Politique

Quand les gazouillis sonnent comme un « Heil »

 
Tout le monde aime les chants d’oiseaux. C’est doux, apaisant, bucolique, et idéal pour animer un trajet en ascenseur. Il existe cependant des moments où une performance aviaire tombe vraiment mal, comme par exemple un lendemain de beuverie.
Cette comparaison douteuse m’amène à parler du hashtag le plus discuté de la mi-octobre, j’ai nommé #UnBonJuif.
Commençons par un petit rappel des faits pour ceux que les drames de Twitter ne captivent guère. Le 10 octobre, ce tag apparait parmi les tendances du jour sur le réseau social, chaque mention étant associée à une blague plus ou moins antisémite, allant de l’éculée vanne nasale à des références nettement odieuses. SOS Racisme et l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) réagissent six jours plus tard devant le maintien du phénomène, la seconde peinant à contacter Twitter (qui ne dispose pas d’une antenne française) pour finalement obtenir le 18 un entretien téléphonique avec sa direction des affaires publiques.
Le soutien préalable de Christine Taubira, ainsi que la menace d’un référé contre l’entreprise californienne, permettent d’obtenir la promesse de suspension d’une trentaine des comptes aux tweets les plus insultants (sur environ 1600) sans que Twitter n’accepte de divulguer les coordonnés des abonnés fautifs, pour enfin tenter durant quelques jours de se rétracter sur la démarche entière. Les propriétaires du réseau se retranchaient en effet derrière leur simple qualité de « médiateur », preuve à l’appui dans leurs Conditions Générales d’Utilisation.
Il ne s’agit pas ici de discuter la portée d’un antisémitisme français, pas plus que le mythe récurrent du « complot juif ». Faisons cependant un bref détour historique, en nous rappelant que la République – la nôtre comme les précédentes – n’est pas exactement étrangère à ce type de dérive. Ainsi la France des années 30 voyait fuser contre le Front Populaire des critiques nettement plus calomnieuses. Si le traumatisme de la décennie suivante a rendu de tels propos tabous, il reste l’évidence que Desproges n’aurait certainement pas eu un tel succès avec son « On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle » s’il n’avait pas touché du doigt un problème de fond.
En 2012, ce sont les agressions récentes contre la communauté juive, ainsi que la montée parallèle d’une forme d’islamophobie, qui rendent inévitables les réactions à un état de fait amplifié par l’instantanéité du social networking.
Et c’est là qu’est le Couac (Couac… Oiseaux… Non ?) et avec lui le point qui nous intéresse vraiment. Les dérapages racistes n’ont rien de nouveau sur Internet – il existe aussi sur Twitter #UnBonNoir et #UnBonMusulman, passés relativement inaperçus jusqu’ici. Ce qui l’est en revanche, c’est le pas historique effectué sur ce réseau, qui a pour la première fois modéré les messages de ses utilisateurs, comme il avait promis de le faire en début d’année.
Le 18, jour du coup de fil de l’UEJF en Californie, Twitter suspendait le compte d’un groupe néo-nazi outre Rhin à la demande de la police allemande – il existe en effet une seconde voie pour supprimer des tweets illégaux, prévue pour les instances gouvernementales.
Alors, maintenant que Twitter a cédé en France également, #UnBonJuif annonce-t-il une nouvelle attitude vis-à-vis des réseaux sociaux, où tout dérapage pourra être rectifié par une plainte ? Il est difficile de ne pas déceler le danger pour la liberté d’expression, malgré la banalité de l’argument.
Et si les attaques pour incitation à la haine raciale deviennent monnaie courante, pourquoi pas les poursuites en diffamation ? L’un des outils essentiels en matière de communication pourrait changer profondément sa nature, s’il évoluait en champ de bataille judiciaire.
 
Léo Fauvel
Crédits photo : © Jaubert / Sipa
 

Laurent Blanc lors d'une conférence de presse à Paris
Société

« Je crois que bon… »

6 juillet 2010. Boulevard de Grenelle, siège de la Fédération Française de Football.
 
