Société

Makers: pour changer le monde, il suffit de le faire

La semaine dernière se tenait à Las Vegas le Consumer Electronic Show (CES), le plus grand salon électronique du monde, qui fêtera l’année prochaine ses 50 ans. Si dans les années 90, les objets phares de l’événement étaient les téléphones portables ou les ordinateurs – comme le rappelle le Petit journal (« VU » du 8/01/2016) – cette année, ce sont bien les objets intelligents, notamment les imprimantes 3D, qui font sensation. Au-delà de l’avancée technologique – et on le verra, économique – considérable qu’ils représentent, ces objets font corps avec une toute jeune tendance, qui commence à beaucoup faire parler d’elle : la culture des makers.
Fab Labs, Hackerspaces et Makers fair
Non, ce n’est pas une partie de Kamoulox, mais bel et bien les maîtres mots d’une petite révolution qui dépasse, petit à petit, le champ des geeks. Pour un maker, l’innovation technologique à ce point sophistiquée qu’elle nous permet de créer nous-même nos objets à nos propres fins donne forcément lieu à une nouvelle manière de considérer la production, le savoir et le partage. Elle permet de passer du virtuel au réel, du « penser » au « faire ». C’est donc naturellement que se démocratise les Fab Labs ou autres Hackerspaces, lieux de rencontres entre bricoleurs et bidouilleurs 2.0, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe. On les trouve dans des lieux dédiés, comme à La Paillasse de Vitry-sur-Seine, mais aussi dans les universités et dans les entreprises. Ces dernières considèrent ces lieux comme de véritables leviers de performance car ils permettent de se rassembler, d’échanger, de se fédérer autour de la création: ils gagnent à devenir la composante d’une culture d’entreprise renouvelée.

En mettant en commun les machines, les makers mettent aussi en commun leur savoir-faire, leurs projets, et de là naît une communauté qui se veut alternative face à la société de production et de consommation de masse – qui s’essouffle un peu plus chaque jour. Le mouvement devient alors massif car il prône non seulement une économie collaborative mais aussi une économie de la connaissance: plus pérenne et plus fédératrice, elle crée du lien social. Une autre avancée numérique caractérise ces alternatives : l’open source. Il s’agit d’un logiciel ouvert à tous et dont l’originalité réside dans le fait que chacun peut y ajouter ses propres analyses, techniques, connaissances – de manière collaborative. Faire, agir sur notre quotidien n’a jamais été aussi simple, car les inventions et les objets sont désormais « ouverts, perfectibles et personnalisables à l’infini », comme Véronique Routin (directrice de la Fing) le rapporte à l’Obs.
Toujours dans la volonté de rendre le monde meilleur, plus pratique, plus respectueux de la planète, les makers seraient donc les acteurs avant-gardistes d’une révolution économique mais aussi sociale.

Bricoler avec ce qu’on a plutôt que de discuter de ce qu’on n’aura pas
Car ce n’est peut-être pas tout à fait dû au hasard si le mouvement des makers gagne à être de plus en plus reconnu. Dans une société dépassée par les normes industrielles (obsolescence programmée, standardisation…) d’une part, et par le sentiment collectif d’inaction des décideurs d’autre part sur les sujets d’avenir (comment produire plus efficacement, moins polluer…), il y a dans le mouvement des makers comme un message social et citoyen, qui dirait : « nous n’avons plus besoin de vous, nous pouvons subvenir à nos besoins sans vous, vivre mieux sans vous. »
L’exemple du projet récent de POC21 en est l’illustration la plus parlante.

POC21 Trailer: « The World We Need » from POC21 cc on Vimeo.

En août dernier et pendant cinq semaines, un collectif « d’éco-hackers » a pris possession du château de Millemont dans l’objectif de créer des solutions durables face au changement climatique, grâce à l’open source et à la création numérique. La vidéo trailer du projet propulsé notamment par OuiShare , « The world we need », ne cache pas son ambition : de toute évidence, il s’agit d’un pied de nez fait à l’Etat, aux décideurs qui « s’assoient et parlent » du climat, faisant référence à la COP21 qui aura lieu quelques mois plus tard. Quand on sait que l’accord signé à cette occasion est aujourd’hui qualifié de « réussite diplomatique », plus que d’une réussite écologique à proprement parler, on peut dire que le projet vise juste et place la société civile en tant qu’alternative concrète mais surtout efficace.
Ainsi, les makers donnent les outils pour s’émanciper d’un système à bout de souffle, qu’il soit politique ou financier. D’ailleurs, Le Monde souligne que les « banques n’ont pas encore pris le chemin des Fab Labs », et que les projets des makers s’auto-financent grâce à des solutions de crowdfunding. C’est tout un « éco-système » qui se crée en marge des normes pré-établies par les Etats ou les institutions – tout en étant soutenu par elles, à l’instar de Barack Obama.
À cet égard, le tout premier maker, Dale Dougherty (à l’origine du média Make) rappelle dans une conférence TED que cette émancipation passe aussi par la fierté et le sentiment d’accomplissement personnel d’une telle action collective de création à des fins utile, d’avoir un « monde autour de nous crée par nous ».
S’il est cependant légitime d’évoquer quelques doutes à l’idée que la culture maker révolutionnera à elle seule notre économie et notre industrie dès demain, la démocratisation du mouvement est indéniable (en témoigne la baisse des prix fulgurante des machines à impression 3D). Reste à savoir comment évoluera l’effet de mode face à un système économique certes instable, mais toujours puissant.
Faustine Faure
@FaustineFaure
Sources :
Tribune de Declan Cassidy, directeur de Makerclub, sur LinkedIn : « Why CES 2016 predicts the new era of makers »
France Culture, Le monde selon Xavier De la Porte, Makers: entre le faire et le penser
Le Monde, Fabrique moi un mouton, Frédéric Joignot, 04/04/2013
L’obs, Fab Lab, bidouille et partage: bienvenue dans le monde des makers, Nicole Pénicaut, 04/04/2014
Libération, qui sont les makers ? Lucile Morin, 12/10/2014
http://makermedia.com/
TED talk, Dale Dougherty, We are all makers, 2011
Maddyness, #POC21, l’accélérateur de solutions durables et open source ouvre ses portes, Anais Richardin, 13/08/2015
Crédits photos:
Co-work.fr
innovateli.com
peoplbrain.com
 
 

METRO BOULOT PHOTO
Non classé

Métro, boulot, photo

Ceux qui ont récemment pris la ligne 4 à Saint-Michel ont sûrement remarqué les portraits de Marilyn Monroe, Salvador Dalí et d’autres encore accrochés au-dessus des tourniquets. Il s’agit là d’une des nombreuses manifestations à l’initiative de la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) sobrement intitulée « La RATP invite… ». Depuis octobre 2013, des photographies en grand, voire très grand format tapissent les murs de certains arrêts du métro parisien selon des thématiques constamment renouvelées. Et posent une question ancienne sous un angle inédit, celle du rapport entre l’art et le(s) public(s).
La tentation de l’art
La RATP met à disposition des espaces d’affichage sur son réseau ferroviaire pour y exposer des photographies. Elle s’associe à de grandes manifestations du monde de la photographie comme Photoquai, à de grands musées de photographie tels que le Musée du Jeu de Paume ou la Maison Européenne de la Photographie et à de grands noms : Guerogui Pinkhassov ou Bruce Gilden, tous deux membres de l’agence Magnum. Ces choix prestigieux permettent à l’entreprise de se positionner sur le terrain de la photographie d’art.
Elle va même plus loin en s’arrogeant un rôle de mécène. Les deux premières éditions de « La RATP invite… » se sont faites en partenariat avec Photoquai, dont le but est de présenter tous les deux ans 40 photographes du monde entier dont on estime qu’ils méritent d’être connus, et le festival Circulation(s), dont le but était de servir de tremplin à la jeune garde. En se faisant le relais de ces manifestations et en augmentant la visibilité des artistes, la RATP a affirmé sa volonté de servir la « cause » artistique, autrement dit de se faire mécène d’un nouveau genre.
Grâce à l’étendue de son réseau, son quasi-monopole en termes de transports urbains et à une régie publicitaire efficace, la RATP peut proposer un mécénat inédit à l’impact fort : la mise à disposition de lieux d’exposition au plus près du public. Les galeries souterraines du métro deviennent galeries d’art.
Nouvel espace pour une nouvelle vie ?
 

