L'homme trop bien cadré
Dimanche 1er décembre, Jean-Luc Mélenchon défilait dans la rue « pour la Révolution fiscale, la taxation du capital, l’annulation de la hausse de la TVA ». Cette manifestation contre Bercy a entraîné une polémique, non sur ses revendications et son message, mais bien plus sur son relais médiatique. Deux fautes communicationnelles sont venues entacher l’image de cette manifestation et de M. Mélenchon. L’une à propos des comptages annoncés tour à tour par les organisateurs et par la place Beauvau. L’autre concerne l’habile cadrage du reportage organisé par TF1 qui dupe le spectateur en lui donnant une impression de foule immense. Coup dur pour le leader du Parti de Gauche (PdG) qui dévoile ainsi son art de la mise en scène et de la construction médiatique en opposition à son discours politique franchement hostile envers les médias « manipulateurs ».
Le comptage déclenche la controverse. Si les chiffres des organisateurs de la « Manif’ pour tous » ont pu paraître exagérés, ceux du Front de Gauche apparaissent complètement délirants. En effet, la préfecture de police dénombre 7000 participants alors que les organisateurs en annoncent 100,000 : un rapport de 1 à 14 qui pose question sur la bonne foi des deux entités. Une photo circulant sur Twitter va dans le sens d’un maquillage des chiffres. Prise le jour même Boulevard de l’hôpital, on observe sur l’image une multitude de feux rouges. Le photographe de l’AFP dément tout trucage, la multiplication des feux de signalisation étant apparemment due à un effet d’optique. Celle-ci provoque l’amusement voire les moqueries des internautes, peu crédules.
La seconde erreur est corollaire de la première. Mélenchon comme TF1 sont soupçonnés de tentative de manipulation des téléspectateurs par l’image et le choix du cadre. En effet, filmée une demie heure avant l’heure de convocation, la vidéo montre une foule qui se presse derrière le camarade Jean-Luc qui répond aux questions de Claire Chazal. Une photo prise depuis son appartement par un journaliste néerlandais et publiée sur Twitter révèle le hors-champ. Mélenchon se trouve devant un carré d’une vingtaine de personnes. Autour, le vide. Le montage ainsi dévoilé ôte toute légitimité aux images et remet en question la déontologie de TF1, l’éthique de transparence morale du Front de Gauche et l’intelligence qu’ils confèrent au public. Ils ont eu tendance à oublier que le spectateur ne se contente plus d’avaler les informations qu’on lui sert sur un plateau. Sa défiance actuelle envers les médias et les politiques le pousse à chercher et à relayer d’autres informations via les réseaux sociaux. Ainsi en quelques clics il peut créer le « bad buzz » et ternir le blason de quiconque veut l’abuser.
Les réponses des intéressés ne se sont pas faites attendre : le 3 décembre Mélenchon se rend au Grand Journal pour arranger ces incohérences de communication. En vain, suite à quelques contradictions. Il tente de prouver par un calcul que 100 000 personnes défilaient. Cependant une erreur dans ses données lui confirme l’exagération des chiffres annoncés. Pour sa défense, il insinue alors que la préfecture de police a divulgué ces chiffres pour que le cœur du problème ne suscite pas d’intérêt. La dénonciation est reprise par André Chassaigne, le président du groupe communiste à l’assemblée, qui pointe du doigt le Ministre de l’Intérieur : « Le piège a été tendu par Valls qui donne, lui, un chiffre déraisonnablement bas après l’annonce des 100 000 personnes. Valls atteint sa cible et ça permet de dévier le fond du débat. C’est fait intelligemment. »
Sur la question de la machination, l’ex-candidat à la présidentielle dément toute intention de la part de TF1. Il affirme que la masse qui apparaît sur l’interview émane d’une volonté propre des participants et ne relève pas d’une construction imposée destinée à améliorer son image ni manipuler l’opinion. Puis, à un autre moment de l’entrevue, il explique le désir du Parti de donner aux images une allure « militante » ; il finit alors par se contredire. Ces propos sont appuyés par Alexis Corbière, secrétaire général du PdG : « Les images ont une dimension politique, nous le savons bien. Pour présenter une manifestation, on n’allait pas faire l’interview dans une rue déserte. » Ceci implique donc le recours aux artifices médiatiques et à une construction qui s’oppose à la prétendue spontanéité du rassemblement.
L’art de la mise en scène médiatique se pose donc comme inévitable et nécessaire à tout processus de communication politique. Subtilement dosée, un jeu presque théâtral contribue à l’amélioration et à la gestion d’une image. Mais gare à l’abus qui se solde souvent par une douche froide de la part de l’opinion publique.
Caroline Dusanter
Sources :
Le Point
Le MOnde
AFP
Le Parisien
Placeaupeuple.fr
Partidegauche.fr
Le Blog d’Alexis Corbière
TF1
Le Grand Journal – émission du 3 décembre
Crédits photos :
Image de Une : Tweet du Front de gauche (1er Décembre)
Image 1 : AFP
Image 2 : Stephan de Vries