Campagne Amesty International
Agora, Com & Société

Le cas-tharsis

Pour vivre peureux vivons choqués, tel est l’adage qui pourrait résumer cette année 2015 malheureusement riche en événements plus dramatiques les uns que les autres. Néanmoins, ne jetons pas la pierre et apportons la notre à l’édifice : le choc dispose également de certaines vertus aujourd’hui assimilées par les publicitaires mais qui tendent à se généraliser. Cette mise à nu à l’image apparaît désormais comme la garantie d’un ancrage psychologique fort, assez délicat mais néanmoins efficace La question semble alors s’imposer  : devons nous tendre ou s’attendre à davantage de brutalité à l’écran ?
Aristote 2.0
Bien qu’il doit certainement se garder d’avoir un avis sur l’émergence de cette propension à choquer, le philosophe grec est à l’origine de cette notion de catharsis. La fameuse “purgation des passions”, cette notion élémentaire que l’on nous rabâche depuis ces belles années collégiennes. Choquer pour extérioriser en somme, les dramaturges classiques pensaient effectivement que représenter une certaine forme de violence sur scène était le moyen idéal de la répudier pour le spectateur.
Même processus mais époque différente, cette violence à l’écran se fait de plus en plus courante et le même débat émerge à chaque campagne publicitaire : vont-ils trop loin ? Comme le présageait Aristote, la notion de représentation est l’épicentre du débat suscité par le choc. Les campagnes de Sécurité Routière se sont emparées de cette notion afin de choquer pour sensibiliser. La communication se veut volontairement violente et la représentation en dit long, pour reprendre (en détournant) le titre de l’ouvrage d’Austin dédié à la communication : ici Faire c’est dire ; on montre pour démontrer. L’image devient alors le message et par conséquent, l’objet même de la reflexion ce qui explique l’importance du média. Comment mettre en exergue ce message et dans quelle perspective doit-il être exploité ?

Quand la TV veut vous show-quer
Jusque là rien de bien révolutionnaire, cette tendance au choc est intimement liée à la quête du buzz, même si le but diffère, les moyens sont vraisemblablement similaires. Aux États-Unis, terre de buzz par excellence, un programme s’est peu à peu imposé comme la méthode forte afin de favoriser la repentance des jeunes délinquants. Scared Straight! était originellement un documentaire (primé par un oscar en 1979) mettant en scène des jeunes considérés comme “difficiles” – comme on aime à les appeler dans les reportages d’une finesse journalistique exemplaire – face à des condamnés à perpétuité. Le concept a été repris et c’est désormais sous la forme d’une émission hebdomadaire qu’il est décliné.
L’idée : plonger ces ados dans un univers savamment hostile afin de créer ce fameux effet de choc. Évidemment, il y a une orchestration télévisuelle et une dramaturgie bien pensée afin de réunir les éléments d’un bon show à l’américaine ; cependant cela en dit long sur la perception et l’utilisation de l’image à l’état brut. Yves Winkin, éminent spécialiste de la communication, évoque encore aujourd’hui la nécessité de réhabiliter la pédagogie par l’objet, et même si ce ne sont certainement pas les méthodes auxquelles fait référence cet auteur, nous pouvons considérer que cette confrontation psychologique doit être créditée d’un certain degré d’efficacité.

