Politique

Lettres ouvertes : le coupe-papier au service du peuple ?

Le ressort médiatique de la lettre ouverte est fondé sur un paradoxe : le privé y est dévoilé. Or, quel meilleur instrument que la curiosité pour s’offrir un public attentif, une audience assez large pour garantir la diffusion du message ? Surtout lorsque les voies les plus traditionnelles (médias nationaux mais pas seulement) semblent réservées à « l’élite » : votre lettre au Président de la République a, en effet, peu de chances d’arriver sur son bureau via La Poste. La lettre ouverte serait-elle donc la solution à une asymétrie de fait des moyens d’expression, offrant à M. Tout-le-monde le pouvoir d’interpeller une personnalité et d’influencer en chemin tous les lecteurs intermédiaires ?

(Portrait de Diderot ou comment Epistolaire et Pensée politique ont une histoire commune)

De J’accuse à Vous n’aurez pas ma haine : la lettre ouverte est un format intemporel

La rhétorique y est identifiable : à première vue, c’est une lettre normale, elle débute par une adresse et se conclut par une signature, parfois précédée d’une formule de politesse. A la loupe, les littéraires sauront y voir un destinataire-double (le public intermédiaire) et y déceler un registre sinon polémique, du moins oratoire, avec parfois une once de lyrisme et de morale :

« Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect. »
Conclusion de la lettre ouverte « J’accuse » d’Emile Zola publiée le 13 janvier 1898.

Soyons francs : à l’époque de son « J’accuse », Emile Zola jouissait déjà d’une certaine notoriété, l’affaire Dreyfus déterminait le tirage des journaux, et ces derniers représentaient déjà une tribune privilégiée d’expression. Cependant, le choix de publier sa lettre a permis au peuple de se réapproprier son argumentation, et la plume zolienne a donné ses lettres de noblesse au genre de la lettre ouverte.
 

Un siècle plus tard…

Les possibilités d’auto-publication offrent aujourd’hui une nouvelle tribune médiatique, plus à même de transmettre la pensée d’un inconnu. On ne compte plus le nombre de journaux vendus mais le nombre de partages d’un post, proportionnel au nombre de vues et au taux d’adhésion au message. C’est ainsi que les mots d’Antoine Leiris ont été portés par plus de 200 000 partages sur Facebook, avant d’être repris par la presse et développés dans un livre éponyme qui suscite encore aujourd’hui des commentaires partout dans le monde.

A qui s’adressait vraiment cette lettre ? Le public (second destinataire) concurrence souvent la cible première. Ouverte, la lettre n’est pas sûre d’atteindre son destinataire officiel, mais peut-être le message trouve-t-il finalement un public plus attentif.
Par ailleurs, il est évident que la diffusion de ces textes est intrinsèquement liée à la temporalité de leur publication : en temps de crise, la circulation de l’information s’accélère. L’émotion (du latin e-movere « faire bouger ») est un facteur clé de la transmission parce que l’empathie pousse au partage et que le choc, le deuil, la colère, nécessitent des mots pour être « traités » par l’individu et par la société – à l’exemple des attentats de novembre 2015.
Lorsque la crise est d’un caractère plus politique, lorsqu’elle est le symptôme d’une transition, elle inspire une pensée du changement, une remise en question temporaire et féconde d’un système habituellement accepté – c’est notamment le cas en période électorale.
Néanmoins, la lettre ouverte ne perd pas son attrait au quotidien, et les outils numériques en valorisent même l’usage : en 140 caractères, avec un @destinataire et quelques #lettreouverte #openletter, le Tweet se veut l’héritier hyper-efficace d’un exercice journalistique à la source du micro-blogging.
 

Pertinence et impertinence du décachetage

« M. Le président », « les jeunes » et « ma mère » sont aujourd’hui encore les destinataires les plus courants des lettres ouvertes, au risque d’abuser de leur pouvoir d’interpellation. Le timing (plutôt en temps de crise) et le support de publication (un grand média ou un réseau social avec une audience potentiellement influente), et enfin le choix du destinataire déterminent l’ampleur du lectorat.
Ce n’est donc pas d’une bouteille à la mer que nous parlons mais d’un art de l’interpellation, facilité par le je/tu/vous de l’écriture épistolaire. Difficile donc pour les politiques de ne pas y céder, au risque parfois de provoquer le rejet, comme si la lettre ouverte ne devait appartenir qu’à ceux qui ne disposent pas des moyens traditionnels d’expression : d’où les Murmures à la jeunesse d’une Christiane Taubira qui veut prendre en compte la sollicitation à outrance de ce « segment électoral », dont les tympans sont épuisés par les cris de ralliements à un parti.

(Une « beuglante » ou la Lettre Ouverte selon l’univers de Harry Potter)

Pendant cette campagne présidentielle, l’avis de ceux qui disposaient déjà d’une aura ad hominem a été accueilli avec scepticisme voire amertume par leur public habituel, depuis Dany Boon jusqu’à Zinedine Zidane en passant par Sonia Rolland (ex-miss France) et Luc Besson.

Les Insoumis auront particulièrement été ciblés par les derniers élans éditoriaux : O. Tonneau sur Médiapart « Lettre aux insoumis tentés par l’abstention », E. Jardin sur Mediapart aussi « Lettre à mes amis insoumis partisans du ni-ni », et P.-M. Chapon dans Libération avec sa « Lettre à la jeunesse insoumise », pour ne citer que les dernières. A l’instar du public des célébrités citées précédemment, les partisans de J.L. Mélenchon ont semblé être désabusés face aux appels au vote (surtout pour Macron) des auteurs. Preuve que lorsque la lettre ouverte affiche trop d’injonctions, elle perd sa puissance de conviction.

Le ressort émotionnel de la lettre ouverte, c’est donc ce « décachetage » d’une pensée intime qui s’adresse au public et fait d’une conviction un engagement, d’une indignation un acte politique. Peut-être que pour prouver sa sincérité, elle doit se détacher un peu de son contexte temporel. Beaucoup de lettres ouvertes sont aujourd’hui des testaments littéraires, artistiques, ou politiques, de personnalités qui ne l’étaient pas forcément (Steve Jobs, Bill Gates, Jane Birkin…).

