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Com' pour tous, tous pour un

 

C’est le sujet qui fait le quotidien des Français depuis quelques mois : l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, dont le texte a été voté à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Les pro et les anti (sous les appellations très similaires de « Mariage pour tous » et « Manif pour tous », au point que parfois, on pourrait les confondre) sont plus que jamais mobilisés pour défendre leurs positions. Dimanche 21 avril encore, les manifestants opposés au projet de loi étaient entre 45 000 (selon les estimations des autorités) et 270 000 (d’après les manifestants) à battre le pavé dans les rues de la capitale. D’autres mobilisations sont prévues, notamment le 5 mai.

C’est néanmoins avec beaucoup d’étonnement qu’on a pu voir une France en colère, venue en famille, défiler dans la rue contre le projet du gouvernement, criant « Hollande, démission !» allant même jusqu’à forcer les grilles de l’Assemblée Nationale. Le mouvement, dont la communication est infiniment bien rodée et qui bénéficie de l’image et de la médiagénie de Frigide Barjot, personnage devenu emblématique, a cependant dépassé le simple cadre de contestation du projet de loi : récupération politique, débordements, escarmouches à l’Assemblée Nationale, radicalisation…Chacun reprend le mouvement pour son compte et mitonne sa propre recette communicationnelle, au risque donc de brouiller les pistes et d’alimenter un sujet qui passionne le pays, mais qui divise les Français. En effet, ceux-ci sont d’autant plus sensibles à la réponse apportée aux problèmes économiques et sociaux latents que c’est en partie la conséquence de ce raz-de-bol généralisé qui a hissé la gauche au pouvoir. Retour sur quatre actes de cette tragédie 2.0.

1ère épisode : Frigide Bardot, trublion engagé ou redoutable communicante ?

 Dans un très bon article du Plus du Nouvel Observateur, Philippe Moreau Chevrolet décrit Frigide Barjot avant tout comme « une amuseuse publique qui cultive son réseau ». Mais elle est aussi une communicante politique aguerrie, militante du RPR déjà engagée à l’époque où elle chantait dans le groupe humoristique « Jalons », avec son compagnon Basile de Koch, frère de Karl Zéro. Philippe Moreau Chevrolet souligne d’ailleurs qu’elle a gagné la bataille médiatique là où de nombreux conservateurs de droite ont fini au rang de personnages ringards et décrépis : « Frigide Barjot a mieux compris que Christine Boutin, Philippe De Villiers ou autres figures ringardisées de la politique française, comment fonctionnait le système médiatique. Elle se rapproche davantage, par sa gouaille et sa capacité à se forger un personnage, de figures comme Nadine Morano ou Marine Le Pen. » L’auteur souligne en ce sens la propension de Frigide Barjot à avoir recours à ce qu’on appelle l’infotainment, en mâtinant ses saillies politiques d’humour, à l’image de ce fameux slogan de la Manif’ Pour Tous : « Y’a pas d’ovules dans les testicules ».

2ème épisode : Le Printemps Français, entre mobilisation et radicalisation

Après les nombreux rassemblements qui ont eu lieu depuis le 17 novembre, des scissions ont pu apparaître dans le rang des opposants, et ceci s’est très bien vu le 24 mars. En effet, un groupe de manifestants a décidé de passer au-delà des consignes préfectorales en voulant investir les Champs Elysées. En marge des militants trop « bisounours » derrière Frigide Barjot, ceux que l’on considère comme une agrégation de mouvements disparates sous le label « Printemps Français » se sont lassés des simples marches officielles et ont cherché à multiplier les opérations de type « happening », plus marquantes, mais aussi plus violentes. Élus socialistes chahutés, local d’association LGBT vandalisé, activisme forcené sur les réseaux sociaux : ce sont eux. C’est bien parce que leur matraquage communicationnel est efficace que le mouvement a pris autant d’ampleur : en reprenant des codes soixante-huitards (une initiative déjà repérée dans les campagnes d’affichesde la Manif Pour Tous) voire même de gauche (le poing levé et le slogan « on ne lâche rien », à un mot près celui utilisé par le Front de Gauche). Selon Jean-Yves Camus, politologue, la récupération des symboles de la gauche s’inscrit pleinement dans une stratégie communicationnelle :

« Le mouvement tente de dépasser le clivage droite/gauche pour éviter de se restreindre au peuple de droite. Il utilise donc des symboles audibles, réutilisables, pour faire de son combat une question de société et positiver le mouvement en faisant appel aux valeurs humanistes. (…) En France, quand on veut gagner un capital de sympathie auprès du public, on utilise des symboles de gauche. (…) Le Printemps français veut acquérir une image de modération et de non-conformisme, et le premier code de la gauche, c’est la manifestation.  »

Ce que confirme Thomas Guénolé, politologue lui aussi et maître de conférences à Sciences Po : « Ce qu’il y a de bizarre avec ce mouvement, c’est qu’il y a une vraie démarche de communication visuelle qui ne se soucie pas de la cohérence. On est dans l’émotionnel. Le message en lui-même n’est pas rationnel, mais la cohérence émotionnelle est là. »

En recyclant de tels codes ancrés dans l’imaginaire français comme celui de la contestation (légitime), le Printemps Français cherche donc à éviter la stigmatisation. Petit bémol : les composantes, disparates comme nous l’avons dit précédemment, de ce mouvement ne sont pas aussi modérées que le laisse entendre Béatrice Bourges, l’égérie du mouvement. Parmi elles, on retrouve des associations catholiques extrêmes, comme le Renouveau Français ou Civitas, mais aussi des groupuscules d’extrême-droite à l’instar du GUD, des Jeunesses Nationalistes ou du Bloc Identitaire qui donnent donc du fil à retordre aux dirigeants du mouvement en terme d’image auprès de l’opinion publique.

