Publicité et marketing

Sephora – Rayonescence

 
Rayonescence, fascinance, bombassitude et glamourisme, attractionnisme ou sublimitude.
Autant de néologismes que vous avez eu l’occasion de voir ces derniers temps avec la dernière campagne Sephora. Que ces barbarismes agacent, amusent ou étonnent, ils ne laissent pas indifférents et suscitent de vives réactions, aussi bien élogieuses que critiques.
Alors, « massacre de la langue française » ou créativité audacieuse ?
Néologismes barbares ?
Sephora invente un nouveau « langage de la beauté » avec six visuels pour le moins étonnants. « Glamourisme » remplace le trop édulcoré « glamourous », « bombassitude » peut évoquer le pendant féminin de la « bogossitude ». Tous les termes employés font référence à l’univers de la beauté et de la séduction. Regardons d’un peu plus près l’étymologie de ces néologismes pour tenter de comprendre le message que cherche à faire passer la marque. Les mots en « -isme » connotent la scientificité, ils font généralement référence à un dogme ou une idéologie (« Attractionisme », « glamourisme »). D’après le dictionnaire, le suffixe « -itude » est utilisé pour créer des mots impliquant l’idée d’une revendication ou d’une attitude (« bombassitude », « sublimitude »).

Le suffixe en « -ence » quant à lui se réfère au domaine de l’action (« fascinance », « rayonescence »). Il semblerait donc que Sephora donne ici une définition bien précise de la beauté, vue comme une manière d’être – voire comme une qualité morale. Il s’agit presque d’une revendication, qui a trait au domaine de l’action.
Cette provocation langagière a déclenché une vague de réactions critiques face à ces « atteintes à la langue française ». De fait, les français restent globalement attachés à leur langue et se montrent plutôt conservateurs lorsqu’il s’agit d’y toucher. Parmi les nombreuses critiques, on peut lire celle d’un certain NIKKO, qui écrit sur un blog : « Dommage, la méconnaissance de la langue par nos publicitaires conduit à la création de ces formes aussi barbares que ridicules ! » (17/02/2013). On peut aussi relever l’indignation de la rédactrice de « La plume à poil » qui s’insurge contre ces barbarismes et conclut avec perplexité : « Mais où vont-ils chercher tout ça ? »
Psychédélique !

Sephora innove, donc, et ses barbarismes inédits font parler d’eux. Mais au-delà de la critique facile, reconnaissons la créativité de la campagne, qui à mon sens a d’abord le mérite d’être surprenante. En effet, elle se situe en rupture avec l’univers très codé de la beauté, généralement lisse et figé. Ici, c’est une explosion de couleurs et de formes qui attirent le regard. D’après Florence Bellisson, directrice de création de BETC, l’ambition de la campagne est de retranscrire à travers les visuels l’expérience en magasin, celle-ci ayant construit le succès de la marque. Elle se différencie de ses concurrents dans la mesure où dans les magasins, la cliente a la liberté d’essayer les produits, qu’elle peut toucher, tester et sentir elle-même. C’est ce que la mise en abîme cherche à retranscrire : une expérience tactile, euphorisante, un sentiment d’excitation, ou du moins d’effervescence lorsqu’on pénètre dans ce temple de la beauté. D’après l’annonceur, l’expérience que vivent les femmes lorsqu’elles entrent dans un magasin Sephora est « si particulière, si difficile à décrire que BETC a choisi d’inventer un nouveau langage visuel et verbal ». Malgré tout, si Sephora regroupe un grand nombre de marques de beauté, elle n’est pas vraiment considérée elle-même comme une marque à part entière par les consommateurs. Le but à travers cette campagne est donc de créer une personnalité et un univers propres à l’univers Sephora.
La beauté à l’honneur
Les effets de mise en abîme mettent l’accent sur des regards scrutateurs et intenses. Ce procédé tend à créer un effet captivant et une perte de repères chez le spectateur. Ici, ce sont des plans serrés exhibant des visages de femmes de diverses origines, maquillés (peints) avec art et originalité. Hypnotiques, vertigineux, ces visages happent le regard et captent l’attention du promeneur distrait. Ils ne sont pas sans évoquer un univers mystérieux, celui d’une magie mêlant langage crypté et techniques artistiques. La beauté devient un jeu où chaque femme peut exprimer sa créativité propre, contre les diktats imposés.

Résolument festive, la campagne de Sephora propose donc une approche créative de la beauté. Qu’elle soit critiquée ou appréciée, elle attire les regards et fait parler d’elle. Face aux critiques des puristes linguistiques, apprécions l’originalité de visuels déroutants qui proposent une relation décomplexée à la beauté. La provocation des barbarismes pourrait même avoir un effet marketing positif et se transformer en un code fédérateur pour les clientes, une sorte de « dictionnaire » Sephora. La campagne surfe sur la tendance de l’hyperféminité, féministe et futuriste. Colorée et fantaisiste, elle propose une vision exubérante de la beauté qui apporte un souffle nouveau aux codes figés traditionnels.
 
Clara de Sorbay
Sources :
Laplumeapoil.com
E-marketing.fr
Darkplanneur.com
Archéologie du futur et du quotidien