(extrait du site deslettres.fr qui offre en libre accès les lettres ouvertes de multiples personnalités)

Finalement, qu’importe les libertés qui sont prises avec sa forme, la lettre ouverte est un exercice journalistique à la portée de tous et qui répond au besoin pressant d’être entendu dans le brouhaha d’un web devenu place publique. Ses métamorphoses et ses différents usages sont à l’image d’une crise politique patente : celle du dialogue entre élite et citoyens.
Ces derniers, grâce à la lettre ouverte, se réapproprient un temps de parole dont on n’avait perdu l’habitude : les lettres ouvertes demandent une lecture plus attentive que celle du scrolling et imposent aux médias une temporalité plus lente que celle du zapping. Et elles n’en perdent pas leur force au contraire : celui ou celle qui clique sur le « afficher plus » d’un post Facebook engagé accepte de s’immerger dans la subjectivité d’un autre pour nourrir sa propre réflexion. Le « slow thinking » (conceptualisé par Daniel Kahneman) offre alors une distance rationnelle qui compense le ressort émotionnel – parfois jugé subversif – de la lettre ouverte.
 

Mélanie Brisard
https://www.linkedin.com/in/melaniebrisard
Sources

Article wikipédia sur les lettres ouvertes, en anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Open_letter
Site web Des Lettres qui met à disposition des lettres ouvertes de personnalités http://deslettres.fr
Tonneau, Olivier, « Lettre aux Insoumis tentés par l’abstention », Médiapart, 25/04/2017, consulté le 11/05/2017 https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/250417/face-au-fn-lettre-aux-insoumis-tentes-par-l-abstention
Jardin, Emmanuel, « Lettre à mes amis partisans du ni-ni », Médiapart, 01/05/2017, consulté le 11/05/2017 https://blogs.mediapart.fr/emmanuel-jardin/blog/010517/lettre-mes-amis-insoumis-partisans-du-ni-ni
Chapon, Jean-Marie, Libération, 27/04/2017, consulté le 11/05/2017 http://www.liberation.fr/debats/2017/04/27/lettre-a-la-jeunesse-insoumise_156569

 
Crédits photo

  Une de l’Aurore du 13/01/1898 avec le « J’accuse » d’Emile Zola https://fr.wikipedia.org/wiki/J%27accuse…!
Portrait de Denis Diderot par Louis-Michel Van Loo (1767) © Photo RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/denis-diderot
Captures d’écran du 80/05/2017 : post d’Antoine Leiris et post de Dany Boon
  Exemple d’un cachet de cire par https://www.mysweetboutique.fr/tampons-a-encrer-et-encres/3235-tampon-sceau-pour-cire-a-cacheter-motif-diamant-3701012134246.html
  Montage de L’Obs pour son article du 06/05/2017 http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170505.OBS9037/fin-de-la-campagne-quelles-sont-les-regles-qui-s-appliquent-meme-a-vous.html
Captures d’écran du 08/05/2017 : extrait du site http://www.deslettres.fr

Publicité et marketing

Le cas de Shea Moisture : les consommateurs ont encore frappé

Les campagnes de publicité lancées par les marques représentent toujours un enjeu majeur pour la pérennité de celles-ci. Chaque nouvelle campagne est une tentative de fidéliser la clientèle en renforçant les traits de « personnalité » de la marque, ou bien de s’en attirer une nouvelle en redéfinissant son image. Quoi qu’il en soit, une campagne de publicité projette l’image du consommateur type visé. Cependant, depuis quelques années, la tendance semble s’inverser, et si la projection ne convient pas au consommateur, il le fait savoir.
Shea Moisture, ou l’indélicatesse d’une marque pour cheveux afro
Cette semaine, la marque de produits capillaires spécialisés dans le cheveu afro a lancé sa nouvelle campagne de publicité. Shea Moisture a été fondée en 1912 par une mère de famille en Sierra Leone et a été reprise et perpétuée aux Etats-Unis par sa famille. La marque est réputée parmi la communauté afro-américaine car elle fait partie des rares marques de produits capillaires adaptées aux cheveux frisés et crépus.
C’est donc avec colère qu’a été accueillie la campagne de publicité mise en ligne par la marque le 24 avril dernier. En effet, la vidéo présentée par la marque sur son compte Facebook montrait une jeune femme aux cheveux bouclés, à la peau métissée, parlant des commentaires négatifs qu’elle a pu recevoir à propos de ses cheveux au cours de sa vie. Puis arrive à l’écran une femme blanche et blonde qui avance que la plupart du temps elle ne sait pas quoi faire de ses cheveux. Enfin, une femme rousse avoue avoir teint ses cheveux en blond pendant des années par honte de sa couleur naturelle.

Cette vidéo a été très fortement critiquée, notamment par les principales consommatrices des produits Shea Moisture, à savoir les femmes noires. L’absence de représentation a choqué et interrogé. La colère venait par ailleurs du fait que les femmes aux cheveux lisses ont des centaines de produits qui leur sont dédiés, là où les femmes aux cheveux frisés et crépus en ont très peu. Le sentiment exprimé par les consommatrices de Shea Moisture a été celui d’une spoliation. Le fameux « on ne peut rien avoir qui soit vraiment à nous », souvent ressenti par les Afro-Américains vis-à-vis des Américains blancs, a été évoqué.

Black women out here getting fired for having 4c hair and shea moisture has the audacity….. pic.twitter.com/CsLCq5vtEA
— SeaSea (@CeceTMach) 24 avril 2017

