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Rap et communication : quand les rappeurs s’emparent de l’espace médiatique

Des clips vidéo de plus en plus travaillés, de nombreux partenariats avec des marques de luxe, des évènements promotionnels de grande ampleur… Il est clair que d’importants changements en termes de communication se profilent dans le milieu du rap et de la musique urbaine. Rapide tour d’horizon des plus grands coups marketing des figures emblématiques du rap, aujourd’hui devenus de véritables champions de la communication.
Invités

Commente et je te dirai qui tu es…

 
Quelles données pour quels enjeux ?
Aujourd’hui, nous connaissons tous les sites Internet des grands médias. Par exemple, « my tf1 » ou encore « M6 replay » pour ne citer qu’eux. L’intérêt de ces sites est de nous permettre de revoir à volonté nos émissions préférées et surtout de les commenter.
Je ne vais pas ici m’intéresser au « leurre de conversation » que nous proposent les entreprises médiatiques mais plutôt aux moyens qui permettent d’y parvenir. En effet, pour se voir autoriser l’accès à la partie « interactive » de ces plates-formes, il faut remplir un questionnaire. D’ailleurs, pour contacter le groupe ce questionnaire est lui aussi obligatoire. Les questions sont classiques : âge, sexe, nom, prénom, adresse et code postal. Classiques oui mais certainement pas anodines.
Les données stockées par les marques sont diverses. Il peut s’agir de notre adresse IP, du type de système d’exploitation utilisé ou encore du type de navigateur privilégié… Inutile de préciser qu’au passage, nous recevons un bon nombre de ces chers fichiers « cookies », qui permettent de nous suivre à la trace. Jusqu’ici rien de nouveau, tout cela ressemble à un bon vieux profilage publicitaire, devenu banal sur la toile.
Mais, revenons à nos moutons… Toutes ces données, recueillies lors de l’inscription, permettent de dresser le parfait portrait sociologique de notre petite personnalité. Dans les méandres juridiques censés nous expliquer nos droits, on ne trouve pas la moindre annotation concernant les commentaires que nous nous apprêtons à laisser sur le site. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit : « commenter ».
Qu’advient-il alors de nos prises de positions ?
Les différents travaux sur la réception, notamment dans le cadre des cultural studies, ont montré qu’ en fonction de notre appartenance sociale, nous décodons les signes envoyés par les contenus médiatiques de différentes façons, mais qu’il existe cependant des similitudes de réception au sein des mêmes groupes sociaux. Autrement dit, selon le modèle de l’habitus (Bourdieu), une partie de la réception nous est propre en tant qu’individus, une autre dépend de notre éducation, de notre environnement et de facteurs liés à notre statut social…
La réception est un enjeu crucial pour les médias. Pourtant, aujourd’hui, il n’est pas si évident pour les chaînes de définir précisément le profil des récepteurs. Il est encore plus ardu d’analyser comment le sens produit va être décodé par les différents publics. L’intérêt des commentaires pourrait donc se trouver ici. En donnant notre avis sur telle ou telle émission, nous permettons aux chaînes d’analyser la réception. En regroupant ces informations avec nos données personnelles, elles sont en mesure de construire une typologie du public. Cela leur permet également de percevoir l’interprétation que nous faisons de leurs contenus et ainsi, de voir si les signes et significations émis sont acceptés, négociés ou refusés.
Quelles conséquences me direz-vous ?
Une fois ce travail accompli, les chaînes seront en mesure de s’adresser efficacement à tel ou tel public. On peut imaginer que les contenus seront alors construits en fonction d’une typologie précise du public. En effet, nos commentaires font transparaître les signes que nous percevons ainsi que notre interprétation.
Le danger principal serait alors que les signes envoyés soient unanimement acceptés. Il ne faut pas perdre de vue le fait que dans les entreprises médiatiques l’argent est roi. Si l’on accepte les contenus plus facilement, pourquoi la publicité qui les accompagne ne serait pas également acceptée ? La cohabitation – voire collaboration – entre médias et annonceurs pourrait les amener à construire leurs messages publicitaires sur le même modèle. La publicité – parfois dissimulée à l’intérieur même des contenus – n’aurait alors plus qu’à réutiliser les signes les plus performatifs adaptés à sa cible. Nous assisterions alors au primat du sens dominant sur l’interprétation. Comprenons, la fin du feedback et le retour à un modèle linéaire. Une bonne vieille injection à grands coups de seringue hypodermique !
Qui les en empêcherait ?
Aussi surprenante qu’elle puisse paraître, la réponse nous vient du site Mytf1.fr : « Nous recueillons les Données personnelles que Vous Nous fournissez ».
 