Société

« L'oxygène est un vieux souvenir, Mes poumons, touche si tu oses ! »*

 
Dans la lutte anti-tabac, les pays ne manquent pas d’originalité et les campagnes de santé publique se multiplient et tentent de se surpasser les unes et les autres. Cependant, ces dernières années, un nouvel élément a créé le changement. En première ligne, il y a le traitement du « choc », désormais acteur principal de la communication autour de la méchante cigarette. Si les publicités en faveur du tabagisme sont censurées sur tous les médias depuis les années 90, tous les efforts se concentrent aujourd’hui sur des campagnes contre la cigarette, l’ennemi public n°1.
A travers le monde, la recherche de créativité et d’innovation des messages anti-tabac se fait de plus en plus vive, et toujours sur cette même tendance : choquer pour mieux régner.
Rendre le packaging le moins glamour possible… Check !
L’une des premières mesures marquantes semble être le concours du gore sur les paquets de cigarettes eux-mêmes. La photo choquante est donc de mise, de la Thaïlande au Brésil, en passant par Singapour ou même les États-Unis.
L’objectif ? Rendre le paquet repoussant, voire honteux, face à une industrie du tabac qui semble utiliser le paquet lui-même comme un outil promotionnel et glamour pour séduire le public, et le plus jeune possible.
Les conséquences ? Il semblerait que ces images soient relativement efficaces par rapport aux anciens messages purement textuels. Elles attirent l’attention et montrent de manière plus immédiate les conséquences physiques du tabagisme. Voir ce à quoi l’on a échappé en arrêtant de fumer serait donc l’une des solutions. Cette idée réside dans le discours même des professionnels de la lutte contre le tabagisme ; on y observe un rejet du terme « choc » pour présenter ces images comme « informations sur les complications pour la santé liées à la consommation de tabac ». Vraiment ? Parce que lorsque l’on regarde réellement ces photos, le choc est bien là et donne légèrement envie de laisser le paquet dans son sac…
Le jeu sur l’émotion… C’est en Thaïlande !
Face au gore, nous avons une toute autre ligne de conduite : l’émotion. Le traitement du choc s’insère donc aussi dans une logique quasi manipulatrice qui exploite l’émotivité de nos chers fumeurs pour les amadouer et les faire arrêter.
Le meilleur outil ? Les enfants ! Quoi de mieux qu’une bouille enfantine pour crier au malheur de la cigarette et participer à la prise de conscience des effets nocifs ? La vérité sort toujours de la bouche des enfants, ne l’oublions pas !
Une vidéo thaïlandaise illustre tout à fait ce propos en mettant en scène deux éléments plutôt efficaces dans l’impact du message : ces fameux enfants plus responsables qu’on ne le croit et l’aspect caméra cachée pour saisir les réactions au naturel. La fondation Ogilvy Thailand est à l’origine de cet émouvant spot publicitaire et c’est un véritable succès sur la toile :

La Palme du politiquement incorrect… La censored French touch !
Si nous continuons notre petit tour du monde, c’est en France qu’il faut s’arrêter ! En effet, en matière de flirt avec les limites du message communicationnel, il semble falloir mentionner la campagne française « Fumer, c’est être l’esclave du tabac » et sa fumeuse association.

Ici, l’addiction à la cigarette est comparée à une soumission sexuelle dans un message confus, voire abusif. Cette campagne de la DNF (l’association Droit des Non-Fumeurs) réalisée par BBDP & Fils choque pour toucher les adolescents, de plus en plus nombreux à commencer à fumer. Hautement critiquée, cette affiche soulève de nombreux débats. Les associations de victimes de sévices sexuels crient au scandale et ces images seront quasiment censurées. Cependant, cette fois-ci, on l’assume : « Les adolescents sont soumis à près de 2000 messages publicitaires par jour et les visuels « chocs » sont les seuls moyens de capter leur attention. » déclare la DNF, fière de son traitement du borderline.
« Sexe, clope et pub : le mauvais ménage à trois » chez Marianne 2 ; « Pub anti-clope : ça taille sévère » chez Libération ou encore « La nouvelle campagne contre la clope casse sa pipe » sur France Info… Les médias s’en sont donnés à cœur joie sur ce politiquement incorrect français.
Néanmoins, il faut aussi féliciter la French Touch pour le spot publicitaire qui accompagne ces affiches et qui fait preuve d’une intelligence et d’un message de qualité. Je vous laisse apprécier :

Et la palme d’or du gore revient aux… British !
Les Anglais sont bel et bien les rois du choc efficace ! Depuis quelques années, ils se sont réellement penchés sur cette question du tabagisme comme fléau social de notre siècle et ont tenté d’œuvrer pour une réduction massive du nombre de fumeurs dans leur pays.
En 2005 notamment, trois institutions se sont rassemblées pour créer une nouvelle campagne : la British Heart Foundation, Cancer Research UK et National Health Service. Ils se sont alors posés une question juste et pertinente : « comment délivrer de manière efficace un message dans un monde où le choquant ne choque finalement plus ? »
En jouant sur les témoignages et le visuel, les campagnes qui ont découlé de cet effort ont réussi sur plusieurs points intéressants. Les malades ont été présentés comme les miroirs des fumeurs, comme le reflet de ce qu’ils pourraient être. Un lien a été créé entre l’image de la maladie et la cigarette elle-même. Enfin, en assumant totalement l’exploitation des ressources de l’émotion, les enfants ont été montrés comme la cible principale du tabagisme passif. Néanmoins, il faut tout de même souligner que ce fut un véritable succès : pendant la campagne, près de 225 000 fumeurs ont demandé de l’aide pour arrêter.
Parmi la grande série de spots publicitaires qui sont nés de cette première initiative, en voici les deux plus marquantes : attention, âmes sensibles s’abstenir !
La graisse dans les artères, ou « the fatty cigarette » :

Les caillots dans le sang, ou la campagne « Under my skin » :

En 2012, les Anglais reviennent en force avec leur nouveau spot qui montre de manière explicite les mutations qui se produisent toutes les 15 cigarettes et susceptible d’engendrer un cancer. Le gore est en première ligne et semble presque jurer avec la pudeur anglaise tant réputée.

De nombreux éléments sont donc exploités à travers ces campagnes : le gore, le choc, l’émotion, le côté réel du témoignage, les effets sur les enfants et le flirt avec le politiquement incorrect… Tout ! Les Anglais semblent prêts à tout pour lutter contre le Mal du siècle, la cigarette.
Et si vous avez envie de voir encore plus d’exemples, je vous invite à aller lire l’article d’un collègue du Celsa sur son site Advertising Times.
* M, Je suis une cigarette
 
Laura Lalvée
Sources :
Rue89
Atlantico
Publigeekaire.com
The Advertising Times

Politique

Jacques a dit : les marques, nos futurs représentants politiques ?