Une transition dans la relation des consommateurs aux marques
Face aux violentes réactions et aux milliers de tweets qu’a suscités cette vidéo promotionnelle, Shea Moisture a décidé de la retirer et a publié à la place des excuses sur sa page Facebook.
Ce phénomène devient de plus en plus courant lorsque les marques dérapent. L’exemple de Pepsi, qui a tout récemment publié une campagne publicitaire mettant en scène une Kendall Jenner médiatrice entre des manifestants et des policiers, est tout aussi parlant. Les réactions ont également été virulentes et certains se sont également sentis offensés en ces temps troublés par la présidence Trump.
De la même manière, la marque allemande de cosmétiques Nivea a été confrontée à de nombreuses protestations lorsqu’une publicité prônant « la blancheur, c’est la pureté » (White is purity) a été publiée.
Dans les deux cas, les marques ont été contraintes de supprimer les publicités controversées. Voilà ce qui arrive de plus en plus souvent : le dernier mot n’est plus aux directeurs artistiques mais aux consommateurs qui réagissent de plus en plus fréquemment de manière négative. En effet, à chaque fois qu’une marque lance une nouvelle campagne publicitaire, elle est désormais soumise à un tribunal de consommateurs, qui jugent si elle correspond ou pas à l’idée qu’ils se font de cette marque.
L’émergence et l’hégémonie des réseaux sociaux sont des facteurs essentiels de cette transition. En effet, la relation qui lie la marque à ses consommateurs est passée d’une relation parfaitement verticale à une relation horizontale, presque de proximité et de complicité dans le meilleur des cas.
Le nouveau pouvoir des consommateurs
Ce nouveau paradigme transforme les rapports de force entre marques et consommateurs. Les marques perdent leur force d’influence au profit de leurs consommateurs, qui ont désormais le dernier mot.
Avant l’ère des réseaux sociaux, les marques, à travers leurs campagnes de publicité, exerçaient une influence sur la perception des consommateurs, sur leur manière d’appréhender la société, essentiellement dans le but de les pousser à l’achat. Le meilleur exemple de cela est la campagne de publicité pour la marque Marlboro, sortie en 1955.
En montrant un cowboy avec une cigarette à la bouche, cette publicité a changé la manière de consommer des cigarettes de tous les Américains. En effet, avant cette campagne, les cigarettes à filtre Marlboro étaient fumées par des femmes. Elles portaient donc une image de féminité et de sensualité. Les fabricants ont voulu changer cela, et ont donc fait appel à cette figure du cowboy, l’incarnation de la virilité et de la masculinité dans l’imaginaire des Américains à cette époque.
Grâce à cette campagne publicitaire, l’idée selon laquelle il était acceptable et même bien vu qu’un homme fume des cigarettes à filtre s’est infiltrée dans la société américaine et a changé le mode de consommation des Américains. Cette force de frappe des campagnes publicitaires caractérise leur grande influence sur la société.
Seulement, les cas comme celui de Shea Moisture, de Pepsi ou encore de Nivea démontrent que ce paradigme est en train de changer et que les consommateurs ont de plus en plus de poids dans la conception et la réception des campagnes publicitaires. Ils sont passés d’un statut passif à un statut actif, et la recette qui a si bien réussi aux marques ces dernières décennies doit être revue. On peut très bien imaginer dans les prochaines années des marques qui solliciteront directement les consommateurs pour décider de leurs prochaines campagnes de publicité.
Mina Ramos
@Mina_Celsa
Crédits :
• HOROWITZ Julia, « Shea Moisture pulls an ad after getting hammered on social media », CNN Money, publié le 24/04/17, consulté le 28/04/17
• KARASIN Ekin, « Hair care company with a mostly black customer base apologizes for ‘turning its back on them’ by creating ad that features nearly all white women », Daily Mail, publié le 24/04/17, consulté le 28/04/17
• KOTTASOVA Ivana, « Nivea pulls ‘white is purity’ ad after outcry », CNN Money, publié le 05/04/17, consulté le 28/04/17
• GASTON-BRETON Tristan, « ‘Marlboro Man’, ou la publicité selon Leo Burnett », Les Echos, publié le 04/08/16, consulté le 28/04/17
• www.sheamoisture.com/our-story/
Crédit photos :
• Image de une : Shea Moisture/Facebook
• Image 1 : @Girlswithtoys/Twitter
• Image 2 : @CeceTMach/Twitter
• Image 3 : Nivea Middle East/Facebook
• Image 4 : Getty Images

Société

Netflix présente : « Secrets de communication »

Protagoniste : La firme Netflix est un service de vidéo à la demande avec abonnement âgé de 20 ans. Elle comptait, aux dernières nouvelles, environ 900 000 clients en France, soit le premier SVOD dans l’hexagone et 93 millions d’abonnés dans le monde.
Synopsis : Tout sourit à Netflix qui connaît un succès mondial retentissant, notamment grâce à sa communication… Mais quel est son secret ?

Culture

Netflix : from binge-watching to binge-communicating

Marque de fabrique de Netflix, le binge-watching est ce qui vous pousse à passer des heures, des nuits voire des semaines devant votre écran sans même vous en rendre compte ! Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas plus accro à Netflix, que Netflix n’est addict à sa propre communication.
Très en vogue depuis les quatre dernières années, l’expression « binge-watching » a été utilisée pour la première fois à la fin des années 90 pour caractériser la consommation frénétique de plusieurs épisodes d’une même série, en une seule séance. Si l’expression est aujourd’hui largement répandue, elle reste essentiellement réservée au fonctionnement de la plus importante plateforme de streaming à la demande dans le monde : Netflix.

Société

Netflix : une communication "made in USA"

Lancé le 15 septembre 2014 en France, Netflix débarquait dans le paysage de la VOD (vidéo à la demande) avec pour ambition de chambouler le paysage vidéoludique français. Deux ans et demi plus tard et de nombreuses campagnes promotionnelles déployées, Netflix a-t-il réussi son pari d’américaniser la consommation de SVOD en France?

Politique

Tchétchénie Horror Story : le retour des camps de concentration

                 En Mars 2017, le journal indépendant Novaïa Gazeta publiait une enquête affirmant que des centaines d’homosexuels avaient été arrêtés et emmenés dans des prisons clandestines par les forces de l’ordre de Tchétchénie. L’information était plus tard relayée et confirmée par l’ONG humanitaire Human Rights Watch. Battus, humiliés, menacés de mort par leurs familles, des centaines de gays et lesbiennes auraient donc quitté leur pays aux mœurs conservatrices pour venir se réfugier en Russie, où ils sont également menacés. Les associations LGBT de Russie se mobilisent pour évacuer les victimes, créent un numéro d’urgence, les réseaux sociaux relaient les informations, le Conseil de l’Europe et les ambassades anglaises et allemandes demandent que les personnes LGBT soient protégées en Tchétchénie et en Russie. Une mobilisation internationale.
Un flou informationnel
Pourtant, les informations restent floues. En raison des risques encourus, peu de victimes sont prêtes à témoigner. Le gouvernement tchétchène considère que « si de telles personnes [LGBT] existaient, les autorités n’auraient pas à s’en faire puisque leur propre famille les enverrait à un endroit dont on ne revient pas », et qu’il n’y a donc pas d’homosexuel.le.s dans son pays. Boris Dittrich, directeur de Human Right Watch, lui, nie l’existence de « camps de concentration pour homosexuel.le.s », sans toutefois nier que certain.e.s d’entre eux.elles ont effectivement été envoyé dans des camps.
Pourtant, l’information est peu diffusée en France, étouffée par une actualité nationale et internationale brûlante – la campagne présidentielle, l’attentat des Champs-Élysées, les tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis. Peu de journaux nationaux en font mention ; il faut chercher dans les médias plus locaux ou plus alternatifs pour trouver des informations. Un reportage de trois minutes est diffusé sur France 3 lors du JT, sans que toutes les circonstances de l’affaire soient dévoilées.
Les associations LGBT mettent un point d’honneur à apporter leur soutien aux victimes de leur communauté. Plusieurs rassemblements sont organisés à Paris la semaine du 17 avril, à l’Hôtel de Ville ou encore à sur la Place de la République. Mais très peu se mobilisent. : à peine deux cents personnes resserrées autour du drapeau arc-en-ciel. Une mobilisation dérisoire pour des actes qui ressemblent à des crimes de haine ?.

