Bienvenue en Corée du Sport
Quelque soit la période de l’année, tout le monde a la même résolution : faire du sport, perdre deux kilos, manger mieux etc. Le dictat du corps parfait est intact. Dans toutes les grandes villes de France fleurissent les offres à moindre coût pour aller bouger son c…
Le sport pas sport
Suite à la rencontre des prints Neoness, réseau de salles de sport low cost, la question suivante s’est posée : comment une salle de sport peut-elle présenter des « égéries » aussi peu attirantes ? Outre la volonté de jouer sur le « bad buzz » les campagnes des centres de fitness des grandes métropoles se veulent drôles, percutantes voire cyniques dans le but marquer les esprits. Néanmoins, elles sont révélatrices d’une névrose de notre époque, qu’il n’est pas de bon ton de trop questionner.
Sport pour tous
Cette pub fait échos à celles de McDonald’s. L’idée : pas de chichis chez nous, « venez comme vous êtes ». Au contraire des boites de nuits, chez Neoness, dans tous les cas « tu rentres ». Pourtant, qui veut se reconnaître en cet homme en surpoids, portant un tutu et une baguette magique ? Qui sentira son estime regonflée par la possibilité d’intégrer sans encombre dans un club de fitness, à défaut d’être admis dans un night club… ? Etrange stratégie de la part de ces centres de fitness que de ne pas essayer de séduire et mettre en valeur son potentiel client, qui pourrait aller jogger gratuitement dans un parc. A croire que tout est permis, tant nos concitoyens ont l’obligation d’être beaux, fermes et sveltes.
Mais est-ce bien normal de se laisser parler ainsi ? Au programme : de l’impératif, du tutoiement, des slogans provocateurs. Autant de formules que d’incitations à suivre ce dictat du corps parfait.
Une mythologie contemporaine
Cependant derrière son second degré, la campagne tombe dans un écueil bien commun de notre époque, celui de marginaliser et stéréotyper un type d’individus. Ici, ce sont ceux partageant la caractéristique physique du surpoids qui sont montrés, voire moqués sournoisement. Et ce genre de publicités ne choque pas vraiment le citoyen lambda, tant le standard de beauté est devenu mythique, au sens barthésien. La tactique de Neoness n’est pas un flop, au contraire. (screen shot de twitter #neoness) En exposant en filigrane que le sport n’est pas toujours glamour, et qu’il n’y a pas que des jeunes filles mannequinesques dans les salles, il marquent un point. Ils ont pris le parti de ne mettre aucun miroir, de quoi attirer les moins à l’aise avec leurs reflets. Les corps imparfaits sont donc dissimulés, comme un tabou … Le mythe du corps parfait et par capillarité de l’exercice physique obligatoire n’est plus jamais remis en question, ce qui permet aux publicitaires une liberté presque absolue. Ce genre de campagne aurait-elle pu avoir lieu il y a cinquante ans, ou en zone rurale ? Pas sûr.
Pas d’excuse…?
Dans la campagne Club Med Gym, le hashtag « #pasdexcuse » en dit long. Comme s’il était inconcevable et inexcusable de ne pas faire de sport. Mais au fond qui nous adresse cette apostrophe comme un rappel à l’ordre ? En dehors du fait que la science a prouvé que l’activité physique était bénéfique pour la santé, quelle instance a le pouvoir de classification, de définition et de jugement ?
De plus, ces petits génies du marketing ont complètement ignoré les individus qui ne correspondaient pas à leur clients cibles. Ceux qui ne peuvent pas faire de sport, pour des raisons de santé par exemple. Ou tout simplement ceux qui n’ont pas les capacités ou le courage de courir un marathon ! Peuvent-ils être excusés ?
« Femme, femme, être une femme »
Une énième fois dans l’histoire de l’analyse de l’actualité communicationnelle, nous allons souligner ô combien les femmes sont présentées comme des coquilles vides, et ô combien elles sont souvent les premières à pâtir des travers de la société.
Le comble de la vanne est atteint dans la communication des centres de remise en forme X-Fit , où l’on peut voir des images de ventres poilus d’hommes « enceints ». Evidemment, rien de méchant au premier abord, car le slogan « arrêtez de vous mentir » est assez drôle… Mais le parallèle avec la maternité reste douteux, dans la mesure où ces ventres gonflés d’une mauvaise hygiène de vie et de longs mois de paresse néfaste sont présentés comme quelque chose d’éminemment disgracieux à éliminer.
Cette affiche très esthétisée présente une jeune femme souriante et sûre d’elle, qui nous regarde dans les yeux, et affirme « J’ai les yeux de ma mère. Pour le reste c’est Club Med Gym ». Ce message sous entend que la confiance en soi si visible chez cette femme découle de la satisfaction de son corps. La beauté ne serait qu’affaire d’entretien physique ? La formule « tout le reste » ne renvoyant qu’à son corps, la femme se voit (à nouveau) réduite à son enveloppe, à sa soumission au culte du corps, puisqu’elle n’est de toute façon rien d’autre qu’un objet de désir…
Bis repetitas
Ce qui est bizarre en écrivant ces lignes, c’est d’envisager que ces phrases ne résonnent plus. Que certains se disent « encore un truc féministe, on sait, c’est pas cool pour les filles ». Difficile de comprendre ce qui s’est passé pour que l’on se détourne de ces questions, alors que nous avons les clefs de lecture et les outils pour changer la donne. En plus du sexisme inhérent, ces publicités laissent penser que nous tendions vers une société uniformisée, où l’originalité elle-même s’est standardisée. La différence, soit-elle visible ou privée, est toujours plus violemment rejetée. Comme les salles de sport américaines Equinox l’affichent « My body, my biography » : il est donc recommandé d’être « normal » à l’intérieur et à l’extérieur pour vivre en paix. Ce qu’on peut se demander à la vue de toutes ces publicités, n’est pas simplement « est-ce normal de ne plus contester la marginalisation d’un type social (des « gros » des « moches », etc.) ? », car la réponse est évidente, mais bien « est-ce normal de ne plus contester l’uniformisation ? »
Julia Lasry
Sources :
Alix Leridon. « Bad Buzz bad buz whatcha gonna do? » in FASTNCURIOUS.
PARISCOMLIGHT
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