 
Les affiches humoristiques de Virgin Mobile reprenant le scandale de l’exil fiscal de Depardieu ont été particulièrement remarquées. Mais au delà du simple buzz, cette affaire, comme la question du mariage pour tous, fut l’occasion en France pour certaines marques de s’insérer dans le débat public, que ce soit par des pointes d’humour ou dans le cadre d’une vraie prise de position. Cette nouvelle tendance est révélatrice d’un tournant pour les marques, qui pourraient bien devenir de véritables acteurs publics… Tentative de décryptage.
 
Des marques identitaires pour plus de légitimité
Pour séduire des consommateurs freinés par un contexte économique difficile (une étude Insee indique une baisse de 0,2% de la consommation des ménages en 2012, une tendance qui semble se poursuivre sur 2013), les marques jouent en effet toujours davantage sur l’aspect identitaire qu’elles apportent. On observe donc de nombreux phénomènes de dépublicitarisation (voir l’interview de Caroline de Montetypar Effeuillage) avec notamment l’essor du brand content et la place de plus en plus importante d’une vraie stratégie sur les réseaux sociaux. Les marques se font de plus en plus actrices de leur histoire et de leur image, et le « storymaking » viendrait même à remplacer le storytelling : les marques ne se contentent plus de raconter une histoire mais la construisent de toute pièce, en utilisant par exemple le sponsoring personnel.
Des marques engagées aux côtés de leur communauté
Toutes ces activités des marques leur donnent donc un nouveau rôle de plus en plus actif dans la société. D’autant plus que grâce aux réseaux sociaux, elles fédèrent et animent des communautés dont elles peuvent obtenir des données très précises. Et l’interaction facilitée par ces réseaux leur permet de recueillir les avis et réactions de cette communauté bien identifiée sur les sujets qui les touchent. Cela irait même dans le sens d’une certaine démocratie participative. Par exemple sur Facebook de nombreux votes sont proposés aux internautes, qui peuvent ainsi exprimer un avis sur des sujets liés directement à la marque (tel que le choix d’un nouveau logo) mais également sur des préoccupations de leur vie de tous les jours. C’est une proximité que les citoyens ne retrouvent plus avec leurs représentants politiques.
Et afin de conserver cette identité, il est important pour les marques de réagir à ces intérêts afin de conserver cette proximité avec leurs consommateurs. Dès lors, le pas est vite franchi vers un vrai engagement de ces marques face aux problématiques qui touchent leur communauté. L’exemple récent le plus marquant fut l’engagement de nombreuses marques en faveur du mariage pour tous.
Une responsabilité publique et sociétale ?

 
Les marques seraient-elles peu à peu investies d’une responsabilité ? La lettre adressée à Arnaud Montebourg par le PDG de Coca-Cola France Tristan Farabet est révélatrice d’un vrai tournant emprunté ces dernières années par les marques. Il écrit le 21 février dernier : « Profondément convaincus de l’intérêt, de l’opportunité mais aussi de la responsabilité sociétale qu’implique le fait de produire en France, nous souhaitons aujourd’hui participer encore plus activement à la promotion de l’attractivité du territoire français auprès des entreprises étrangères ». Cette lettre ouverte, diffusée largement dans les médias, tend donc à placer Coca-Cola comme un vrai acteur public, attaché à la France et impliqué dans son développement. La prise de position médiatique de l’entreprise rejaillit directement sur l’image de la marque.
Ainsi, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), qui demande aux entreprises de prendre en compte des préoccupations de type social, économique et environnemental dans leurs activités est devenu au-delà d’une obligation ou d’un simple objet de communication, un vrai enjeu stratégique pour les marques elles-mêmes. En effet, dans un article sur Influencia.net début 2012 intitulé Quand les marques deviennent des acteurs politiques, Alain Renaudin explique que « les marques […] ont plus que jamais des responsabilités publiques et politiques en tant que parties prenantes totalement intégrées et co-responsables de nos enjeux de société ». Et cela aurait notamment pour raison le désaveu des personnalités et mouvements politiques.
En fédérant une communauté autour d’elle, dont elle recueille les avis et les intérêts, les marques deviendraient-elles petit à petit mieux placées que les politiques pour représenter les citoyens ? La question se pose alors de la frontière entre stratégie marketing et réel engagement…
Judicaëlle Moussier

Politique

Moniteur d'une nouvelle féminité ?