Ce qui se joue là est un rapport d’immédiateté dans lequel l’art va chercher le public et non l’inverse, comme dans un musée traditionnel. Il y a à la fois un phénomène de « descente de l’art dans les rues » et de sanctuarisation de nouveaux lieux publics. A cet égard, le choix de la photographie est extrêmement parlant. Isabelle Ockrent, directrice de la communication de la RATP au moment du partenariat avec Circulation(s), l’explique ainsi : « pourquoi la photo ? La photo c’est un art qu’on peut prendre à plusieurs niveaux, c’est un art populaire, c’est un art accessible et c’est aussi un art qu’on peut diffuser dans nos espaces ». La photographie serait donc la forme d’art qui se prêterait le mieux à l’hybridation des lieux d’exposition.
Par ailleurs, les galeries du métro se prêtent particulièrement bien à l’exercice. De longs couloirs où les gens peuvent déambuler, des cadres gigantesques, sobres ou même ornés, une culture de l’image ; le cadre ainsi décrit pourrait être celui d’une galerie d’art traditionnelle. Cet espace du quotidien de milliers de personnes présente ainsi les caractéristiques idéales pour créer un nouveau lieu d’exposition. Peut-être même est-ce le lieu ultime de démocratisation de l’art : accessible à tous, à tout moment, pour presque rien, ne demandant pas d’effectuer une démarche supplémentaire.
« Une image vaut mieux que mille mots » (c’est Confucius qui l’a dit !)
Il ne suffit pourtant pas de démocratiser pour rendre accessible. Le regard est une véritable problématique dans le métro. Le passant est habitué à la présence de publicités dans presque tous les lieux publics, il est dans le métro au plus près d’affiches aux formats énormes et au nombre conséquent. Tout en développant donc, chez les usagers une véritable culture de l’image, les publicités créent de la lassitude. On voit, plus qu’on ne regarde, les images qui tapissent les murs du métro. Dans ce contexte une image sans texte, dont le but est simplement d’être et non de servir, dans un cadre où on ne s’attend pas à la voir, constitue une respiration et pose une question. Xavier Canone, directeur du musée de la photographie de Charleroi, l’exprime ainsi : « il y a quelque chose là qui est non seulement de faire descendre des formes d’expression culturelle dans des lieux où tout le monde passe mais en plus d’avoir des photographies qui sont sans messages, des photographies sans mots ça oblige, je pense, à avoir une réflexion sur l’image. » S’exprimerait là une vocation d’éducation du regard de la part de la RATP.
Quand l’entreprise parle d’elle-même sans dire un mot

Les années 1980 ont vu l’ouverture de deux musées, dédiés respectivement aux télécommunications et à l’électricité, sous la houlette des deux grandes entreprises françaises France Télécom et EDF. Depuis, l’Espace Fondation EDF a accueilli un grand nombre d’expositions d’art. Plus récemment, la fondation Louis Vuitton a fait construire un musée extravagant dédié à l’art contemporain au Bois de Boulogne. En s’associant à la culture, les entreprises se construisent une image de bienfaiteurs de la société. D’une part, ils ne s’intéressent pas uniquement à l’argent, d’autre part, ils apportent la culture au plus grand nombre.
Une des dernières expositions met en lumière le rôle de moteur de la société que la RATP veut également prendre. Du 24 novembre au 7 décembre 2015, des photographies de Salvador Salgado ont envahi les murs du métro. Elles étaient tirées de la série Genesis pour laquelle le photographe a parcouru pendant 8 ans le monde à la recherche des plus belles manifestations de la nature. Le thème ainsi que les dates de l’exposition ont été choisi pour faire écho à la tenue de la COP 21 à Paris. La mobilisation de la société civile a été le phénomène marquant de cet événement et la RATP y a participé par le biais de son exposition.
La force de la communication de la RATP réside pourtant ailleurs. En effet, le nouveau lieu de culture et de mobilisation coïncide avec les espaces exploités par l’entreprise. Cette superposition des espaces est inédite et particulièrement puissante : ce qui est promu et le dispositif ne font qu’un. Symboliquement la RATP va même plus loin. En remplaçant les publicités par des photographies d’art elle affirme son indépendance vis à vis de considérations « bassement matérielles ».
La force de frappe de cette initiative est donc double : elle est peut-être le lieu d’une nouvelle muséologie tout en étant une démonstration par l’exemple de la puissance de l’entreprise RATP.
Sophie Miljkovic
Sources :
Le site de la RATP qui propose des fiches sur toutes les expositions traitées ci-dessus
Benjamin, Walter, « Petite histoire de la photographie », Études photographiques,1 Novembre 1996, [En ligne], mis en ligne le 18 novembre 2002, URL : http://etudesphotographiques.revues.org/99. consulté le 28 décembre 2015
Davallon Jean, « Le pouvoir sémiotique de l’espace. Vers une nouvelle conception de l’exposition ?», Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 38-44, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-38.htm
Rasse Paul, Girault Yves, « Introduction. Regard sur les arts, les sciences et les cultures en mouvement, à travers les débats qui agitent l’institution muséale…», Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 11-16, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-11.htm
Wolton Dominique, « Les musées. Trois questions. », Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 195-199, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-195.htm
Crédits photos :
La RATP (le nom du photographe n’apparaît pas)
La RATP une fois encore (aucune indication n’est donnée dans la vidéo)
La RATP, une dernière fois

Publicité et marketing

Publicité et marketing : la parole aux enfants

De la figure attendrissante du petit garçon et de Maurice son poisson rouge dans la publicité de Nestlé, à celle où le fiston vente la simplicité de la nouvelle voiture électrique de Renault, on ne compte plus les publicités dans lesquelles l’enfant joue un rôle central. Cependant, le statut d’enfant-acteur dans la publicité évolue avec son époque. Ces derniers temps, il semble qu’une légère tendance se dessine : les « publicités expérimentales ». En mettant en scène des témoignages d’enfants, elles soulèvent en creux des questions de société. Des questions sur lesquelles les enfants sembleraient avoir leur mot à vendre… euh, à dire.
Une expérience sociale à caractère scientifique
Interroger les enfants sur l’expérience qu’ils ont d’un produit, l’idée n’est pas révolutionnaire. Il suffit pour le constater d’aller voir du côté de la célèbre marque de petites briques de construction Lego, qui se définit comme un « prestataire d’expériences de jeu » (« provider of play experiences »). Mais en 2014, Lego bouleverse le statut de l’enfant dans la publicité en lançant une campagne d’un nouveau genre : « l’expérience créative ». Cette expérimentation joue sur la mystique de l’épanouissement par le jeu, en nous dévoilant l’envers du décor : par-delà la brique, l’expérience du jeu.

Le principe est simple : plusieurs enfants, entre 6 et 11 ans, sont interviewés chacun leur tour sur leur expérience des Lego. L’expérience consiste alors à démontrer aux mamans que le rapport des enfants aux Lego dépasse toute la profondeur de l’imaginaire créé par l’enfant autour de la brique.
Le cadre de l’expérience et la manière dont elle est filmée révèlent la volonté de dépeindre le caractère sérieux, expérimental et presque scientifique de l’expérience : fond neutre, atmosphère lumineuse, peu de mouvement, plans caméras alternés entre le visage et le corps … Par ces procédés, la marque cherche à prendre le spectateur à témoin et à le persuader de l’authenticité et de la conformité de l’expérience, comme le faisaient les scientifiques au XVIIème siècle. Le spectateur est incité à dépasser la matérialité du jeu pour le voir comme une expérience personnelle constructive, en combattant les a priori des mères – et seulement des mères – jusqu’alors « prisonnières de la brique ».
Quand la publicité fait de la télé-réalité
Plus récemment, le concept d’expérience dans la publicité a franchi une nouvelle étape. Alors que dans le cas de Lego, l’enfant révélait au spectateur les dessous de son expérience de jeu dans une démarche plutôt scientifique, on voit désormais défiler sur nos écrans des publicités dans lesquelles ce ne sont plus des pratiques qui sont en jeu, mais une certaine conception de la société, un point de vue sur des problématiques actuelles. C’est le choix de la publicité aux 10 millions de vues sur YouTube de la marque d’hygiène féminine Always. Dans une interview, Laureen Greenfield, réalisatrice du spot publicitaire « Like a girl », récompensé aux 67ème Emmy Award dans la catégorie « Oustanding Commercial », définit clairement son projet comme une « expérience sociale », une appellation qui fait écho au principe originel de la télé-réalité.

A la volonté de donner une dimension scientifique à l’expérience s’ajoute la prétention de la publicité à devenir un vecteur de prise de conscience et d’évolution sociétale. En dénonçant les représentations de la femme comme une figure de faiblesse et de fragilité, la marque fait le pari de mettre encore plus à distance le produit matériel afin de souligner davantage les valeurs véhiculées par la marque et son engagement social. Dans la continuité de cette publicité, la période de Noël a notamment vu les Magasins U s’emparer à leur tour de la délicate question du genre en utilisant le même principe d’expérience sociale qui met à bas les stéréotypes sociétaux.

