Politique

État et EDF : la schizophrénie de la transition énergétique

En vue de l’échéance électorale, les médias et les candidats à l’élection présidentielle se sont emparés de grands thèmes de débat. Parmi ceux-ci, l’environnement et surtout la question du nucléaire sont aujourd’hui centraux. Le quinquennat Hollande avait pour mesure phare d’entamer sérieusement la transition énergétique vers le renouvelable. Il s’agissait d’une part de réduire la production d’électricité via le nucléaire en France, en passant de 75% à 50%, et d’autre part d’augmenter le pourcentage d’énergies renouvelables jusqu’à 32% (contre 14% actuellement). De quoi commencer à rattraper partiellement le retard de la France dans ce domaine par rapport à ses voisins européens.
La double implantation du lobby nucléaire
Dans le cadre de la loi de transition énergétique, on se souvient que l’un des engagements premiers de François Hollande était de fermer les deux réacteurs de Fessenheim, plus vieille centrale du pays. Aujourd’hui, elle est toujours en activité. La principale raison de cet échec provient, comme souvent, des pressions exercées par les grands groupes du secteur énergétique. Dans le domaine, Areva et EDF remportent la palme.
EDF, entreprise publique (c’est-à-dire dont le capital est détenu à 80% par l’Etat), étend sa présence à de multiples niveaux : depuis les think-tanks sur l’énergie jusqu’aux  sièges du Parlement, en passant par les syndicats (dans lesquels les employés d’EDF sont sur-représentés). Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement (1995–1997), affirmait pour cette raison: « le lobby, c’est l’Etat lui-même ». La pression en faveur du nucléaire est double puisque ses défenseurs diffusent leurs idées tant dans les institutions étatiques que dans les agences spécialisées comme l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEM) ou l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).
Le lien qui unit EDF et l’Etat est porteur d’une contradiction qui rend la politique énergétique schizophrène. Il permet au lobby du nucléaire de se fondre dans les hautes sphères de l’Etat pour influencer le débat depuis la racine. A noter que le rapporteur de la loi énergétique, François Brotte, aussi dépositaire de l’amendement en faveur du chauffage électrique, est nommé en 2015 Président du directoire de RTE, la filiale électrique d’EDF. Le principal communiquant d’une loi en faveur de l’écologie se retrouve ainsi en position d’infiltré au sein de l’Etat pour le compte d’EDF. Autre exemple de l’ambiguïté de statut dont profite l’entreprise: les représentants de l’Etat n’ont pas été en mesure de voter lors du conseil d’administration d’EDF sur la fermeture des réacteurs de Fessenheim, pour éviter tout conflit d’intérêt. Yves Marignac, consultant sur les questions énergétiques, déplore la création d’une « espèce de monstre hybride, à la fois entreprise nationale et firme privée ». EDF joue sur deux tableaux incompatibles: le premier censé être au service de l’intérêt général quand le second favorise le profit avant tout.
La filière nucléaire comme fleuron de l’industrie française
La France fait partie des champions mondiaux dans le domaine du nucléaire. Le poids économique de ce dernier est très important. En 2011, lors du dramatique accident de Fukushima, le Japon est un partenaire clef de l’industrie nucléaire française. Il représente 7% de l’activité d’Areva, leader mondial du secteur. Au lendemain de la catastrophe, l’empereur du pays annonce la nécessité imminente de sortir du nucléaire. Dans les jours qui suivent, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, fait le déplacement au pays du Soleil Levant et affirme : « Le problème est un problème de norme de sûreté plus que de choix de l’énergie nucléaire, pour laquelle il n’y a pas d’alternative à l’heure actuelle ». Aujourd’hui le Japon a laissé en suspens l’idée de sortir du nucléaire. Libre à chacun de tirer les conclusions de cet épisode…
L’argument de l’incertitude sociale et économique
Pour défendre sa culture du nucléaire, « l’Etat-EDF » s’appuie sur les grandes incertitudes sociales, notamment celles qui touchent à l’emploi. Dans le cadre de sa communication pro-nucléaire, l’entreprise fait valoir que tous les postes nécessaires au fonctionnement d’une centrale nucléaire ne pourront être reclassés ou transférés en cas de fermeture de celle-ci. EDF fait consciemment planer la peur du chômage au-dessus des travailleurs concernés, une stratégie qui s’avère payante comme l’a montré le tollé provoqué par l’annonce de la fermeture anticipée de la centrale alsacienne Fessenheim en 2014, et l’hostilité que ce projet avait généré parmi les salariés.
Parallèlement, EDF souligne le coût exorbitant de la fermeture d’une centrale (plusieurs milliards). Pourtant, il a été prouvé qu’entretenir une centrale au-delà de sa durée de vie initiale (passée récemment de 40 à 60 ans) coûte plus cher à terme, que de cesser l’activité et d’investir dans des énergies propres. Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, a réaffirmé l’année dernière que l’entreprise ne comptait pas fermer davantage que les deux réacteurs de Fessenheim. Ce sont les piliers mêmes de la loi énergétique qui sont remis en cause par cette annonce. Anne Bringault, chargée du dossier « transition énergétique » pour plusieurs ONG, assure qu’il s’agit pour EDF d’une « grave erreur stratégique ». Une demande qui stagne associée à une surcapacité de production entraîne une diminution du coût de l’électricité et donc, des bénéfices d’EDF. Le maintien du parc nucléaire est non seulement dangereux d’un point de vue écologique, mais n’autorise pas non plus de vision économiquement viable.
Une première étape pourrait pourtant consister à former progressivement les salariés aux métiers des énergies renouvelables afin de développer un nouveau système économique et social dans le secteur de l’énergie.
Le greenwashing épinglé
Pour mieux dissimuler son puissant lobbying, EDF tente de se construire une image écologiquement responsable. Néanmoins, la stratégie ne prend pas toujours auprès des publics. Au printemps dernier, l’accident de Tchernobyl célébrait tristement son 30ème anniversaire. Voici la campagne promotionnelle d’EDF pour l’occasion :

