Médias, Politique

Contrer la désinformation: Trump VS. médias aux dernières heures de sa campagne

Y-a-t-il eu censure lors de la présidentielle américaine 2020 ? C’est à la télévision et sur son compte Twitter que Donald Trump a tenté, la semaine dernière, de remettre en cause sa défaite en criant au complot. Alors que ses accusations de fraudes électorales étaient en passe de mettre à mal l’intégrité du scrutin américain, des chaînes d’informations et réseaux sociaux ont tenté d’endiguer ces contre-vérités. À coup de fact-cheking, de modération, de signalements, quel rôle les médias ont-ils eu dans la préservation de la démocratie et du bon déroulement de l’élection ? 
Médias, Société

Les gilets jaunes ou la guerre des clans : un traitement médiatique controversé

Initié sur les réseaux sociaux, le mouvement des gilets jaunes a vite pris de l’ampleur au point de devenir un phénomène surmédiatisé. Désormais, tout un chacun a eu l’opportunité de se forger sa propre idée du mouvement. Mais qu’en est-il du traitement par les médias et comment les personnalités politiques l’interprètent-elles ? Retour sur le rapport de force qui oppose trois entités plus que jamais en désaccord: le mouvement des gilets jaunes, les personnalités politiques ainsi que les médias.

Société

Fausses nouvelles

« Ce n’est pas une crise, c’est un changement de monde » écrit Michel Serres. L’expression fake news est apparue dans les années 90 dans les médias américains. Alors qu’elle était cantonnée à des débats spécifiques, cette expression s’est retrouvée sous les feux de la rampe en 2016, lors de la campagne de Donald Trump. S’il a été largement commenté, relayé et discuté, ce syntagme garde des contours flous qui paraissent difficiles à circonscrire.

Société

Fake news et autres perlimpinpineries

Les fake news (ou littéralement fausses nouvelles) : qui n’en a pas entendu parler ? Elles ont déterminé et requalifié le vote de nombreux électeurs, que ce soit durant les présidentielles américaines ou durant la campagne du Brexit.
Mais la véritable question n’est pas tant de savoir si nous sommes tous individuellement égaux face à ces fake news que de comprendre pourquoi celles propagées lors de la campagne présidentielle française n’ont pas su trouver prise. Pourquoi n’avons-nous pas mordu à l’hameçon comme des millions d’électeurs avant nous ailleurs dans le monde ? Est-ce une question de culture, ou bien d’autres paramètres d’ordre technique sont-ils à prendre en compte ? D’où vient cet écart entre la perception de l’information américaine ou britannique et la perception française, si tant est que nous puissions définir l’information selon une pseudo-identité culturelle ?
 
Internet, cette nouvelle tyrannie ?
Ces fausses nouvelles sont notamment le résultat connexe de plusieurs causes. Spirale du silence, tyrannie des agissants, audiences invisibles et filter bubbles (« bulles de filtre ») en sont les principales composantes qui, lorsqu’elles sont mises bout à bout, font d’Internet un espace de liberté, certes, mais où toutes les opinions ne sont pas également percevables.
Si la théorie sociologique et de science politique de la spirale du silence* est assez connue et a façonné dans les années 1970 l’idée que nous nous faisons de ce que l’on nomme les « mass-médias », il peut sembler intéressant ici de s’intéresser à la notion de « tyrannie des agissants ». Dominique Cardon, qui a développé le concept, décrit le phénomène en ces termes : « On est tous égaux a priori, mais la différence se creuse ensuite [ …] entre ceux qui agissent et ceux qui n’agissent pas. Internet donne une prime incroyable à ceux qui font.
Et du coup, il peut y avoir une tyrannie des agissants. » Pendant l’élection de Trump, on a pu se rendre compte des effets néfastes du phénomène de la tyrannie des agissants dans la mesure où ceux qui se sont le plus exprimés sur les réseaux sociaux sont ceux proférant des propos racistes ou misogynes. Cette tendance ne fait que renforcer la force des fausses nouvelles et de la désinformation car ces individus « agissants » gagnent en visibilité tandis que les tentatives de ré-information des médias traditionnels sombrent dans une partie silencieuse des électeurs qui, sans être agissants, ne relaient ces informations qu’avec leur propre audience.
 