L’imaginaire de l’enfant dans les « publicités expérimentales »
Les propos de Monique Dagnaud, ex-directrice du CSA et actuelle directrice de recherche émérite au CNRS, apparaissent de nos jours difficilement contestables : « la publicité s’adresse directement à l’enfant, en fait un héros avec un comportement d’adulte, souvent plus impertinent et astucieux que ses parents ». Les spots publicitaires mettant en place de telles « expériences sociales » redéfinissent le statut de l’enfant dans la publicité. L’enfant est « surprenant de créativité » et de transcendance avec Lego, il prend conscience des stéréotypes sociétaux et en révèle les enjeux à ses parents avec Always, il éveille les mentalités et est vecteur d’évolution sociale avec les Magasins U.
Dans ces « publicités expérimentales », l’enfant ne joue plus seulement à l’adulte : il affirme son individualité et affiche des positions claires. De telles stratégies publicitaires font ressurgir l’imaginaire quelque peu oublié de l’enfant comme figure d’une innocence ponctuée de vérité.
Ces publicités ont majoritairement fait parler d’elles sur le contenu. Et c’est aussi cela leur force : pour atteindre leurs objectifs d’audience, elles réussissent à faire oublier leur nature commerciale en s’immisçant dans les conversations quotidiennes de fond.
A l’image de la publicité d’Always qui matérialise par des cubes les « cadres instituants » (Emmanüel Souchier) de la société pour mieux les détruire, il convient de mettre au jour les « cadres instituants » de ces publicités, qui, sous couvert d’une cause sociale de leur temps, utilisent la fibre émotionnelle et réveillent l’imaginaire de l’enfant comme figure de vérité, au service d’un objectif purement marketing.
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
⁃ Lego – http://www.lego.com/fr-fr/aboutus/responsibility
⁃ Emmanuël Souchier (2012). La mémoire de l’oubli : éloge de l’aliénation Pour une poétique de « l’infra-ordinaire ». Communication & langages, 2012, pp 3-19 doi:10.4074/S0336150012002013
⁃ Emmy Awards – http://www.emmys.com/awards/nominees-winners/2015/outstanding-commercial
⁃ Interview Laureen Greenfield (« Like a girl ») – https://www.youtube.com/watch?v=u2wqxiq1nD8
⁃ CNRS – http://cems.ehess.fr/index.php?2639
Crédits images : 
– Capture d’écran de la vidéo LEGO – https://www.youtube.com/watch?v=pA_CZ7baFLw 

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Formats spéciaux

Daniel Bougnoux parle communication, politique et terrorisme avec FastNCurious

Daniel Bougnoux, chercheur en sciences de l’information et de la communication (SIC), est l’auteur d’ouvrages majeurs dans la discipline comme La crise de la représentation et son Introduction aux sciences de la communication.
Dans cette entretien divisé en trois parties, il nous parle des SIC, du terrorisme et de sa médiadépendance et enfin de communication politique.
 

D. Bougnoux qualifie les SIC de « randonnée critique » il explique qu’il y a dans les SIC une volonté de s’écarter de la méthodologie tracée par d’autres disciplines. « Il y a la volonté de se confronter au hasard des événements » et l’idée que tout est bon à prendre pour réfléchir.
« Nous sommes des sujets de mondes propres ». Chaque porteur est facteur de transmission, prélève sa dîme sur le message qu’il a reçu, c’est à dire, au passage, le transforme ». « Tout ça fait partie d’une médiologie ». La médiologie fédère de nombreuses études, elle analyse ce qu’un médium fait à un message.
 

Les médias agissent comme une « caisse de résonance » des actes terroristes. Ils propagent l’onde de choc des actes terroristes. « Il y a médiadépendance du terrorisme et les médias trouvent un effet d’audience pernicieux dans les actes terroristes ».
Le journaliste va t’il relayer simplement ces actes ou alors utiliser un langage de prise de distance ? « Le propre de la terreur c’est qu’on n’a plus aucun recul, on a la face contre terre. » « Les messages sont reçus et traités par des sujets d’information qui doivent rester critiques, » ils doivent les élaborer en les recevant.
 

 
En 1996, Daniel Bougnoux écrit une Lettre à Alain Juppé. Il revient ici sur son contenu et l’éclaire à la lumière de la situation politique actuelle.
« Il [Juppé] avait une vision descendante de la politique où le chef d’Etat ou de gouvernement était en position d’avoir à expliquer des mesures, et les autres à les appliquer ou à les enregistrer. » « C’est une conscience que la raison est distribuée et non pas incarnée dans le chef et que la raison étant distribuée, seule une forme minimale de participation et de communication horizontale peut faire émerger des solutions éminemment politiques ».
Un message a de moins en moins de chance d’arriver dans la tête des gens de la même façon pour tous à cause de la multiplication des mondes propres.
« Le costume de chef de guerre de Francois Hollande lui va bien et il va bien, en général, à un chef d’Etat. » Cela peut rassembler la nation et faire du bien au pouvoir en place. « il y a actuellement un moment d’émotion qui rend le corps social moins fracturé qu’auparavant ». « Mais on sait à quel point ces états sont métastables ».
FastNCurious remercie Oliver Aïm qui nous a permis de réaliser cet entretien.

Société

Bad buzz bad buzz, watcha gonna do ?

« Je suis un produit, mais comme beaucoup d’autres artistes qui passent à la télé et à la radio et qui deviennent populaires. Je l’assume complètement, j’aime divertir les gens, je m’amuse dans ce que je fais ». Sur le plateau d’On n’est pas couché, la chanteuse Shy’m n’a pas hésité à assumer sa conception marchande du vedettariat. Son objectif est clair : vendre. Sa stratégie : se construire une identité de marque, créer une offre originale et innovante pour séduire le public le plus large possible. Si tout acteur, chanteur, ou comique ne se considère pas comme un objet de consommation, avoir une stratégie de communication élaborée, voire s’affubler d’une identité chimérique fait souvent partie du jeu.
« Haters make me famous »
De nos jours, face à l’élargissement considérable de l’offre autant musicale que théâtrale ou cinématographique, il faut savoir se démarquer pour être reconnu. Etre une célébrité est devenu un métier en soi, comme l’ont révélé les nombreuses émissions de télé-réalité à travers le monde. Du succès de Loana à celui de Nabilla, il apparaît clairement de nos jours qu’une des meilleures manières de se faire remarquer est d’user d’une stratégie du choc et de l’anormal.
Or, il n’est pas rare lorsque l’on cherche à choquer de rencontrer sur sa route bon nombre de « haters » et de devenir victime du dit « bad-buzz », qui tend à se généraliser. Loana a marqué toute une génération pour être « passée aux choses sérieuses » dans une piscine à la télévision nationale, et Nabilla est connue de tous pour sa bêtise et son inculture. Loin d’en être traumatisées, ou de considérer leur carrière comme un échec, ces dernières peuvent être fières d’avoir réussi à s’imposer dans notre société comme de véritables phénomènes culturels, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Mais jusqu’où est-on prêt à aller pour être sur le devant de la scène ? La tendance étant déjà fortement ancrée, le bad-buzz doit – malheureusement ? – aller de plus en plus loin pour conserver toute son efficacité. On se souviendra longtemps de Kris Jenner, mère de Kim Kardashian, qui n’a pas hésité à vendre la sextape de sa fille pour lancer sa carrière. De même, on peut s’interroger sur la signification du geste de Nabilla lorsqu’elle poignarde Thomas, son petit ami : excès de violence ou pure coup de com’ ? La question se pose quand on sait que leur popularité était à l’époque en perte de vitesse et que le couple semble toujours aussi soudé à l’heure actuelle.

 
Un bad-buzz est un buzz, le marketing n’a pas d’œil
Du côté des artistes, le bad-buzz apparaît de la même façon comme un élément difficilement contournable. Quand on réfléchit aux images les plus virales de la fin d’année 2015, on pense rapidement aux pas de danse ridicules de Drake, énormément détournés et moqués, ou à la chute solitaire de Shy’m en concert. Dommages collatéraux ? Crise communicationnelle ? Bien au contraire. Qui aujourd’hui n’a pas entendu parler d’Hotline Blink, le dernier single de Drake ? Dans une interview accordée au webzine musical anglo-saxon Complex, Tanisha Scott, chorégraphe pour le clip d’Hotline Blink, affirme la chose suivante : « Tous ces memes et mashups, il savait que ça allait arriver ! Quand on regardait les playbacks, il m’a dit  “ça va forcément devenir un meme“ ». Quand on sait que l’objectif de Drake avec la sortie de ce single était d’arriver numéro 1 au Billboard Hot 100, comme il l’a lui même expliqué sur Instagram, on comprend aisément que les détournements de ses « haters » étaient souhaités et assumés.
 