 
Ecrire un article sur la vision de la femme dans le monde de la publicité comporte souvent deux risques : être trop féministe, à l’image des clichés actuels, jambes poilues et glaviots à la bouche, ou bien être machiste, plutôt version vernis à ongle et mise en pli pour aller au McDo. Mais il est souvent difficile de résister à l’appel des carottes que l’on tend aux ânes que nous sommes.
Pourtant, il n’a pas fallu grand chose. En fait, seulement deux pubs m’ont poussée à comprendre comment la femme était aujourd’hui vue et comment elle-même se voyait. La première, celle de Kärcher, met une jolie famille en scène, un homme, une femme, deux ravissants bambins. Le bon père de famille occupe ses enfants, tandis que l’adorable ménagère, et néanmoins épouse et mère, nettoie le sol avec le nouvel appareil Kärcher. Ne faisons pas les difficiles, il aurait été délicat de faire tenir le manche aux deux époux, mais tout de même – surtout que la félicité du couple tient à leur sol propre et à ce que leurs enfants puissent manger des cookies à même le sol.
Mais c’est surtout une autre publicité, nettement plus ambiguë pour la condition féminine, qui a attiré mon attention. Clearblue lance un nouveau produit, délicieusement appelé « moniteur de contraception ». Le nom en lui-même est tout à fait trompeur, car il ne s’agit absolument pas d’une méthode contraceptive. La petite machine de Clearblue est en fait un test d’urine que la femme peut faire chez elle et qui lui indique son taux d’hormones, lié aux chances de tomber enceinte. Si le test indique rouge, elle est dans la période de son cycle où les chances de tomber enceinte sont grandes. Si le résultat est vert, au contraire, celles-ci sont moindres. Donc rien à voir avec la contraception, il ne s’agit en fait qu’un outil pratique pour les femmes un peu tête en l’air, qui ne comptent pas les jours de leur cycle comme on le leur a pourtant appris à l’école ou celles qui ne souhaitent pas prendre la pilule.
Pas de mauvaise foi, Clearblue indique sur la page de son site web, un peu tard certes, que la fiabilité de l’appareil est de 94%, que la petite bête ne protège pas des MST et n’empêche pas de tomber enceinte. Mais revenons à nos moutons, c’est à dire à notre femme test, imaginée dans la publicité de Clearblue, utilisatrice du moniteur de contraception. Revenons aux symboles du rouge et du vert. Revenons à ce que signifie cette invention pour la condition féminine.
Le vert indique clairement que le bon moment pour faire l’amour est celui où l’on ne risque pas trop de tomber enceinte. Un parti pris qui va complètement à rebours de la politique de Clearblue, marque plutôt accoutumée aux tests de grossesse ou de fertilité. Une marque utile donc aux femmes qui espèrent fonder une famille, pas à celles qui cherchent à l’éviter. A quoi est dû ce revirement ? Changement de cible marketing ou changement des envies de la femme ?
Le fait que la femme ait des rapports sexuels en dehors d’une logique de reproduction et pour son propre plaisir est aujourd’hui de plus en plus admise, notamment depuis l’arrivée de la loi Veil, depuis l’apparition de la pilule et celle plus ancienne du préservatif. Elle n’est pas acceptée dans tous les milieux, mais concerne tout de même une majorité de femmes. Jusque là, donc, pas de problème pour le féminisme. Mais la publicité télévisuelle, introuvable pour l’instant sur le net, que propose Clearblue fait grincer des dents. Bien sûr, je ne peux parler que de mes souvenirs, mais il me semble que la jeune femme ayant utilisé le moniteur de contraception sourit à la fin de la publicité à son jeune amant pour lui dire d’un air mutin que c’est bon, c’est vert ; sous-entendu « aujourd’hui, portes ouvertes au sexe sans conséquences mon chéri ».
Là se trouve le malaise. Peut-on vraiment donner cette image à la femme, aux relations sexuelles et à la contraception ? Je n’arrive pas à trancher. Outre le mauvais goût de l’aspect code de la route du rouge/vert, les deux couleurs établissent inconsciemment un nouveau système de valeur. Le test signale rouge, tomber enceinte devient donc quelque chose de mauvais, de négatif. Il indique une jolie couleur verte, le sexe sans conséquences (à 94% de probabilité) est positif, plus en tout cas que les relations sexuelles « fructueuses ». La gamme de produit relativement large de Clearblue permet de contrebalancer l’image transmise par la publicité, celle d’une femme sujet sexuel, loin de la future mère de famille à laquelle renvoient celles des tests de grossesse. Mais tout de même, le malaise subsiste, peut-être à cause d’une certaine mécanisation du désir et du plaisir sexuel, du manque de spontanéité que suggère l’utilisation d’un test d’urine avant les rapports intimes. Ou peut-être est-ce parce que l’homme devient peu à peu objet sexuel de la femme, contrairement aux conceptions tenaces et ancestrales ? Qui sait…
 
Noémie Sanquer
Sources :
Clearblue

Société

Hugo Chavez : le deuil inavouable

 
Le Venezuela fut en deuil une semaine durant. Une semaine pour se remémorer d’un homme devenu symbole, puis parti politique. Une semaine pour faire le deuil d’un homme et d’un idéal. Pour la grande majorité des vénézuéliens, ce décès se doit d’être commémoré afin ne pas oublier ce qu’était le courage politique, ce qu’était leur vision de la politique.
 
Mouton noir et loup blanc
Cependant, focalisons-nous ici sur le traitement de l’annonce du décès par les différents média. Le deuil se doit d’être respecté par le journaliste, le défunt semble devoir être considéré, coûte que coûte. L’annonce du média ne prendra pas de position politique mais tentera plutôt de mettre en lumière la complexité du traitement de l’action politique et de la difficulté de dresser le bilan d’un homme de façon aussi rapide.
Quelle belle hypocrisie que celle-ci ! Les lecteurs et les spectateurs n’ont-ils pas de mémoire ? Un homme, décrit comme un loup agressif, moralisateur, violent et sanguinaire durant tout son règne est devenu, le jour de sa mort, le symbole de l’Argentine moderne, l’homme qui a su donner au pauvre et qui a su rediriger les bénéfices du pétrole. Le mort est sacré, la figure du défunt est lavée de tout soupçon, son souvenir reconsidéré. Peut-on enterrer un homme avec de la haine ? Slate.fr a rapidement enlevé de sa première page l’article faisant le bilan économique de ce président pour le remplacer par un article nous présentant Chavez comme un homme cultivé et admirateur de la littérature française.
Chavez n’était pas un saint. Malgré les milliers de pleurs qui raisonnent dans la belle et dangereuse ville de Caracas, pas une seule voix ne se fait entendre pour reconsidérer le bilan de son action politique. Les pleurs annihilent la critique par leurs caractères passionnels.  L’image communique l’émotion, la douleur se répand. On ne peut pas admettre la critique de l’homme alors que le cadavre est encore chaud.
« L’encre coule le sang se répand. La feuille buvard absorbe l’émotion » comme disait IAM.
 