Prise de conscience réelle ou indifférence manifeste ?
Lors de la campagne en faveur du référendum pour quitter l’Europe, les « Brexiteers » (ceux qui souhaitaient voir le Royaume-Uni sortir de l’UE) ont eu recours à un certain nombre de ces fausses nouvelles sur lesquelles ils sont ensuite rapidement revenus**.

Pour ce qui est des présidentielles américaines – bien que les experts de la CIA, du FBI et de la NSA ne se prononcent pas encore sur les potentiels effets de cette campagne de désinformation sur l’élection de D. Trump – il est certain que la divulgation d’informations compromettantes pour la candidate démocrate via le site Wikileaks à quelques jours de l’élection présidentielle n’a pu jouer qu’en sa défaveur. Mais en France, cela n’a pas entraîné de tournant majeur dans la campagne présidentielle. Car le candidat de En Marche !, bien qu’il ait lui aussi dû faire face à une massive et soudaine campagne de désinformation, et ce à quelques jours de l’une des élections les plus importantes de notre Vème République, est aujourd’hui président. En effet, l’évocation de l’existence d’un compte offshore (relayée sur Twitter et lors du débat par des membres de l’alt-right US, Jack Posobiec et William Craddick), ainsi que le hacking par des partisans du régime russe et la fuite (encore via Wikileaks) de documents de campagne, parfois en provenance de Macron lui-même, aurait pu nuire à son élection – mais il n’en fut rien. Aussi, en dépit du MacronGate et de la naissance du hashtag #MacronLeaks sur Twitter, l’impact a été considérablement moindre.

La période de réserve pré-élection*** a empêché les journaux français de s’emparer de l’affaire et réduit l’effet de tyrannie des agissants. Cette période de réserve ne s’étend cependant pas au reste du monde (notamment à la presse belge et suisse) qui ont pu, en s’exprimant, jouer de l’impuissance des candidats à se défendre. Mais cette période, qui aurait pu défavoriser des candidats incapables de se défendre, n’a finalement rien changé. En outre, des dispositifs avaient été élaborés par les membres de campagne de Macron pour parer à ce genre d’éventualité de hacking, membres tout aussi avertis que n’importe lequel des citoyens face au risque de surgissement des fake news dans la mesure où les dernières élections avaient été polluées par ce genre de scandale (The New York Times, pour n’en citer qu’un), et c’est probablement ce qui joué en notre faveur à tous… Mais pouvons-nous vraiment blâmer les Américains et leur reprocher d’être tombés dans le piège des fake news ? Non ; pas plus que nous pouvons nous croire plus malins pour avoir su le contourner. Ainsi, nous pouvons donc légitimement penser que c’est uniquement cette prise de recul, mêlée à d’autres paramètres encore indistincts (comme peut-être des critères plus sociologiques et peut-être culturels ), qui a permis une certaine lucidité sur le phénomène, lucidité que les Américains, face à la brutalité de ce surgissement nouveau des fake news, n’avaient pas encore pu acquérir.

L’égalité face aux fake news : le vrai cœur du problème ?
Comme le souligne The New York Times, le contraste est particulièrement frappant avec les Etats-Unis : l’annonce du hacking des documents de campagne de Macron n’a été accueillie que par « silence, dédain et mépris ». S’il est sûrement trop tôt pour pouvoir savoir si nous sommes tous soumis au même régime face au phénomène de la désinformation, cela a le mérite de soulever un autre problème. A ce sujet, une citation de Hannah Arendt fait particulièrement sens : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plait ». Alors il peut paraître bon de rappeler, comme un avertissement, que l’indifférence dont nous avons fait preuve est peut-être bien plus dangereuse que ces fake news en elles-mêmes.
 