La cascade, en forme de tour de refroidissement, accompagnée du jeu de mots mal venu « L’électricité bas carbone, c’est central » a attiré les foudres du Réseau Sortir du Nucléaire et de France Nature Environnement. Le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) avait alors été saisi. Il a sanctionné une communication mensongère qui laisse suggérer que l’énergie nucléaire est écologique. Le greenwashing semble être une spécialité du géant qui affirme générer une production électrique française à 98% sans CO2, prenant le soin de n’avancer aucune preuve et alors même que selon un rapport de l’Observatoire des Multinationales, EDF se positionne 19e dans le classement des plus gros pollueurs mondiaux. Il en va de même pour Engie qui se plaît à mettre en avant pléthore de panneaux solaires et d’éoliennes dans ses campagnes publicitaires quand les énergies renouvelables ne représentent que 4% de son mix énergétique.

Malgré une bonne volonté qui a pu exister, les engagements écologiques prônés par le gouvernement Hollande auront été une vitrine plus qu’une réalité. L’alternance probable qui approche risque fort de remettre en cause les faibles avancées opérées. Si cela se confirme, l’action obstructionniste du lobby nucléaire aura finalement payé.
Déborah MALKA
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Couverture: http://www.artistespourlapaix.org/
Campagne promotionnelle d’EDF
Campagne promotionnelle d’ENGIE
Sources:
DEDIEU Franck & MATHIEU Béatrice, « Les lobbies qui tiennent la France », L’Express, mis en ligne le 25/04/2012, consulté le 24/03/2017. http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/les-lobbies-qui-tiennent-la-france_1409758.html
JANICHE Mathieu, « Greenwashing en cascade pour EDF », Influencia.net, mis en ligne le 15/06/2016, consulté le 24/03/3017. http://www.influencia.net/fr/actualites/in,conversation,greenwashing-cascade-pour-edf,6438.html
LAURENT Samuel, « Le lobby nucléaire existe à gauche comme à droite », Le Monde, mis en ligne le 17/03/2011, consulté le 24/03/2017. http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/03/15/le-lobby-nucleaire-existe-a-gauche-comme-a-droite_1493284_823448.html
LUCET Elise, « Climat : le grand bluff des multinationales », Cash Investigation, diffusé le 25/05/2016, consulté le 21/03/2017. http://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/cash-investigation/cash-investigation-du-mardi-24-mai-2016_1454987.html
PETITJEAN Olivier, « Comment le lobby nucléaire entrave toute transition énergétique », Socialisme Libertaire, mis en ligne le 28/01/2017, consulté le 24/03/2017. http://www.socialisme-libertaire.fr/2017/01/comment-le-lobby-nucleaire-entrave-toute-transition-energetique.html
SCHAUB Coralie, « Le PDG d’EDF flingue la loi de transition énergétique », Libération, mis en ligne le 16/02/2016, consulté le 24/03/2017. http://www.liberation.fr/futurs/2016/02/16/le-pdg-d-edf-flingue-la-loi-de-transition-energetique_1433805
YONNEL, « EDF épinglé par le JDP : un signe fort », Le Blog de la Communication Responsable, publié le 19/10/ 2015, consulté le 24/03/2017. http://www.communicationresponsable.fr/edf-epingle-par-le-jdp-un-signe-fort/