 

Je voudrais tant que tu memes
Souvent plus viral que le buzz traditionnel parce qu’il permet à chaque internaute de faire sa petite blague, et donc son propre petit buzz, il n’y a souvent rien de tel que le meme pour faire parler de soi, et beaucoup l’ont compris. Certaines stars sont allées jusqu’à forger leur identité publique et donc leur carrière sur cette stratégie. On pense à Shia LaBoeouf, souvent qualifié de « meme humain », et élu « meme de la semaine » dans les Inrocks en juin dernier.

 
Comme expliqué dans l’article, tout dans cette vidéo semblait avoir été conçu pour servir de support à de futurs memes (fond vert, coupe de cheveux inqualifiable, postures étranges, etc.). Si l’autodérision n’a jamais fait de mal à personne, ce phénomène prend une importance toute particulière, brisant le stéréotype de la vedette tirée à quatre épingles, qui maîtrise compulsivement son comportement et son image. Au contraire, il semble qu’il n’y ait plus aucun tabou, aucune honte ou bizarrerie qu’une célébrité ne puisse dépasser, comme l’illustre parfaitement le cas de Miley Cirus, devenue l’opposée d’Hannah Montana (son rôle titre chez Disney), pour s’assurer une carrière mondiale.
Alors qu’il pouvait sembler au début du XXIème siècle que le bad buzz était un signe de fin de carrière – on se souvient de Britney se rasant le crâne avant de disparaître de la scène musicale pour revenir des années plus tard – il s’agit aujourd’hui probablement du meilleur moyen de gagner ou de retrouver la notoriété.
Alix Leridon
Sources :
http://uk.complex.com/music/2015/10/tanisha-scott-interview-on-choreographing-drake-hotline-bling-video


Crédits photos :
Reddit 
Les Anges de la télé-réalité 
Dailymail
Just do it on Youtube 

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Politique

Quand les éléments de langage se déchaînent

Fin 2014, le gouvernement lançait le Kit Repas Famille, un pense-bête expliquant les actions du gouvernement pour chaque sujet politique qui pourrait naître d’un repas en société. Les vignettes sont destinées à prouver que la politique gouvernementale fonctionne et à discréditer les phrases toutes faites. À défaut de vérifier les réalités qui se cachent derrière chaque thème, il est intéressant de voir que les acteurs politiques prennent au sérieux les « éléments de langage » qui émanent de la doxa. Qu’en est-il de ceux des politiques ? En quoi se distinguent-ils ?
De simples poli-tics de langage ?
A priori, l’élément de langage est une formule ou un message reproductible par chaque membre d’un gouvernement. La clarté est de rigueur. Il est un ressort de la communication politique qui fonctionne sur la continuité et la synchronisation. Quel que soit l’intervenant, grâce à l’élément de langage, c’est l’entité décisionnelle et le choix du groupe qui s’expriment à travers lui. De cette manière, les divergences pouvant exister au sein d’une famille politique sont masquées.
Si l’on s’en tient à la définition de Jacques Séguéla, les éléments de langage sont des « petites phrases préparées à l’avance par l’entourage d’un homme politique ou par les communicants pour servir soit de répartie, soit de point d’ancrage dans un débat. ». Bien évidemment, le publicitaire en écrivait pour François Mitterrand mais il n’était pas le seul à mettre la main à la pâte : Jacques Attali, Laurent Fabius et bien d’autres faisaient passer des petites notes avec leurs suggestions. Aujourd’hui, les choses se sont légèrement professionnalisées. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les méthodes du conseiller en communication du Président de La République, Gaspard Gantzer. Ses pratiques furent révélées par Un Temps de Président, un documentaire réalisé par Yves Jeuland.

Les téléspectateurs furent étonnés de voir Gaspard Gantzer dicter à une journaliste de TF1 les mots-clés de son reportage. Pour qualifier cette relation entre les journalistes et leur sources, Eugénie Saitta, spécialiste des sciences de la communication, parle d’une « rhétorique du cynisme » : les journalistes finissent par s’y faire ! Les communicants cherchent la saillie, l’homme politique tranche et les journalistes l’utilisent. Les politiques ont trouvé comment influencer les médias discrètement.
En politique, l’improvisation n’est pas conseillée. D’après Séguéla, lorsque les résultats tombent, le politique sait de quelle manière il doit réagir : il y a des éléments de langage pour une éventuelle victoire comme pour une éventuelle défaite. En plus de fournir du texte, les éléments de langage présentent le double avantage d’assurer une cohérence entre les prises de parole mais aussi d’augmenter l’efficacité et l’exposition d’une idée par la répétition. Entre une gauche divisée et des Républicains qui cherchent encore un ténor, l’élément de langage paraît être un outil parfait pour feindre l’unité. L’efficacité d’un argumentaire est plus forte si tout le monde martèle la même chose à l’unisson. Une idée répétée est aussi efficace qu’un slogan placardé.

N’y-a-t-il pas un risque de vulgariser les idées ? Le wording politique est aseptisé. Le consensus droite-gauche qui existe depuis la fracture des grands clivages idéologiques autour de l’économie de marché a brouillé le monde politique de ses marqueurs sémantiques. Ainsi, la formule « J’aime l’entreprise », employée par le Premier ministre, aurait pu être prononcée par un centriste comme par un Républicain. Au sein du gouvernement de Manuel Valls, on peut aussi observer des divergences qui sont réprimées : ceux qui ne suivent pas la ligne décidée se font taper sur les doigts. Pour s’en rendre compte, il suffit de se souvenir des remontrances faites à Christiane Taubira après qu’elles se soit prononcé contre la déchéance de la nationalité. Dès lors que les avis ne peuvent plus s’opposer librement, il y a peut-être une défaite de la pensée.
Entre stratégie et démagogie : comment atterrir sur le bandeau de BFMTV ?
Généralement, les médias n’hésitent pas à critiquer les éléments de langage. Pour le voir, il suffit de regarder les compilations qu’en fait Le Petit Journal. À croire qu’il est l’ennemi numéro 1 de la communication politique moderne !
Ce bashing est compréhensible. Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages : les gens prennent les éléments de langage pour ce qu’ils sont. Le disque semble rayé : on parle d’un discours fatigué qui émane d’une pensée énarchique qui s’est usée avec le temps. La doxa imagine que l’élément de langage est antinomique avec l’honnêteté.
Pourquoi peut-on être sûr que les politiques continueront à utiliser ce procédé ? Pour répondre, il faut d’abord revenir à la définition de l’élément de langage.
Selon le vice-président d’Havas, les années 80 ont constitué l’âge d’or de la publicité : tout le monde était séduit par le pouvoir du marketing et de la pub. Toutefois, selon Pierre Lefébure, maître de conférence en sciences politiques, les éléments de langage ne «[refont] surface [qu’]en 2008/2009 car il y a une volonté de la part de Nicolas Sarkozy et de ses équipes de rationaliser la communication et de maîtriser son environnement ». La seconde moitié des années 2000 est marquée par deux phénomènes qui changent radicalement les dispositifs d’information : l’émergence des chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux. Il serait faux de penser que l’utilisation massive d’éléments de langage est purement choisie. Il faut aussi les penser en termes de contraintes. Il y a une responsabilité des médias dans la massification des éléments de langage car les fenêtres d’expression sont plus courtes.

Quand on obtient 30 secondes d’antenne à la télévision, les éléments de langage sont indispensables. Ce sont des estocades : soudains et rapides, ils ont une forme parfaite pour la rhétorique politicienne. Tout comme sur Twitter, il faut réduire le nombre de caractères pour pouvoir accéder aux très convoités bandeaux de BFMTV.
Selon les études de Damon Mayaffre, chercheur au CNRS, le vocabulaire présidentiel se serait déprécié au fil du temps en raison de ces nouvelles contraintes médiatiques. Aujourd’hui, les politiques sont dans la performance : ils utilisent à outrance les phrases verbales et le pronom personnel « je ».
L’élément de langage : diable ou diabolisé ?
Si les éléments de langage sont diabolisés c’est parce qu’ils sont attachés à une définition simplificatrice : on les associe spontanément « aux petites phrases » pré-élaborées que l’on voit sortir de la bouche des politiques à chaque zapping.

