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Aya Nakamura : linguistique et pop culture

Son dernier clip, La dot, s’est classé numéro 2 des tendances Youtube en moins de 24h, son titre de référence, Djadja, totalise à présent plus de 260 millions de vues sur Youtube et que cela vous plaise ou non, Aya Nakamura est un des phénomènes culturels de 2018.

Née à Bamako et ayant grandi en région parisienne, la chanteuse fait preuve d’un patrimoine métissé qu’elle n’hésite pas à revendiquer dans son œuvre. En effet, si le succès d’Aya Nakamura est au rendez-vous, c’est sans doute en raison des rythmes chaloupés et catchy de ses chansons, mais aussi et surtout du singulier talent de parolière dont elle fait preuve.

Dans chacun de ses titres se succèdent jeux de langage et expressions de toutes origines qui laissent une partie de ses auditeurs perplexes face au contenu sibyllin qu’ils se retrouvent alors à décrypter, faute de référentiel commun. C’est pourtant le propre de la pop culture que de rassembler les foules autour du commun, alors comment expliquer ce succès d’une langue cryptique ?

Une orfèvre du verbe

 Même les plus réticents n’ont pu passer à côté des expressions maintenant devenues cultes de la chanteuse. « Je suis pas ta catin djadja » ou encore « En catchana baby tu dead ça » ont particulièrement fait réfléchir les internautes qui, pour la plupart, se demandaient à quoi elle pouvait bien faire référence. Si djadja semble désigner un homme menteur, et « dead ça » devenant un substantif verbal par l’anglicisme signifiant plus ou moins « faire ça très bien », ça se complique lorsqu’il s’agit de s’intéresser au « catchana » qui ferait visiblement référence à une certaine position sexuelle…

Mais où va-t-elle chercher tout ça, et surtout, comment ses auditeurs la comprennent-ils ? Noam Chomsky, dans ses Structures Syntaxiques, nous introduit à la notion de grammaire générative. Selon lui, il existerait une grammaire élémentaire commune à tous les langages dont la maîtrise serait innée et qui permettrait, à partir d’un nombre restreint de règles et avec un ensemble fini de termes, de produire une quantité infinie de phrases et de sens différents. Ainsi, Aya Nakamura se ferait-elle artisane de la langue, officialisant – à la manière de Shakespeare en son temps – moult néologismes producteurs d’un nouveau sens et apportant de la fraîcheur au sein même de la langue. Encore mieux, sa créativité linguistique ne briderait pas la portée de ses propos puisque chacun de ses auditeurs, fort d’un bagage commun et inné, serait alors en mesure de la comprendre à un niveau élémentaire. Sans y retenir une véritable signification certes, mais en s’aidant d’un contexte et d’un rythme, d’une certaine musicalité donnant du mystère au propos sans pour autant qu’il devienne charabia. C’est le potentiel caché des mots qui attire vraisemblablement l’oreille ici.

A la croisée des cultures : une médiation linguistique

  « Les mots ont leur histoire, ils naissent du besoin d’exprimer, de partager de nouvelles expériences, de nouvelles idées. Ils voyagent, s’hybrident, se métamorphosent, s’accouplent, se séparent, résistent à la traduction. Témoins vivants du sens et des valeurs que nous attribuons au monde, les mots habillent d’abord notre sensorialité. »

Joëlle Aden

Espagnol, français, anglais, mélange des trois mais aussi argot malien bambara, verlan ou langage hérité des cultures street et internet ; Aya Nakamura procède à un savant mélange de cultures dans lequel chacun peut s’identifier librement. Selon Joëlle Aden dans ses Etudes de linguistique appliquées, l’approche d’une nouvelle langue ne se fait pas dans la rupture avec celles déjà pratiquées mais plutôt dans la symbiose. On observe ainsi, au contact d’autres idiomes, une expansion dynamique des compétences langagières et souvent un croisement des répertoires menant à une compétence communicative d’autant plus riche.

C’est pourquoi, dans une société moderne à la croisée des langages et des communautés, Aya Nakamura semble rencontrer un tel succès : son travail deviendrait presque une tentative de médiation linguistique, mettant en avant la richesse d’un métissage constant et d’influences et références à la diversité grandissante. Cela se reflète jusque dans son nom de scène, emprunté au japonais par l’intermédiaire d’un personnage d’une série nord-américaine : Heroes.

En définitive, la chanteuse est dans ce jeu des entre-deux, cette frontière indéfinie entre les significations et les façons de les exprimer mais aussi et surtout dans ce renouvellement constant de la langue ici relayé par l’exposition médiatique. Aya Nakamura, en être hybride et intriguant, en passe-muraille pour adolescents, ou encore en cyborg linguistique ?

Jules Claude René Mahé

SOURCES

Ters François. Chomsky (Noam). — Structures syntaxiques, trad. de l’américain. In: Revue française de pédagogie, volume 12, 1970.

Aden Joëlle, « La médiation linguistique au fondement du sens partagé : vers un paradigme de l’enaction en didactique des langues », Ela. Études de linguistique appliquée, 2012/3 (n°167), p. 267-284.

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/08/25/aya-nakamura-s-invite-dans-l-arene-des-musiques-urbaines_5176453_3212.html#kkmMIkBMoorwkb9R.99

CREDITS PHOTOS

https://www.booska-p.com/new-dj-erise-aya-nakamura-se-demandent-pourquoi-tu-forces-n90324.html

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