Le deuil totalitaire
Voilà donc un obstacle à la mémoire, à l’histoire et au décryptage de l’œuvre d’un homme. La surexposition médiatique de l’émotion et de l’unité nationale derrière le décès d’Hugo Chavez a empêché de construire un autre regard et de mettre en lumière les phases les plus sombres de son pouvoir. La communication gouvernementale passe ici par le deuil. Le gouvernement utilise l’évènement comme un moyen de perpétuer l’œuvre de l’homme. Heidegger dans Etre et temps, montre que le deuil doit avant tout être considéré comme un renvoi permanent au passé. Le fait que le corps de Chavez ait été embaumé souligne clairement cette volonté de perpétuer son œuvre passée et de le faire entrer dans le panthéon historique qui devient l’identité du pays. Le musée est ici la représentation du figé, et cette volonté de thésauriser l’homme politique dans les vitrines du musée nous amène à comprendre le souhait de créer une sorte de deuil perpétuel presque mystique.
En effet, le Venezuela est en train de construire un deuil qui va annihiler toute possibilité de contestation de l’œuvre de Chavez. La puissance passionnelle du deuil va être poursuivie afin de transformer le travail de cet homme en point de fondation de la vie politique du Venezuela. Ici, la communication gouvernementale tente de perpétuer le souvenir pour transmettre l’image la plus positive possible du pays. Un tel déni du passé et une telle sacralisation de l’homme prouvent que le Venezuela est encore un pays qui a besoin de s’affirmer et d’illustrer la légitimité de la révolution socialiste. Cette position politique et cette indépendance dans l’échiquier mondial est ici mise en valeur par le deuil,  par les cérémonies et ce dolorisme inavouable.
D’un point de vue communicationnel, le deuil est donc un outil puissant, qui affirme les bases du régime en rendant hommage à celui qui a réussi à faire évoluer le pays. Le deuil est aussi un retour perpétuel vers le passé, un regard en arrière peut-être nostalgique, mais avant tout conservateur. De plus, ce deuil s’est magnifiquement bien propagé aux médias occidentaux qui mettent en lumière le caractère de l’homme, son courage et parfois son intelligence bien plus que son populisme, son culte de la personne et son égo surdimensionné. Une telle manipulation utilise comme outil ce respect universel de la mort, de la mémoire. Et cet aspect est bien puissant.
 
Emmanuel de Watrigant
Rendez-vous la semaine prochaine avec Laura Garnier pour Irrévérences qui traitera du deuil de Stéphane Hessel.

Politique

Women make the news

 
La journée de la femme fait polémique. Elle est à la fois un symbole du combat pour l’égalité mais entraîne un conflit des genres, une guerre de statuts et de pensées éthiques. Les avis sont alors partagés sur cet événement maintenant incontournable du mois de mars.
En effet, les femmes n’ont pas seulement des droits un seul jour dans l’année. On les a reconnues comme êtres humains, on leur a concédé le fait qu’elles pouvaient penser et agir, qu’elles pouvaient voter, et même travailler sans l’accord de leur mari. On n’arrête pas le progrès ! Bon, l’excision leur empêche encore le plaisir sexuel, le viol les brise, le travail leur impose un budget minoré ou une inégalité arbitraire d’accès à certains postes. Le progrès s’arrêterait-il tout seul ? Et c’est sur ce dernier aspect d’inégalités professionnelles que l’action « Women make the news » s’applique.
Jusqu’au 30 mars, l’UNESCO met en place une plate-forme permettant aux hommes et femmes de la société civile de partager leur opinion ou expérience sur l’alliance entre genre et média.
Les sciences et techniques de l’information et de la communication (TIC) offrent un nouveau panel de possibilités d’emplois à travers le monde. Certes des fractures numériques divisent déjà les pays entre eux, mais au sein même des États les inégalités salariales subsistent. Et les femmes sont souvent les premières exclues des opportunités économiques et sociales, ainsi que des effets bénéfiques des TIC.
C’est pourquoi la démarche de « Women make the news » s’inscrit dans une volonté d’accessibilité aux métiers médiatiques, essayant d’attirer l’attention sur le rôle de décision et de leadership des femmes, tout en tenant compte des situations locales. L’accent est mis sur le respect des genres, leur égalité en droit et leur représentation.
Et l’initiative « des femmes font l’info » s’étend après le 8 mars. En novembre 2013, un forum « Genre et Médias » aura lieu. L’action défend des objectifs internationaux qui vont de pair avec un bon fonctionnement démocratique, la place professionnelle des femmes est un véritable enjeu politique qui doit être prise en compte et protégé.
Cependant la question de l’accessibilité des femmes aux métiers de l’information et de la communication n’est pas indépendante de la place personnelle et familiale qui leur est accordée. Le statut de la femme a besoin d’être revalorisé dans les sphères publiques mais aussi privées. Il est peut-être déjà plus facile d’initier ce changement professionnellement.
Pourtant quand bien même les femmes travaillent, elles ne sont pas exemptées des inégalités de la sphère intime. C’est notamment le cas de la présentatrice télé saoudienne Rania al-baz, défigurée par son mari en 2004 ; ou celui des femmes françaises dont une meurt tous les 3 jours sous les coups de son conjoint.
Si les femmes font la Une ou alimentent la rubrique « faits divers », elles ne font que trop rarement l’info. Let women make the news.
 
Maxence Tauril
Sources :
Unesco.org
Libération

Publicité et marketing

Fanta se boit … pardon, se mange !

