette invisibilité qui inquiète.
Cette pratique marginale de la rédaction entre dans le champ de réflexion des relations épistolaires.Heureusement, notre indifférence, plus ou moins prononcée, ne nous empêche pas de continuer à vivre.
Par ailleurs, les autorités et les médias n’évoquent ni le contenu des lettres envoyées ni le possible lien entre elles. Cela pourrait être remis en question. Les États-Unis sont ébranlés de toutes parts et les temps sont durs du côté de la superpuissance ; composée d’humains elle reste toujours mortelle. Enfin, le fameux Memento Mori nous rappelle que les liaisons dangereuses sont surtout celles que nous entretenons avec la mort.
 
Maxence Tauril

Société

Jacques a dit : prendre la parole libère

 
Rien ne peut autant illustrer le fameux droit à la liberté d’expression que l’interview d’un détenu. Christophe Khider, âgé de 41 ans, libérable en 2052 c’est-à-dire dans sa 80e année, clame dans le JDD son mépris pour l’incarcération, et ce depuis sa prison. L’évasion le taraude en permanence, avant tout comme un pied de nez à cette Justice injuste et sadique selon lui, qui préfère la mort lente des condamnations à rallonge plutôt que l’efficace peine de mort.
Quinze nouvelles années à l’ombre des miradors, voilà ce dont il écope jeudi, pour son évasion à l’explosif, en 2009, de la prison de Moulins. De l’interview, comme des divers portraits ébauchés dans la presse, ressortent les mêmes traits d’un caractère en acier trempé dans le fiel de la misère carcérale. Christophe Khider carbure à la détermination, et non plus à l’espoir. « Les gens qui vivent avec l’espoir se lestent d’un poids inutile. Pour les gens comme moi, il faut bien comprendre qu’on est comme en pleine mer, il n’y a pas de fond. Il faut battre des jambes en permanence. » De sorte que l’évasion ne devient plus le moyen de gagner sa liberté, mais une fin en soi.
Avant son évasion de 2009, Christophe Khider avait déjà trois tentatives à son actif. Il annonce à nouveau ne pas vouloir s’éterniser. Rien d’étonnant à cela. Tout l’intérêt de cette prise de parole est dans le défi de la peine infligée, dans l’assurance du futur, débarrassé du conditionnel, parce qu’il a pris du ferme. C’est du reste une parole plurielle, pour les autres. Elle dévoile les contours d’un lieu originellement exclu des regards. « Des évasions, il va y en avoir. Ça va exploser et il va y avoir des drames. J’entends des discours qui ont de quoi faire peur… Pas mal de mecs sont désespérés et sont prêts à passer à l’acte dans la violence. »
La prédiction d’une nouvelle cavale au sein de la presse n’est rien d’autre qu’une annonce publique résolue, et résolument publique. L’évasion commence par celle de la voix, celle des mots, transportés et publiés hors des murs. Ecrits noir sur blanc, ils se matérialisent dans un autre espace, médiatique, ouvert à tous. L’exact contraire de la prison.
Le JDD désamorce toute critique possible de la part du public, sur le droit ou non du détenu à pouvoir donner son avis, et le droit du journal à le recevoir, en annonçant : « Quel que soit le jugement que l’on porte sur lui, voici le récit brut d’une certaine réalité, de l’autre côté des barreaux… ». Le média se retourne sur lui-même, rappelle ce pourquoi il existe : donner la version « brute », non édulcorée de la réalité. Cependant si tout le monde a une voix, c’est bien l’espace médiatique qui la libère, la fait exister… ou bien la fait taire, en lui collant une étiquette dont elle ne peut plus se défaire. « Il y a eu les années de prison, rappelle Christophe Khider, mais aussi tout ce qu’il y avait autour. Mon image ne m’appartenait plus. Tout le monde – les journaux, la télé – m’a décrit comme un assassin. Tout de suite. » Cette image médiatique carcérale, il s’en évade ici d’une certaine manière, en prenant directement la parole.
 
Sibylle Rousselot
Sources

http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Khider-Je-vais-partir-c-est-evident-interview-603141

Société

La rumeur technologique

 