Dans cette définition, on ne parle que de la partie visible des éléments de langage. On ne parle pas des argumentaires. Autrement dit, on n’essaye pas d’extraire la démonstration étayée qui se cache derrière et qui vise à soutenir ou à contredire un projet. Aujourd’hui, aller au combat sans communication est une faute professionnelle car c’est laisser son adversaire partir avec un avantage.
Mais il ne faut jamais abuser des bonnes choses ! Les éléments de langage seraient très utiles si on n’en créait pas en quantité industrielle. Dans un premier temps, ils font passer une idée complexe par un message simple : le travail d’un conseiller se résume à dégrossir la matière brute pour en créer une à la portée de l’opinion publique. Frank Louvrier, ancien conseiller de l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, rappelle que « Quand vous êtes Ministre, vous ne connaissez pas tous les sujets. Si vous allez à une émission matinale d’une radio, on risque de vous interroger sur un sujet compliqué, qui n’est pas forcément votre domaine de compétence, et il faut pourtant répondre ».
Pour la majorité précédente, les éléments de langage étaient surnommés « le prompteur », aujourd’hui on les regroupe sous l’intitulé « l’essentiel ». Ce dernier rappelle qu’un élément de langage peut permettre d’échapper à une situation de crise en évitant de lourds dommages.
À ce niveau de responsabilité, tous les professionnels semblent d’accord pour dire qu’une improvisation est impossible. L’improvisation est un fantasme car il est impossible de priver le débat d’un cadre de pensée rappelé sans cesse par les éléments de langage. D’ailleurs, les politologues reprochent souvent au Président de se laisser guider par les communicants alors qu’il serait doué pour l’improvisation.
On confond souvent « éléments de langage », « formules », « petites phrases » et « argumentaires » : il n’y pas de définition fixe car il n’y pas une unique manière de créer des éléments de langage. Ces formulations font sens pour des acteurs du champ politique et du champ médiatique mais aussi pour ceux qui se trouvent à leurs intersections. Les communicants produisent des énoncés en anticipant leurs conditions de circulation médiatique et leurs conditions de réception. Ce sont pour ainsi dire des ingénieurs du symbole. Ils manient les signes comme des maîtres. Ces données nous permettent de mettre en relief la place prépondérante prise par la communication au sein du monde politique et du monde médiatique. On en viendrait presque à croire qu’ils contrôlent les foules.
Ameziane Bouzid
Sources :
« Le Langage politique malade de ses mots », Frédéric Vallois, Le Huffington post, 20/11/2014 : http://www.huffingtonpost.fr/frederic-vallois/langage-politique-malade-de-ses-mots_b_6190388.html
« Les Dix éléments de langage que vous entendrez ce soir », Le Service politique, Libération, 22/03/2015 : http://www.liberation.fr/france/2015/03/22/les-dix-elements-de-langage-que-vous-entendrez-ce-soir_1226056
« Les « petites phrases » Et « éléments de langage » : des catégories en tension ou l’impossible contrôle de la parole par les spécialistes de la communication », Dossier: Les « Petites Phrases » en Politique , Caroline Ollivier-Yaniv, 01/06/2011 : http://www.necplus.eu/action/displayAbstract?fromPage=online 
« Éléments de langage pour soirée électorale : mode d’emploi », Jacques Séguéla, Atlantico, 16/10/2011 : http://www.atlantico.fr/decryptage/elements-langage-primaire-ps-holland-aubry-mode-emploi-203608.html
« « Un temps de président » : la communication politique dans le collimateur », 08/10 /2015, France 24 : https://www.youtube.com/watch?v=yP9TfAWTVeA
« Doc Hollande : dictée d’éléments de langage (F3) », Arretsurimage.net, 29/09/2015 : http://www.arretsurimages.net/breves/2015-09-29/Doc-Hollande-dictee-d-elements-de-langage-F3-id19305
Crédits images :
– Le Monde, L’actu en patates, Martin Vidberg
– Ray Clid
– Kit Repas Famille : www.gouvernement.fr
– Chaunu

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Politique

=3 : l'apprentissage de la démocratie 2.0

Les origines
Youtube naît en 2005 et avec lui la deuxième génération d’Internet : celui des réseaux sociaux, des memes, des lolcats. Le site est d’abord empli de vidéos courtes d’animaux, de chutes plus ou moins drôles dignes de Vidéo Gag, bref de vidéos qui se distinguent par leur aspect brut, sans aucun montage.   
Pourtant, dès l’automne, deux individus décident brusquement d’utiliser la plateforme pour se mettre en scène et de diffuser leur talent d’humoristes, ou plutôt d’entertainers. C’est ainsi que naît la chaîne SMOSH, création de Ian Hecox et Andrew Padilla qui connaît un succès fulgurant : ce sont les premiers youtubeurs. Ils lancent un phénomène qui marque durablement notre utilisation d’Internet, une forme de stand-up renouvelé grâce à la liberté totale de format dont ils bénéficient.
Un concept novateur
En 2009, un inconnu, héritier de SMOSH, crée sa chaîne et publie sa première vidéo, avec en guise de vignette, un dessin fait sur Paint et comme titre « Kick his a$$ » (« botte-lui le cul »). Il s’agit de Ray William Johnson qui crée là un nouveau concept : le commentaire de vidéos issues d’Internet. Cette formule connaît un énorme succès et en fait une des chaînes les plus regardées et suivies au monde ; plus particulièrement, son concept novateur va être repris et décliné par des milliers de youtubeurs, comme Mathieu Sommet ou Antoine Daniel en France.

Le roi est mort, vive le roi
Après cinq années de gloire, Ray William Johnson provoque en 2014 un coup de tonnerre sur Youtube en annonçant son départ : il ne présentera plus le désormais célébrissime show « Equals Three ».

La raison invoquée ? Ray pense avoir fait le tour de son personnage et veut passer à quelque chose de nouveau. Toutefois il ne souhaite pas abandonner un projet qui est toujours très populaire et annonce donc être à la recherche d’un nouveau présentateur. L’épisode récolte plus de 10 millions de vues et des milliers de commentaires éplorés sur le départ de Ray. Le nombre impressionnant d’articles et de vidéos consacrés à son départ montre que =3 était devenu un incontournable de la pop culture. Le Daily Dot va jusqu’à affirmer: « It’s the end of an Internet era.” (“C’est la fin d’une époque sur Internet”).

La relève
C’est finalement plus de quatre mois plus tard qu’Equals Three revient, avec comme nouveau présentateur le jeune inconnu Robby Motz, dans un épisode en partenariat avec Jenna Marbles, youtubeuse américaine renommée.

Si le début fut difficile pour Robby, largement critiqué et considéré comme un présentateur de niveau inférieur à Ray, finalement le jeune homme parvient à s’imposer et à trouver son rythme. De plus en plus populaire, son départ au terme de son contrat d’un an au sein du studio Equals Three provoquera à nouveau tristesse et nostalgie chez les amateurs du show.

La pomme de la discorde
Ray William Johnson avait prévu que tous les humoristes faisant part du Equals Three Studios feraient au moins une saison de =3. Robby devait donc laisser sa place.
Ray publie alors une vidéo qui est probablement la plus grande erreur de communication de sa carrière puisqu’elle nourrira un fort ressentiment de sa communauté envers le créateur du show.

Dans « Who’s gonna host Equals Three ? » Ray laisse entendre qu’au lieu de passer par des fastidieuses auditions comme il a dû le faire pour recruter Robby Motz, cette fois il va laisser le choix à ses abonnés qui pourront choisir entre tous les humoristes qui font un sketch dans la vidéo. Les deux noms les plus récurrents dans les commentaires sont alors soit Jules (la jeune femme blonde) soit Carlos (le jeune homme brun en veste orange).
En fait, ces mots exacts sont : « Je vais laisser les acteurs de Booze Lightyear  [une autre production des studios] jouer, et vous pourrez voir qui vous aimez ». Seulement, les internautes se sont enthousiasmés et ont cru qu’ils auraient leur mot à dire. Ainsi, Ray William Johnson aurait pour la première fois sur Youtube laissé les viewers faire un choix décisif pour le contenu de la chaîne.
 

La vidéo suivante « And the New Host is… », très attendue, paraît le 28 juillet et déçoit énormément les abonnés. En effet, le nouveau présentateur n’est autre que Kaja Martin, une des créatrices du studio, qui avait été très peu plébiscitée dans l’épisode précédent.
Ray W. Johnson avait choisi la présentatrice d’avance, sans tenir compte des avis des abonnés qui étaient à ses yeux purement consultatifs. Ceux-ci ne lui pardonneront pas de leur avoir laissé croire qu’ils pouvaient être partie prenante dans la création du studio. L’énorme déception est visible à travers les votes, qui pour la première fois dans l’histoire de la chaîne sont très majoritairement négatifs.

L’incompréhension domine dans les commentaires, les internautes se plaignant que leur choix n’ait pas été pris en compte :

Seulement, beaucoup affirment que comme Robby à ses débuts, Kaja doit faire face à une vague de rejet qui par la suite s’éteindra.
 