 
De plus en plus, la nouvelle tendance qui s’affirme pour les grandes marques commerciales est de faire le buzz, quels que soient les moyens et supports déployés et les campagnes de communication censées servir ce but se font de fait de plus en plus ludiques, loufoques et/ou surprenantes. On se souvient de l’élection du fruit de l’année sur Facebook par Oasis, les vidéos d’Orangina sur Youtube. Cette année, la marque de soda au goût pétillant n’a pas voulu oublier la bonne vieille communication papier mais en y insérant une innovation qui change complètement la donne. Explications. En faisant appel à l’agence très design OgilvyOne Dubaï, Fanta a souhaité impressionner la presse et son lectorat avec une toute nouvelle campagne publicitaire visitant le marketing sensoriel et proposant la première publicité papier comestible au monde ! Tel le Willy Wonka de la Chocolaterie de Charlie rêvant de faire goûter son chocolat au travers des écrans de télévision, Fanta a voulu marquer les esprits en plus des papilles, en réalisant une page magazine composée de farine de riz et de colorant alimentaire (orange bien sûr!) au goût Fanta Orange, le tout hygiéniquement protégé par une pochette plastique. Ce message publicitaire qui se mange, en plus d’offrir une nouvelle expérience (gustative) aux lecteurs, propose surtout une nouvelle vision de la publicité : celle qui fait corps avec son produit. Entre l’emballage et son contenu, où se redessine la limite ?
Deux problématiques s’échappent de l’analyse de ce print saveur orangé, une positive, l’autre négative : la publicité fait vendre, certes, mais spécialement dans les cas alimentaires (ici Fanta), elle permet de vendre des produits qui n’ont jamais été réellement testés par le client. Elle a alors une valeur descriptive, donnant la fiche signalétique, la carte identitaire de l’aliment ou de la boisson en question. Le goût, la texture, les calories, la saveur, tout est passé en revue par la publicité. Pour autant, elle se dissocie fortement du produit en ce sens qu’un client peut être parfaitement séduit par la publicité et le packaging d’un produit et pourtant ne pas en aimer son goût. Fanta Orange avec sa nouvelle publicité comestible abolit cette limite en rendant testable son produit, soit en le rendant sujet aux critiques pré-achat du client. Ces critiques (bonnes ou mauvaises) justement parce qu’elles interviennent avant l’acte d’achat, l’influencent totalement car elles agissent comme une vérification ex-ante du produit. Pour autant, cette perspective nouvelle qu’offre Fanta s’avère positive pour le produit (la problématique négative se centrant elle sur le rôle de la publicité, comme on le verra dans le paragraphe suivant). Effectivement, si l’on avait pu craindre à cause de ce dispositif une diminution des ventes suite au manque à gagner par rapport aux gens qui achètent Fanta sans l’avoir goûté ; il n’en est rien, bien au contraire. En effet, l’échantillonnage ou comment faire tester sans donner le produit s’est révélé très efficace : Fanta a augmenté ses ventes suite au lancement de son print très créatif. En plus de découvrir le nouveau produit sous forme visuelle, la cible pourra le découvrir sous forme gustative et assimilera de manière mémorielle à la fois packaging et goût du produit pour une revalorisation identitaire double de Fanta. Un duo gagnant, donc.
Pourtant, si ce print revalorise Fanta, il dévalorise le rôle de la publicité en général. En effet, comme dit plus haut, le but d’une publicité est de favoriser l’acte d’achat sans consommation du produit. Il s’agit donc de donner envie, de propager, grâce à un emballage séducteur, un identitaire fantasmé de l’objet. On n’achète plus le produit pour son contenu, mais pour l’âme qu’il semble dégager. Or ici, l’adage « La publicité est mensongère » s’annule car le produit permet au potentiel acheteur de vérifier avant même l’acte d’achat si il correspond à la publicité qui lui en est faite. Autant se tirer une balle dans le pied : le suspense (né du temps en différé entre la visualisation de la publicité et l’acte d’achat) s’abolit, l’invulnérabilité du produit préservée par son packaging tentateur aussi. La pub tue la pub : en effet, en permettant à une tierce personne (le récepteur) de comprendre et vérifier ses rouages, elle se met en danger et n’est pas à l’abri de se contredire. Avec l’avènement du marketing sensoriel, assiste-t-on à la fin ou au contraire au renouveau de l’ère publicitaire ? Place aux débats.

 
Claire Lacombe
Sources :
http://food-innovation.overblog.com/une-page-de-publicite-comestible-avec-fanta

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Société

Jacques a dit : « à base de papapape »

 
Le sede vacante du Vatican fait les choux gras des articles de presse. Ce poste à pourvoir, assez particulier, a déclenché tant les pronostics des parieurs PMU que les analyses d’ornithologues benoitseizistes. Cependant, l’élection du chef d’Etat du Vatican ne vient pas se construire sur une montagne de sondages, comme le ferait toute autre élection politique. Point de campagne, point de slogan, point de meeting, parce que le temporel ici se mêle au spirituel. On parle de fait du « Saint siège », dont l’occupation relève d’un protocole réglé comme du papier à musique, fort de 2000 ans d’expérience. L’élection ne peut aboutir que dans le secret d’une chapelle Sixtine fermée à double tour, « con-clave » littéralement. L’Eglise se met en retrait, loin du tourbillon du monde, pour mieux se remettre à flot ensuite. Et le monde de se casser les dents et de brasser du vent sur ce siège vacant, quand il ne s’occupe que du fauteuil et non de la fonction.
L’attente provoque la glose, évidemment. On retrouve le classique tableau des potentiels « gagnants ». Dans l’annonce des poulains prometteurs, entre favoris et outsiders,  l’article de Slate est ici le plus représentatif. Certains cardinaux sont même affublés d’un nom de scène, un peu comme sur l’affiche juteuse d’un combat de boxe : Luis Antonio Tagle (Philippines), dit le «Wojtyla de l’Asie» ! On table également sur le prénom que choisira le futur pape, au regard des statistiques : http://infogr.am/prenoms-pape-0164. Et puis on voudrait dépoussiérer cette institution archaïque en la modelant à notre goût, c’est-à-dire selon l’air du temps. Il faut que le pape soit noir, il faut qu’il soit jeune, et pourquoi pas une papesse, et pourquoi pas lesbienne ? En l’honneur de la journée de la femme, le Nouvel Observateur donne la parole à un historien des religions sur la question de la misogynie ecclésiastique. Puisque le pape est exposé médiatiquement, son apparence compte aussi.  MSN.femmes relève les « fashion fails » de Benoît XVI en titrant  « Un pionnier des « soucis de garde-robe » loin devant Anne Hathaway ou Jennifer Lawrence. » A la recherche d’une sémiotique de la mitre, Rue 89 étayait en 2010 sa réflexion en parlant chiffons : « un pape réac jusque dans son dressing ». Car sur la scène publique, l’habit révèle le moine. Des associations protectrices d’animaux ont aussi critiqué le pape pour son port de fourrures sur certains vêtements. Mais enfin, celui qui se dit pasteur de brebis ne devrait-il pas commencer par donner l’exemple ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité chrétienne.
Beaucoup de bruit pour rien, dirait Shakespeare. Certains articles semblent ainsi répondre affirmativement à la fameuse question communicationnelle : « peut-on parler pour ne rien dire ? ».  Ils pêchent en quelque sorte par anthropomorphisme, à vouloir saisir un objet hétéroclite avec leurs propres instruments de mesure. En contre-exemple cet article de Slate se démarque en montrant le charme de cette élection, unique en son genre. En effet, c’est se fourvoyer dans la compréhension de l’autre, que de le regarder à travers soi. « Je veux un pape ringard ! » clame l’écrivain Solange Bied-Charreton, sur le site du Monde. Elle retourne le faux problème de la « modernisation de l’Eglise », afin de mettre à jour le réel enjeu en lequel consiste l’aplanissement des repères. Ou prendre le contre-pied de tous les papes de la sacro-sainte bien-pensance, avec subtilité.
 
