Ces boîtes qui veulent coucher avec vous
Tout comme les marques qu’elles représentent, les entreprises ont de plus en plus tendance à élargir leurs fonctions.
Expliquons nous : de même que les marques ont cessé de cantonner leurs domaines d’activités à la vente et à la publicité pour se créer une identité à travers une action digitale soutenue, des jeux, des contenus et des courts métrages, l’entreprise n’a plus vocation à demeurer une entité neutre où l’on vient simplement travailler le matin.
Après les lovebrands, bienvenue dans le monde doré des « lovefirms ».
C’est un monde nouveau où l’austère tour de la Défense voit ses employés troquer leurs costards contre des tee-shirts à messages. Une « culture d’entreprise » s’y développe ; des salles de sports, des poufs roses sont installés et des afterworks sont organisés le soir, pour renforcer la solidarité entre salariés.
Ce fonctionnement a pour vocation, fort louable, d’éviter les épidémies de suicides comme ce fut le cas chez France Télécom il y a quelques années. Seulement il semblerait qu’entre la nanyfirm et la lovefirm la frontière soit mince… L’entreprise a-t-elle vocation à s’immiscer autant dans le privé ?
PwCool : Attention, ceci n’est pas (seulement) un salon de beauté luxueux.
Non, non, contrairement aux apparences, la photo que vous regardez n’a pas été prise dans un salon de beauté luxueux mais dans les locaux d’un géant international du conseil en audit ; j’ ai nommé PWC. Preuve que dans le conseil, on ne manque ni de moyens ni d’humour, le centre de relaxation répond au doux nom de PwCool. On y croit tous. Ce centre de relaxation fait partie d’une vague corporate qui encourage les siestes dans les entreprises françaises : ces siestes rendent plus alerte, plus performant et elles sont bonnes pour la santé !
GoogleCare
Google est depuis longtemps réputé pour être un endroit où il fait bon travailler, c’est donc sans surprise que nous avons assisté cette année à sa consécration par l’institut Great Place to Work. Google figure en tête de leur classement mondial. Au sein de ses locaux, l’entreprise abrite – bien entendu – des salles de sports, des piscines à contre courant, des restaurants, des cafés, des naproom (pièce à sieste).
Mais Google est passé à la vitesse supérieure depuis bien longtemps puisque l’entreprise ne se contente plus d’offrir des piscines à ses employés vivants, mais continue d’en prendre soin après leur mort ! Pendant 10 ans, 50% du salaire est reversé à la famille du défunt, si celui ci est décédé durant son activité chez Google. Mieux que le ObamaCare, le GoogleCare !
En effet, on s’en rapproche : dans notre premier exemple, des commodités sont installées pour que vous n’ayez plus besoin de rentrer dormir chez vous. Dans le second, l’entreprise endosse le rôle de la sécurité sociale.
Privé / Public : le dépassement des frontières
Exit les patrons irascibles et les néons jaunes. Aujourd’hui, une entreprise se doit d’avoir une âme ! Mais de quel type d’âme parle-t-on ? C’est parfois l’âme d’une maman poule voire d’un conjoint très possessif.
Et oui, votre lovefirm bien aimée vous a donné un nouveau téléphone : c’est pour mieux vous joindre partout, chers employés.
Elle vous a donné une carte bleue : c’est pour mieux contrôler vos dépenses, chers employés.
Elle vous a donné des afterworks : c’est pour mieux infiltrer vos cercles d’amis, chers employés.
Elle vous a donné des salles de siestes : c’est pour mieux remplacer votre maison, chers employés.
Crédit Agricole par exemple, pousse le zèle jusqu’à bâtir des campus pour ses salariés. Evergreen, le campus du crédit Agricole est une véritable micro-ville dotée de salons de coiffure, de concierges, de restaurants, de bibliothèques, de crèches, de salles de billard et de toutes formes de commodités. La vidéo de présentation stipule même que l’on peut y découvrir des races d’arbres et de poissons. Les cyniques diront que décidément, tout est fait pour que l’employé ne quitte jamais son lieu de travail.
Finalement, est il souhaitable de parvenir à créer une « lovefirm » ? Est il possible d’entretenir un rapport privilégié voire intime avec une société sans qu’elle ne devienne étouffante ?
Même s’il est nécessaire de se sentir à l’aise dans son lieu de travail, les problèmes générés par une culture d’entreprise poussée à l’extrême se font rapidement sentir.
En effet le concept de l’entreprise sympathique n’est pas récent et les limites ont déjà été éprouvées à maintes reprises depuis le XIXème siècle. Le campus Evergreen nous rappelle doucement les projets d’Étienne Cabet (L’Icarie), de Robert Owen (New Harmony) et d’autres socialistes romantiques dont le but était de trouver un système de travail parfait. Etienne Cabet et Robert Owen formalisèrent leurs systèmes en créant des cités-entreprises ou les employés cohabitaient. Leurs tentatives se sont soldées en majorité par des échecs : Étienne Cabet, par exemple, fut expulsé de sa propre colonie.
Même si l’on voit mal Marc Zuckerberg se faire expulser de Facebook, concentrer les liens sociaux d’un individu au sein d’une entreprise peut sans aucun doute s’avérer dangereux pour lui et pour l’entreprise.
Flore de Carmoy
Sources :
news.efinancialcareers.com
bourse.lefigaro.fr
lefigaro.fr
http://levillagebyca.com/
archive.wikiwix.com
carrieres.pwc.fr