Le rassemblement place de la République à Paris
Difficile, alors, de ne pas comparer la foule bigarrée de ces rassemblements à l’effervescence de la Gay Pride, ou – dans un contexte moins joyeux – aux manifestations de soutien aux victimes de l’attentat d’Orlando. C’est pourtant la même communauté qui est touchée. La même communauté à laquelle appartenait Xavier Jugelé, le policier tué lors de l’attentat du jeudi 20 avril – lequel était par ailleurs, membre de l’association des policiers LGBT Flag!, présente lors des rassemblements.
Bien sûr, Xavier Jugelé n’a pas été tué pour son orientation sexuelle. Mais il est surprenant que son meurtre n’ait pas renvoyé aux crimes commis en Tchétchénie, n’ait pas incité, en tout cas, à davantage en parler, surtout en vue de la mobilisation de l’association à laquelle il appartenait et qui était rassemblée Place de la République pour protester contre les camps en Tchétchénie une heure à peine avant l’attentat. Alors, pourquoi un tel silence ?
La loi du silence
Tout d’abord, il semble que la communauté LGBT soit souvent “l’oubliée” des médias. Lorsqu’un article décrit le Président Trump, il oublie souvent de mentionner, autour des « raciste islamophobe sexiste » habituels, qu’il est aussi transphobe et homophobe (il a entre autre abrogé les dispositifs d’Obama en faveur des transgenres, notamment celui permettant aux élèves transgenres d’utiliser les toilettes correspondant au genre auquel ils.elles s’identifient). Lorsque Moonlight avait été sacré Meilleur Film aux Oscars, les médias français oubliaient souvent de préciser qu’il s’agissait d’un film sur l’homophobie et la difficulté d’assumer sa sexualité dans les milieux noirs défavorisés. Bien sûr, il est périlleux de comparer un film avec des camps de concentration ; l’impact est sans commune mesure. Mais le fait est que la communauté LGBT est souvent laissée à la marge.
Mais ce n’est pas si simple. D’autres éléments expliquent que les médias couvrent peu l’événement. Tout d’abord, les termes “camps de concentration” font peur. Parce qu’ils renvoient forcément à un horrible pan de l’histoire, mais aussi parce qu’il apparaît toujours un peu hasardeux de comparer les événements d’aujourd’hui avec ceux qui ont conduits à la Seconde Guerre mondiale. C’est une pratique commune, utilisée un peu à tort et à travers à une certaine époque, et qui a finalement mené à une impasse médiatique. D’un côté, il y a ceux qui n’ont pas peur de faire des parallèles, en comparant l’élection de Trump à celle d’Hitler, les camps pour homosexuels à ceux du IIIème Reich. Sur les réseaux sociaux, l’expression “Punch the Nazis” se répand de plus en plus pour décrire les actes de protestation contre les opinions de Trump et de ses électeurs. De l’autre côté, il y a les sceptiques, ceux qui considèrent qu’il ne faut pas se précipiter, que ces comparaisons servent davantage le buzz que l’information et qu’elles ne servent qu’à répandre la panique.

Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine en 2011
Les preuves de l’existence de ces camps tchétchènes sont en effet minces. Malgré les témoignages, peu de sources les ont filmés ou photographiés, leurs emplacements sont difficiles à trouver, les victimes hésitent à parler, le gouvernement nie leur existence. Peut-être est-ce pour cela que les grands médias nationaux ont peu couvert l’affaire, peu relayé l’information ? Par manque de preuve, par peur de l’alarmisme ? On accuse pourtant souvent les médias de vouloir effrayer les populations pour mieux vendre. Mais peut-être la Russie et la Tchétchénie sont-ils des pays trop lointains pour vraiment attirer l’attention de la foule ?
 
Manque de preuves, période encombrée, refus des amalgames, homophobie ? Difficile de savoir pourquoi l’histoire des camps de Tchétchénie mobilise aussi peu les médias et, par extension, les peuples. Ce qui est sûr, c’est que de nouveaux témoignages parviennent chaque jour, que des pétitions récoltent sans cesse de nouvelles signatures, que les ONG sont de plus en plus impliquées, et que les gouvernements concernés continuent de nier. Preuve, s’il en est, que le combat pour la libération des mœurs et des sexualités est toujours d’actualité.
 
Margaux Saillot
Sources
« Tchétchénie : des camps pour les homosexuels », article de France Info publié le 15 avril http://www.francetvinfo.fr/monde/russie/tchetchenie-des-camps-pour-les-homosexuels_2147325.html
« Tchétchénie : le président dément les persécutions et les tortures d’homosexuels », article du Parisien paru le 21 avril http://www.leparisien.fr/international/tchetchenie-le-president-dement-les-persecutions-et-les-tortures-d-homosexuels-19-04-2017-6868722.php
« En Tchétchénie, les LGBT persécutés dans des « prisons secrètes » », article de France 24 publié le 11 avril http://www.france24.com/fr/20170411-russie-tchetchenie-lgbt-victimes-persecutions-homosexuels-tortures-camps
Chechnya Survivors Tell Their Stories of Horror, article d’Advocate publié le 21 avril http://www.advocate.com/politics/2017/4/21/chechnya-survivors-tell-their-stories-horror
« Homosexuels torturés en Tchétchénie : à Paris, les manifestants réclament “l’action des candidats” », article des Inrocks paru le 21/04/2017 http://www.lesinrocks.com/2017/04/21/actualite/homosexuels-tortures-en-tchetchenie-paris-les-manifestants-reclament-laction-des-candidats-11936256/
Communiqué de presse de l’association LGBT Mag concernant les rassemblements à Paris publié le 19 avril : http://claudinelepage.eu/newbb/wp-content/uploads/2017/04/CP-MAG-Mobilisation-Tchétchénie-2-1.pdf
« Persécutions des homosexuels en Tchétchénie : « Ces violences se perpétuent dans l’impunité la plus totale » », article de France TV Info publié le 24 avril http://mobile.francetvinfo.fr/monde/russie/persecutions-des-homosexuels-en-tchetchenie-ces-violences-se-perpetuent-dans-limpunite-la-plus-totale_2156545.html#xtor=CS2-765-%5Bfacebook%5D-&xtref=http://m.facebook.com
« Trump abroge des dispositifs Obama en faveur des transgenres », article de Reuters publié le 23 février http://www.boursorama.com/actualites/trump-abroge-des-dispositifs-obama-en-faveur-des-transgenres-1398586ff937c91cd8936150b60379c2
 