Sibylle Rousselot
Sources
http://www.lepoint.fr/art-de-vivre/la-garde-robe-retro-de-benoit-xvi-27-02-2013-1633604_4.php
http://www.rue89.com/2010/11/01/benoit-xvi-un-pape-reac-jusque-dans-son-dressing-173738
http://tempsreel.nouvelobs.com/journee-de-la-femme/20130307.OBS1207/une-femme-pape-pas-avant-des-generations.html
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/02/je-veux-un-pape-ringard_1841822_3232.html
 

Société

Amicalement pas vôtre

 
En période d’évolution et de changement, il est intéressant de constater des comportements qui se cristallisent, voire qui se radicalisent : le modèle économique des grandes majors de la musique, des grandes maisons d’édition est en pleine mutation, si bien qu’elles se montrent de plus en plus intraitables dans la défense de leur propriété. De même, les partisans du libre et du partage gratuit radicalisent leurs actions en même temps que leur raison d’être tend à se faire moins évidente.
 
Pour le meilleur ou pour le pire ?
Dans le cas du livre, le succès insolent d’Amazon, notamment aux États-Unis, ne le dément pas : il ne vous est plus permis de posséder, on vous concède une licence d’utilisation sur un bien dont vous n’êtes plus le propriétaire. Le livre que vous achetez ne peut être revendu, transmis, échangé ou prêté. Il est la propriété d’Amazon. La musique tend à suivre le même chemin, après l’interdiction des DRM (verrous numériques limitant l’usage) avec des services comme Deezer ou Spotify qui proposent des abonnements. De même, le jeu vidéo, qui bénéficiait d’un marché de l’occasion important, s’en trouve privé puisqu’il est de plus en plus téléchargé et non acheté sur des supports physiques, ce qui rend dès lors impossible la revente, le prêt, la transmission…
Fini donc le temps où vous récupériez les livres ou la musique de vos parents.
Mais cette évolution est à l’œuvre partout : le vélo en libre service, la voiture en libre service, l’abonnement annuel à des logiciels comme la suite Office, l’abonnement aux éditions en ligne des médias d’information plutôt que l’achat au numéro…
 
Du propriétaire à l’usager
Tout cela participe de ce que l’on appelle l’économie de la fonctionnalité : on cherche à monétiser un usage et non plus une propriété. Ce système permet beaucoup de choses, parce qu’il facilite par exemple l’évolution du bien dont vous achetez l’usage ; vous n’êtes plus tenu d’acheter à chaque fois le nouveau produit pour bénéficier de nouvelles fonctionnalités. De même, il y a l’idée que vous payez pour ce que vous utilisez plutôt que d’acquérir un surplus inutile. Un bel exemple de cette évolution est le ChromeBook de Google, un ordinateur, couplé à son OS (Operating System ou Système d’exploitation, logiciel qui gère la partie matérielle d’un ordinateur et permet l’interaction avec l’utilisateur : Windows, MacOs ou Linux sont des systèmes d’exploitations) : ChromeOs. En effet, cet ordinateur de faible capacité (relativement à ce que l’on trouve aujourd’hui) fonctionne grâce à des applications hébergées en ligne, accessibles et utilisables en ligne, mais non installées sur votre ordinateur.
Cela permet, en théorie, de réduire les coûts, puisque vous ne payez qu’en fonction de vos stricts besoins.
Beaucoup de ces entreprises et marques qui se lancent dans l’économie de la fonctionnalité mettent en avant les avantages en termes de coûts, d’environnement (notamment pour l’automobile, le vélo et le papier), la mobilité en ce qui concerne le contenu comme la presse, les livres, la musique…
Cet argumentaire s’intègre d’autant mieux aujourd’hui que la Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE, ou ESG pour les anglo-saxons) et, de manière générale, le bilan extra-financier des entreprises prend de l’importance dans les choix des investisseurs et des consommateurs.
Par exemple, la page d’accueil de Deezer joue sur la mobilité : « Faites entrer la musique dans
 une nouvelle dimension. Écoutez tout ce que vous aimez, 
partout, tout le temps »
Sur le site d’Autolib’, la rubrique avantages met en évidence la réduction des coûts et l’environnement : « Économique, pratique, écologique, simple »
En présentation de l’abonnement mensuel ou annuel de la suite Office, on retrouve la mobilité : « Utilisez Office quand et où vous en avez besoin »
 