Un âpre combat
Et Kaja reprend cet argument à de nombreuses reprises dans ses vidéos suivantes, affirmant ne pas s’inquiéter outre mesure des commentaires négatifs qu’elle reçoit. Pourtant, loin de disparaître, le mécontentement grandit : si les vidéos qui suivent obtiennent une majorité de votes positifs, ce n’est que de justesse. D’ailleurs, la seule vidéo véritablement plébiscitée est celle dans laquelle elle annonce son départ en tant que présentatrice du show.
Le nombre d’abonnés baisse également, tout comme le nombre de vues. Un épisode de Ray atteignait jusqu’aux 10 millions de vues, ceux de Kaja ne parviennent jamais au million. Quant aux commentaires, ils sont en très grande majorité négatifs.
Un tournant s’opère dès mi-septembre 2015, quand le nombre de dislikes redevient plus élevé et que les abonnés expriment de plus en plus leur lassitude envers Kaja. Une certaine mode apparaît, celle de commenter à chaque vidéo de Kaja « Came, disliked, left ».

 
 
Malgré ce constat préoccupant pour le show, de manière inexplicable, Ray William Johnson s’obstine à maintenir son amie en place. Les viewers s’étonnent de plus en plus du silence assourdissant du créateur de la chaîne, au moment où l’impopularité du show devient criante : aucune vidéo n’a un ratio de votes positif depuis le 15 septembre. Les internautes montrent leur incompréhension (pour ceux qui persistent à regarder les vidéos du studio) à travers les commentaires.

 
Le nombre de vues ne cesse de s’effondrer et les abonnés perdent clairement patience :

 
La pérennité de ces critiques est  exceptionnelle : alors que tout « bad buzz » finit en général au bout d’un certain temps par s’éteindre sur Youtube, le phénomène persiste depuis des mois sur la chaîne, c’est-à-dire une éternité sur Internet.
L’happy ending de Noël
La situation devenait intenable : d’abord pour les fans qui ne comprenaient pas que leur avis soit à ce point ignoré, mais aussi pour le studio, qui ne peut pas continuer à exister si le nombre de vues et d’abonnés s’effondrent sans cesse. Finalement, après cinq mois de présentation et malgré une manifeste répugnance à mettre ainsi fin au contrat de Kaja Martin, celle-ci annonce son départ.

La vidéo, intitulée « Big Announcement », amène plus de vues que d’habitude et pour la première fois depuis des mois est largement plébiscitée.

Enfin, le nouveau présentateur prend place : ce n’est autre que Carlos, l’humoriste le plus apprécié lors de la vidéo du vote. Deux semaines avant Noël, il présente pour la première fois =3.

Et c’est un véritable succès ! Le nombre de dislikes est très faible alors que les commentaires félicitent unanimement le nouveau présentateur. Seulement, =3 a du mal à se remettre du ravage causé par Kaja Martin : les vues, si elles sont un peu plus nombreuses, n’atteignent toujours pas le million. Carlos a réussi à enrayer les critiques et probablement la disparition programmée du show, mais il reste encore beaucoup à faire pour que =3 retrouve son lustre d’antan.
Le sort d’Equals Three montre les ravages que peut faire une erreur de communication ; si Ray n’avait pas laissé croire qu’un choix était possible, peut-être que Kaja Martin aurait été accueillie bien plus favorablement. Toutefois, la persistance des critiques montre qu’elle n’était réellement pas de taille à présenter le show, et Ray a commis alors une deuxième erreur. En s’enfonçant dans un silence obstiné qui lui permettait d’ignorer le problème, il a suscité incompréhension et colère chez ses fans dont beaucoup ont préféré arrêter de suivre le show. Or une émission ne vit que grâce à son public et ne peut donc se permettre de l’ignorer. Toutefois, l’histoire d’Equals Three montre que Youtube reste un média démocratique où les spectateurs parviennent, de gré ou de force, à se faire entendre.
 
Myriam Mariotte
Source
https://en.wikipedia.org/wiki/YouTube
https://www.youtube.com/channel/UCGt7X90Au6BV8rf49BiM6D
https://www.youtube.com/watch?v=ygufbVxFvcw
 

Politique

Il était une fois Internet, les hommes et la démocratie

Une fameuse utopie, où, le légendaire Internet va révolutionner notre société afin d’y introduire un épanouissement total de la démocratie. Son avènement promettait un rêve fou : le pouvoir au peuple. Lol.
Bon, c’est vrai, Internet a changé la donne.
Il nous a permis de démocratiser notre société, l’exemple le plus pertinent étant la possibilité de répondre. En contradiction avec la théorie d’une parole – médiatique – sans réponse – de la part des masses que Baudrillard présente dans son ouvrage, Pour une critique de l’économie politique du signe, la société actuelle grâce à Internet et aux réseaux sociaux, est une société d’échanges d’informations.
A cet égard, le web est un outil démocratique, donnant à chacun un nouveau champ d’expression plus libre.

Au delà de ce droit de réponse, un des exemples phare qui affirme cette démocratisation que véhicule Internet est Wikipédia. Cette encyclopédie ouverte à tous, aussi bien dans la rédaction du contenu que dans la lecture de celui-ci, est symbolique de cette révolution : le savoir pour tous.
Il est indéniable qu’Internet engendre un changement de paradigme : d’un one to many à ce que l’on pourrait qualifier d’un « many to many. » Pourtant, cette révolution culmine davantage vers un glissement des forces en présence et une redistribution des pouvoirs allant à l’encontre du sens traditionnel de la démocratie : le pouvoir au peuple. « Le pouvoir relatif des internautes »  est exposé ici.
L’émergence d’une nouvelle classe. 
On parle bien souvent de la dimension participative d’Internet, permettant aux internautes d’intégrer une communauté, de donner son avis, de s’exprimer. A cet égard, La société met en exergue une soi-disant démocratisation du pouvoir, alors qu’en réalité, il n’y a qu’un transfert de ce pouvoir entre des groupes qui étaient déjà plus ou moins dominants.
Cyrille Frank, journaliste, formateur et consultant, explique dans son blog médiaculture.fr, qu’Internet engendre non pas un partage démocratique du pouvoir, mais plutôt l’avènement d’une « nouvelle classe de dominants ». Adieu, donc, l’utopie d’un pouvoir également distribué entre tous.
Historiquement, l’apparition de nouveaux déséquilibres sociaux est une conséquence inhérente à un changement de paradigme. Par exemple, la bourgeoisie supplanta l’aristocratie après la Révolution Française. L’apparition d’une nouvelle classe après une grande rupture est commun dans l’Histoire.
Dès lors, même si Internet comporte une vertu émancipatrice pour les internautes, il est important de souligner le fait que cela ne concerne pas tout le monde.

Cette nouvelle classe établit son pouvoir grâce à sa maîtrise des nouvelles technologies. Ces acteurs parviennent à s’adapter au temps technologique, afin d’en vivre. Plus concrètement, Cyrille Frank désigne cette nouvelle classe par : « les jeunes journalistes 2.0, communicants et marketeux technophiles, experts et consultants en réseaux sociaux, entrepreneurs du secteur technologique… ».
L’information est un levier de domination majeur dans la société actuelle : il est assez évident que ceux qui savent la manier seront puissants. 
Une illusion de pouvoir ? 
Par le biais de ce droit de réponse et de participer, les internautes ont également un pouvoir, une influence sur Internet. Cependant, sommes-nous influencés ou sommes-nous totalement libres de cette parole ?
On pourrait croire qu’il n’y a pas d’obstacle à notre liberté d’expression, et pourtant, il s’avère que nous sommes toujours influencés.
Prenons par exemple le système de réponse aux médias web, tel que le commentaire sur les articles ou bien sur les réseaux sociaux. On s’aperçoit que cette influence, ce pouvoir qui nous a été donné est en réalité réutilisé par les médias web dans leur propre intérêt. « Voici le pouvoir essentiel de la forme – en ce qu’elle est l’essence même de l’information. » explique Emmanuel Souchier, dans La mémoire de l’oubli. C’est en partie cette forme codifiée qui limite notre pouvoir, et qui permet aux médias web cette réappropriation. Prenons l’exemple de Twitter et ses fameux 140 caractères, qui influent malgré nous sur le contenu de l’information que nous transmettons. En effet, qu’est-ce que donner son avis en 140 caractères ? Notre influence est donc limitée à une forme qui est déterminée par les médias eux-mêmes.