Crédits photos :
©  Juliette Redivo, http://www.lesinrocks.com/2017/04/21/actualite/homosexuels-tortures-en-tchetchenie-paris-les-manifestants-reclament-laction-des-candidats-11936256/
© Kirill Kudryavtsev, AFP http://www.bbc.com/news/world-europe-39566136

Politique

La cause animale sur le grill de la campagne présidentielle

L’homme est un animal politique… mais quid des animaux en politique ? La question se pose plus vivement que jamais depuis ces derniers mois de course à la présidentielle. Longtemps réservées à des cercles restreints de vegan marginaux, les revendications pour le bien-être animal tendent depuis peu à se démocratiser, à faire la une, et à devenir omniprésentes sur nos fils d’actualité. Elles émergent même sur la grande scène des débats présidentiels. Cette tendance, encore assez timide, fait pourtant parler à l’heure de grands scandales qui ont pu alerter l’opinion. Retour sur ce qu’on a pu entendre à ce sujet de la bouche des candidats, entre véritable prise de conscience collective et gros enjeu communicationnel…
Une cause au delà des clivages
Vous n’avez pas pu les rater, elles hantent la toile : ces vidéos souvent clandestines et sordides de poussins étouffés dans des sacs, d’exécutions interminables de vaches, de poules qui se dévorent entre elles… Ce qui devrait se passer loin de nos yeux et des assiettes apparait dans toute sa réalité morbide, à toute heure, sur notre fil d’actualité Facebook, ou à l’ouverture d’un journal. « Pas de chance, on était filmés », pouvait-on lire dans Libération la semaine dernière, où l’un des inculpés pour acte de cruauté dans le procès de l’abattoir de Vigan regrettait cyniquement la présence de caméras…
Les conditions de mise à mort des bêtes mais aussi les questions de souffrance psychologique et morale des employés d’abattoirs semblent, plus que jamais, représenter une cause propre à rassembler l’opinion. 80% des Français ont affirmé en mars 2017* que la protection animale représentait pour eux une cause importante. Le sujet gagne parallèlement la sphère politique. Entre 2002 et 2007, seulement 10 propositions de loi pour la cause animale ont été déposées au Sénat et à l’Assemblée Nationale, mais ce chiffre a plus que triplé au cours du quinquennat de François Hollande.
Le sujet est donc fédérateur, révèle un sentiment commun d’injustice et de compassion, aux résonances écologiques non négligeables. Bref, il semble taillé sur mesure pour devenir un excellent argument de campagne.
Des propositions qui manquent de sel… 
Et pourtant, force est de constater que face à cet engouement de l’opinion, les propositions sont présentes mais frileuses. On trouve certes des avant-gardistes, comme Jean-Luc Mélenchon, « bon élève » dès qu’il s’agit d’écologie. La palme de la communication habile lui revient peut-être, avec son interview « recette » pour Gala, où il livre sur fond de musique champêtre sa préparation personnelle du taboulé au quinoa, profitant de l’occasion pour glisser mine de rien son désir de réduire sa consommation de viande. Nul hasard dans cette déclaration passionnée au « quinoa », selon lui « vraiment la plante de l’année » et aux « petits bouts de concombres et puis aux petits bouts de tomates ». La stratégie, soufflée au candidat par l’agence Médiascope, est de faire subtilement entendre son engagement. Belle réussite, puisque la vidéo a fait un carton.

Mais lorsqu’il s’agit de parler plus précisément des propositions faites par les candidats, le tableau est moins joyeux. Jean-Luc Mélenchon est le seul à réclamer un changement radical dans la considération même de l’animal. Il entend mettre en place « une règle, pour toujours, comme une preuve de notre amélioration collective : la règle que les animaux ne sont pas des choses ». Le candidat va jusqu’à affirmer que « la consommation de viande n’est pas une nécessité vitale dans l’alimentation humaine ». Il prône dans ce cadre la réduction jusqu’à disparition des fermes industrielles, mais veut aussi stopper l’appauvrissement des sols et se positionne pour une règlementation plus sévère de la chasse. Moins radical et déjà plus timide, Benoît Hamon ne se prononce pas sur la question d’accorder ou non des droits aux animaux, posant à la place une seule opposition de principe à la cruauté inutile. Il entend mettre en place  un « Comité national d’éthique » qui se pencherait sur la question. Et puis il y a les candidats qui prennent l’enjeu à revers pour flatter une autre partie de l’opinion : la frange agacée par toutes ces considérations sur la souffrance animale. François Fillon n’a pas peur des contradictions, exposant sa volonté de faire de la protection animale « une cause nationale », tout en maintenant son soutien à la corrida, à la chasse, et affirmant à de multiples reprises son mépris pour les associations de protection animale, les qualifiant par exemple d’ « associations qui ne représentent qu’elles-mêmes. » lors d’un congrès de la FNSEA. Pire encore, Nicolas Dupont-Aignan qui confond allègrement cause animale et combat identitaire, ciblant exclusivement les abattoirs halal qui refusent d’étourdir les animaux avant de les abattre. Et puis il y a ceux qui ne veulent pas changer grand chose : Emmanuel Macron, au programme duquel ces préoccupations sont quasiment  inexistantes. La candidate qui se démarque aux côtés de Jean-Luc Mélenchon à ce sujet est, étonnamment (ou pas) Marine le Pen. Même si le FN marche sur des oeufs puisque le parti veut à tout prix éviter de heurter son électorat chasseur et de mouvance traditionaliste, la candidate a tout de même flairé l’enjeu de communication autour de la question de la souffrance animale et condamne en vrac les fermes à fourrure, les expériences sur les animaux, les combats de coq, l’élevage en cage… Le tout minutieusement relayé par les équipes de communication du parti, comme pour ces photos presque attendrissantes postées sur les comptes Twitter de Marine et Jean-Marie Le Pen le jour de la journée du chat.