Lina Demathieux
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/lina-demathieux-775745135/
 
*développée par la sociologue allemande Elizabeth Noelle-Neumann
**contrairement à ce qu’on a répété pendant toute la campagne par exemple, Londres ne versait non pas 350 millions de livres par semaine à Bruxelles, mais 136 millions.
***: selon la CNCCEP (Commission nationale de contrôle de la campagne électorale), pendant deux jours, « toute activité à caractère électoral doit cesser » . En effet, la CSA explique que durant cette période, «il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale». « La campagne s’arrête pour que les citoyens aient un temps de réflexion et ne reprend qu’au moment où les votes sont clos.»
 
Sources :
MOULLOT Pauline, « Fausses informations, vraies conséquences », Libération http://www.liberation.fr/planete/2017/02/17/fausses-informations-vraies-consequences_1549282 Paru 17/02/17, consulté le 12/05/17
DONADIO Rachel, « Why the Macron Hacking Attack Landed With a Thud in France », The New York Times https://www.nytimes.com/2017/05/08/world/europe/macron-hacking-attack-france.html?_r=0 Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
SHLINDER R. Robert, « Putin Declares War on the West », Observer http://observer.com/ 2017/05/vladimir- putin-kremlin-wikileaks-france-germany-election-interference/ Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
KOTELAT Didier, « Les « Macron Leaks », itinéraire d’une opération de déstabilisation politique », RTS INFOS https://www.rts.ch/info/monde/8599552-les-macron-leaks-itineraire-d-une-operation-de-destabilisation-politique.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
MATHIOT Cédric, « Fake news, retournez d’où vous venez ! », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/10/fake-news-retournez-d-ou-vous-venez_1568574 Paru le 10/05/17, consulté le 13/05/17
NOSSITER Adam, SANGER E. Davaid and PERLROTH Nicole, “Hackers Came, but the French Were Prepared”, The New-York Times https://www.nytimes.com/2017/05/09/world/europe/hackers-came-but-the-french-were-prepared.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
ALBERT Eric, « Les approximations des partisans du « Brexit » sur la contribution du Royaume-Uni à l’UE », Le Monde http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2016/06/04/les-approximations-des-partisans-du-brexit-sur-la-contribution-du-royaume-uni-a-l-ue_4935129_4872498.html Paru le 04/06/16, consulté le 13/05/17
DEBORDE Juliette, « Ce qu’on peut dire (ou pas) sur les réseaux sociaux ce week-end », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/05/ce-qu-on-peut-dire-ou-pas-sur-les-reseaux-sociaux-ce-week-end_1567279 Paru le 05/05/17, consulté le 16/05/17
Comment la presse veut survivre face aux « fake news », Challenges https:// challenges.fr/media/presse/comment-la-presse-veut-survivre-face-aux-fake-news_460190 Paru le 13/03/17, consulté le 13/05/17
Z, « A Lire Absolument. Comprendre le phénomène des « fakes news » – Spirale du silence, tyrannie des agissants et Pensée tribale : « La langue des dictateurs » (comment les élites bernent le peuple) » , Le blog de la résistance https://resistanceauthentique.net/2017/02/17/comprendre-le-phenomene-des-fakes-news/ Paru le 17/02/17, consulté le 13/05/17
https://fr.wikipedia.org/wiki/Spirale_du_silence Consulté le 15/05/17
BELAICH Charlotte, « «Période de réserve» : de quoi peut-on parler ce week-end ? », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/21/periode-de-reserve-de-quoi-peut-on-parler-ce-week-end_1564254 paru le 21/04/17, consulté le 18/05/17
 
Crédits photos :
Photo de couverture : http://www.snopes.com/2017/04/24/fake-news-french-elections/
Car de déplacement des pro-Brexit lors de la campagne : https://static.independent.co.uk/s3fs-public/styles/article_small/public/thumbnails/image/2017/02/08/09/ gettyimages-576855020-0.jpg
Tweet de Jack Posobiec: http://md1.libe.com/photo/1019546-posobiec.png? modified_at=1494051841&width=750
Infographie : https://visionarymarketing.fr/blog/wp-content/uploads/2017/04/new-piktochart_22000118_3ad8a8beb17567d28f1b9f95e2a2d6f88b3e09b1.png