De l’usager à l’aliéné
 Mais cette économie de la fonctionnalité est, dans la pratique, moins convaincante : parce que l’on accroît sa dépendance à l’égard de ces différents acteurs. Si Google ou le Groupe Bolloré rencontrent un problème, vous n’avez plus accès à vos documents ou applications hébergés en ligne, et vous n’avez plus de moyen de transport. Ceux à quoi certains, auxquels les événements ont donné tort, répondront que ces acteurs sont « too big too fail » ; de quoi être rassuré sur la pérennité de ces services, non ?
En dehors de cette forme d’aliénation à un nombre croissant de prestataires extérieurs, cela soulève un deuxième problème : la disparition de la propriété. Or cette même propriété est aussi garante d’un usage non marchand des biens que l’on acquiert. L’économie de la fonctionnalité, des usages, en dépit de ses avantages avancés, est une percée conséquente de l’économie marchande dans le non-marchand : prêt, échange, transmission, héritage… Et la disparition de telles structures aurait des répercussions telles qu’il apparaît aujourd’hui impossible d’en circonscrire toutes les implications.
Plus rien ne vous appartiendra, c’est le mot d’ordre de demain.
 
Oscar Dassetto

Société

Ils sont forts ces British !

Il paraît que la télévision, toujours plus énervée par la concurrence d’Internet, redouble d’efforts pour rivaliser et attirer davantage d’annonceurs. La rumeur court depuis que BSkyB, l’opérateur de télévision par satellite britannique, a fait le pari de relancer les publicités locales. Très répandues dans les années 1970 au cinéma (pour un restaurant asiatique du quartier par exemple), BSkyB compte les remettre à jour sur le petit écran.
Le retour de la publicité personnalisée
Mais d’abord, comment cela fonctionnerait-il exactement ? Sky reste assez flou sur ce point. Il prévoit le lancement d’un nouveau service dans quelques mois nommé « AdSmart ». Celui-ci proposerait plusieurs « gammes de solutions pour répondre aux besoins des marques », comme l’énonce Andrew Griffith, le directeur financier de Sky. Or pour les annonceurs, l’enjeu est de taille. Il s’agit pour eux de s’adresser directement aux foyers désirés en fonction de leur composition, de leur localisation ou de leurs programmes favoris. BSkyB entend aller très loin en leur permettant de diffuser leurs publicités dans des zones géographiques précises, voire dans quelques maisons ciblées dans une rue donnée.
Mais encore ?
Andrew Griffith explique aussi : « on pourrait par exemple réserver les cinq dernières secondes d’une publicité automobile à un concessionnaire local, ou bien proposer plusieurs variantes pour une case publicitaire. » En fait, « AdSmart » sera disponible sur les 7,3 millions de décodeurs haute-définition de l’opérateur dans des foyers en Grande Bretagne. Ainsi la chaîne diffusera ces spots personnalisés par-dessus les spots dits « linéaires » de façon fluide pour les téléspectateurs qui n’auront pas désactivé cette nouvelle fonction sur leur boîtier. Quant à la segmentation des foyers, l’équipe de Sky serait aidée par des entreprises spécialisées dans la gestion du risque de crédit, en bons connaisseurs des revenus et des modes de vie des consommateurs.
Jackpot pour Sky qui pense attirer non seulement les annonceurs locaux mais aussi les plus grandes marques. Ces dernières pourraient voir dans ce système un moyen de diminuer les pertes liées aux campagnes publicitaires classiques. Comme le souligne Anthony Ireson, directeur marketing de Ford en Grande Bretagne, « la moitié de notre travail est gâché. La publicité personnalisée est un moyen de cibler les gens à qui vous avez besoin de parler. » Ainsi, le Financial Times estime même que des marques haut de gamme comme Porsche qui ont toujours laissé de côté la télévision car trop « grand public », pourraient être attirées par une telle approche.
Cependant, le prix n’a pas encore été déterminé. Un ciblage plus précis devrait être plus cher, mais Sky prendrait alors le risque de faire reculer les annonceurs locaux censés être les principaux intéressés.
Une réponse au défi numérique
Apparemment, le projet a déjà été tenté aux Etats Unis par les chaînes ComCast et Time Warner Cable en 2008 sous le nom de Canoe Project. Si aujourd’hui leur offre a évolué principalement vers des vidéos diffusées en différé (et non en direct comme le souhaite BSkyB), l’idée de départ était d’adapter les outils de personnalisation d’Internet à la télévision. BSkyB espère même exploiter les comportements des foyers sur le web. Les mots clefs tapés dans les fameuses barres de recherche génèrent bien des publicités ciblées sur Internet. Pourquoi ne pas imaginer diffuser des publicités sur les chaînes de télévision à propos de prêts hypothécaires dans une famille qui en aurait fait la recherche sur le net ? C’est en tout cas ce qu’argumente l’opérateur. Mais ils oublient les bonnes vieilles interrogations sur le respect de la vie privée des internautes et des consommateurs, encore et toujours présentes et prégnantes. Le cas BSkyB n’est pas sans rappeler celui de l’EyeSee ou celui des chaînes françaises utilisant les données personnelles. L’opérateur entend de plus personnaliser les annonces en fonction des goûts des familles, détectés à partir de leurs habitudes télévisuelles. On se demande alors s’ils pourront déjà aller jusque là.
Effectivement, il semble que le projet de BSkyB soit (un peu trop) ambitieux. L’opérateur de télévision par satellite se perd dans les promesses. Il est aussi envisagé de créer un service de publicités interactives (le spectateur pourrait par exemple appuyer sur un bouton et « visiter » la voiture aperçue), alors que les questions de prix et de vie privée ont à peine été soulevées. Or, rappelons le contexte économique et social dans lequel nous nous trouvons. La diminution des budgets des annonceurs et la méfiance croissante des consommateurs envers les entreprises et les publicités sont des obstacles à intégrer dans leur stratégie. On attend la suite !
Camille Sohier
Source : article du Financial Times « La télé vous regarde » sélectionné par le Courrier International.