Politique

La Corée du Nord : entre licornes et missiles nucléaires

La Corée du Nord fascine, fait rire, fait peur. Cette dictature communiste fondée en 1948 par Il-sung semble être le pays le plus isolé, le plus impénétrable au monde. Régulièrement la risée du web pour ses inventions historiques fantasques, la seule dynastie communiste de la planète fait trembler l’ONU et la diplomatie mondiale. Depuis 2006 en effet, suite à l’accès de Kim Jong-un au pouvoir, les essais nucléaires et de missiles balistiques se multiplient, avec un succès croissant — ce qui nous amène à craindre que la Corée du Nord devienne une future puissance nucléaire.
La Corée : Un conte de fées ?
La Corée du Nord, aussi appelée République populaire démocratique de Corée, n’est ni plus ni moins qu’une dictature, un des pays où les droits de l’homme sont les plus restreints. Et qui dit dictature, dit irrémédiablement propagande et culte de la personnalité. Ainsi, les exploits du dirigeant Kim Jong-un sont régulièrement contés dans de nombreux films et livres de propagande, largement diffusés sur les chaînes nationales du pays. Mais évidemment pas sur les réseaux sociaux, l’intranet étant extrêmement limité. Il aurait su conduire dès l’âge de trois ans, aurait également écrit 1500 livres, plusieurs opéras et gravi la montagne la plus haute de Corée avec ses chaussures de ville vernies. Son illustre père aurait quant à lui, inventé le hamburger. Magique. Mais pas si drôle que ça. En effet, la population, à laquelle on martèle sans cesse le même discours, y croit fermement. Leur dévotion au régime est telle qu’ils sont parfois amenés à dénoncer leur propre famille.
La propagande ne s’arrête pas là. L’histoire entière du pays est joyeusement revisitée. En témoigne la découverte à Pyongyang par des scientifiques nord-coréens d’une tanière de licornes (ou de qilin, animal légendaire en Corée). Licornes qui furent chevauchées par le roi TongMyong, fondateur du royaume dont est issue la Corée du Nord, et qui placerait ainsi la capitale actuelle de la Corée, Pyongyang, comme unique capitale de l’ancienne Corée et du royaume de Koguryo. Pourquoi une telle invention ? Un moyen de propagande afin de légitimer le régime en place, puisque ce royaume à l’origine des deux Corées a eu trois capitales, Pyongyang étant la dernière en date. Rien n’est laissé au hasard afin de valoriser la Corée du Nord et de faire valoir sa grandeur auprès du peuple.
La loi du plus fou
Mais la Corée du Nord n’est évidemment pas un pays magique peuplé de dirigeants super héros aux mille pouvoirs et à l’histoire absolument fantastique. La violence est extrême. Toute incartade est sévèrement réprimée, punie de mort ou de déportation dans des camps de travaux forcés. Cas très spectaculaire, l’exécution du ministre de la Défense, à l’aide d’un canon anti-aérien. Motif ? Il s’est rendu coupable d’assoupissement lors d’un défilé militaire et d’insubordination.