Mediapart et Libération se sont récemment entrechoqués en marge de l’affaire Cahuzac. Le premier reprochait au second d’avoir voulu générer de l’audience en relayant une rumeur ; rumeur selon laquelle Laurent Fabius aurait eu un compte à l’étranger. Mediapart a vertement critiqué son homologue papier pour ce manque flagrant de professionnalisme, et en vertu d’une déontologie journalistique.
On peut alors s’étonner, dans les médias plus spécialisés sur les nouvelles technologies, que la rumeur, bien loin d’être honnie, fournit massivement du contenu et génère une audience considérable.
Très nombreux sont les sites d’actualité qui, comme Zdnet, Cnet, Monwindowsphone, Macg, Frandroid, Consomac et bien d’autres relaient des rumeurs sur les produits à venir.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le travail que font quotidiennement les journalistes de ces différents sites, mais plutôt de s’interroger sur l’importance de la rumeur dans le marché des nouvelles technologies. Une importance telle que les journalistes hi-tech anticipent sur les faits et les informations. On ne compte plus le nombre d’articles qui débutent par « Une information à prendre avec des pincettes ».
Apple depuis plusieurs années, mais aussi Samsung plus récemment, font l’objet de rumeurs insistantes à l’approche de la sortie d’un nouvel appareil. On observe d’ores et déjà quantité de rumeurs circulant au sujet de l’iPhone 5S, comme il y en avait eu pour le Samsung Galaxy SIII et le Samsung Galaxy S4. On connaît bien la volonté de discrétion d’Apple, qui compte sur l’effet de surprise quand elle dévoile ses produits. Il devient alors facile d’envisager tout l’intérêt de la rumeur : information et non-information, elle simule une incursion derrière la barrière du secret érigée par l’entreprise. Recevoir cette information, c’est entrer dans un cercle de privilégiés, faire partie du petit nombre qui dispose avant tout le monde d’informations censées demeurer cachées.
Par le biais de la rumeur, l’entreprise technologique génère une attention médiatique gratuite : puisqu’il s’agit de rumeur, elle n’a aucune obligation de réaction, n’a aucune obligation d’être à la hauteur des innovations qu’on lui a prêtées. Sans engager ni sa réputation ni son image, et de surcroît à peu de frais, Samsung, Nokia, Google, Apple ou Microsoft attirent vers eux tous les regards.
Dans le cas de l’affaire Cahuzac, une rumeur est le degré zéro de l’information, la honte du journalisme professionnel, le signe d’une déontologie entachée et trop peu respectée. Dans le cas de l’iPhone, une rumeur est un outil aussi banal qu’efficace, aussi journalistique que commercial. Relayer la rumeur c’est se montrer toujours en pointe sur l’information, toujours aux premières loges. La rumeur est le support évident et incontournable d’une industrie technologique toujours en quête de vitesse et de surprise. La surprise fait partie de l’ADN de l’informatique : quand le monde change comme il a changé ces trente dernières années grâce aux ordinateurs et à Internet, quand chaque avancée semble un pas de géant, comment pourrait-il en être autrement ? On simule de toute part une révolution, un changement majeur, le prochain tournant décisif, ou, pour reprendre une phrase révélatrice de ce marketing irrésistible : « The Next big thing ».
Au-delà de la question journalistique, la rumeur fait partie de ce système construit tout entier autour de la révolution. Et quelle déception quand on n’assiste qu’à une « évolution » !
L’homme s’habitue à tout, même aux changements les plus radicaux, même aux bouleversements les plus extrêmes de son quotidien. Il est aujourd’hui à ce point habitué aux merveilles technologiques qui l’entourent, qui sont parfois de véritables bijoux d’inventivité, d’intelligence, d’esthétique, qu’il en oublie les extrêmes difficultés que l’on rencontre parfois en amont : il suffit de regarder un iMac aujourd’hui. Au-delà du traditionnel débat PC/Mac, au-delà des sensibilités au matériel ou au logiciel, c’est indéniablement une machine magnifique, résultats de dizaines d’années de travaux complexes, d’une rage de l’esthétique certaine aussi.
Mais l’on connaît aujourd’hui une terrible accoutumance, et la rumeur est là pour maintenir cette euphorie et cette émerveillement, empêcher à tout prix la banalisation trop rapide.
Et, c’est là une opinion strictement personnelle, ce n’est peut-être pas plus mal. Il est toujours bon de s’émerveiller de ces inventions extraordinaires qui bouleversent chaque jour un peu plus notre quotidien, qu’il s’agisse d’un téléphone, d’une tablette, d’un GPS, ou d’une « simple » clef USB…
S’émerveiller, oui, mais sans naïveté : la technologie est une chose formidable, fascinante autant qu’inquiétante. La regarder pour ce qu’elle est, un ouvrage extraordinaire, n’occulte pas les dérives qu’elle peut connaître et que j’incite chacun à surveiller.
 
Oscar Dassetto
Crédits photo : ©2008-2013 =Hades-O-Bannon

Culture

Versailles, plus voltairien que Voltaire ?

