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Entretien avec Arnaud Benedetti : analyse contemporaine de la com’ politique

Arnaud Benedetti est professeur associé à Sorbonne Université, ex-directeur de la communication de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), du CNES (Centre national d’études spatiales) et du CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Il a publié dernièrement Le coup de com’ permanent (édition du Cerf, 2018) dans lequel il détaille les stratégies de communication d’Emmanuel Macron.

Ces dernières semaines, les gilets jaunes secouent l’actualité : ils sont au centre de tous les ronds-points de tous les médias et de toutes les discussions, poussant le gouvernement à réagir. Lundi 10 décembre, Emmanuel Macron s’est exprimé sur TF1 après plusieurs semaines de silence. Le « Prince jupitérien » y  présente les concessions qu’il entend accorder aux Français dès 2019, se plaçant ainsi directement dans le domaine de l’action. Pourtant, selon l’historien de la communication Arnaud Benedetti, la politique d’Emmanuel Macron se définit finalement plus par son style que par les actions qu’il prétend mener. Nous l’avons rencontré dans son bureau à l’Académie de Médecine pour qu’il nous livre son analyse de la communication du Président qu’il décrit notamment dans son dernier livre, Le coup de com’ permanent,  publié en avril 2018 aux éditions du Cerf.

Agora, Com & Société

Dehors ou mort

 
Pasticheur et auto-proclamé successeur de Jacques Mesrine, Christophe Khider cherche à prouver encore une fois qu’il est au-dessus des lois, qu’il est le seul décideur de son futur. Le voyou communique, annonce lors d’un ersatz de conférence de presse, qu’il s’évadera, comme une évidence absolue, comme un devoir qu’il doit accomplir. Il joue, s’amuse de provoquer, de choquer et d’essayer de déstabiliser une justice qui, en plus d’être aveugle, restera sourde face à ses espiègleries d’amuseur public.
Pourtant nous l’écoutons, à moitié révoltés, amusés et presque respectueux d’une telle annonce. Le voyou dicte ses volontés comme dans un faux-semblant de testament, 2052 étant la date limite de sa vie carcérale. Vilain merle gazouillant son impertinence, Khider tente de se réapproprier le mythe du bagnard exploité afin d’envoyer la droite finale qui pourrait compléter la campagne de galvaudage de l’autorité carcérale, déjà entamée par l’évasion de Redoine Faïd il y a quelques jours.
La communication de ces numéros d’écrou est habile car elle utilise les codes de la conspiration pour faire croire que la justice ne serait qu’un colosse aux pieds d’argile, une citadelle prenable ; un système pourri par un millier de taupes assujetties au grand-banditisme. Monsieur Khider semble bien sûr de lui, il annonce avec fierté qu’il s’échappera, comme une évidence incontournable, un devoir à accomplir face aux injustices dont il fut victime.
Rien ne tient plus, les derniers barreaux des prisons se briseront par l’opinion publique. Faïd et Khider ont prouvé que la maison France est désormais à genoux devant un banditisme tout puissant et capable de tout. L’arrogance de ces condamnés agit directement sur la puissance aveugle de la justice en essayant de prouver que la privation de liberté est devenue une sentence abjecte et immorale.
La puissance de l’annonce renforce le plaidoyer de ces hommes qui refusent la sanction prononcée. Ils tentent de faire valoir leurs actes en soulignant le fait que la justice les a condamné à une peine offensant l’humanité. Génuflexion soumise des média par rapport à ces vauriens élevés au rang de héros. Le doute s’installerait presque. L’insolence cache-t-elle une part de vérité ? Le courage nécessaire pour annoncer de tels projets ne dissimulerait-il pas une évidence inavouable ?
Voilà le deuxième effet « Kiss-Kool » de cette confession de voyou trop heureux d’offenser rondement l’appareil législatif. Nous allons finalement nous rallier à la cause défendue par Redoine Faïd au moment où le journal télévisé de 20h nous annoncera son évasion. Nous serons fiers de lui afin d’oublier l’affront inacceptable, narcoleptiques insomniaques que nous sommes. Nous rejoindrons nécessairement sa cause en étant presque impressionnés de ses convictions réalisées.
Vivre pour une cause et mourir en la défendant : c’est de cette manière que le grand banditisme nous propose une utopie que nous serions prêts à défendre, nous, petit peuple sage à la vie ringarde et plate.
Ite missa est.1