 

Le constat est donc assez amer quand on s’y penche. Les propositions réelles sont rares, en revanche les prises de position bruyantes un peu moins… Globalement, le tout demeure assez flou et peu concluant. Les politiques ne semblent pas avoir pris conscience de l’urgence pourtant indéniable de notre situation contemporaine et de notre façon de consommer les animaux.
S’il s’agit d’un sujet dans l’air du temps, et qui peut s’avérer porteur pour le capital sympathie des candidats, la cause animale est irréductible à cela. Elle porte une part émotionnelle, certes, mais n’en est pas moins une problématique indispensable voire vitale pour l’avenir. « Cette préoccupation n’est pas superficielle ; c’est un mouvement de fond », estime Corine Pelluchon, professeure en politique et éthique de l’animalité à l’Université de Marne-La-Vallée. Le sujet n’est donc pas près de disparaître de la scène politique.
Violaine Ladhuie
Sources :
* Sondage IFOP, LA SENSIBILITÉ DES FRANÇAIS À LA CAUSE ANIMALE À L’APPROCHE DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DE 2017, 16/03/2017, consulté le 07/04/2017 http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3690

Delmas « Les animaux dans la campagne politique, tous au poil », Libération 03/04/17, consulté le 07/04/17, http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/03/les-animaux-dans-la-campagne-politique-tous-aux-poils_1560301
Annabel Benhaiem « La cause animale arrivera-t-elle à s’imposer dans les thèmes de campagne de la présidentielle 2017 ? », Le Huffington Post, 27/12/17, consulté le 07/04/17, http://www.huffingtonpost.fr/2016/12/27/la-cause-animale-arrivera-t-elle-a-simposer-dans-les-themes-de/
Jean-Luc Mélenchon « Encore un peu de quinoa ? », L’ère du peuple, 06/09/17, consulté le 07/04/17, http://melenchon.fr/2016/09/06/encore-un-peu-de-quinoa/
Charlotte Cielzinski « Défendre la cause animale, un passage obligé dans la course à l’Elysée ? », L’Obs, 22/11/17, consulté le 07/04/17, http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20161121.OBS1510/defendre-la-cause-animale-un-passage-oblige-dans-la-course-a-l-elysee.html
Politique et animaux, consulté le 07/04/17 https://www.politique-animaux.fr/marine-le-pen

Crédit photo/vidéo :

Ouest France, 17/01/17 http://www.ouest-france.fr/bretagne/morbihan/emmanuel-macron-moustoir-remungol-dans-un-elevage-porcin-4740312
Gala, 02/09/16 http://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/video_jean-luc_melenchon_les_secrets_de_son_regime_372576
Marianne, 08/08/16 https://www.marianne.net/politique/dialogue-de-chats-dans-la-famille-le-pen

 

Culture

Emma Watson ou la renaissance par le féminisme

Il n’est pas toujours facile de trouver un second souffle après un début de carrière précoce et éclatant. Emma Watson, superstar de la saga Harry Potter dès ses 10 ans, a pourtant su s’en acquitter avec brio en troquant les traits d’Hermione Granger pour ceux d’une jeune actrice féministe et militante.
De cet engagement découle aujourd’hui une nouvelle image de la jeune femme qui paraît avoir réussi à s’émanciper de sa première notoriété. On pourrait même parler de métamorphose au regard des nombreuses récompenses et multiples engagements qui la séparent, à 26 ans, de son rôle de fillette surdouée au pays des sorciers.
Si la sincérité et le courage de son militantisme ne font aujourd’hui pas de doute, il n’en demeure pas moins qu’il permet à l’actrice de faire peau neuve. Derrière l’engagement vertueux semble demeurer pour la star l’opportunité du renouvellement de son image. Bien que Rupert Grint et Daniel Radcliffe, ses comparses sur le tournage d’Harry Potter, peinent à remotiver les assises de leur aura, Emma Watson maintient habilement les projecteurs sur elle par le truchement du féminisme.
Un engagement de bonne volonté
Après le dernier opus de la saga (Les reliques de la mort, partie 2) sorti en 2011, retrouver un rôle proportionné à sa célébrité n’est pas aisé pour Emma Watson. Plusieurs rôles mineurs et quelques interprétations significatives dans des films comme The Bling Ring de Sofia Coppola ou Le Monde de Charlie attestent de la difficulté de rester au sommet et de se détacher de l’image  de son double fictionnel qui lui colle à peau.
Si la mode semble à cet égard une opportunité ainsi que le montre l’activité de mannequinat de l’actrice, égérie de la marque Burberry à partir de  2010, Emma Watson ne semble pas vouloir se contenter du reliquat glamour de sa gloire passée. Il s’agit pour elle de créer un nouveau sens autour de sa notoriété en la mettant au profit d’une cause responsable et – accessoirement – valorisante.
L’actrice aspirante militante devient ainsi l’ambassadrice de bonne volonté de la campagne « HeforShe » qu’elle lance à l’ONU dans un discours remarquée pour sa ferveur à l’égard de l’égalité entre les sexes, le 20 septembre 2014. Deux mois plus tard, elle est nommée « célébrité féministe » par l’association américaine Foundation for Women. Ce titre illustre une transformation qui s’opère autour de l’image de l’actrice qui semble avoir réussi à paraître, par ses convictions, sous un nouveau jour.

Discours à d’Emma Watson à l’ONU – « Quand j’étais petite, je m’étonnais du fait qu’on m’appelle « autoritaire » parce que je voulais diriger nos pièces de théâtre ». Pour Emma Watson, féminisme et engagement artistique ne font qu’un. En découle une nouvelle image publique  où se mêlent les deux versants de sa personnalité, renouvelée aux yeux du public.
Une nouvelle image publique
Dès lors, ce n’est plus à propos d’Harry Potter qu’Emma Watson fait parler d’elle. En atteste, en mai 2015, la séance de questions réponses organisée pour les fans de la l’actrice britannique qui attire principalement des soutiens de la campagne HeforShe. Même constat avec les critiques qui lui sont adressées sur Twitter autour d’une photo topless dans Vanity Fair, perçue par certains comme un manifeste du corps-objet en rupture avec ses convictions féministes. Ces attaques montrent que c’est maintenant l’image de la militante avant celle de la star qui prime dans l’imaginaire collectif.
Cette nouvelle image, Emma Watson s’applique à la cultiver. Ainsi, elle affirme début 2016 vouloir prendre une année sabbatique pour « son développement personnel» et pour lancer un club de lecture féministe « Our Shared Self ». De même, dans les multiples interviews autour du blockbuster La Belle et la Bête dans lequel elle interprète la bien nommée Belle, elle ne manque pas de rappeler que c’est avant tout le caractère féministe du personnage qui a motivé son choix de prendre part au projet.