Droit au brut
Face à de telles positions au sujet de la violence à l’écran, nous pouvons nous demander s’il ne faut pas persister à aller dans ce sens afin de mettre un terme au flou artistique concernant tel ou tel sujet. Dans le cas du djihadisme, nous assistons à un véritable phénomène de mystification autour du sujet. Cela est justifié par la peur suscitée par cette idéologie qui est présentée comme à l’origine des attentats qui ont touché la France lors de la terrible soirée du 13 novembre. En cela réside le caractère délicat du choc évoqué précédemment et cela légitime une volonté d’apparaître comme plus brut, donc plus vrai. Force est de constater qu’un certain nombre d’interrogations ont émergé depuis ces attentats et qu’il réside en France un climat de questionnement dans lequel à peu près tout le monde y va de son avis, de la brève de comptoir à la longue de plateau TV.
Il apparaît donc nécessaire de montrer, de crever l’abcès psychologique face à ces ombres qui s’agitent au dessus de la conscience collective. L’image demeure un outil pédagogique comme le démontrent Lemine Ould M.Salem et François Margolin, les deux réalisateurs du film Salafistes. En salle en janvier 2016, ce film – d’une durée d’1h10 – apparaît comme une démarche à la fois claire et poignante ; les journalistes sont allés à la rencontre des acteurs majeurs de l’idéologie salafiste en essayant de comprendre et de remonter aux racines de l’extrémisme qui a frappé Paris. Les entretiens se font à visage découvert, la langue dénuée de filtres, la réalité est projetée dans sa pure vérité. Le film a nécessité trois années de tournage et il semble crucial de parvenir à abattre ces idées pré-conçues qui déconstruisent la réalité au profit d’une course à la peur.
La violence est indéniable mais ne doit-elle pas être reconsidérée comme catalyseur de vérité ? Si ce film permet à cette France qui a peur de ne plus soupçonner le barbu dans le métro et d’enfin pouvoir poser des mots sur ces obscurs mécanismes idéologiques, il semble que ce documentaire est un mal, pour un bien.
La multiplication de spécialistes qui viennent envahir le champ médiatique à coup de théories engendre un flou artistique conséquent et participe à la spéculation de la part du Grand Public. Le rapport à l’image évolue puisque la notion de choc connaît un ancrage de plus en plus fort dans nos sociétés modernes. Montrer pour démontrer, c’est peut-être ce qui était en déperdition à l’heure où l’instantanéité des messages est de rigueur. Avec des exemples allant des campagnes de la Sécurité Routière à la projection du film Salafistes, il transparaît peu à peu cette nécessité de reprendre le temps de regarder pour comprendre. Oui, il semble plus aisé de détourner le regard, mais puisque la peur nous sort par les yeux, il est temps de les ouvrir.
Jordan Moilim
Crédit photo : 
Amnesty International

Couteau
Com & Société

[À savoir n°34] : trois tutos pour un avortement parfait

« EnjoyPhenix a sorti une nouvelle vidéo, t’as vu son dernier tuto ? »
Cela fait quelques temps maintenant que les fameux « tutos » envahissent nos pages Youtube. Premièrement, posons une définition précise de la chose, en clair :  « un tuto, c’est quoi ? »
Un tuto, ou tutoriel, est un mot utilisé pour désigner une brochure informative destinée à enseigner des données, de quelque type que ce soit, même si le terme s’est largement développé au niveau de l’informatique.
Une vague  de tutos en tous genres a donc déferlée sur nous autres internautes: tutos cuisine, tutos coiffures, plus populaires encore les tutos beauté des fameuses « youtubeuses », mais les tutos qui suivent sont d’un tout autre genre et risquent bien de vous glacer le sang. Exit le tuto qui nous donne le secret du parfait maquillage pour l’automne qui arrive, ici sont listées les meilleures astuces pour… avorter.

Des tutos « coups de poing »
Remettons les choses dans leur contexte : ces vidéos sont diffusées depuis avril dernier au Chili, l’un des pays les plus conservateurs en terme d’avortement. L’idée originale est celle de l’ONG Miles Chile, résolument féministe et qui entend bien faire bouger les choses.
En effet, depuis 1989, sous la dictature de Pinochet, l’interruption volontaire de grossesse est interdite au Chili, comme dans six autres pays à travers le monde. Les femmes enceintes qui ont recours à cette pratique s’exposent à une peine allant jusqu’à cinq ans de prison. Seul l’avortement dit « accidentel » est dépénalisé. Rappelons, à titre indicatif, que les femmes françaises, elles, bénéficient de ce droit depuis déjà 40 ans.
Miles a donc décidé de frapper fort : sur chaque vidéo, une femme explique comment avorter soi-même en mimant un accident : se faire renverser par une voiture, s’enfoncer un talon aiguille dans le ventre ou bien encore tomber dans les escaliers, autant de façons de pratiquer un avortement maison, souvent au péril de sa vie.
Les vidéos se veulent courtes et incisives, même s’il ne faut évidemment pas les prendre au pied de la lettre. La mise en scène de l’avortement n’en reste pas moins violente et crée un contraste avec le choix du support que représente le tutoriel, habituellement objet futile et de divertissement. C’est ce contraste qui rend la campagne de Miles particulièrement originale.
Derrière ce cynisme se cache la volonté de moquer et ridiculiser un Chili trop conservateur, et donc en retard sur son époque, face à des pays tels que la France ou les Etats-Unis, où le coût de l’avortement est partiellement pris en charge par l’Etat, et à une société qui ne cesse d’aller de l’avant.
Aux grands maux, les grands remèdes
Miles se paie les services du géant de la publicité Grey Chile, et joue la carte du cynisme et de l’humour noir pour dénoncer une réalité qui l’est d’autant plus. En effet, aujourd’hui encore, elles sont plus de 150 000 chiliennes à pratiquer l’avortement maison comme dernier recours face à une grossesse non désirée.
Les vidéos sont principalement diffusées sur la Toile et sont ponctuées du hashtag, #LeyAbortoTerapéutico. Vidéos tuto, hashtag, diffusion sur Youtube… Le mouvement a largement pris pour cible principale les jeunes générations, qui se trouvent être en première ligne dans cette bataille en faveur du droit à l’avortement.
Le message très clair: le Parlement doit voter la proposition de loi pour dépénaliser l’avortement au Chili.

