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Aya Nakamura : linguistique et pop culture

Son dernier clip, La dot, s’est classé numéro 2 des tendances Youtube en moins de 24h, son titre de référence, Djadja, totalise à présent plus de 260 millions de vues sur Youtube et que cela vous plaise ou non, Aya Nakamura est un des phénomènes culturels de 2018.

Flops

Souvenez-vous d'oublier

Qui n’a jamais été tenté d’improviser une séance de spiritisme « juste pour voir » ? La tentative de s’affranchir de la contrainte ontologique n’est pas nouvelle. N’en déplaise aux amateurs de science-fiction, certains scientifiques vont même plus loin encore : ils réfléchissent à communiquer non pas avec le passé, mais avec le futur.
La construction d’Onkalo (« caverne » en finnois), projet validé jeudi 12 novembre 2015 par le gouvernement finlandais, s’inscrit pleinement dans cette problématique inédite. Il s’agira du premier site d’enfouissement permanent de déchets nucléaires radioactifs, une véritable petite ville souterraine composée de cinq kilomètres de galeries plongeant jusqu’à 500 mètres sous terre.
Sous nos pieds, le sanctuaire, protégé de l’instabilité de la surface (guerres, crises économiques, catastrophes naturelles, etc), a pour objectif d’assurer la destruction naturelle de la radioactivité des déchets. En d’autres termes, la durée de vie du site d’Onkalo doit être d’au moins 100 000 ans. Un véritable défi quand on sait que l’homme n’a jamais rien construit qui ait duré plus d’un dixième de ce temps.
Si ce projet pose effectivement de nombreuses questions purement techniques, il interroge également la communication à travers le prisme d’une temporalité à peine saisissable pour l’esprit humain. Comment faire comprendre aux êtres humains d’un lointain futur (compris entre 100 et 100 000 ans) que leur intrusion dans le site d’Onkalo n’est pas souhaitable puisqu’elle peut potentiellement être apocalyptique ? Comment expliquer le problème des déchets nucléaires radioactifs à une civilisation qui ne parlera pas la même langue, ne partagera pas les mêmes valeurs, ni les mêmes savoirs ?

Une photo pas très sexy, pour un projet pas très sexy..
On marche sur des œufs (t’aimes bien les omelettes ?)
L’environnement est si complexe, les comportements si imprévisibles, que les tentatives d’anticiper les évolutions des sociétés humaines sont, sinon vaines, en tout cas très fragiles (sauf pour Madame Irma). On ne peut même pas prédire dans quelle direction évoluera l’humanité : le progrès technique va-t-il se poursuivre indéfiniment ou au contraire va-t-on retomber dans un nouvel « âge de pierre » ?
Face à tant d’incertitudes, les scientifiques qui se sont penchés sur la question de savoir comment informer les générations (et civilisations) suivantes de ce lourd héritage qu’est Onkalo, se divisent en deux écoles.
Il y a, d’une part, ceux qui pensent qu’après avoir définitivement fermé Onkalo d’ici 2100, le site doit sombrer dans l’oubli. Ils partent du principe que la probabilité qu’une « intrusion humaine » se produise est finalement très faible et que tout indice sur l’existence du sanctuaire serait contre-productif puisqu’il ne ferait qu’augmenter cette probabilité.
A contrario, il y a ceux qui croient en un devoir d’informer les futurs humains en laissant ce qu’ils appellent des « marqueurs ».
Cher Papa Noël, je voudrais…un média inter-temporel
Dans ce cas pratique, c’est finalement la question du média qui est posée par les scientifiques qui se prononcent pour la mise en place de « marqueurs », en considérant le média comme un dispositif matériel qui configure une modalité d’échange. La problématique entourant le média semble s’être déplacée de la volonté de transcender l’Espace, c’est-à-dire d’abolir les frontières, vers l’ambition de dépasser l’indépassable : le Temps.
Certes, l’écriture est le premier média qui a permis à l’homme de s’affranchir des contraintes spatiale et, dans une certaine mesure, temporelle. Mais ce dépassement reste en pratique cantonné à des échelles de temps appréhendables. Or, il est ici question d’un temps plus géologique qu’humain. L’axe ci-dessous, inspiré par le très intéressant film-documentaire Into Eternity réalisé par Michael Madsen, permet de mieux cerner l’ampleur du projet.