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Com & Société

Fascisme, propagande et communication – The Man in the High Castle

Pour faire réagir et créer un engagement, la communication use parfois de la provocation. En témoigne le marketing autour de la série The Man in the High Castle. La campagne d’affichage dans le métro new-yorkais ou encore le lancement de la webradio ResistanceRadio, ont créé la polémique. Une réelle mise en lumière pour la série diffusée par la plateforme vidéo Amazon qui nous invite à questionner notre rapport à la communication.
The Man in the High Castle, de quoi ça parle ?
Tirée du livre éponyme de Philip K. Dick, sorti en 1962, la série est produite par Ridley Scott et Frank Spotnitz (X-Files). Excusez du peu ! Le maître du haut château (en VF) est une série uchronique qui se demande à quoi ressemblerait la vie des Américains en 1962 si les Alliés avaient perdu la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis sont ainsi partagés entre les États Pacifiques Japonais, le Grand Reich Nazi et la zone neutre entre les deux.

On découvre ainsi La Statue de la Liberté faisant un salut nazi, Times Square au couleur du Reich et des svastikas sur la bannière étoilée. La série s’articule autour des conflits entre la Résistance, les Nazis et les Nippons pour récupérer une série de films (dans le roman, ce sont des livres, ils ont pensé à tout pour l’adaptation) montrant un autre passé – celui que l’on connaît – où ce sont les Alliés qui ont remporté la guerre.
Esthétique fasciste et communication.

Pour le lancement de la première saison, et en accord avec la Metropolitan Transportation Authority (MTA, l’équivalent de notre RATP), une rame fut repeinte pour reprendre l’esthétique fasciste et retranscrire dans le métro l’univers totalitaire de la série. La démarche montre l’énorme importance de la propagande dans l’espace public afin d’imposer la validité des théories de ceux qui dominent désormais.
Un choc pour certains usagers. Ces affiches étaient « irresponsables et offensantes envers les survivants de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste, leurs familles, ainsi qu’un nombre incalculable de New-Yorkais » pour Bill de Blasio, l’actuel maire de New-York. Et Adam Lisberg, porte parole de la MTA a déclaré : « À moins que vous pensiez qu’Amazon prône une invasion des États-Unis par les nazis, nos critères (d’affichage qui interdisent les affiches politiques dans les transports, ndr) sont remplis ».
Reste que la série réussit à faire parler d’elle avec ces affichages disruptifs qui manquent sans doute de contextualisation mais qui interrogent l’infraordinarité de ce qui tapisse nos transports en commun.
ResistanceRadio vs. le gouvernement Trump.

Après la deuxième saison, Amazon a lancé une webradio fictive afin de développer l’univers de la série via ce dispositif trans-media. Une référence au rôle important que joua la radio dans la Résistance avec, entre autre le célèbre « appel du 18 juin » du Général De Gaulle diffusé par la BBC. De plus, tout comme les livres du Maître du haut château du roman d’origine deviennent des films dans la série, la webradio témoigne de la remédiation et de l’intermédialité dans le travail d’adaptation. Marshall McLuhan aurait été ravi. Cependant, et tout comme pour Orson Wells et sa Guerre des Mondes, la réception donne lieu à des réactions inattendues.

 

En effet, les pro-Trump ont critiqué la webradio car elle attaquait selon eux l’actuel président. On notera ici l’ironie de l’amalgame que font ces propres soutiens entre Trump et les régimes fascistes de la série. Cette dernière se retrouve malgré elle dans la guerre contre les médias aux États-Unis.

Les opposants de Trump se tournent également vers la webradio et son appel à la résistance. Le traitement de la série et de sa communication change donc avec l’actualité géopolitique. Pourtant, comme nous le rappelle Brendan Brown, qui interprète un antiquaire, The Man in the High Castle cherche à imaginer une autre histoire et ne parle donc pas de l’usurpation des valeurs américaines. Si parallèle il peut y avoir donc, c’est avec n’importe quelle société où se joue un rapport de domination.
Une communication qui fait réfléchir !
Ce rapport de domination, justement, se retrouve dans la communication en deux temps autour la série. Si le marketing de la première saison se place du côté des dominants, la webradio est du côté des dominés. Il témoigne ainsi du rapport omniprésent dans la série entre les antagonistes et nous invite à questionner le lien entre média, espace public et espace privé. De plus, et si l’on se place dans une perspective anti-publicitaire, la communication de The Man in the High Castle dénonce un certain fascisme de la pub en démontrant le processus de normalisation. Oui, on aime les parallèles !