Miles a gagné une bataille, mais pas la guerre…
La victoire se trouverait-elle au bout du chemin pour Miles ? Le projet de loi est aujourd’hui discuté, controversé même, mais l’ONG a réussi son pari: ouvrir le débat. Le projet est appuyé par la présidente socialiste Michelle Bachelet. Il vise à dépénaliser l’avortement sous certaines conditions: la raison avancée doit être valable. L’avortement pourrait donc être légal dans les cas suivants: viol, malformation du foetus ou risque pour la vie de la mère.
Ce premier pas vers l’éveil des consciences n’est pas du goût de l’Eglise catholique chilienne, qui a exprimé son mécontentement dans la presse à pas moins de cinq reprises. Les pays hispanophones sont les plus restrictifs en terme d’avortement: en Amérique Latine, l’avortement n’est libre qu’à Cuba, en Uruguay, à Porto Rico et à Mexico. Cette politique conservatrice  s’explique par leur proximité avec l’Espagne, pays colonisateur, et donc par l’influence exercée par l’Eglise catholique, aujourd’hui toujours très importante dans ces pays.
L’écho de cette victoire en terme de communication autour de l’épineuse question de l’avortement n’atteindra pourtant pas l’autre rive de l’Atlantique, puisque la classe dirigeante espagnole, malgré la récente démission du premier ministre Mariano Rajoy, tente toujours de faire machine arrière et de limiter le droit à l’avortement à deux cas: le viol et le risque vital pour la mère.
A quand donc un tuto « être une bonne mère sans même vouloir en être une » ? À cela, Miles répondrait que « la maternité est un droit, non une obligation ».
 
Manon DEPUISET
@manon_dep
Sources : 
Le Monde : http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2015/05/29/des-tutoriels-pour-avorter-afin-de-denoncer-la-loi-chilienne/
Crissementathee : http://crissementathee.com/2015/05/30/au-chili-une-ong-militant-pour-le-droit-a-livg-propose-une-campagne-choc/
Crédits images
Europe 1
Youtube
RFI.fr

Com & Société

Un dispositif décoiffant pour parler du cancer chez l'enfant

 
Figurant parmi les principales causes de mortalité dans le monde¹, le cancer est devenu depuis quelques années un enjeu majeur de santé publique à l’échelle planétaire. Les cancers infantiles font largement partie de ces préoccupations, puisque chaque année en France environ 1700 enfants de moins de quinze ans sont atteints par ces pathologies cancéreuses², constituant ainsi la principale cause de décès de l’enfant après les causes accidentelles. Face à ce constat, la Swedish Childhood Cancer Foundation – une organisation suédoise luttant contre le cancer infantile – a récemment fait parler d’elle en sensibilisant la population au sujet du cancer infantile avec une vidéo poignante d’un peu plus d’une minute diffusée dès le 5 octobre dernier dans le métro de Stockholm.
Une vidéo percutante
L’histoire commence en février dernier lorsque la marque de shampoing Apotek Hjärtat réalise une opération marketing en utilisant un panneau publicitaire digital sur le quai d’une station de métro de Stockholm. Cette campagne met en scène une jeune femme aux cheveux longs, face caméra. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Toute l’originalité du dispositif prend sens alors que le métro démarre, lorsque les cheveux de la jeune femme se mettent à voler dans tous les sens, comme emportés par l’appel d’air créé par le passage de la rame.
Ce dispositif interactif a été réutilisé par la Swedish Childhood Cancer Foundation dans l’objectif de créer leur propre version. Si le principe est le même, ce n’est cette fois-ci pas une jeune femme aux cheveux plein de vitalité qui apparaît, mais Linn, 14 ans, tout juste remise d’une chimiothérapie. Si ses cheveux se mettent ainsi à voler dans un premier temps, ceux-ci finissent par s’envoler et disparaître de l’écran, comme soufflés par le passage des wagons. Ce qui distingue le spot vidéo de la Swedish Childhood Cancer Foundation de celui de la marque de shampoing, c’est la conclusion que le spectateur en tire : la jeune fille mise en scène cheveux au vent n’est pas là pour faire vendre un produit, mais bien pour sensibiliser. Le message est clair et percutant : « Chaque jour, un cancer est diagnostiqué chez un enfant ».

