Grenoble : plus heureux sans pub ?
En janvier 2015, les Grenoblois pourront ajouter à leurs vœux de nouvelle année des adieux aux colonnes Morris, « sucettes » et 3×4 en tous genres. En effet, le 23 novembre dernier, la ville a annoncé ne pas vouloir renouveler son contrat à la fin de l’année 2014 avec le groupe d’affichage et de mobilier urbain JCDecaux, choisissant ainsi de mettre fin à la l’affichage publicitaire dans l’espace public.
Ainsi, le démontage des 326 panneaux – soit 2051m² d’affiches – présents dans la commune, aura lieu de janvier à mai 2015. A la place, la ville proposera trois nouveaux types d’affichages (municipal, culturel et réservé aux associations et à l’opinion) beaucoup plus discrets, notamment parce qu’ils seront à destination des piétons plutôt que des automobilistes. Elle a également prévu de planter une cinquantaine d’arbres à la place d’anciens panneaux publicitaires.
Si l’initiative séduit, elle soulève plusieurs interrogations, notamment au sujet des conséquences financières pour cette grande ville d’Europe, la première à prendre une telle décision. Et au-delà de ces questions, c’est bien l’enjeu communicationnel que cette nouvelle stratégie nous invite à analyser.
Un joli coup de com’
On ne peut, en premier lieu, que saluer l’incroyable coup de com’ réussi par l’équipe municipale : en une seule journée, après que le JDD et le Dauphiné Libéré ont publié l’information, l’ensemble du système médiatique s’est tourné vers la capitale des Alpes et a braqué ses projecteurs sur elle.
Or c’est au niveau national que la ville avait décidé d’ancrer sa stratégie de communication. Le cabinet du maire explique ainsi son choix : « sur des thématiques qui ont du sens au niveau national, comme la suppression de la pub dans l’espace public, on choisit d’ouvrir la focale à des médias nationaux. On s’est dit : quitte à faire ce choix politique-là, autant se permettre un gros barouf sur le sujet, ça va intéresser les médias et nous intéresser aussi, puisqu’on va parler de notre action municipale. ». En ce sens, ce projet participe de l’objectif que le maire EELV de la ville, Eric Piolle, s’était fixé dès la campagne des élections municipales, qui était de transformer l’image de Grenoble en une ville douce, créative et conviviale. L’enjeu étant de rompre avec le ton sécuritaire du « discours de Grenoble » de Nicolas Sarkozy en 2010 et avec l’image de la ville qui en avait découlé.
Avec cette annonce, la municipalité EELV ferait donc d’une pierre deux coups : elle remplit visiblement une de ses promesses de campagne par un coup politique et s’assure dans le même temps une visibilité médiatique en entérinant ce changement d’image de Grenoble par un formidable coup de com’.
De la pertinence de l’affichage publicitaire
Dans de nombreuses métropoles, la pollution visuelle due à l’affichage publicitaire est criante (notamment dans certaines entrées d’agglomérations), au point que beaucoup d’entre nous n’y prêtent même plus attention… En outre, avec le développement d’Internet et de ses publicités de plus en plus ciblées, la pertinence de l’affichage est aujourd’hui à interroger.
Pourtant, ce n’est pas le point de vue de Jacques Séguéla, cofondateur et vice-président de l’agence de publicité Havas, qui s’oppose farouchement à la décision de Grenoble : « Internet, c’est chez soi, c’est loin, c’est avant l’achat. L’affichage dans la rue au contraire (…) c’est le dernier écran dans la rue. C’est le moment où la marque vous rappelle ses valeurs, sa qualité et vous montre son produit ».
La publicité : une happiness therapy ?
Don Draper, de Mad Men et Jacques Séguéla ont au moins une chose en commun : leur vision de la publicité et du bonheur : pour le premier, « la publicité s’appuie sur une chose, le bonheur. Et vous savez ce qu’est le bonheur ? Le bonheur, c’est l’odeur d’une voiture neuve. C’est être débarrassé de la peur. C’est un panneau d’affichage sur le bord de la route qui vous martèle que, quoi que vous fassiez, tout va bien. » Pour le second, « la publicité est marchande de bonheur ». Mais entre le discours des années 60 sur la publicité, les dires des communicants et la réalité, il peut y avoir un monde…
Or un certain nombre d’études ont été menées sur le sujet, et les résultats risquent de ne pas faire le bonheur des annonceurs. En effet, la publicité participerait à l’édification de valeurs matérialistes (notamment en inculquant chez les plus jeunes l’idée selon laquelle l’acquisition de biens matériels serait un élément clé du succès et du bonheur, idée qui ne disparaîtrait pas en grandissant). Ces valeurs auraient ainsi une mauvaise influence sur l’humeur des matérialistes, qui ressentiraient plus d’émotions négatives (stress, angoisse, colère) au cours de leur journée. De plus, la publicité serait source de frustration dans la mesure où elle créerait chez les individus une perception erronée du revenu moyen et de leur propre place dans la répartition des revenus. Elle nous placerait ainsi dans un état d’esprit favorable à la compétition sociale et négatif pour notre félicité. En somme, la publicité créerait un horizon d’attentes relativement irréalistes pour les consommateurs et leur rendrait difficile l’accès au bonheur tant vanté par la réclame.
Epilogue
En voulant protéger ses citoyens contre la pollution visuelle, Grenoble a ainsi porté le débat sur la publicité dans l’espace public sur le plan médiatique national. La décision a été majoritairement applaudie par la société française, et le maire aurait reçu pendant les trois jours suivant l’annonce plus de 300 mails de soutien, dont une grande partie venait de maires avides de conseils méthodologiques pour appliquer la mesure dans leur propre ville. Grenoble pourrait ainsi être la première ville européenne à lancer un mouvement de transition « publicitaire » au sein de son espace public. Mais s’agit-il uniquement d’un microphénomène, ou des prémices d’une nouvelle tendance de politique urbaine ?
Léa Lecocq
@LeaLcq
Sources :
lemonde.fr (1) et (2)
telerama.fr
placegrenet.fr
lefigaro.fr
slate.fr
Crédits photos :
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