Le Community Manager, acteur de cette « nouvelle classe dominante » dont parle Cyrille Frank, peut définir sa mission par trois verbes : fédérer autour d’un intérêt commun, animer en fournissant des informations aux internautes qui sont susceptibles de les intéresser, et modérer en régulant les conversations pour que les débats restent de qualité. Autrement dit, c’est lui qui va être face à nos réactions, à notre réponse. Les trois verbes qui définissent sa mission, prouvent que notre parole est influencée par l’action du Community manager. On nous amène subtilement d’un point A à un point B, de manière inconsciente. Il y a un mécanisme derrière le système du commentaire qui n’est pas synonyme de totale liberté et donc de vrai pouvoir.
D’autre part, d’un point de vue sociologique, notre choix est déterminé par plusieurs facteurs. Cette liberté d’expression pour tous, engendre un réel problème de visibilité. Certes, nous avons davantage la possibilité de nous exprimer, mais paradoxalement notre avis est dilué dans cet océan – nouveau – d’informations. Par conséquent partager son opinion via un commentaire relève également d’un relatif narcissisme. Il y a une volonté de sortir de la masse, d’être LE commentaire, et d’avoir raison. Cette problématique est d’autant plus réelle avec la possibilité de liker les commentaires. L’acte de réponse n’est donc pas totalement désintéressé, au contraire. Il se place comme fait social, c’est à dire comme une action qui n’est pas entièrement libre puisque partiellement déterminée. Par conséquent, la possibilité de réponse qui est donnée par les médias web est à double tranchant. Elle révèle à la fois la possibilité de participer, ce qui relève de la dimension démocratique du web, mais aussi une volonté d’attirer les internautes sur leur plateforme grâce au besoin des individus d’exister parmi les autres.
On peut parler de ré-appropriation d’un pouvoir des internautes par les médias web, et c’est cette récupération qui démontre dans le même temps la limite de ce pouvoir, que l’on a tendance à surestimer. 
Clémence Midière
LinkedIn
@clemmidw
 
Sources :
La démocratie électronique est-elle une illusion ? Par Hubert Guillaud sur Homo Numericus
Nouveaux médias : une nouvelle classe de dominants par Cyrille Franck sur Mediaculture
Qui a le pouvoir sur Internet ? Par Clément Mellouet sur FastNCurious
Crédits images:
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Lefigaro.fr
Computer Ethics
Emarketing.fr

Vous avez dit cliché ?
Publicité et marketing

Magazines de jouets : quand consumérisme rime avec sexisme

Début novembre, nous apprenions que l’enseigne espagnole Toy Planet décidait cette année de passer outre les stéréotypes de genres dans ses catalogues de jouets. Initiative progressiste ou simple « coup de com’ » à l’approche des fêtes de fin d’année ? Dans tous les cas, cette décision nous interpelle et nous amène à réfléchir sur la place du marketing genré dans les catalogues de jouets.
Une représentation en décalage avec la réalité
 
 
Ce n’est une surprise pour personne, mais Noël est la période la plus démonstrative du monde binaire et stéréotypé dans lequel baignent les magasins de jouets. Il n’y a qu’à tourner les pages de n’importe quel catalogue, c’est chaque année la même rengaine : une rubrique rose avec des jouets « pour filles », une autre bleue pour ceux des garçons. Outre les objets proposés – maquillage, dinettes, poupées pour les filles, jeux d’aventures, de logique ou super-héros pour les garçons – la différence se remarque aussi par les mises en scènes, les postures, et les symboles évoqués. Dans la partie masculine, les petits garçons auront plus tendance à être représentés en action, alors que les petites filles seront, en toute logique, passives. Mona Zegaï, sociologue ayant travaillé sur cette question, explique lors d’une interview au site Womenology un exemple de différenciation symbolique : « Le mot ‘eau’ par exemple renvoie au combat chez les garçons (pistolets à eau) ou à des milieux à maîtriser (aller sur l’eau, sous l’eau…) alors qu’elle renvoie surtout au travail domestique chez les filles (lave-linge…) ».
Cette segmentation marketing paraît bien loin des pratiques professionnelles observées dans la société selon la sociologue : « la population active comprend aujourd’hui à peu près autant d’hommes que de femmes, et pourtant dans les jouets, les femmes sont presque toujours représentées au foyer, elles n’ont pas souvent une activité professionnelle. » Les mises en scènes et les rôles sociaux montrés aux enfants dans ces magazines n’évolueraient donc pas du tout, contrairement à la réalité observée. Selon une étude de l’Insee, en France, le taux d’activité des femmes âgées de 25 à 49 ans était de 60% en 1975 contre 85% en 2012. Même si les inégalités, ces progrès méritent d’être soulignés.
Les représentations du genre en question
Si le phénomène est dénoncé depuis les années 1970, c’est en 1990 qu’il s’amplifie vraiment. Dans son étude pour le programme « Enfance & Cultures », Mona Zegaï cite les propos d’un cadre du groupe Ludendo (La Grande Récré) : « La petite fille elle voit sa maman en train de faire à manger, ça lui plaît, et donc il y a des jeux qui lui permettent de faire la cuisine, donc elle va vouloir une cuisine, elle va vouloir faire comme maman ! Les activités ménagères c’est pareil. » Les magazines de jouets contribuent donc, au même titre que les autres médias, à inculquer des repères binaires aux enfants et à leurs parents. Pourquoi continuer à poser ce regard biaisé d’adulte sur des produits destinés aux enfants ? Cela contribue-t-il à pérenniser les stéréotypes?

Quelles conséquences sur la construction chez l’enfant de son identité de genre? Dès sa naissance, l’enfant est influencé par son environnement social. Pour la chercheuse en psychologie Isabelle D. Chernay, qui a publié dans la revue Enfance un article sur la sexualisation du jouet par l’enfant, « les jeunes enfants décident si un jouet est destiné aux garçons ou aux filles en fonction de leurs convictions préexistantes sur les jouets qui sont aimés par les garçons et les filles. » Elle nuance cependant son propos par cette remarque : « En ce qui concerne leurs propres choix de jouets, les enfants ont tendance à raisonner en se basant sur la fonction du jouet et leurs propres aversions. » L’enfant en bas âge intègre donc les stéréotypes de genres des jouets qu’on lui propose, mais ne tiendra pas compte de cette binarité si le jouet lui plaît. Qu’en est-il de l’influence des stéréotypes véhiculée par les jouets sur les parents ? Un rapport du Sénat sur l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons datant de 2014 cite les propos de Michel Moggio, directeur général de la Fédération française des industries du Jouet et de la Puériculture (FJP) : « le premier critère d’achat reste toutefois pour les parents de ‘faire plaisir à l’enfant’ ». On peut également lire plus loin que l’importance accordée à des jouets non-sexistes serait relative au capital culturel des foyers : « Faire plaisir à l’enfant semble plus important dans les familles à ‘capital culturel’ modeste ».
La riposte : quand les marques de jouets pour enfants s’affranchissent des stéréotypes
Les anti-marketing genré existent bel et bien ! Leur volonté : limiter voire annuler les injonctions normatives dans leurs catalogues de jouets. En 2012, Toys’R’Us lance un magazine qui délaisse les codes de genres. L’exemple a été suivi la même année en France par les magasins U, suivi par d’autres enseignes comme Toy Planet. Ce sont ces initiatives qui inspireront le rapport du Sénat en 2014, qui se saisira de la question. Nous sommes certes loin d’une révolution, mais il s’agit d’un premier pas pour renverser la tendance. Comme l’on pouvait s’en douter, de nombreuses associations anti-gender et autres groupuscules réactionnaires ont fustigé ces évolutions, accusant les chaînes de magasins de bafouer les valeurs traditionnelles et appelant même au boycott.

Les quelques initiatives progressistes des dernières années montrent bien que les marques de jouets, conscientes de leur poids idéologique sur les enfants et les parents, peuvent communiquer des valeurs plus égalitaires et ne pas céder à la catégorisation primaire et stéréotypée de la société. Néanmoins, selon Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales qui intervient dans le rapport du Sénat, ces évolutions n’ont pas donné de suites significatrices sur la durée et leur influence sur l’industrie du jouet a été quasi-nulle. A quand des jouets pour faire des petits garçons de bons futurs papas ?
Mathilde Duperyon
Linkedin
Sources :
Mona Zegaï. « Les catalogues de jouets proposent un monde bien plus inégalitaire que la réalité » in Womenology, mis en ligne le 27/01/14 – Disponible sur : http://www.womenology.fr/reflexions/les-catalogues-de-jouets-proposent-un-monde-bien-plus-inegalitaire-que-la-realite/
Trezego. « Stéréotypes et jouets pour enfants : la situation dans les catalogues de Noël » – Disponible sur : http://api.rue89.nouvelobs.com/sites/news/files/assets/document/2013/12/trezego_etudecataloguesnoel2013.pdf
Yvelines Nicolas. « Jouets pour filles, jouets pour garçons, pourquoi ? » in Adequations, mis en ligne le 06/12/15 – Disponible sur : http://www.adequations.org/spip.php?article1911
Rapport d’information du Sénat n°183 (11/12/14) – Disponible sur : http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1831.pdf
Pierres-Yves Cabannes. « Trois décennies d’évolution du marché » in INSEEC – Disponible sur : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/HISTO14_f_D5_travail.pdf
Claire Levenson. « La suppression des distinctions fille-garçon dans les magasins Target relance le débat sur le genre » in Slate, mis en ligne le 18/08/15 – Disponible sur : http://www.slate.fr/story/105639/jouets-genre-distinctions-fille-garcon-magasins-target
Cherney Isabelle D., Harper Hilary J., Winter Jordan A., « Nouveaux jouets : ce que les enfants identifient comme “ jouets de garçons ” et “ jouets de filles ”. », Enfance 3/2006 (Vol. 58) , p. 266-282 – URL : www.cairn.info/revue-enfance-2006-3-page-266.htm.
Crédits images : 
– http://www.twenga.fr/
– Wikipédia
– Toy Planet