3ème épisode : « Ils ont gazé nos enfants » ou le bienfait des chaînes d’info en continu

Le 24 mars, les manifestants contre le mariage gay n’ont pas le droit de pénétrer sur l’avenue des Champs-Elysées mais ces images, mises en ligne sur Internet, montrent de manière accablante le comportement provocateur, agressif voire irresponsable – je pense au monsieur qui, prenant son enfant sur ses épaules, hurle « On va mettre les enfants devant ! » – de certains individus énervés.


Bruno Roger-Petit souligne dans son article le fossé qui existe entre la réalité des images et des comportements, et le discours que les organisateurs, les manifestants et les politiques de droite ont tenu contre l’État et le gouvernement par la suite. En regardant la vidéo, on s’aperçoit très bien que les manifestants sont en situation de provocation délibérée des forces de police, se rendant dans des zones qui leur sont interdites ; la police réagit certes, mais en ciblant les individus excités et en les gazant à l’aérosol. Les chaînes d’info en continu, répétant inlassablement les mêmes images d’un manifestant excédé hurlant « Mais pourquoi vous nous gazez ? », ont ainsi fait la lie de la récupération politique. Dans cette bataille du 24 mars, c’est évidemment Frigide Barjot et ses acolytes qui gagnent sur le terrain de la communication, car en adoptant une position froide et technique, le gouvernement a parfaitement alimenté le discours du mouvement, qui joue sur l’émotion. Cela laissait donc un boulevard si ce n’est une autoroute aux personnalités de l’UMP, qui n’ont évidemment pas raté le coche, de Jean-François Copé, en passant par Laurent Wauquiez, aux députés Philippe Meunier et Philippe Cochet :

Article Manif pour tous

4ème épisode : Cendrillon a perdu sa ballerine

La nuit du 18 au 19 mars 2013 restera certainement dans les mémoires : cette nuit d’échauffourées à l’Assemblée (où une malheureuse huissière a fini par écoper d’un malencontreux coup), où des députés épuisés et survoltés s’écharpaient une dernière fois sur le texte ouvrant le mariage aux couples de même sexe est aussi la nuit où la politique communicationnelle (par opposition à la politique politicienne) s’est dévoilée sans ambages. On connaissait le flacon d’anthrax de Colin Powell brandi à l’époque en pleine séance de l’ONU, ou de la bible de Christine Boutin pendant le PACS. La ballerine (qui appartenait en fait à une jeune militante de l’UDI), brandie comme un trophée de guerre, est pour Philippe Meunier (qui semble découvrir que les CRS sont en fait garants de l’ordre public et peuvent, éventuellement, ne pas être très gentils avec les manifestants) le symbole d’un État qui lance des CRS casqués sur des jeunes filles pacifiques et sans défense.


La ballerine qui a mis le feu à l’Assemblée… par lemondefr

On peut donc se demander quel sera l’avenir de ce mouvement, alors qu’aujourd’hui la loi a bel et bien été votée. Frigide Barjot annonçait déjà il y a quelques jours qu’elle comptait maintenir une dynamique jusqu’aux municipales (dans plus d’un an tout de même) et faire ainsi de son mouvement un phénomène politique à part entière. Une petite épine dans le pied de la droite française, qui au FN comme à l’UMP, ont tant bien que mal essayé de se positionner et de surfer sur la vague communicationnelle de toute cette affaire. Le sujet du mariage pour tous a en effet ouvert une brèche dans la société française, qui l’a rendue beaucoup plus perméable au discours politique. C’est au détriment cependant d’autres préoccupations de l’opinion publique, qui se cristallisent aujourd’hui en dangereuses frustrations.

Laura Garnier

Sources :

La manif pour tous, une opération de com réussie

http://babelon.babel31.com/la-manif-pour-tous-une-operation-de-communication-reussie/

Manif pour tous : gaz lacrymo, images choc et une victoire pour Frigide Barjot sur Le Plus du Nouvel Observateur

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/805559-manif-pour-tous-gaz-lacrymo-images-choc-et-une-victoire-pour-frigide-barjot.html

Violence à la manif pour tous : des réactions démesurées à l’UMP, la preuve en image sur Le Plus du Nouvel Observateur

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/805336-violence-a-la-manif-pour-tous-des-reactions-demesurees-a-l-ump-la-preuve-en-images.html

Frigide Barjot à l’Elysée : une redoutable femme politique à la com’ bien huilée sur Le Plus du Nouvel Observateur

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/768440-frigide-barjot-a-l-elysee-une-redoutable-femme-politique-a-la-com-bien-huilee.html

Qui se cache derrière le printemps français ? Sur Libération

http://www.liberation.fr/societe/2013/04/13/qui-se-cache-derriere-le-label-printemps-francais_895764

Le printemps français et le symbolisme de gauche sur Slate

http://www.slate.fr/story/71511/printemps-francais-symbole

Mariage pour tous : une ballerine met le feu à l’Assemblée sur Le Monde

http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/04/19/nouvelle-manifestation-anti-mariage-pour-tous_3162599_3224.html

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