 
Voltaire n’a qu’à bien se tenir, « en 2013, Versailles cultive son jardin. »
La qualité Le Nôtre
S’il était encore vivant, André Le Nôtre fêterait cette année son quatre-centième anniversaire, battant ainsi au passage tous les records de longévité. Mais le créateur des jardins du Château de Versailles-a-t-il jamais cessé de vivre ? Les siècles n’ont pas altéré la renommée de celui qui a poussé au plus haut l’art du « jardin à la française ».
Le Château de Versailles a donc décidé de lui rendre hommage en faisant de 2013 l’«année Le Nôtre ».  L’occasion de mettre en lumière l’œuvre  de cet architecte et paysagiste de génie, également fin collectionneur d’art et confident de Louis XIV. Des expositions, restaurations, événements et spectacles sont prévus tout au long de l’année sur l’ancien domaine royal.
Le vert saillant
« L’année Le Nôtre », c’est tout l’objet de la nouvelle campagne d’affichage qui a été lancée en mars 2013 par le Château de Versailles. Sur les visuels, le château s’efface au profit des jardins verdoyants mis en lumière sous un ciel estival. Et dans ce décor champêtre, les statues à l’antique reprennent vie, presque à la façon de la Vénus d’Ille fantasmée en son temps par Prosper Mérimée.
Cette mise sous silence du château sur les affiches n’est pas anodine : elle donne à appréhender le lieu d’une façon différente et originale.
En effet, à travers les perspectives de ses jardins à la française, Versailles se donne finalement avec plus de profondeur et de poésie que jamais. Loin des dorures des intérieurs et de la Galerie des Glaces (victimes malgré elles de leur « débris d’aura »[1]) c’est un appel à la verdure, à la contemplation des paysages, et à la réflexion qui est ici lancé au visiteur.
« Et si la véritable beauté du lieu résidait ailleurs que dans les fastueux salons du Château ? » semble nous interroger cette affiche, avec un petit sourire en coin. (Si tant est qu’une affiche puisse sourire !)
Avec la représentation des statues en action dans le jardin, c’est comme si tout le patrimoine et le passé de Versailles reprenaient vie, s’actualisaient, et se mettaient à l’ouvrage pour s’offrir au visiteur sous un  jour nouveau, inattendu et inédit. Le passé renouerait donc avec le présent pour se construire un nouvel avenir.
« En 2013, Versailles cultive son jardin »
Mais le plus marquant sur les affiches reste sans doute  cette formule : «  En 2013, Versailles cultive son jardin ». Au-delà de l’humour, comment ne pas y voir un clin d’œil à la dernière phrase de Candide,  par laquelle le héros éponyme conclut toutes ses (més)aventures en déclarant  qu’« il faut cultiver notre jardin »?
A ce petit jeu, il semble que le Château – pourtant symbole emblématique d’une monarchie absolue critiquée en leur temps par les philosophes des Lumières – se montre paradoxalement plus voltairien que Voltaire en 2013.
En effet, en cette « année Le Nôtre », Versailles ne se contente pas de retravailler (cultiver) au sens propre son (ou plutôt ses) jardin(s),  et de vouloir nous (cultiver) apporter un éclairage nouveau sur son histoire et son patrimoine. Non !
C’est à une remise en question bien plus profonde que le Château de Versailles nous invite sans doute si nous daignons l’écouter : au-delà l’éclat de ce qui brille, ne serait-ce pas finalement dans l’expérience pure et simple d’un « jardin », où l’homme renoue contact avec la (sa) nature, que serait à chercher la véritable beauté ?
L’historien Pierre Gaxotte avait déjà décrit cette vocation élévatrice propre au Château de Versailles, dès 1958 :
« Union de la civilisation antique et de la civilisation moderne, symbole d’humanisme, modèle d’art de vivre, Versailles représente ce qu’il y a de plus universel dans notre patrimoine. Il ravit les sens. Il comble l’esprit. Il ennoblit les âmes qui veulent bien écouter sa leçon. »
Ses quelques mots valent bien tous les articles que je pourrais écrire à ce sujet.
 
Grégoire Noetinger
Sources et références :
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Franck Ferrand, Versailles après les rois.
Marie Peigné, Olivia Traub, Hugo Sénécat, Benjamin Gastaud, et Grégoire Noetinger, tutorés par M.Olivier AÏM,  Enquête de terrain sur « Le château de Versailles »
Pour plus d’informations, consulter le site internet du Château de Versailles.

 

[1] Pour Walter Benjamin, une œuvre bénéficie pleinement de son aura lorsqu’elle est saisie dans son contexte (spatial, temporel, etc.). C’est alors qu’elle s’exprime dans sa toute puissance. Mais lorsqu’elle est extirpée de son contexte, et ce d’autant plus à l’heure de la « reproductibilité technique», une œuvre ne jouit plus que d’une aura affaiblie, ou débris d’aura, qui peut s’exprimer notamment à travers l’expérience du kitsch. (Pensons notamment à la Galerie des Glaces, utilisée récemment dans le jeu « Château de Versailles » de la Française des Jeux)

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