Intégrer le cancer au quotidien : le rôle de l’émotion
Face à un sujet aussi sensible que le cancer chez l’enfant, comment s’y prendre pour sensibiliser sans choquer ? Recourir à l’émotion est une des solutions utilisées par les fondations pour parvenir à cet objectif. Les images, la musique, le cadre occupent ainsi une place de choix dans la vidéo, où rien n’est laissé au hasard.
Dès le début, le spot met en scène des passants dans le métro, lieu du quotidien et de l’ordinaire par excellence. Le cancer, thème du clip vidéo, est quant à lui loin d’être considéré comme quelque chose de quotidien et d’ordinaire par la plupart des individus. Le parallèle est ici assez intéressant, puisqu’en mettant le focus sur des individus ordinaires dans un lieu ordinaire qu’est le métro, on peut penser que la Swedish Childhood Cancer Foundation tente d’intégrer le cancer dans la vie quotidienne afin de donner une meilleure visibilité au quotidien de Linn, et à travers elle des autres enfants atteints de cancer.
Le déroulement de la vidéo se poursuit en nous présentant en image la mise en place du dispositif publicitaire interactif, avec moult fils, boîtiers et branchages de câbles qui ne sont pas sans nous rappeler le matériel médical nécessaire au traitement du cancer.

Concentrons-nous maintenant davantage sur l’aspect sonore du spot. A partir de 20 secondes, des tic-tac se font entendre. Lorsque ces tic-tac débutent, nous pouvons lire « Nous avons utilisé la même technique et créé notre propre version pour montrer la réalité à laquelle nous faisons face chaque jour », nous rappelant que dans cette réalité qui est celle des enfants atteints de cancer, le temps est précieux et souvent compté. Les tic-tac s’arrêtent ensuite pendant le temps d’interrogation lié à la disparition de la chevelure de l’enfant, avant de reprendre sur la phrase « Chaque jour, un cancer est diagnostiqué chez un enfant », une façon de nous rappeler encore que le temps presse.
La vidéo se termine sur le visage de la jeune Linn, 14 ans, atteinte du cancer. L’accent est ainsi mis sur le côté humain, en mettant un nom et un âge sur le visage de l’adolescente que l’on observe tout au long de l’animation. La personnalisation n’est ici pas laissée au hasard, appuyant le côté émotionnel, puisque cette jeune fille pourrait très bien être votre fille ou votre sœur, votre cousine ou votre amie. De plus, ce visage neutre, résigné voire presque triste qui nous fixe après le message nous invitant à faire un don nous laisse subtilement entendre que Linn compte sur nous, ainsi que tous les autres enfants atteint de cancer.

Un dispositif original
Le dispositif utilisé pour cette campagne de sensibilisation se distingue des habituels supports auxquels ont recours les agences de publicité. En effet, si en temps normal la publicité s’impose à son public, ici, on remarque que les individus viennent volontairement s’exposer au message en faisant délibérément le choix de porter attention à la jeune fille. Cette marque d’attention est visible dans la vidéo, où les voyageurs apparaissent concentrés et attentifs suite à la disparition de la chevelure de Linn.
Ainsi face au réalisme du dispositif, la plupart des voyageurs sourient. Mais lorsque la perruque de Linn s’envole soudainement en nous dévoilant son crâne chauve, les visages se figent. De cette façon, en regardant d’un peu plus près les réactions filmées en caméra cachée, on constate que rires et sourires laissent ensuite place à l’étonnement et à la surprise. Une chose est sûre : la campagne ne laisse pas indifférent.
¹ : 14 millions de nouveaux cas et 8,2 millions de décès liés à la maladie en 2012 selon les données de novembre 2014 de l’OMS.
² : En France, le nombre de nouveaux cas de cancers chez l’enfant de moins de 15 ans est estimé à 1 700 par an, et 700 chez les adolescents entre 15 et 19 ans selon les données de l’Institut National du Cancer au 1er décembre 2014.
Pauline Flamant
@_magnetique
Sources:
e-cancer.fr
who.int
huffingtonpost.fr
Crédits images:
Barncancerfonden
Crédits vidéo:
Barncancerfonden

