"Merci Patron", le film qui met LVMH au tapis
Toutes sensibilités politiques confondues, difficile de rester insensible au documentaire à succès de François Ruffin, sorti le 24 février dernier. Fondateur et rédacteur en chef de Fakir, le « Journal fâché avec tout le monde ou presque », Ruffin raconte le combat -presque épique- qu’il mène avec un couple de picards, Jocelyne et Serge Klur, victimes collatérales de la délocalisation de leur usine en Pologne. Les tactiques de communication employées par le groupe LVMH, destinées avant tout à éviter le scandale et empruntes d’une indifférence profonde vis-à-vis des détresses individuelles, y sont dévoilées avec brio.
On retrouve dans le film des codes inaugurés par Michael Moore dans ses documentaires Bowling for Columbine ou encore Capitalism : A love Story. Comique de situation, goût de l’absurde, volonté de mettre en lumière ce qui n’est d’ordinaire accessible qu’à quelques heureux élus. Le ressort du film tient à une idée très simple : LVMH, et par extension son patron Bernard Arnault, sont prêts à tout pour étouffer une affaire qui pourrait nuire à l’image de la marque. François Ruffin et la famille Klur exigent, en dédommagement du licenciement des deux époux, la somme de 35.000 euros, et l’obtention d’un emploi pour Serge Klur. La somme est destinée, entre autres, à rembourser leurs nombreuses dettes et éviter la saisie de leur maison. Et, grande fantaisie, à acheter un chauffage fonctionnel. D’abord dans une lettre adressée à Bernard Arnault puis auprès d’un homme dépêché chez eux par LVMH, ils ne se démontent pas. La question se pose d’emblée: comment, au juste, espèrent-ils obtenir d’une entreprise une telle démonstration de charité ? La réponse semble peut-être évidente au lecteur averti de Fast’N’Curious, mais elle mérite qu’on s’y arrête.
La terreur du bad buzz
Par définition, l’objectif premier de toute communication externe d’entreprise est d’instituer et maintenir une image de marque positive. C’est elle qui donne confiance au consommateur, le séduit et le conforte dans son choix. Or, les misères du couple Klur, mise dans les mains de médias et de personnages politiques bien choisis, représentaient un danger crucial pour l’image de la marque. En instrumentalisant ce risque et en le retournant comme une menace contre le groupe, François Ruffin et la famille Klur parviennent à tourner les choses à leur avantage. On les voit rédiger un certain nombre de lettres, expliquant qu’en effet, LVMH et plus particulièrement monsieur Bernard Arnault, étaient responsables de leur extrême précarité. L’histoire d’une famille plongée dans la misère après avoir perdu des emplois délocalisés, représentait, aux yeux du service de communication de LVMH, un terrible danger…
Hors, comme nous le savons maintenant, le véritable danger était encore à venir: le documentaire de François Ruffin, avec ses dizaines de milliers d’entrées malgré le nombre réduit de salles le projetant, a généré un nombre important d’articles, d’interviews, et de manière plus générale, de remises en question de l’idée même de justice sociale. Le mouvement Nuit Debout, né de l’occupation de la place de la République après la manifestation du 31 mars contre le projet de réforme du code du travail, est dans la ligne directe du documentaire. François Ruffin en est un actif participant.
Comme tentative de réponse, le groupe LVMH va ouvrir au grand public une cinquantaine de ses sites européens pendant trois jours en mai. « 40 maisons » vont ainsi être accessibles gratuitement. Les salons Christian Dior avenue Montaigne, les ateliers Louis Vuitton à Asnières, ou encore le joaillier Chaumet Place Vendôme, les portes de plus de « 50 lieux d’exception » seront ouvertes du 20 au 22 mai, à l’occasion de la 3e édition de ses « Journées Particulières ». L’objectif communicationnel est clair: redonner un visage aux membres du groupes, qui sont, après tout, « humains comme vous et moi ».
Mariem Diané
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