Emma Watson, seins nus dans Vanity Fair le 28/02/2017
Des soupçons mal placés
Pour autant, il convient de voir que toute suspicion à l’égard de l’authenticité de l’engagement d’Emma Watson serait mal placée. La constance de son militantisme (à 17 ans déjà, elle revendiquait sa part dans le combat féministe) malgré les difficultés d’un univers hollywoodien sous domination masculine montre la ferveur de ses convictions. Ainsi, elle n’a pas manqué de se rendre à Washington, le 21 janvier dernier, pour participer à la Women’s March à l‘encontre de la misogynie incarnée par Donald Trump et son administration.
On regrettera cependant l’instrumentalisation de cette nouvelle image de la star par ceux pour qui les bonnes actions de la jeune femme représentent un avantage financier. Ainsi, la Warner n’a pas manqué de s’emparer de l‘annonce du franc succès de l’actrice à la tribune de l’ONU. Elle a notamment relayé l’anecdote sur le blog de la franchise de JK Rowling afin de la convertir en un argument marketing de choix.
Etienne Brunot 
LinkedIn
 
Sources :
La Belle et la Bête : Emma Watson explique pourquoi c’est un film féministe, Éleanor Douet, RTL Girls, 17/02/2017
Emma Watson : la belle féministe, Margarte Macdonald, Paris Match, 14/02/2017
Quand Emma Watson ne peut pas être féministe car elle a des seins, Grégor Brandy, Slate, 06/03/2017
Journée de la femme : Emma Watson, une ambassadrice engagée, Le Monde des Sorcier de JK Rowling, 2014
Photos : 
Image 1 : Frazer Harrison, GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP, 02/03 2017, Newsweek, « Emma Watson is having to defend her feminism. Again »
Image 2 : Tim Walker, Vanity Fair, 28/02/2017
 

Publicité et marketing

Aimez vos courbes… mais pas trop !

Le culte voué à la maigreur dans la mode ainsi que le manque de représentativité des mannequins font aujourd’hui débat dans notre société. Preuve d’une certaine prise de conscience en la matière, certaines marques montrent une volonté de progrès, comme Michael Kors qui a fait défiler Ashley Graham, mannequin aux courbes généreuses, lors de la Fashion Week prêt-à-porter à Paris fin février, ou encore H&M qui a offert une véritable ode à la diversité dans la publicité pour sa collection automne 2016. La nouvelle campagne Zara, accompagnée du tendancieux slogan « Love your curves », soit « Aimez vos courbes », semblait donc s’inscrire dans la même logique…
Retour sur l’échec d’une campagne, qui suscita aussi bien l’incompréhension que l’irritation ou le rire.
Dissonance
Récemment, le groupe de prêt-à-porter espagnol lançait une nouvelle campagne pour promouvoir sa ligne « Body Curves Jeans », des pantalons censés mettre en valeur les courbes de celles qui les portent. Sur l’une de ses affiches, Zara met en scène deux jeunes femmes de dos, avec un cadrage et des jeux de lumières travaillés pour attirer l’attention du consommateur sur les courbes sublimées par ces jeans. L’idée est d’expliciter le bénéfice produit : procédé tout à fait habituel dans la publicité.
Mais la marque ne s’arrête pas là, décidant de faire inscrire sur cette même affiche une catchline bien choisie, qui parle à toutes les femmes : « Love your curves ». À l’heure où les complexes féminins sont plus que jamais répandus et persistants, Zara décide de véhiculer l’image d’une marque s’affranchissant des standards de beauté, aimant les femmes telles qu’elles sont et leur donnant l’envie d’assumer leur corps.
Le bémol ? Les deux jeunes femmes sur l’affiche sont filiformes et portent au maximum du 36 (si ce n’est un 34). Aujourd’hui, la taille moyenne du jean des Françaises est un 40 et 50% d’entre elles font entre un 40 et un 44. La question de la représentativité se pose et l’ironie est frappante — les réseaux sociaux se déchaînent.

Les réseaux sociaux : un jugement sans appel
Interloqués. Choqués. Amusés. Quelques soient les réactions des différents consommateurs confrontés à cette publicité, elles ne se sont pas faites attendre. La première critique visant la campagne Zara est venue de Muireann O’Connell, présentatrice radio irlandaise qui a prise en photo l’affiche puis l’a partagé sur la toile.

En quelques heures, son post était retweeté plusieurs milliers de fois. Le bad buzz né à Dublin, n’a pas tardé à faire le tour du monde, comme en témoignent les différents détournements et reprises du print, tantôt parodié, tantôt ouvertement critiqué. Un seul constat pour la marque : la campagne est ratée.

 

L’effet papillon : quand un print entache l’image de marque

Cette campagne est incontestablement néfaste : Zara est très loin de véhiculer l’image souhaitée et la marque est même accusée de favoriser des standards de beauté reposant sur la maigreur, voire même, d’encourager l’anorexie chez la femme.
Les internautes parlent d’ironie, de cynisme, voire d’insensibilité de la part de Zara. Certains se questionnent sur l’énormité de cette affiche : comment est-il possible que personne ne se soit rendu compte d’une telle incohérence ? Et si la réponse à cette question était simplement que cela était voulu ? C’est du moins ce que supputent certains internautes, accusant Zara d’avoir volontairement créé ce bad buzz.

Aujourd’hui, les campagnes associées à des polémiques ou à des flops sont davantage médiatisées et les consommateurs ont bien plus de réactions à leur vue, ce qui favorise finalement et paradoxalement une mémorisation du produit et de la marque, comme ce fut le cas dernièrement pour les campagnes Yves Saint Laurent et SuperGurl pour le Black Friday. Pourtant, même si quantitativement, ce coup médiatique peut sembler intéressant, il ne l’est pas du tout qualitativement, puisqu’il nuit grandement à l’image de la marque.
Alors, véritable échec ou campagne marketing parfaitement calculée ? Sans nul doute, nous sommes face à un échec cuisant.
Lucille Gaudel
 
Crédits  :
• Logo Zara
• Captures d’écran recueillies sur Twitter
 
Sources :
• BERTHET Anne Caroline, 20 Minutes, « A quoi ressemble le Français moyen ? », 4/07/2010, consulté le 02/04/2017
• BOULT Adam, Telegraph, « Zara criticised for ‘love your curves’ campaign – featuring slim models », 1/03/2017, consulté le 30/03/2017
• DUSSERT Margaux, L’ADN, « “Love Your Curves” : quand Zara dérape », 1/03/2017, consulté le 30/03/2017
• LE GALL Elodie, Femmes Actuelles, « Quelles sont les mensurations des Françaises ? » , 7/07/2016, consulté le 01/04/2017
• TRICHOT Ludivine, Huffington Post, « Elles rappellent la définition de « courbes » à Zara qui semble l’avoir oubliée », 1/03/2017, consulté le 5/04/2017
 