Com & Société

Making people scream…. and buy

 
«Achetez ou mourrez». C’est le message délivré par la marque japonaise de pneus Autoway dans son nouveau spot publicitaire mis en ligne le 19 Novembre dernier. Cette vidéo est précédée d’une mise en garde envers les personnes cardiaques, ce qui vous laisse très vite imaginer le topo. Conçu comme un mini-film d’horreur, le spot nous plonge à l’intérieur d’une voiture circulant sur une route de campagne enneigée, au beau milieu de la nuit. Apparait alors brusquement le fantôme effrayant d’une petite fille au loin. Cette dernière, le visage zombifié, la taille enserrée par un pneu, vient frapper contre le pare-brise. Le conducteur (nous) est terrifié et s’enfuit en marche arrière. Au loin, le zombie tient un ordinateur portable avec une phrase inscrite sur l’écran, que l’on pourrait traduire par « achetez des pneus d’hiver ou vous mourrez». Bien que le sens soit assez difficile à saisir, il semblerait qu’Autoway nous conseille d’acheter des pneus d’hiver pour éviter l’accident et ne pas finir en zombie décomposé.
Ainsi, la compagnie de pneumatiques a intelligemment repris les codes narratifs et esthétiques des films d’horreur japonais tels que The Ring ou Dark Water. Cheveux longs noirs, fantôme de petite fille, caméra amateur, visibilité réduite : le pari est réussi. Mais pourquoi utiliser le registre de l’horreur alors que d’autres marques comme Michelin utilisaient il y a quelques années de sympathiques personnages de dessin animé ? L’horreur ferait-elle vendre?

Bien qu’à première vue cela semble loufoque, ce postulat n’est en réalité pas si décalé. En effet, si l’on regarde de plus près les tendances actuelles, on voit très vite émerger un nouveau marché, celui du gore, de la peur et du paranormal. Depuis une dizaine d’années s’enchainent les succès cinématographiques appartenant au registre de l’horreur ou de l’épouvante, comme REC, Saw ou encore Paranormal Activity. A la télévision, on retrouve le même engouement aussi bien dans les émissions de TV réalité comme Fear Factor que dans les reportages insolites de Vice. Les séries TV sont quant-à-elles plus que révélatrices: les zombies de The Walking Dead, les vampires de True Blood et les sorcières de American Horror Story font désormais partie de l’univers culturel de toute une génération.
Certaines entreprises sont donc arrivées à la conclusion qu’effrayer faisait vendre. Face à une génération en permanente quête de dépassement et de sensations fortes, le marketing de la peur se présente en effet comme une arme potentiellement intéressante. En 2011, la marque américaine Phone 4U lançait une publicité inspirée des films d’horreur, si effrayante qu’elle avait été interdite à la diffusion. Malgré cela, ce spot dont le slogan menaçant était «missing our deal will haunt you» a marqué le début d’une nouvelle tendance qui n’a cessé d’aller crescendo depuis. Récemment, elle s’est matérialisée sous la forme de caméras cachées, qu’il s’agisse de l’opération de télékinésie totalement ficelée par l’équipe du film Carrie, la vengeance, ou encore du canular mis en place pour la promotion du dernier film Chucky au Brésil. Souvenez vous, la vidéo de la poupée Chucky en chair et en os venant terroriser des passants assis sous un abribus avait fait le buzz et généré plus de 11 millions de vues sur Youtube.
Si les publicitaires ont su exploiter de main de maître le filon, une agence de communication est allée jusqu’à en faire son mot d’ordre.  La célèbre agence St John repousse les limites de « l’experiential marketing » en inventant « l’ exFEARiential marketing ». Dans un petit reportage mis en ligne sur son site, l’agence explique en quoi la peur a un potentiel marketing exceptionnel. La peur étant un sentiment qui reste longtemps imprégné dans la mémoire du spectateur, au même titre que la musique ou la joie, elle serait donc un outil communicationnel hors pair. Dans sa vidéo, l’agence vante les mérites des canulars (émeutes, agressions ou encore babynappings), ces derniers ayant théoriquement le pouvoir de pousser à la consommation.

Le marketing de la peur est-il alors une véritable tendance ou une nouvelle idée farfelue destinée à faire le buzz ? Difficile à dire. Ce qui est certain c’est qu’aujourd’hui, le client ne veut plus simplement consommer, mais aussi vivre une expérience lorsqu’il achète. Le consommateur du XXIème siècle ne se contente plus uniquement de publicités centrées sur le produit, il veut plus que ça. Les marques se battent alors pour être celles qui offriront l’expérience la plus forte, la plus inventive. Qu’il s’agisse de l’amour, du désir, du bonheur ou de la beauté, les sentiments majoritairement invoqués sont positifs.  Et pourtant rien ne nous dit qu’ils ont davantage d’impact que les sentiments négatifs. En s’alignant sur le goût certain des nouvelles générations pour l’horreur et la peur, « l’exFEARiential » s’inscrit dans l’ère du temps grâce à une logique osée et innovante. Cependant, la route paraît encore longue avant qu’une publicité comme celle de la marque japonaise Autoway fonctionne indépendamment du buzz qu’elle a  provoqué.
 
