Société

Jacques a dit : tweetez !

 

Mardi 23 Octobre avait lieu la « soirée Bref » au Grand Rex. Le rendez-vous était donné pour suivre en direct la soirée à 20h précises sur le site de Canal +. Et pourtant, cinq minutes, 10 minutes passent et toujours rien. Enfin, pas vraiment. Pendant une demi heure étaient affichés sur l’écran de la salle de cinéma et sur nos petits écrans d’ordinateur des tweets envoyés par les spectateurs, après avoir été soigneusement sélectionnés.

Vous pensez sûrement : rien d’étonnant. Désormais Twitter a gagné sa place dans les médias, si bien qu’il paraît naturel de commenter en temps et en heure ce que vous voyez. Ce n’était pourtant pas gagné au départ, comme toujours la France est en retard sur ce point. En 2011, il est déjà fréquent de voir des émissions étrangères intégrer l’oiseau bleu, comme aux Etats Unis ou au Canada. En France, le CSA a établi des règles très strictes. Il est interdit de publier le nom de Facebook ou de Twitter. Les chaînes de télévision doivent être prudentes, d’où la prolifération uniquement des « hashtags » dans les émissions les plus populaires et interactives. Mais la contamination des médias français par Twitter devient davantage visible depuis peu. Les deux émissions C dans l’air (France 5) et Mots croisés (France 2) tournent déjà autour des commentaires Internet. Mais avec avec Danse avec les stars 2012 (TF1), les tweets font partie intégrante du scénario et l’arrivée de la chaîne D8 devrait changer la donne. On voit aussi avec Canal + que les sites Internet des chaînes font librement siffler l’oiseau bleu. On ne patiente pas seulement en Tweets pendant « la soirée Bref », sur leur page d’accueil Internet, on peut apercevoir une sélection de tweets humoristiques commentant l’émission du Grand Journal. Et c’est sans compter leur rubrique spéciale « tweets en clair ». Twitter contamine aussi bien le média télévision que son prolongement dans la sphère Internet.

En fait, cette prolifération de Twitter pourrait bien être le symptôme d’une contagion plus générale, celle de la « logique du commentaire » qui prend de plus en plus de place dans le processus de production d’un média. Désormais, pour qu’un programme fonctionne, pour qu’il soit regardé, il faut qu’il soit commenté. Plus un lancement d’émission de télévision qui ne s’appuie sur un dispositif social TV, généralement assuré par Twitter. Il est maintenant impensable de créer une émission sans compte Twitter afin de partager des informations exclusives, des photos, etc. Le but étant de fidéliser les spectateurs et de compter sur le bouche à oreille digital. Il faut dire que l’enjeu est de taille : la France compte 7 millions de twittos, tous susceptibles de relayer des informations précieuses.
L’apparition des tweets sur les écrans n’est que la partie émergente du « phénomène commentaire ». Prenez Secret Story. Tout ce qui est passé à la télévision est sélectionné à des fins de commentaires : les « engueulades », les coups de blues des candidats. Que le spectateur soit content ou non, il est un spectateur. C’est bien avec l’apparition du Loft sur les écrans en 2001 que s’est terminée l’ère de la « télévision uniquement pour plaire aux Français ». Dorénavant, il faut faire le buzz.

Il faut savoir qu’aujourd’hui, le fait qu’une émission soit relayée sur Internet intéresse de plus en plus les annonceurs. Il est plus alléchant pour eux d’être associé à un « programme qui fait le buzz ». Evidemment, cela leur permet une plus grande visibilité. On peut alors comprendre pourquoi la télévision, en mal de ressources financières, chercher à incorporer Twitter. Ce dernier participerait à la légitimation des programmes au près des annonceurs. De son côté, selon son PDG Dick Costolo, le site a pour principaux objectifs de soutenir la croissance de ses utilisateurs et d’encourager l’activité des ses usagers. Deux objectifs particulièrement bien servis par l’apparition et le développement de tweets à la télévision. La « logique du commentaire » est donc bien aussi le fait d’une rencontre entre deux intérêts économiques compatibles. Le buzz fait vendre.
À un nouveau modèle économique correspond un nouveau spectateur. Ce dernier semblerait de plus en plus attiré par l’interactivité croissante des émissions. Désormais, il s’agit d’être celui sélectionné pour que son tweet passe à la télévision. Peut-être cela répond-il à un besoin de « devenir quelqu’un », ou en tout cas, un spectateur particulier parmi la masse.
Reste à savoir lequel des deux est dépendant de l’autre ? A priori Twitter ne ferait pas le poids avec ses quelques millions de comptes contre les dizaines de milliers de spectateurs quotidiens de la télévision. Mais dorénavant, une émission télé ne se fait plus sans Twitter. Les twittos, leaders d’opinion, ont une influence certaine.
 
Camille Sohier
 

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