Mais plus sérieusement, la campagne nous rappelle également la naissance de la discipline des Sciences de l’Information et de la Communication et le traumatisme lié à la propagande. En témoignent les affiches de la campagne affublées de cette phrase : « Freedom is under control ». Un slogan aux accents orwelliens. On pourra ainsi faire un parallèle entre la série et 1984 (paru en 1949) où George Orwell montre le rôle de la propagande et de la novlangue pour assurer la soumission. À l’heure où les ventes du livre d’Orwell ont littéralement explosé, la série et sa campagne font sens aujourd’hui avec le phénomène de fake news. Bref, on a hâte de voir la promotion de la saison 3 !
Charles Fery
 
Crédits photos :
• Affiche The Man in the High Castle, Amazon.
• Carte de la répartition entre des Etats-Unis entre le Grand Reich Nazi, les Etats Japonais du Pacifique et la zone neutre, Wikipédia, The Man in the High Castle.
• Des svastikas sur Time Square, Euronews.
• Une rame du métro de New York le 24 novembre 2015 décorée des symboles de l’Allemagne nazie et de l’Empire du Japon pour la promotion de la série – TIMOTHY A. CLARY, AFP
• Capture d’écran https://resistanceradio.com/
• Capture d’écran du tweet de @ArriveBig
• Photo de l’affiche anti-trump avec l’esthétique nazie par Karen Fiorito, proudtobeademocrat.com
• Affiche de la série The Man in the High Castle, Amazon.
 
Sources :
• Delphine Rivet, La promo de The Man in the High Castle passe mal. Kombini.com. Consulté le 28/03/2017.
• Kyra, Le contexte de The Man in the High Castle. Kissmygeek.com. Publié le 25/11/2015. Consulté le 28/03/2017.
• Aochoa, Une promo étrange pour la série d’Amazon: The Man in the High Castle. Lesdessousdu7emeart.wordpress.com. Publié le 13/12/2015. Consulté le 28/03/2017.
• resistanceradio.com
• John McCarty, Amazon’s Resistance Radio The Man In The High Castle triggers Trump supporters. Thedrum.com. Publié le 13/03/2017. Consulté le 28/03/2017.
• Margaux Dussert, Amazon fâche les pro-Trump. Ladn.eu. Publié le 17/03/2017. Consulté le 28/03/2017.
• Michael Nordine, « The Man in the High Castle »: Fight the Nazis (And Piss Off Trump Supporters) by Listening to « Resistance Radio ». Indiewire.com. Publié le 12/03/2017. Consulté le 28/03/2017.
• Liz Shannon Miller, « The Man in the High Castle »: What It’s Like to Make A Show About Fascism in The Age Of Trump. Indiewire.com. Publié le 14/12/2016. Consulté le 28/03/2017
• Heather Dockray, Confused Americans thought Amazon’s fake radio station was real and starting fighting on Twitter. Mashable.com. Publié le 13/03/2017. Consulté le 28/03/2017.