Hélène Carrera
Sources
FranceInfo
LeGeekC’estChic
AdvertBlog

Flops

Tu la veux celle-là ?

 
Il y a une dizaine de jours, la Fondation pour l’Enfance lançait la diffusion d’un spot déjà copieusement discuté, « La Gifle », avec une frappante (mes excuses) phrase finale : « Il n’y a pas de petite claque ».

Moins mélodramatique que le précédent coup d’éclat de la Fondation (2011), ce spot joue cependant sur le même ressort essentiel, que l’on retrouve dans la majorité des opérations de sensibilisation : le choc.
Comme « Under my skin » de la British Heart Foundation en 2009, « Kan c non, c’est… » du CFCV la même année, ou encore le remarqué « Insoutenable » de la Sécurité Routière en 2010, les avatars des différentes formes de prévention ne peuvent échapper à ce registre s’ils prétendent toucher efficacement les publics. C’est par exemple ce qui a été vérifié par Karine Gallopel et Christine Petr dans L’utilisation de la Peur dans les campagnes de Prévention : la peur, associée à une phrase, une image ou un concept qui la cristallise et la rattache à la banalité du quotidien, n’a pas son pareil pour faire changer les comportements.
Mais l’ennui avec une gifle – qu’au reste beaucoup trouvent salutaire dans le spot – c’est qu’elle ne porte aucunement les mêmes enjeux que les exemples cités plus haut : à moins d’être extrêmement commune (mais nous basculons alors dans la maltraitance pure et simple), elle ne sera jamais synonyme de mort, de crime ou de vie détruite.
Les statistiques abondent pour relier déséquilibres, alcoolisme ou violences à l’âge adulte avec la réception de claques durant l’enfance, mais il est bien sûr proche de l’impossible d’établir rigoureusement le cheminement d’un éventuel traumatisme.
Il en va de même pour les avis d’experts qui se manifestent autour de la campagne : la gifle serait un aveu d’échec pour l’adulte et un apprentissage de la violence pour l’enfant, mais ces suppositions laissent chacun libre d’y aller de son contre-exemple personnel.
Et c’est par ce biais que la campagne est censée se rattraper : le commentaire. Là où le spectacle d’un accident sanglant sur la route est avant tout reçu personnellement par le spectateur, une simple déclaration appelle au contraire à la conversation. « Il n’y a pas de petite claque » devient le motto à abattre ou à défendre selon celui qui l’aborde, et chaque internaute peut se laisser aller au plaisir double de contredire quelque chose et de le faire à coups d’exemples à première vue pertinents, tirés de sa vie ou de celles de ses proches. L’agitation qui en résulte peut même être récupérée par les médias qui lui donnent voix, puisqu’elle est un prétexte parfait pour matérialiser l’existence d’une communauté sur, par exemple, un site d’actualités.  Une sorte de Big Picture (The Guardian, 2012) à moindres frais.
Si le message de « La Gifle » en lui-même n’aura probablement qu’une portée discutable, le spot n’est pas un Flop complet. Car à travers les critiques soulevées, la Fondation pour l’Enfance a réussi à faire entrer une nouvelle discussion dans l’espace public – même la « petite claque » a son intérêt, car elle ne forme qu’une phrase courte, plus proche du proverbe que du slogan et qui peut aisément devenir un lieu commun dans les conversations – c’est exactement ce qu’ont accompli, en leur temps, le « Non c’est non » dans un contexte d’agression sexuelle, ou le « Si j’étais un homme, tu me parlerais comme ça ? » en matière de sexisme. Reste à savoir si la mayonnaise prendra sur le long terme.
Et pour le plaisir de soulever la question, il est tentant de se demander quelles adaptations cette recette pourrait connaître. Si la gifle parentale peut devenir si aisément le centre de l’attention, quels autres messages pourraient être transformés en proverbes de sagesse populaire ?
 
