Le 4L Trophy ou la mise en scène de l'humanitaire
« Le spectacle est le discours ininterrompu que l’ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux (…). L’apparence fétichiste de pure objectivité dans les relations spectaculaires cache leur caractère de relation entre les hommes et les classes. »
Guy Debord, La Société du Spectacle, I. 24
Le 4L Trophy est un raid humanitaire étudiant qui a lieu chaque année au Maroc. Le retour d’expérience d’Elsa Becquart nous a permis de discuter et de nous demander si la course était réellement ce qu’elle prétendait être.
Un raid humanitaire, vraiment ?
Ce qui est avant tout mis en avant est la participation à une aventure humaine, donnant lieu à un véritable dépassement de soi. Si la promesse d’un raid étudiant et sportif est en effet tenue (il s’agit bien de plus de mille trois cent équipages traversant le désert marocain, une prouesse technique donc), on peut tout à fait questionner son côté humanitaire. Il serait faux de dire que l’aspect caritatif est absent : les équipages amènent une certaine quantité de matériel scolaire et de denrées non périssables, fixée par l’organisation et en partenariat avec les associations locales collaborant avec le raid. De plus, les participants sont invités à nouer des partenariats de leur propre chef.
Les causes humanitaires, nous le savons, ont toujours besoin de fonds et doivent pour ceci promouvoir leurs actions. En ce sens, le 4L Trophy est invité à mettre en avant sa finalité pour qu’un maximum d’étudiants participent à la course et qu’en conséquence, le plus de dons possibles soient récoltés. Mais le cas est ici ambigu. Divers paradoxes, voire aberrations sautent aux yeux et remettent en question la noblesse des motivations affichées.
Le préjugé de la communication menteuse par omission, sans regard critique et par conséquent discréditée serait-il vérifié ici ?
Quelques indices nous mettent la puce à l’oreille.
Des paradoxes d’envergure
Concernant l’aspect écologique, que dire d’un « éco-challenge » ayant lieu dans le cadre d’une course de voitures, par essence, polluantes ? De même, le site de la course se targue de son opération « désert propre », après le passage des participants. C’est bien la moindre des choses ! Et puis, opération désert propre ou non, mille trois cent 4L traversant le désert marocain ne laissent pas indifférent : le poids des voitures, leur bruit et leur nombre doit forcément perturber l’écosystème du désert. Dès lors, comment peut-on se permettre de mettre en avant la volonté « écologique » du raid ? Il s’agit ici simplement de se donner bonne conscience et de surfer sur la vague de greenwashing. Parce que c’est la mode.
Comme pour l’écologie, le raid profite de la bonne image donnée par les actions humanitaires. Parce que ça fait bien.
De fait, on a affaire à un simulacre d’action humanitaire, la représentation un peu bâclée, mais réussie du spectacle du don.
Regard sur la mise en scène du don
Le 4L Trophy est une mise en scène montée de toute pièce, un réel spectacle. Si les unités de temps, de lieu et d’action des tragédies classiques sont remodelées, le cadre spatio-temporel nécessaire à la mise en récit (autrement dit, le storytelling) est clairement défini. Les campagnes de communication insistent sur le temps du raid, dans un lieu fantasmé, et pour une cause noble. Les teasers misent sur la promesse d’aventure, de découverte, d’échange, de beaux paysages, de défi, d’authenticité… Promesses mises en scène par de belles images et une musique prenante ; le tout cristallisé lors de la symbolique cérémonie du don. Tous les éléments sont donc réunis pour donner lieu à un spectacle, son et lumières, frissons garantis.
L’essence est spectacle
L’existence même du rallye EST le spectacle. Dans le rôle du metteur en scène et du diffuseur, l’organisation du 4L Trophy, les acteurs sont les étudiants, avec, pour cadre idyllique, le désert marocain. Organiser un raid aussi symbolique, pour une action aussi mythique que celle d’apporter des fournitures scolaires – représentant l’enfance et l’éducation – et des denrées alimentaires (un des plus forts symboles du don ?), ne peut pas être autre chose que la mise en scène de l’humanitaire. Il serait en effet beaucoup plus logique et efficace d’acheminer ces dons par des biais plus simples et moins médiatisés. Le don de ces étudiants n’est donc pas gratuit et semble motivé par la reconnaissance – voire la gloire – qui passe ici par la médiatisation (quel honneur de figurer sur le teaser de l’année d’après). Le côté humanitaire de la course n’est peut-être donc qu’un prétexte au rassemblement d’étudiants en recherche d’aventure et d’ambiance festive.
Des relents néo-coloniaux ?
Des occidentaux apportant le bien aux pauvres marocains du désert… la scène a été jouée et rejouée par le passé. Si l’association « Enfants du déserts » est bien marocaine, il s’agit cependant pour le reste d’une course franco-française. L’organisation est bien française et met en scène une voiture emblématique de notre pays, symbole porté par le nom du rallye. Il s’agit donc de venir apporter, de manière presque impérialiste, des dons – plus si gratuits – aux enfants marocains.
Cette ambiguïté du rallye-spectacle est donc symbolique de notre société schizophrène. Celle-là même qui nous somme d’avoir un comportement « responsable » quand elle promeut également la vente de capsules Nespresso. Au cœur des questionnements actuels, le 4L Trophy est donc également le signe qu’il est nécessaire de garder l’œil ouvert, et le bon, pour garder une vision critique de ce que l’on nous propose.
D’autant plus qu’un rallye du même type existe, le Student challenge. De moindre envergure et moins médiatisé, l’existence de cette course démontre qu’il est possible de concilier action plus humanitaire et communication moins tapageuse.
Mathilde Vassor
Sources :
4L Trophy.com
Crédit photos :
4Ltrophy
One thought
Communication moins tapageuse, sûrement, mais votre promotion du Student challenge semble paradoxale: les dimensions humanitaires et écologiques interviennent là aussi, même si l’échelle est réduite. Leur ambition est bien de concurrencer le 4L Trophy, il reste un raid « du même type » non?