Société

Burger King : Roi des Forêts

Ah Burger King ! Son fameux Whopper et ses coups de com géniaux ! Franchement, qui n’aime pas Burger King ? Qui ? Eh bien laissez-moi vous éclairer : les arbres ! En effet, Mighty Earth et plusieurs autres ONG ont accusé le géant du burger de participer fortement à la déforestation en Amérique du Sud, mettant en danger espèces et autochtones. Alors, pas si cool BK ?
Com c’est drôle

La firme au célèbre Whopper s’attire régulièrement la sympathie des consommateurs grâce à ses campagnes originales et bien pensées. Associée à l’agence Buzzman depuis 2014, elle ravie les amateurs de communication décalée et humoristique. Une com au poil à laquelle, jusqu’à alors, on ne reprochait rien. On pense notamment aux bâches lors de l’aménagement de leurs restaurants qui reprenaient les tweets d’internautes promettant de faire n’importe quoi si un restaurant ouvrait vers chez eux. Ou encore de leur petite gué-guerre avec McDonald’s au travers d’affiches et de spots. Dernier en date, le dentifrice au goût Whopper pour le premier avril : le buzz assuré. La chaîne de restaurants commettait alors un sans-faute. Mais…

Faites entrer l’accusé
Mais en mars dernier, dans la quasi indifférence générale, on apprenait qu’une ONG lançait une sérieuse alerte sur la politique de développement durable de Burger King. En effet, les filières de production de soja qui nourrissent le bétail à l’origine de leur fameux steak cuit à la flamme, participent à une déforestation systématique au Brésil et en Bolivie. Car la demande en soja, importée en Europe car fameuse pour l’élevage des bovins de nos contrées, ne cesse d’augmenter. Et pour satisfaire la demande, il faut de la place, ainsi les entreprises d’agro-alimentaire achètent d’immenses territoires de forêt vierge et les brûlent pour remplacer le tout par des champs de soja. L’ensemble avec l’aval des gouvernements. Ces entreprises vont d’ailleurs jusqu’à encourager les fermiers locaux à faire de même. Enfin, cela passe par des traders (opérateur de marché) et des marchés financiers. 50% de la végétation de Cerrado, la zone où opèrent les fournisseurs de Burger King, Bunge et Cargill (entreprises de négoces de matières premières), a disparu.

 

Mighty Earth souligne que grâce à ses recherches, les observations de terrain, la géolocalisation et les images satellites, les liens sont très clairs. Quid des pesticides répandus en avion sur de larges zones menaçant paresseux, jaguars et tapirs. Mais aussi les tribus habitants la forêt. Pratiques d’un autre siècle. En cause également, l’huile de palme utilisée dans leurs produits, responsable de déforestation massive en Indonésie.
Com des idiots
Burger King, détenu par le fonds d’investissement brésilien 3G Capital, a refusé d’arrêter d’acheter des matières premières produites sur des zones déforestées ou rasées. En clair : on ne change rien. Bunge, n’a pas jugé opportun de faire de déclaration. Qui en a quelque chose à faire après tout ? Seul Cargill a rappelé ses objectifs en termes de développement durable : fin de la déforestation pour 2030. Des dégâts peuvent encore être faits d’ici là ! Burger King fait donc l’autruche : son capital sympathie est énorme et sa communication tellement habile. En quoi quelques milliers d’hectares de forêt changeraient quelque chose ? Sur leur site internet, aucune mention de leur politique de développement durable, pas d’objectifs, rien. Burger King n’y prête donc pas la moindre attention, alors même que notre période est heureusement au développement durable et à la responsabilité sociétale. OSEF comme disent les jeunes.
McDonald’s, bien plus controversé que Burger King, possède pourtant une telle politique, des objectifs et tente de réduire son impact écologique. Je cite : « Nous nous engageons à sensibiliser le public à l’échelle mondiale, peut-être pouvez-vous participer à un effort significatif ? ». D’autres s’y sensibilisent également, à l’instar de KFC ou encore de Subway.

Subway par exemple n’utilise plus que de l’huile de palme certifiée et « souhaite se […] concentrer sur des initiatives durables concernant […] la traçabilité et la gestion de sa chaîne d’approvisionnement. ». À l’identique de Nutella qui, ancien gros déforestateur en Indonésie, a changé son fusil d’épaule en 2015 pour n’employer plus que de l’huile de palme certifiée. KFC, plus radical, l’a supprimé de sa chaîne de production afin de lutter contre la déforestation.
Oui, Burger King, c’est plutôt bon et c’est sympa, ça fait rire. Mais aujourd’hui chacun doit faire un effort et participer à créer un monde plus juste, plus sain. Une enseigne aussi importante que Burger King a donc un véritable devoir de transparence et de réponse : d’où proviennent vos matières premières ? Pourtant il semble que ce genre d’exactions soit tellement courant que personne n’en a plus rien à faire. Il est vrai que l’Amérique du Sud c’est très loin, mais tout de même. Cessons d’accorder notre confiance à des marques qui mettent en péril notre bien commun, ce sont des milliers d’hectares de forêt qui disparaissent, impactant forcément la vie de chacun, accélérant le réchauffement climatique. Voilà ce qui devrait faire le buzz.
Alexane DAVID
Sources :
• VALO Martine, « Burger King, « roi de la déforestation » », Le Monde. Posté le 07/03/17. Consulté le 03/04/17.
• McDonalds. Consulté le 03/04/17.
• Subway. Consulté le 05/4/17.
• Emmanuel Perrin, « Huile de palme : KFC s’engage à lutter contre la déforestation », Maxisciences Posté le 11/01/11. Consulté le 05/04/17.
• « Burger King achète des farines animales dans d’anciennes forêts tropicales », Pieuvre.ca. Posté le 02/03/17. Consulté le 03/04/17.
• Sabine Rabourdin, « Soja : de l’Amazonie à l’entrecôte », Zéro Déforestation Consulté le 05/04/17.
 
Crédit photos :
• Image 1 : Buzzman
• Image 2 : Buzzman
• Image 3 : Mighty Earth
• Image 4 : McDonald’s
• PHOTO DE COUVERTURE : Capture d’écran du compte Twitter de Sum of Us