Jordan Thévenot

Invités

La tendance m’a tuer

 
Coincée dans le métro, tu te dis qu’un article sur la tendance s’envisage avec un sourire en coin. Le coup de l’achat d’identité qui s’opère dès lors  que l’on se colle une marque sur le front, cela fait vingt ans que les journalistes te le servent. Avouons-le, il n’est pas rare qu’un titre découvre à la fin de l’hiver qu’au royaume des fashion, un truc « in » peut être « out » et que d’ailleurs ce qui est réputé « out » est archi « in ».
Attends, ne décroche pas, on a une ou deux perles à te servir. D’abord Bourdieu, auteur de « La distinction » – aux Éditions de Minuit qui en 1980 écrivait : « Classeurs classés par leurs classements, les sujets sociaux se distinguent par les distinctions qu’ils opèrent entre le savoureux et l’insipide, le beau et le laid, le chic et le chiqué, le distingué et le vulgaire – et où s’exprime ou se trahit leur position dans des classements objectifs. »
Avoir du goût, être « in » c’est signaler son appartenance à la classe sociale dominante, la stylée, l’inspirée.
Dominant/dominé, tu ne ris plus ? La tendance est une guerre qu’il faut gagner à tout prix. Le plix* bling bling (attention cet article n’est pas politicaly correct) qui s’achète une identité chez Gucci, Dior, Dolce&Gabbana est juste un suiveur, plus grave que celui qui navigue hors marques.
L’apparence c’est violent, saignant.
Tu te souviens au lycée de cette fille longue et fine (on va l’appeler Mia) que les autres tentaient de copier. Et comment elle s’amusait à les égarer dans son jeu de piste impossible. Hier, elle a soufflé à une copine de s’acheter le sac Frison sorti en octobre. Impossible à trouver parce que chez les enseignes au top, les produits, même ceux qui rapporteraient une fortune si on continuait à les vendre, connaissent une durée de vie de deux mois, concept d’excellence, de rareté (et donc de distinction) oblige.
La bonne copine de Mia a tué son papa et sa maman pour s’offrir le Frison (un vintage qu’elle a racheté le double du prix sur le Net). Sauf que Mia à la rentrée, elle arborait un sac en toile de jute venu de Sarajevo. La tendance a tué la copine, tu suis ? Jeu sado-maso : prendre le pouvoir, être prescripteur, décideur. On vote rouge ou bleu peu importe, ce qui compte ce n’est pas de sentir l’air du temps, il n’y a rien à sentir bien sûr. Il convient d’imposer son choix et se faisant de s’imposer soi. La tendance est radicale, sadique, implacable. Il s’agit d’une dictature de l’espèce dominante – celle qui a de l’allure, du caractère – sur le gros du troupeau. Classeurs classés par leur classement type Laguna super in à force d’être out, sac revolver Dior ou sac en plastique Ed, les sujets sociaux commettent parfois la pire des erreurs : croire que le style s’achète chez Colette.
Or, le style est d’essence divine, il est rare, un secret partagé par une poignée d’individus qui sont les rois du monde et le savent. Tandis que les patrons, les généraux s’imposent armes à la bretelle, les princes de la tendance se distinguent l’air de rien par ce petit truc en eux qui fait qu’on ne les arrêtera jamais à l’entrée. Le petit truc n’est vendu nulle part. Et pour cause, il n’existe pas. Pourtant il existe puisque tout le monde y croit.
Corinne Lellouche
*plix : plouc

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