Société

Tchétchénie Horror Story : le retour des camps de concentration

                 En Mars 2017, le journal indépendant Novaïa Gazeta publiait une enquête affirmant que des centaines d’homosexuels avaient été arrêtés et emmenés dans des prisons clandestines par les forces de l’ordre de Tchétchénie. L’information était plus tard relayée et confirmée par l’ONG humanitaire Human Rights Watch. Battus, humiliés, menacés de mort par leurs familles, des centaines de gays et lesbiennes auraient donc quitté leur pays aux mœurs conservatrices pour venir se réfugier en Russie, où ils sont également menacés. Les associations LGBT de Russie se mobilisent pour évacuer les victimes, créent un numéro d’urgence, les réseaux sociaux relaient les informations, le Conseil de l’Europe et les ambassades anglaises et allemandes demandent que les personnes LGBT soient protégées en Tchétchénie et en Russie. Une mobilisation internationale.

Un flou informationnel

Pourtant, les informations restent floues. En raison des risques encourus, peu de victimes sont prêtes à témoigner. Le gouvernement tchétchène considère que « si de telles personnes [LGBT] existaient, les autorités n’auraient pas à s’en faire puisque leur propre famille les enverrait à un endroit dont on ne revient pas », et qu’il n’y a donc pas d’homosexuel.le.s dans son pays. Boris Dittrich, directeur de Human Right Watch, lui, nie l’existence de « camps de concentration pour homosexuel.le.s », sans toutefois nier que certain.e.s d’entre eux.elles ont effectivement été envoyé dans des camps.
Pourtant, l’information est peu diffusée en France, étouffée par une actualité nationale et internationale brûlante – la campagne présidentielle, l’attentat des Champs-Élysées, les tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis. Peu de journaux nationaux en font mention ; il faut chercher dans les médias plus locaux ou plus alternatifs pour trouver des informations. Un reportage de trois minutes est diffusé sur France 3 lors du JT, sans que toutes les circonstances de l’affaire soient dévoilées.
Les associations LGBT mettent un point d’honneur à apporter leur soutien aux victimes de leur communauté. Plusieurs rassemblements sont organisés à Paris la semaine du 17 avril, à l’Hôtel de Ville ou encore à sur la Place de la République. Mais très peu se mobilisent. : à peine deux cents personnes resserrées autour du drapeau arc-en-ciel. Une mobilisation dérisoire pour des actes qui ressemblent à des crimes de haine ?.


Le rassemblement place de la République à Paris

Difficile, alors, de ne pas comparer la foule bigarrée de ces rassemblements à l’effervescence de la Gay Pride, ou – dans un contexte moins joyeux – aux manifestations de soutien aux victimes de l’attentat d’Orlando. C’est pourtant la même communauté qui est touchée. La même communauté à laquelle appartenait Xavier Jugelé, le policier tué lors de l’attentat du jeudi 20 avril – lequel était par ailleurs, membre de l’association des policiers LGBT Flag!, présente lors des rassemblements.
Bien sûr, Xavier Jugelé n’a pas été tué pour son orientation sexuelle. Mais il est surprenant que son meurtre n’ait pas renvoyé aux crimes commis en Tchétchénie, n’ait pas incité, en tout cas, à davantage en parler, surtout en vue de la mobilisation de l’association à laquelle il appartenait et qui était rassemblée Place de la République pour protester contre les camps en Tchétchénie une heure à peine avant l’attentat. Alors, pourquoi un tel silence ?

La loi du silence

Tout d’abord, il semble que la communauté LGBT soit souvent “l’oubliée” des médias. Lorsqu’un article décrit le Président Trump, il oublie souvent de mentionner, autour des « raciste islamophobe sexiste » habituels, qu’il est aussi transphobe et homophobe (il a entre autre abrogé les dispositifs d’Obama en faveur des transgenres, notamment celui permettant aux élèves transgenres d’utiliser les toilettes correspondant au genre auquel ils.elles s’identifient). Lorsque Moonlight avait été sacré Meilleur Film aux Oscars, les médias français oubliaient souvent de préciser qu’il s’agissait d’un film sur l’homophobie et la difficulté d’assumer sa sexualité dans les milieux noirs défavorisés. Bien sûr, il est périlleux de comparer un film avec des camps de concentration ; l’impact est sans commune mesure. Mais le fait est que la communauté LGBT est souvent laissée à la marge.
Mais ce n’est pas si simple. D’autres éléments expliquent que les médias couvrent peu l’événement. Tout d’abord, les termes “camps de concentration” font peur. Parce qu’ils renvoient forcément à un horrible pan de l’histoire, mais aussi parce qu’il apparaît toujours un peu hasardeux de comparer les événements d’aujourd’hui avec ceux qui ont conduits à la Seconde Guerre mondiale. C’est une pratique commune, utilisée un peu à tort et à travers à une certaine époque, et qui a finalement mené à une impasse médiatique. D’un côté, il y a ceux qui n’ont pas peur de faire des parallèles, en comparant l’élection de Trump à celle d’Hitler, les camps pour homosexuels à ceux du IIIème Reich. Sur les réseaux sociaux, l’expression “Punch the Nazis” se répand de plus en plus pour décrire les actes de protestation contre les opinions de Trump et de ses électeurs. De l’autre côté, il y a les sceptiques, ceux qui considèrent qu’il ne faut pas se précipiter, que ces comparaisons servent davantage le buzz que l’information et qu’elles ne servent qu’à répandre la panique.


Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine en 2011

Les preuves de l’existence de ces camps tchétchènes sont en effet minces. Malgré les témoignages, peu de sources les ont filmés ou photographiés, leurs emplacements sont difficiles à trouver, les victimes hésitent à parler, le gouvernement nie leur existence. Peut-être est-ce pour cela que les grands médias nationaux ont peu couvert l’affaire, peu relayé l’information ? Par manque de preuve, par peur de l’alarmisme ? On accuse pourtant souvent les médias de vouloir effrayer les populations pour mieux vendre. Mais peut-être la Russie et la Tchétchénie sont-ils des pays trop lointains pour vraiment attirer l’attention de la foule ?
 
Manque de preuves, période encombrée, refus des amalgames, homophobie ? Difficile de savoir pourquoi l’histoire des camps de Tchétchénie mobilise aussi peu les médias et, par extension, les peuples. Ce qui est sûr, c’est que de nouveaux témoignages parviennent chaque jour, que des pétitions récoltent sans cesse de nouvelles signatures, que les ONG sont de plus en plus impliquées, et que les gouvernements concernés continuent de nier. Preuve, s’il en est, que le combat pour la libération des mœurs et des sexualités est toujours d’actualité.
 
Margaux Saillot
Sources
« Tchétchénie : des camps pour les homosexuels », article de France Info publié le 15 avril http://www.francetvinfo.fr/monde/russie/tchetchenie-des-camps-pour-les-homosexuels_2147325.html
« Tchétchénie : le président dément les persécutions et les tortures d’homosexuels », article du Parisien paru le 21 avril http://www.leparisien.fr/international/tchetchenie-le-president-dement-les-persecutions-et-les-tortures-d-homosexuels-19-04-2017-6868722.php
« En Tchétchénie, les LGBT persécutés dans des « prisons secrètes » », article de France 24 publié le 11 avril http://www.france24.com/fr/20170411-russie-tchetchenie-lgbt-victimes-persecutions-homosexuels-tortures-camps
Chechnya Survivors Tell Their Stories of Horror, article d’Advocate publié le 21 avril http://www.advocate.com/politics/2017/4/21/chechnya-survivors-tell-their-stories-horror
« Homosexuels torturés en Tchétchénie : à Paris, les manifestants réclament “l’action des candidats” », article des Inrocks paru le 21/04/2017 http://www.lesinrocks.com/2017/04/21/actualite/homosexuels-tortures-en-tchetchenie-paris-les-manifestants-reclament-laction-des-candidats-11936256/
Communiqué de presse de l’association LGBT Mag concernant les rassemblements à Paris publié le 19 avril : http://claudinelepage.eu/newbb/wp-content/uploads/2017/04/CP-MAG-Mobilisation-Tchétchénie-2-1.pdf
« Persécutions des homosexuels en Tchétchénie : « Ces violences se perpétuent dans l’impunité la plus totale » », article de France TV Info publié le 24 avril http://mobile.francetvinfo.fr/monde/russie/persecutions-des-homosexuels-en-tchetchenie-ces-violences-se-perpetuent-dans-limpunite-la-plus-totale_2156545.html#xtor=CS2-765-%5Bfacebook%5D-&xtref=http://m.facebook.com
« Trump abroge des dispositifs Obama en faveur des transgenres », article de Reuters publié le 23 février http://www.boursorama.com/actualites/trump-abroge-des-dispositifs-obama-en-faveur-des-transgenres-1398586ff937c91cd8936150b60379c2
 
Crédits photos :
©  Juliette Redivo, http://www.lesinrocks.com/2017/04/21/actualite/homosexuels-tortures-en-tchetchenie-paris-les-manifestants-reclament-laction-des-candidats-11936256/
© Kirill Kudryavtsev, AFP http://www.bbc.com/news/world-europe-39566136

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