Dernièrement, une purge au plus haut niveau de l’État aurait fait un millier de morts et 20 000 déportés, l’actuel dirigeant, Kim Jong-un, cherchant à asseoir son pouvoir et à se légitimer. Les exécutions de son oncle il y a quelques mois, accusé de trahison, et de quinze hauts dirigeants en témoignent. Bien souvent, celles-ci sont rendues publiques afin de servir d’exemple et de maintenir l’emprise du régime sur le peuple. Plus récent encore, le possible assassinat ciblé du demi-frère de Kim Jong-un. Une technique très employée par le régime. Les hauts gradés et les proches du pouvoir ne sont pas les seules victimes de cette violence gratuite et démesurée. L’enfermement dans les camps de travaux forcés concernerait des dizaines de milliers de personnes, déportées sans explications et soumises ensuite à la torture et à la privation.

Une menace grandissante
La politique intérieure n’est pas la seule à être agressive. En effet, depuis quelques années maintenant, la Corée du Nord s’est lancée dans un programme d’armement nucléaire, malgré l’application à son encontre de sanctions économiques et commerciales par la communauté internationale. Kim Jong-un n’en a cure et persiste à vouloir s’armer de missiles balistiques et de l’arme nucléaire. Les condamnations répétées de l’ONU n’y changeant rien puisque la Corée du Nord viole régulièrement les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
Ces essais, qui frôlent l’inconscience, semblent relever de la pure provocation : envoi de missiles en direction du Japon ou encore tir de trois nouveaux missiles lors d’un sommet du G20 en Chine. Depuis l’élection de Trump le 8 novembre dernier, la Corée du Nord n’avait pas fait reparler d’elle. C’est depuis chose faite, puisque début février, un nouvel essai a été effectué lors de la rencontre entre le chef du gouvernement japonais et le président américain. Probablement afin de tester la réaction des États-Unis, plutôt laxiste sous l’ère d’Obama. D’ailleurs, Kim Jong-un a fait fermer le dernier canal de communication diplomatique entre la Corée du Nord et les États-Unis.
La Corée du Nord, qui a annoncé avoir en sa possession 50 kilos de plutonium, indispensable pour créer des bombes nucléaires, se considère déjà comme une puissance nucléaire. Heureusement, leur technologie militaire ne permettrait pas encore l’envoi de missiles intercontinentaux pouvant alors menacer l’Europe ou les États-Unis.
Malgré tout, l’accession future de la Corée du Nord au rang de puissance nucléaire ne semble plus être un fantasme. Ces essais visent à affirmer la puissance de la Corée du Nord aussi bien à l’intérieur du pays qu’aux yeux des grandes puissances mondiales. La propagande reprend en effet largement ces essais, puisqu’ont été diffusés des films montrant la destruction de Washington par des missiles nord coréens. Alors simple arme de dissuasion et volonté d’affirmer sa force ou bientôt un moyen de pression politique dans une zone déjà très instable ?
Alexane David
Sources :
– Le Figaro. Sébastien Falletti. Publié le 04/12/12. Consulté le 13/02/17 http://www.lefigaro.fr/international/2012/12/04/01003-20121204ARTFIG00391-kim-jong-unet-le-secret-de-la-licorne.php
– Le Monde. Blaise Gauquelin. Publié le 09/09/2016. Consulté le 13/02/17 http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/09/09/coree-du-nord-un-seisme-demagnitude-5-3-attribue-a-un-essai-nucleaire_4994864_3216.html
– Le Monde. Publié le 13/02/17. Consulté le 13/02/17 http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/09/09/coree-du-nord-un-seisme-demagnitude-5-3-attribue-a-un-essai-nucleaire_4994864_3216.html
– Le Monde. Publié le 12/02/17. Onsulté le 14/02/17 http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/09/09/coree-du-nord-un-seisme-demagnitude-5-3-attribue-a-un-essai-nucleaire_4994864_3216.html
– Chroniques publiques. Publié le 26/02/14. Consulté le 11/02/17 http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/09/09/coree-du-nord-un-seisme-demagnitude-5-3-attribue-a-un-essai-nucleaire_4994864_3216.html
Crédits photos :
Photo 1 : https://la31emefranchise.wordpress.com/2014/03/11/les-dessous-de-la-missionrodman-en-coree-du-nord-episode-1/
Photo 2 : AFP KNS
Photo 3 : JUNG YEON-JE / AFP