Léo Fauvel
Sources :
RTL
France Info
La Croix
Causeur

Archives

Jacques a dit qu'il s'était fait prendre, lui aussi…

 
Eh oui, comme tout un chacun, Jacques a lu et vu pendant des jours les réactions concernant la une de Libération. Jacques s’est indigné ou a souri selon les cas, mais il ne pouvait pas y échapper : la vague médiatique a déferlé tel un cheval au galop, engloutissant pour un temps guerre en Syrie, crise de l’europe et incendie meurtrier à Saint Denis.
Le 10 Septembre, Libération présente en une la photo de Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, paraphée de la fameuse formule « Casse-toi riche con », déformation de la formule « Casse-toi pauvre con » prononcée par l’ancien Président de la République en 2008. A la source, une rumeur selon laquelle Mr Arnault souhaiterait se faire naturaliser belge afin d’échapper à la taxation à 75% des revenus supérieurs à 1 million d’euros, mesure prise par l’actuel Président.
Pas d’inquiétude, cet article ne prendra aucune part au débat qui divise politiques et médias sur le bien-fondé de cette une, les réactions des internautes ou la décision finale de Mr Arnault. L’intérêt est ailleurs, car en réponse à la décision du Président de LVMH d’attaquer le quotidien en justice, Libération a répondu par une autre une le lendemain, bien plus intéressante d’un point de vue sémiotique.
Au premier abord, rien d’étrange sur cette première page : une accroche polémique (qui reprend une fois encore une phrase de l’ex Président de la République), une photo en couleurs reprenant le sigle d’une grande marque de luxe, le logo habituel… Violet ?
Eh oui, violet. Le fameux logo rouge, identitaire du journal, ne se retrouve que sur la tranche comme pour dire « oui, c’est bien le bon journal, vous ne vous êtes pas trompé ». Interloqué, le lecteur saisit alors la première page, la tourne et que voit-il? Un procédé typique des journaux gratuits tels 20 Minutes ou Direct Matin, qui consiste à utiliser la première page comme support publicitaire de choix pour les annonceurs pour ne mettre la « vraie » une qu’en page 3. Typique de certains journaux, bien moins typique de Libération ! Même si le quotidien nous a habitué à des premières pages recherchées qui font partie de ses marques identitaires.
Ce système a permis plusieurs résultats positifs pour le quotidien. Il a d’abord attiré le regard sur le journal par le biais de la couleur du logo (reprenant la couleur du diamant qui surmonte la bague sur la photo), piquant la curiosité des lecteurs non initiés aussi bien que des abonnés. Cette couleur reste d’ailleurs la dominante dans les quatre pages publicitaires qui composent cette « fausse une », tandis que le rouge reprend sa place à partir de la « vraie une », en troisième page.
Voici donc un deuxième effet positif, car la « fausse une » a également permis au quotidien de réaliser trois pages pleines de publicité envers les enseignes du groupe LVMH, pour le plus grand plaisir des annonceurs mais aussi du service financier du journal. Quoi de plus attirant qu’un espace publicitaire inédit, qui attirera le regard des lecteurs, pour vendre les marques LVMH ? Une publicité tout aussi intéressante pour Libération, qui réalise un coup marketing tout en conservant sa position éditoriale d’opposition grâce à la phrase d’accroche. Cela montre aussi combien les journaux ont toujours été et sont encore aujourd’hui dépendants du bon vouloir des annonceurs pour survivre, et notamment du domaine du luxe qui est parmi les seuls en croissance malgré la crise.
Enfin, l’idée de « buzz » polémique suscité par la une de la veille est partiellement gardée même dans la une publicitaire par le biais de la photo, où l’on pourrait confondre le S avec le sigle dollar et le Y avec celui du yen, renvoyant encore une fois à l’argent de Bernard Arnault.
Cette double une en a certainement étonné plus d’un, en bien ou en mal, et a permis une jolie polémique sur les réseaux sociaux et la blogosphère. Vous vous êtes fait avoir? Eh bien Jacques aussi s’est laissé prendre…
 