Le pouvoir des archives contre la force obscure radioactive ?
Tenir informées les générations suivantes par l’archivage, par une externalisation de la mémoire en un sens, serait en fait un retour à la case départ. Le site d’Onkalo a été construit avec pour idée qu’après sa fermeture définitive prévue en 2100, il sera rendu totalement indépendant et ne requerra donc plus aucune intervention. C’est bien cette passivité absolue du site qui en fait une solution séduisante. Or, de la même façon que les entreposages provisoires actuels, les archives demandent une mise à jour régulière des informations mais aussi de la langue. Selon une étude de l’UNESCO (1997-2002), pas moins de 5500 langues sur les 6000 existantes disparaîtront d’ici un siècle, et se rangeront aux côtés desdites « langues mortes »*. Peut-on ainsi raisonnablement espérer une continuité de ce travail sur des milliers de générations à venir ?
La communication sauvera le monde !
Un des problèmes principaux dans la volonté d’informer sur l’existence du site par des « marqueurs », serait le temps nécessaire au décodage. Le cas des pyramides égyptiennes, dont l’énigme n’a toujours pas été entièrement résolue, l’illustre bien. Déchiffrer le langage d’une civilisation ancienne demande patience et acharnement, même pour des civilisations marquées par le progrès scientifique. Or, la découverte d’une poubelle radioactive offre très difficilement ce temps de réflexion.
Cette limite inhérente à la théorie des marqueurs peut être dépassée en pensant la dichotomie entre information et communication. L’idée serait moins d’informer par des explications, scripturales ou picturales, sur les risques liés à la radioactivité et sur la cause de l’érection d’un tel site, mais d’essayer de créer un sentiment de crainte, de faire ressentir à l’aventurier malheureux qu’il s’agit d’un lieu inhospitalier et qu’il vaudrait mieux rebrousser chemin. Se pose ici la question de l’existence ou de la possibilité de mettre en place des formes de communication qui convoquent l’affect de manière universelle.

On enterre nos déchets… mais pas nos centrales
Puisque nos générations ont exploité l’énergie nucléaire, il nous incombe de trouver une solution pour mettre les déchets à la poubelle. L’idée du tombeau nucléaire est séduisante, notamment parce qu’il ne demande plus aucune intervention humaine. Nombreux sont les pays nucléarisés qui se penchent sérieusement sur la question. La France réfléchit notamment à la mise en place d’un tel stockage souterrain à Bure.
On peut tenter de croire qu’aucune « intrusion humaine » n’aura lieu pour ces 100 000 prochaines années sur le site d’Onkalo, mais ce pari reste-t-il statistiquement raisonnable si de tels sites d’enfouissement se propagent ?
De quoi remettre en perspective les théories qui prétendent pallier au réchauffement climatique à travers l’exploitation de l’énergie nucléaire.

Aline Nippert
@AlineNippert
Sources :
* LECLERC, Jacques. « La mort des langues » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 10 mai 2012, [http://www.axl.cefan.ulaval.ca/Langues/2vital_mortdeslangues.htm], (16 décembre 2015).
– Into Eternity, Michael Madsen (2010)
– Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2015/11/12/97002-20151112FILWWW00263-nucleairedechets-1er-site-de-stockage-eternel.php
– Industrie et Technologies : http://www.industrie-techno.com/l-enfouissement-des-dechets-nucleaires-le-choix-de-tous-les-pays-nuclearises.40944
Crédits images :
– Into Eternity, Michael Madsen (2010)
– http://sanjindumisic.com/onkalo-spent-nuclear-fuel-repository-future-of-monuments/ 
– http://www.toonpool.com/cartoons/nuclear%20is%20good%20for%20you_44117