le gorafi fastncurious
Société

Infaux-maniac

Les visiteurs du musée Grévin seraient autorisés à gifler les statues des personnalités qu’ils n’aiment pas chaque vendredi ! Dans sa rubrique « Dernière minute » du numéro de février 2015, Arts magazine s’indigne. « Un cahier pour écrire ce qu’on pense d’eux aurait suffi et laissé plus de traces. Je pense que les gifler ne sert pas à grand-chose ça ne vide pas ce qu’on a sur le cœur et ça détruit le travail des artistes qui ont fait ces statues. Il faut respecter leur travail même si certaines personnalités ne méritent pas d’être exposées », se désole un internaute penaud en commentaire. Cet emballement et la bévue de la dernière minute, celle de trop, font sourire les habitués du Gorafi, site d’information satirique à l’origine de l’intox. Cette méprise aurait pu arriver à beaucoup. A l’heure où la moindre information se veut aussi divertissante qu’un singe ventriloque, difficile de distinguer la satire du fait avéré…
Un engouement pour les fake news
« Russie – Une nouvelle loi sanctionne les personnes qui connaissent ou qui ont déjà vu un homosexuel », « Ouverture d’un pont de déchets en plastique entre l’Amérique et l’Asie », « Fabrice Luchini sombre dans la dépression après avoir commis une faute de liaison », « Sortie en DVD de la version longue de la pub LCL avec Gad Elmaleh »… Le Gorafi, site satirique d’ « information de sources contradictoires » créé en 2012 attire, selon ses créateurs, plus d’un million de visiteurs chaque mois avec ses articles « faux (jusqu’à preuve du contraire) ». Depuis, plusieurs sites se sont inspirés de ce concept, que ce soit bilboquet-magazine.fr, le dailyberet.fr, darons.net ou encore trollywood.fr.
Fort de son succès, Le Gorafi s’est vu offrir un créneau au Grand Journal de Canal+. Chaque lundi, Pablo Mira présente un faux sujet d’actualité – « Les politiques devront déclarer leurs pots-de-vin aux impôts », « Un élève des beaux quartiers a trois fois moins de chance de remporter une bagarre qu’un élève de ZEP », … – photomontages et propositions de loi factices à l’appui. Les codes du journalisme sont repris, le cadre de l’énonciation aussi : seul le jugement critique du spectateur (aidé par les rires de ses pairs présents sur le plateau) lui permet de déceler la farce.
Les réseaux sociaux ou l’avènement du bullshit viral
Evidemment, le succès de l’information satirique n’est pas un phénomène nouveau. Il remonte aux origines du journalisme et l’a accompagné au fil des siècles, de La Baïonnette à Charlie Mensuel en passant par l’Os à moelle et Hara-Kiri. Seulement, l’arrivée des réseaux sociaux a totalement bouleversé notre rapport à l’information humoristique.
A la différence de ses ascendants sur papier, le site web satirique laisse planer un flou sur la véracité de ses articles. Sur Le Gorafi, si l’internaute n’a pas le réflexe de faire un détour par la rubrique « A propos », seul endroit du site où il est précisé franchement que les articles sont faux, rien ne le lui indique. Or peu d’internautes se rendent sur le site – et a fortiori sur la rubrique « A propos » – d’eux-mêmes. La popularité des articles est grandement due au fait qu’ils sont massivement relayés sur les réseaux sociaux. Contrairement aux journaux, donc, les articles satiriques ne sont pas regroupés en une entité médiatique, cantonnés à un journal unique qui ne se mélange pas avec les autres, ne serait-ce que par sa matérialité. Sur Internet, les articles sont volatiles, extraits de leur site, et donc de leur contexte d’origine. Ils ne sont pas abordés avec une grille de lecture propre. Info et intox se mêlent dans nos fils d’actualité, sur Twitter ou Facebook, sans aucune hiérarchie, offrant une lecture uniforme. De plus, rien ne ressemble plus au site du Figaro que celui du Gorafi.
Sur les réseaux, on ne lit pas un article parce que la source est fiable, comme lorsqu’on achète un journal ou que l’on regarde une émission, mais pour son titre. Or dans le flux ininterrompu des réseaux sociaux, l’attention de l’internaute hypersollicité va au plus racoleur, au plus insolite, au plus inattendu. L’information se consomme vite, se dévore en un coup d’œil : on lit le titre et les premières lignes.
Et entre « Les critiques de la CNIL contre le projet de loi sur le renseignement » (Le Monde) et « La boulette de Ribéry : Nominé à l’Ice Bucket Challenge, il se renverse des Buckets du KFC et se brûle » (Footballfrance), l’œil va plus facilement au dernier. Cela pourrait être sans conséquences si les réseaux n’étaient pas la première source d’information pour beaucoup d’entre nous, journalistes compris et que souvent, l’instantanéité de l’information et son potentiel émotionnel triomphent sur sa vérification méticuleuse.
L’insoutenable légèreté du web
Les réseaux sociaux confèrent une visibilité énorme au vide ou presque, pourvu qu’il fasse rire et qu’il permette de créer du lien. C’est ce qu’a illustré l’engouement immense pour les faux évènements sur Facebook, mystérieusement nés le 15 février (et morts une semaine plus tard d’une lassitude agacée de la presque totalité des utilisateurs du réseau social). Pendant quelques jours, nos fils d’actualité Facebook se sont inexplicablement empli de faux évènements reprenant là aussi les codes du genre. « Grand concert pour enfin entendre la carotte râpée » (regroupant 20 671 participants), «Grand bal de fin d’année pour que Manuel valse », «Sommet pour savoir si l’OTAN en emporte le vent », « Rassemblement pour retrouver le pain perdu » : ils étaient plus d’une centaine à fleurir sur le réseau. Tous ces faux évènements qui ont fait le buzz n’avaient aucune raison d’être, si ce n’est de créer un sentiment de communauté et de faire rire – ou du moins provoquer un rictus –, par des jeux de mots et une culture populaire. Ces événements se sont appuyés sur une expérience commune (celle du CP et de l’apprentissage des conjonctions de coordination avec la «Traque pour retrouver Ornicar »), des références cinématographiques populaires («Grande battue pour retrouver la valise de Charlotte » (Nos Jours heureux) ou «Grand débat pour savoir si c’est une bonne ou une mauvaise situation » (Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, regroupant 46 527 participants)) ou musicales («Grand questionnaire pour savoir qui a le droit » (Patrick Bruel, 12 162 participants)).