Les journalistes sportifs rapatriés de Johannesbourg sont là pour assister à la première conférence de Laurent Blanc en tant que boss des Bleus. L’ex-Bordelais pénètre dans la salle de presse avec son combo chemisette bleue ciel et pull Lacoste noué autour du cou. La dégaine d’un premier communiant. Forcément on est obligé de se taper un retour ému sur les événements de Knysna et l’épisode du bus. Lolo sue beaucoup et lit clairement ses fiches pour éviter tout raté sur le sujet chaud du moment. Bon… ça commence bien. On a connu entrée en matière plus charismatique.
À l’époque, Blanc traine la figure du sauveur, avec pour seule mission, celle de faire aimer à nouveau ce foutu maillot frappé du coq. Challenge accepted. Il était de toute façon entendu qu’il ne pourrait pas être plus mauvais que son prédécesseur aux gros sourcils. Donc si défi il y a, il est clairement à sa portée.
Pourtant l’état de grâce ne va pas durer bien longtemps ; guère plus que celui du père Mitterrand en 1981. En effet à la mi-avril, Mediapart veut se faire son petit WikiLeaks à la française — toute proportions gardées donc. D’après le journal en ligne, Blanc et ses copains de la FFF voulaient se lancer dans une refonte « bleue Marine » de la formation des jeunes footballeurs. Il était question de privilégier la technique au physique, discriminant de fait, selon la logique toute singulière de Blanc, les « Blacks » qui seraient « grands, costauds, puissants » selon les mots du sélectionneur des Bleus. Ouïe, premier caillou dans les crampons du « Président ».
Ainsi, il va s’avérer difficile de faire aimer une équipe dont les responsables refuseraient des gosses de 13 ans —  les Bleus de demain — sous prétexte qu’ils sont « trop costauds » autrement dit « trop colorés ». Finalement Mister White s’en sort blanc comme neige après la double commission d’enquête commandée par le Ministère des Sports, où on avait sans doute un peu peur de perdre l’homme dit « providentiel ». Allez trouver un entraineur pour reprendre l’Equipe de France à un an de l’Euro…
Le deuxième coup de trique va se jouer à la fin de l’été 2011. Se trouve alors mis en cause Jean-Pierre Bernès, agent de Laurent Blanc et d’une dizaine d’internationaux français. Au cours d’un rassemblement à Clairefontaine, Florent Malouda — qui ne fait pas partie de l’écurie Bernès — se serait plaint de l’omnipotence de l’agent, dénonçant un hypothétique favoritisme de Blanc envers les poulains de JPB. Les premiers suspects sont vite identifiés: Rami et Menez — clients de Bernès — trustent les places de titulaires bien que les deux postes ne manquent pas de concurrence. Lorsque l’on connait la valeur financière de l’étiquette « international français » pour un joueur, on est en droit de s’interroger sur les intentions de l’attelage Bernès-Blanc. Rappelons que Wanderlei Luxemburgo — ex-sélectionneur du Brésil — avait touché des pots de vin d’agents de joueurs contre la distribution de capes internationales.
Alors certes, tout n’est pas noir pour Laurent Blanc. L’EdF va à l’Euro en Polo-Ukraine sans passer par la case « barrages », l’équipe est invaincue depuis 17 matchs — comme celle de Domenech entre 2004 et 2005 d’ailleurs. Mais alors que sa mission était de faire oublier le camouflet sud-africain — symbole d’un foot business individualiste —, Blanc a fait planer les soupçons du racisme et du copinage sur cette même équipe, et sur la Fédération. Au fil des casseroles, le « Président » a fermé sa communication comme Domenech avait pu le faire et semble ainsi perdre son pari de rendre cette équipe accessible et aimée.
 
PAL

Affiche de la campagne Benetton représentant un baiser entre Nicholas Sarkozy et Angela Merkel
Politique

Kiss for peace

Benetton n’a pas froid aux yeux. La nouvelle campagne « Unhate » de l’agence italienne Fabrica fait polémique dans l’hexagone et au delà de ses frontières. En effet, quand l’agence italienne Fabrica, centre de la recherche sur la communication du groupe Benetton, lance une campagne choc, ça donne : une série de dirigeants de ce monde s’embrassant de manière improbable. La campagne déclinée en plusieurs visuels montrent des images de baisers sulfureux entre les plus hauts gradés de ce monde : le Pape Benoît XVI embrassant sur la bouche l’imam sunnite de l’université égyptienne Al-Azhar, Barack Obama et le président chinois Hu Jintao, le président de la Corée du Sud et de la Corée du Nord. Même notre cher président n’y a pas échappé : c’est son homologue allemand Angela Merkel qu’il a le privilège d’embrasser.
Le caractère controversé des campagnes Benetton n’est plus à prouver. Nudité, vieillesse, diversité, famine, autant de thèmes que Benetton met en scène de manière crue et dissonante. Quand il s’agit de faire parler d’elle, la marque d’habillement italienne excelle. Sa campagne Unhate est un message qui nous invite à considérer que l’amour et la haine ne sont pas des sentiments aussi éloignés qu’ils en ont l’air. Selon le site dédié à la campagne, ces deux sentiments antagonistes sont souvent soumis à un fragile équilibre.
 

 
Cette campagne au-delà de son aspect polémique nous pousse à ne pas haïr. Avec Benetton, encore une fois, la communication est au service de la défense de valeurs. Le discours publicitaire s’adresse à l’inconscient et sort du seul discours rationnel. Ici le mécanisme du discours du surmoi vise à modifier les comportements pour les rendre conformes aux intérêts supérieurs de la société. La marque érige ses valeurs en idéal à atteindre. Elle s’efface, délaisse son identité de marque de mode et laisse place à son combat pour les valeurs.
Même si la démarche est habile, et que beaucoup applaudissent le succès de Benetton, tous ne regardent pas d’un œil clément cette singulière campagne. À commencer par les personnes concernées. La maison Blanche désapprouve l’utilisation du nom et de l’apparence physique du président, et le Vatican, quant à lui est très « fâché » également. Le Saint Siège a pris les mesures nécessaires pour bloquer la diffusion de l’affiche considérant ces clichés comme une atteinte à la dignité.
En somme, pari réussi pour Benetton qui a fait parler de lui mais cela demeure un exemple criant de l’éternelle ambigüité que suppose la liberté d’expression !
 
Rébecca Bouteveille
Merci à Benetton pour leur coopération !
Photos : ©Benetton