Emannuel de Watrigant
 
1 « Allez, la messe est dite »

Chirac dans le métro
Société

Chirac et l'inconscient français

« J’apprécie plus le pain, le pâté et le saucisson, que les limitations de vitesse »

 … Jacques Chirac
 
Le 15 décembre, le tribunal correctionnel de Paris a rendu une décision historique : la condamnation de l’ancien Président de la République, Jacques Chirac, à deux ans de prison avec sursis dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris de 1990 à 1995. Cette décision, bien que relayée par tous les grands médias, ne semble pas particulièrement choquer l’opinion publique française.
En effet, Jacques Chirac et les français c’est une longue histoire d’amour, qui dépasse les clivages politiques. Il est leur personnalité préférée depuis la fin de son mandat en 2007.
Parallèlement, la popularité de N. Sarkozy souffre des affaires Karachi et Bettencourt. Certes la crise économique rend la question de l’argent plus sensible, mais il est aisé d’observer un phénomène de deux poids deux mesures dans ces scandales. Existerait-il une tolérance particulière de l’opinion publique française à l’égard de Jacques Chirac ?
La réponse est certainement positive. La communication chiraquienne autour de ce scandale, couplée à la construction de son personnage médiatique pendant sa carrière, lui ont permis de conserver une certaine aura malgré les différentes affaires qui ont émaillé son parcours.
A l’automne 2010, Chirac, la ville de Paris, et l’UMP ont signé un accord les engageant à rembourser la mairie de Paris à hauteur de 2,2 millions d’euros. Celle-ci, en échange, ne se constituera pas partie civile. Un arrangement rendu public sous forme d’aveu de culpabilité, qui a pourtant reçu l’adhésion de l’opinion. Jacques Chirac rembourse, accepte la sanction (en refusant de faire appel) et dit prendre ce jugement « avec sérénité » bien qu’il se défende toujours d’être coupable.
Une histoire ancienne, qui semble être vue comme une erreur de parcours tout au plus. Pourtant, certaines personnalités politiques ont chuté pour bien moins que ça. Le personnage sympathique, jovial, convivial et en accord avec l’inconscient français fonctionne bien comme une protection pour l’ancien Président.
Jacques Chirac, toujours plus capitaine que réel acteur. Des hommes susceptibles de sauter à sa place : Dominique de Villepin pour le CPE, Alain Juppé pour l’affaire de la mairie de Paris. Jamais de petites phrases. Homme politique à l’ancienne, cultivé, distingué. Une vraie hauteur de vue en somme.
A l’ancienne peut-être, mais toujours préoccupé par le fait d’être en accord avec la France et ses aspirations. En 2003, il dit non à la guerre en Irak et rassure l’orgueil français. Nous sommes encore de ces nations qui peuvent dire non à la première puissance mondiale nous insuffle t-il.
Aujourd’hui malade, il n’inspire pourtant pas la pitié. Il garde cette étiquette un peu gaullienne de grand homme politique, qui savait faire passer ses décisions avec intelligence et diplomatie et qui n’allait jamais en force contre la rue.
Jacques Chirac aimait le pouvoir, l’argent et les femmes. Les Français ne lui en veulent pas car il n’a jamais rompu publiquement le contrat qu’il avait passé avec eux. Peu importe que les politiques dérogent à la loi, tant qu’ils le font dans les règles de l’art. La communication politique entre alors en jeu pour perpétuer le mythe.
 
Ludivine Preneron

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