Norman Crunch
Société

Stars du web : mythes et mystères

Les 7 et 8 novembre 2015 se tenait Porte de Versailles la Vidéo City de Paris, premier festival en France autour de la création de vidéos. 25 000 visiteurs sont venus rencontrer leurs youtubeurs préférés pour partager leurs créations, obtenir autographes et selfies, et assister en live à des shows exclusifs. Mais alors que ces stars du web semblent tout partager avec leurs intimes millions d’abonnés, un tabou subsiste : leurs revenus. Et si la justice commence à s’attaquer à ce sombre secret, c’est que tout n’est peut-être pas si clean.

Célébrités du net ou d’ailleurs, même combat
Quand on est star, c’est toute une communauté qu’on inspire. Et plus on a de fans ou d’abonnés à inspirer, plus on est susceptible d’être contacté par des sponsors. En France, la condition afin de pouvoir utiliser sa notoriété pour promouvoir une marque est, s’il y a rémunération, de préciser ouvertement que la marque en question nous a payés pour que l’on en fasse la publicité. Tant que Gad Elmaleh utilise son image à la télévision pour promouvoir la banque LCL, il n’y a pas de problèmes. En revanche, ils arrivent quand la youtubeuse EnjoyPhoenix étale ses derniers achats chez H&M ou que l’humoriste Cyprien sort une vidéo intitulée « La Wii U » dans laquelle il nous présente la nouvelle console de jeux de Nintendo.
EnjoyPhoenix et Cyprien ont-ils été sponsorisés par H&M et Nintendo ? Rien dans la vidéo ni dans le descriptif de celle-ci ne le précise, mais nos deux youtubeurs ont l’air très, très satisfaits des produits présentés… « Et pour finir, ma conclusion sur la Wii U : c’est bien », nous dit Cyprien. Voici justement ce qui a attiré les foudres de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) : la publicité déguisée qui prolifère sur YouTube. En pensant se divertir, l’internaute regarde en réalité une vidéo-promotion, et se transforme en consommateur manipulé. La loi punit ce type de fraude de 300 000 euros d’amende et de deux ans de prison. Selon l’article 20 de la loi pour la confiance de l’économie, « Toute publicité (…) doit pouvoir être clairement identifiée comme telle ». Problème : comment distinguer le youtubeur secrètement sponsorisé de celui qui parle d’un produit en toute innocence ?
Le silence est d’or
Préciser qu’une vidéo est sponsorisée n’est avantageux ni pour l’annonceur ni pour le youtubeur. En effet, Youtube est avant tout une plateforme d’expression libre. L’arrivée des annonceurs sur cette plateforme signifie pour les internautes la mort de la liberté d’expression et surtout celle de la sincérité… Norman a été qualifié par certains de ses fans de « vendu » après avoir participé au défi de Crunch en 2013, Crunch sort Norman de sa chambre.

Kevin Tran, de la chaîne Youtube Le Rire Jaune, remarque en effet dans sa vidéo « L’Argent sur Youtube » le fait que faire du placement de produit dans une vidéo est très mal vu en France. Il explique intelligemment que tant que l’internaute n’a pas l’impression de se faire utiliser, le placement de produit doit être accepté car « ça fait partie du jeu » : les youtubeurs ont besoin d’argent, ne serait-ce que pour produire des vidéos de qualité. Kevin ne parle cependant pas de l’obligation de préciser que la vidéo contient un placement de produit et nous propose même une astuce pour pouvoir déterminer si la vidéo que nous regardons en contient un ou pas (si le youtubeur critique ne serait-ce qu’une fois le produit, ce n’est pas un placement de produit).
Ce qui prouve que préciser clairement que sa vidéo contient un placement de produit n’est pas considéré comme obligatoire par la communauté des youtubeurs. D’autre part, on remarque que les annonceurs interdisent à leurs intermédiaires de déclarer le montant de leur rémunération. Echapper aux impôts grâce aux failles du système YouTube ?

Les stars du net ont toujours le pouvoir
Cependant la marge de manœuvre des stars du net est encore totale. En effet, si rien ne les oblige à accepter les offres de sponsoring, elles sont également libres de n’accepter les offres que sous condition ou de les envoyer balader comme bon leur semble.
Ces questions épineuses ne touchant pas uniquement YouTube, prenons l’exemple du buzz récent d’une star d’Instagram. Essena O’Neills, 18 ans et 580 000 followers, a décidé de faire un pied-de-nez à ses nombreux sponsors en révélant ce qui se cache vraiment derrière ses photos : outre les problèmes liés au jeûne pour avoir un ventre plat et au mal-être dû à l’exhibition de son corps, des placements de produits rémunérés 2 000 dollars !

L’idée que les stars du web renvoient aux internautes est ainsi la suivante : ce ne sont pas les marques qui se servent de nous, mais nous qui nous servons des marques.
A l’heure du 2.0, fraude ou pas, ce sont les célébrités d’Internet qui ont encore le contrôle total de leurs actions. Mais dans le cas des youtubeurs, il est plus facile de refuser l’offre d’un sponsor quand on s’appelle Pewdiepie (première chaîne avec un revenu qui varie entre 4 et 7 millions de dollars par an) que quand on a un nombre d’abonnés plus modeste et que l’on ne crache pas sur quelques milliers d’euros. Le youtubeur lambda est donc tiraillé entre l’appât de l’argent facile et le désir de maintenir son image d’artiste libre et sincère, qui ne se sert pas de sa communauté de fans pour se faire de l’argent.
Et au-delà des belles intentions, Internet est bien trop vaste pour que la DGCCRF puisse condamner toutes les stars du web françaises qui auraient « oublié » de préciser que leur vidéo/photo contient un placement de produit.
Camille PILI
Linkedin
Sources :
« Pour montrer la réalité qui se cache derrières ses photos, cette célébrité Instagram édite ses photos « parfaites »  … C’est étonnant !  » in Espace buzz, mis en ligne le 05/11/15 – Disponible sur : http://www.espacebuzz.com/pour-montrer-la-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-cette-celebrite-instagram-edite-ses-photos-parfaites-c-est-etonnant.html
Nathan Weber. « Une célébrité Instagram édite ses posts pour révéler la dure réalité qui se cache derrière ses photos « parfaites » … Edifiant ! » in Demotivateur, mis en ligne il y a un mois – Disponible sur :  http://www.demotivateur.fr/article-buzz/une-celebrite-instagram-edite-ses-posts-pour-reveler-la-dure-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-parfaites-edifiant–3788
Kenny. « La répression des fraudes s’intéresse aux Youtubeurs » in Hitek, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://hitek.fr/actualite/repression-des-fraudes-youutbeurs_7813
Matthieu Delacharlery. « Des Youtubeurs dans le collimateur de la répression des fraudes » in METRONEWS, mis en ligne le 04/12/15 – Disponible sur : http://www.metronews.fr/high-tech/des-youtubeurs-dans-le-collimateur-de-la-repression-des-fraudes/mold!xA8EH5K4dOCA/
William Audureau. « La répression des fraudes s’intéresse à la publicité déguisée sur Youtube » in LE MONDE, mis en ligne le 21/12/15 – Disponible sur : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/04/la-repression-des-fraudes-s-interesse-a-la-publicite-deguisee-chez-les-youtubeurs_4824504_4408996.html
Kévin Ebelle. « La répression des fraudes : enquête sur les revenus opaques des Youtubeurs » in Toolito, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://www.toolito.com/geek/youtubeur-enquete-repression-fraudes/
Sandrine Etoa-Andegue. « Vidéo City Paris : enquête sur le business des Youtubeurs » in France Info, mis en ligne le 07/11/15 – Disponible sur : http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/video-city-paris-enquete-sur-le-business-des-youtubeurs-744003
Crédits images : 
– Video City
– Capture d’écran Youtube
– Capture d’écran Instagram