Héloïse Hamard

Edito

Fail de Fringues

 
C’est déjà la rentrée pour les Celsiens et les rédacteurs sont ravis de reprendre le travail. Le blog nous a manqué et nous espérons que vous serez nombreux à nous suivre lors de cette reprise. Après un mois de vacances quasiment coupée du monde, il m’a semblé très difficile de trouver un sujet approprié pour cette rentrée et pourtant ! C’est au détour d’une page du dernier Elle qu’un sujet s’est imposé à moi.
Pour la plupart d’entre nous, Kookaï n’est qu’une marque de vêtements pour jeunes femmes parmi d’autres. Que l’on aime ou pas, c’est également une marque qui fonctionne bien. Cependant, il semblerait que celle-ci ait une histoire plutôt mouvementée quand il s’agit de communiquer vers le grand public. Dès la fin des années 90, Kookaï pouvait se vanter d’avoir fait parler d’elle avec sa saga mettant en scène l’homme objet sous l’emprise du Girl Power. Si le ton de la marque se faisait plus discret ces derniers temps avec de mignonnettes campagnes illustrant la femme Kookaï toujours plus ingénue, il n’aura fallu qu’un seul visuel pour replacer la marque aux côtés de provocateurs comme Benetton… Mais comme Benetton, c’était peut être la campagne de trop. L’année dernière, les visuels des chefs politiques aux bouches délicatement appuyées ont fait le tour du monde. Reste à espérer que ce ne sera pas le cas de la dernière campagne Kookaï, déjà largement visible dans les magazines féminin du type Elle, Grazia…
Voici les 3 visuels constituant la campagne « Cool but Chic » :

Trouvez l’intrus !
Et voici comment la marque présente elle-même cette nouvelle campagne sur sa page facebook :
« Nous découvrons la femme KOOKAÏ, tout au long des visuels, dans ses contradictions qui en font ce qu’elle est : Une femme vraie et glamour. Tous ses petits défauts sont sublimés par sa classe incontournable. Cool but Chic représente ce mariage talentueux entre authenticité et sophistication ! »
Vous l’aurez sûrement deviné, l’image qui dérange est la troisième car même si les deux premières ne présentent pas de grand intérêt (en particulier si l’on s’attarde sur la traduction se voulant fine et espiègle) elles rentrent plus ou moins dans les codes actuels de la communication du secteur. Loin de moi l’idée qu’il faille rester dans les codes, au contraire, je pense que le public est ravi d’être surpris par toujours plus d’audace. Avant de foncer tête baissée dans le débat sur l’anorexie, la mode, les mannequins russes de 14 ans qui tombent comme des mouches, j’aimerais prendre une seconde pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer dans la tête des concepteurs de cette campagne. On est en droit de se demander si la marque s’est sentie l’âme créative et s’est lancée elle-même dans la réalisation ou bien si une agence se cache véritablement derrière ce travail (auquel cas ce serait très inquiétant). Ma lecture la moins négative de ce message différera peut être de la vôtre. Il m’a semblé que la marque cherchait à dire que cette jeune fille était « affamée » (cf la traduction si délicate) car elle préférait dépenser ses sous pour s’acheter des vêtements chez Kookaï. Cependant alors que j’écris ces mots, j’ai peine à croire que l’on puisse se planter autant. Car il est évident que la première signification de ce message est : « affamez vous pour être maigres donc chics ». Et d’ailleurs, après avoir publié les trois visuels sur sa page Facebook, la marque a du faire face à deux plaintes de ses fans concernant la jeune fille « Hungry but chic ».
Voici la plus pertinente d’entre elles :
« I think this is so wrong on so many levels, I know that it’s just an advertising but hungry is not chic, hunger is not chic, and by making this ad you are promoting the ugly fashion industry that is growing, thinner models, saying that you need to be skinny to be chic and encouraging young girls to starve themselves. »
Traduction : « Il y a tellement de choses qui ne vont pas avec ce visuel, je sais que c’est juste une publicité mais être « affamée » n’est pas chic, la faim n’est pas chic, et en réalisant cette pub vous faites la promotion de l’hideuse industrie de la mode qui entretient des top models de plus en plus minces, en disant qu’il faut être maigre pour être chic et en encourageant de jeunes filles à s’affamer ».
Et voici la réponse du community manager en charge de la page :
« Bonjour,
Certain(e)s d’entre vous ont réagi au visuel HUNGRY BUT CHIC. Cette affiche montre comment se faire pleinement plaisir tout en restant élégante, même prise en flagrant délit de gourmandise… L’image véhiculée par notre publicité montre une femme moderne et mode, à la personnalité affirmée, qui garde un certain décalage humoristique en toutes circonstances. Cette campagne comporte 3 visuels qui vont dans le même sens : la femme du visuel MESSY BUT CHIC assume le désordre de son sac à mains tout en restant élégante et SINGLE BUT CHIC montre une femme qui sait rester mode, même en changeant le pneu sa voiture.
Voici de quoi vous rassurer sur l’intention de notre marque.
Bonne journée à tous nos fans !
KOOKAÏ”
Je ne sais pas si vous êtes rassurés mais c’est loin d’être mon cas…
Affaire à suivre…
Marion Mons
Sources :
Et Kookaï sortit de l’anonymat par Véronique Richebois – 02/08 – Les Echos
Page Facebook de Kookai

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