Société de consommation et symbolique des objets quotidiens
La symbolique des produits issus de la grande consommation est de plus en plus puissante et omniprésente dans notre quotidien, notamment en raison d’un processus de »dépublicitarisation ». Il s’agit d’une nouvelle forme de publicité qui « avance masquée », se fait plus discrète et s’immisce désormais à tous les niveaux de notre société. Si elle était déjà présente dans l’espace public elle investit à présent les institutions culturelles à l’instar du musée Haribo.
Mais comment expliquer cette ode contemporaine aux objets du quotidien, si longtemps négligés? Pourquoi mettons-nous aujourd’hui ces objets sur un piédestal ?Zoom sur une nouvelle tendance des plus étranges : la glorification des objets du quotidien.
Un phénomène déjà mis en évidence par A.Warhol et J.Baudrillard
Andy Warhol, artiste new-yorkais des années 1960, organisa une exposition autour des célèbres conserves de Campbell’s Soup. Grâce à la répétition d’images jusqu’à épuisement, le « pape du pop art » mettait en scène le pouvoir symbolique des objets du quotidien. Une manière innovante et efficace de jouer avec la société de consommation et ses excès pour en faire de véritables œuvres d’art.
Dix ans plus tard, Jean Baudrillard, sociologue et philosophe français, publiait deux ouvrages : Le système des objets et La société de consommation devenus des références dans les sciences de l’information et de la communication. L’auteur y analysait notamment le sens nouveau des objets du quotidien.
Malgré la justesse de leur vision, ces personnalités pouvaient-elles prévoir l’ampleur que prendrait ce phénomène ? Pouvaient-elles concevoir que nous collectionnerions un jour les objets du quotidien comme de véritables objets fétiches ? Le phénomène prend une ampleur telle, que la collection des objets triviaux est aujourd’hui parfaitement intégrée dans les stratégies des marketeurs et distributeurs.
Vers une mise en scène des objets du quotidien ?
Cette tendance semble être due à la manie 2.0 de mettre en scène notre quotidien sur les réseaux sociaux, et illustre bien le phénomène d’ »extimité de soi » décrit par Serge Tisseron qui consiste à mettre en avant une partie de son intimité.
Attention cependant : il n’est pas question d’afficher son quotidien tel quel : pas de photos montrant notre vaisselle qui s’amoncèle ! Il s’agit plutôt de partager des photos retouchées pour donner une touche vintage au dernier café branché déniché par nos soins. Bref, on magnifie notre quotidien et les objets qui nous entourent.
Dès lors comment expliquer l’importance grandissante que l’on accorde à des objets que nous jetions auparavant sans même un regard?
La chercheuse du GRIPIC, Caroline Marti de Montety, apporte un élément de réponse, en montrant dans l’essai nommé « La fin de la publicité ? » comment les marques sont impliquées dans les processus de productions médiatiques et culturelles. Elle énonce que « cette institutionnalisation de la muséification des marques est en cours ». Son étude lui permet de mettre en lumière le fait que les marques s’insèrent de plus en plus dans notre culture et sont omniprésentes dans notre société spectaculaire. Il semble donc normal que les produits que nous vendent les marques s’immiscent à leur tour dans notre vie, jusqu’à ce qu’on les affectionne, les chouchoute et les « starifie ».
L’impertinence du luxe : une nouvelle étape dans l’affirmation de cette tendance
Preuve que cette tendance existe, les marques de luxe, investissent à leur tour cette mouvance et la mettent à l’honneur dans leurs dernières collections.
En effet, Chanel a récemment organisé un défilé dans un faux supermarché; évènement analysé ici même dans un précédent article
Peut-on penser qu’avec une empreinte de marque forte, tout peut se vendre ? Suffirait-il d’apposer le miraculeux logo Chanel pour que des objets du quotidien prennent une valeur ajoutée ? Il semble que les marques aient décidé de surfer sur ce nouveau phénomène en intégrant les objets de la grande distribution dans leurs créations. Un processus qui magnifie encore plus ces objets jusqu’à les ériger au statut d’œuvre d’art consommable.
Cela n’aboutit pas pour autant à une démocratisation du luxe, bien au contraire ! Il se joue des codes, flirte de façon éhontée avec nos habitudes et avec notre modeste quotidien ! Ce n’est plus pour dénoncer la société de consommation mais définitivement pour la sublimer et nous provoquer! Warhol le visionnaire, avait proclamé dès 1975: » tous les grands magasins deviendront des musées et tous les musées deviendront des grands magasins ». Une prédiction qui semble désormais, s’être bien tristement réalisée !
Analyse de cas : co-branding Anya Hindmarch et Kelloggs
Une illustration de cette tendance pourrait être le cas de co-branding entre les marques Anya Hindmarch et Kelloggs. En effet, la marque de maroquinerie Anya Hindmarch , reprend, dans sa nouvelle collection les motifs de la marque de céréales Kellogg’s. On observe ici un double phénomène: Anya Hindmarch reprend le motif des paquets de corn flakes et les boîtes de céréales vendues en magasin mettent en scène ses sacs. On ne sait presque plus faire la différence entre la boite de céréales et le sac en cuir haut de gamme. Ceci est donc la preuve que ce phénomène brouille la limite entre objet du quotidien et objet de mode.
Parfait ! Demain j’achète un paquet de Froosties que j’utiliserai en sac à main : économies à l’horizon !
Enfin, avant de vous débarrasser de vos objets du quotidien, songez que vous pourriez tenir entre vos mains, les reliques des musées de demain.
Clara Duval
Sources:
La fin de la publicité ? – Caroline Marti de Montety, Valérie Patrin-Leclère et Karine
Berthelot-Guiet
La société de consommation – Jean Baudrillard
Le système des objets – Jean Baudrillard
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