Société

Un Tweet pour les sans-abris

 

Depuis le 17 octobre, journée mondiale du refus de la misère, est apparu un nouvel hashtag dans la twittosphère : #Tweet2Rue. Derrière ce hashtag, 5 personnes en grande précarité équipées de Smartphones tweetent leur quotidien. Cette opération, orchestrée par la Fondation Abbé Pierre, France Inter, Génération Réactive et la FACE 93, a fait réagir la twittosphère très partagée entre soutien d’un côté et malaise affiché de l’autre.
Ainsi, le hashtag #Tweet2Rue a été fortement monopolisé par des twittos choqués par ce qu’ils percevaient comme une mise en scène de plus des SDF : après les SDF équipés de bornes Wi-Fi ambulantes ou les SDF hommes sandwichs pour Ogilvy, les SDF sont-ils une fois de plus privés de leur libre-arbitre ? Est-il indécent de laisser les sans-abris mettre en ligne leur quotidien sur un réseau social ?
Pourtant, il faut rappeler que contrairement à ces initiatives précédentes, celle-ci vise bien à laisser le citoyen (sans-abris) libre d’exprimer lui-même son quotidien en ligne, en lui fournissant les outils nécessaires à cette mise en réseau.
Le principe de cette initiative est simple : au-delà d’être définis par ce que les SDF n’ont pas (sans-abris, sans domicile fixe), ces personnes en situation de grande précarité sont avant tout mises à la marge de la société, et donc avant tout en situation d’isolement.
Leur fournir un téléphone portable, et a fortiori un Smartphone, leur permet de recommencer à tisser un lien social, nécessaire à leur sortie de la misère, mais aussi précieux pour leur survie. En effet, grâce à un Smartphone, ils peuvent en plus de tweeter, contacter et être joignables à tout moment, chercher des emplois sur internet, un endroit pour dormir, être en contact avec les services sociaux… On est loin de l’idée d’un Smartphone qui ne serait qu’un gadget, que certains utilisateurs de Twitter voudraient voir revendu par ces sans-abris.

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Face à l’indignation que suscite cette opération, on est en droit de s’interroger sur les raisons d’un tel malaise parmi les twittos, qui ne se privent pas d’exprimer leur ressenti :

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En effet, s’il peut paraître plus simple d’entrer en contact avec des personnes qu’on ne connait pas via un réseau social comme Twitter, la réalité de l’exclusion se rappelle d’elle-même de par ce type de réactions. En caricaturant, on pourrait résumer : sur Twitter comme IRL, on préfère les chats aux SDF.

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Pour ma part, il me semble que c’est là où cette initiative courageuse prend tout son sens : il s’agit de donner la possibilité à des sans-abris de s’exprimer d’eux-mêmes dans un espace où on ne les entend pas, et où on refuse parfois même de les voir. Cette réappropriation de l’espace citoyen, et ici médiatique se fait sur le long terme. Avec une visée plus longue que celle du buzz puisqu’elle veut se faire sur plusieurs mois, elle permettra ainsi peut-être de pouvoir combattre les préjugés et l’incompréhension de leur situation pour ceux qui ne la connaisse pas.

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Le choix de Twitter est-il pertinent ?
Cependant, au-delà du débat émotionnel, il est légitime de s’interroger sur la pertinence du choix de Twitter comme vecteur de cette opération. En effet, la durée de vie des tweets est très courte, et convient parfaitement au commentaire d’émissions durant le créneau de l’émission par exemple. Mais qu’en sera-t-il pour une opération de ce type et à long terme ?
La question se pose d’autant plus que la parole des SDF se retrouve noyée du fait du petit nombre de leurs propres tweets par rapport au nombre de tweets de leurs commentateurs. Ainsi, il faut se rendre sur chacune de leurs TL pour prendre connaissance des tweets de Patrick, Nicolas, Ryan, Sébastien et Manu, qui n’ont publié pour l’instant à eux 5 que 118 tweets (au 20/10/2013 à 18h). Les commentateurs se retrouvent donc dans une position de confiscation de la parole de ces SDF.
Cette confiscation intervient comme une barrière supplémentaire ajoutée à celle de la difficulté à s’approprier les codes d’un nouvel espace social. Les médias utilisés pour l’instant : l’écriture, le Smartphone et Twitter, demandent une prise en main qui n’est pas innée, et d’autant moins aisée que l’accueil médiatique qui leur est réservé apparaît mitigé.
Pour éviter que la parole sitôt donnée ne se retrouve confisquée, il est nécessaire d’établir une légitimité à cette parole auprès des twittos en encourageant et en accompagnant cette démarche. C’est ce que devrait permettre en partie le suivi de ces cinq SDF par cinq journalistes de France Inter, qui se contenteront cependant de retweeter ces 5 volontaires.
Si l’idée d’humaniser les chiffres de la misère en y associant ses vrais visages n’est louable, encore est-il nécessaire de leurs donner la voix nécessaire pour faire entendre leurs maux. Sur ce point, le manque de relais transmédia de cette initiative (quelques minutes seulement sur France Inter le 17 octobre) s’apparente à une erreur compte tenu du peu de visibilité de l’initiative et de l’accueil qu’elle reçoit. Accueil, dont on ne peut qu’espérer qu’il se réchauffera avec l’arrivée de l’hiver.

 

Lorraine de Montenay

Sources :
http://www.tweets2rue.fr
http://www.franceinter.fr/evenement-tweets-2-rue
https://twitter.com/search?q=%23tweets2rue&src=hash
http://www.toutalego.com/2013/10/tweet2rue-quand-twitter-confisque-la.html

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