Cette courte tendance a mis en lumière l’engouement créé par la satire et la viralité liée aux réseaux sociaux.
L’ère de l’infotainment
Le phénomène de confusion de la satire et de la réalité est renforcé par l’infotainment ambiant. Ce mot valise, composé des termes information et entertainment, renvoie au mélange de trois des quatre catégories du contenu médiatique dégagées par Daniel Bougnoux : l’information proprement dite, le divertissement et les émissions relationnelles. L’infotainment permet de ressembler les fonctions essentielles de la communication, à savoir s’informer et être ensemble, de manière ludique.
Car l’information a plus d’impact si elle est humoristique, comme c’est le cas dans Le Canard enchaîné. Il y a, dans notre société, une injonction à l’humour, forme de distinction nouvelle. Pour Gilles Lipovetsky, auteur de L’ère du vide, l’humour caractérise notre époque en tant qu’il s’est démocratisé. Pour que l’information trouve preneur, elle doit être sensationnelle. « On est naturellement attiré par ce qui nous paraît surréaliste et qui nous fait rire. C’est l’avènement de l’info de l’émotion. Les médias de masse comme leurs pendants satiriques se lancent dans une course aux infos invraisemblables parce que ça emballe la machine à clics », analyse le journaliste Vincent Glad.
En somme, il est moins aisé de distinguer le vrai du faux sur Internet du fait de notre lecture rapide mais aussi des sites d’information classiques qui relayent les informations les plus insolites possibles, bien qu’elles relèvent parfois plus du bruit que de la pertinence. Et quand bien même, la réalité dépasse parfois cruellement la satire, lorsqu’on apprend qu’un groupe d’extrémistes saccagent un musée pour réaliser une vidéo de propagande…
Néanmoins, forts de notre humiliation d’avoir pris la satire pour la réalité ou inversement, nous avons développé un sens critique plus aiguisé que celui des générations précédentes. La génération Y, et davantage encore la génération Z, sont caractérisées par leur méfiance envers les médias.
Louise Pfirsch
@ : Louise Pfirsch
Sources :
legorafi.fr
Stylist, n°064
Gilles LIPOVETSKY, L’Ere du vide, essai sur l’individualisme contemporain, Gallimard, coll. Folio Essais, éd. 2013
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