Non classé, Société

#HelloJVC, from the Internet's other side

Au début des années 2000, les forums représentaient pour la majorité des internautes une sorte d’idéal, et ce qu’Internet devrait être aux yeux de nombreux utilisateurs : un espace de rencontre, de discussion et de libre expression, notamment grâce à l’anonymat. Certes, des modérateurs devaient encadrer les échanges, mais certains utilisateurs les voyaient comme des espaces quasiment dénués de règles.

Aujourd’hui, la plupart des forums ont perdu de l’audience au fur et à mesure que les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ont gagné en importance, mais un dernier bastion semble résister au respect et à la bienveillance que tous souhaiteraient voir se propager sur Internet : le « 18-25 » de jeuxvideo.com.

The Twilight Zone

S’intéresser au site et au forum de jeuxvideo.com, c’est avant tout s’intéresser à une des premières communautés d’Europe unie par et pour le jeu vidéo, qui perdure malgré les années et les modes. Ces passionnés du jeu vidéo font émerger des langages, des symboliques et des espaces réservés, comme le Blabla, une section du forum où les utilisateurs ont le droit de parler de tout ce qui les intéresse et qui n’entre pas dans le cadre du jeu vidéo. Cette section est divisée selon l’âge des internautes, les deux principales étant 15-18 et 18-25, ce qui ressemble davantage à la catégorisation d’une colonie de vacances qu’à celle d’une communauté d’adultes.

Pourtant, pas de chansons endiablées, ni d’esprit bon enfant. En effet, pour beaucoup, le 18-25 est un véritable repaire de ce que l’on peut trouver de pire sur Internet : antisémitisme, conspirations, misogynie ou encore homophobie. Au sein même des autres catégories du forum, des modérateurs bénévoles se sont confiés au site Numerama en avouant qu’il « n’y a actuellement pas de solution pour contenir le géant qu’est 18-25 », signe de l’impuissance de ceux que l’on considère pourtant comme des garants du bon fonctionnement d’un forum.

#HelloJVC : SOS d’internautes en détresse

Le 4 janvier dernier, lassés d’être les cibles récurrentes de certains membres du 18-25, plusieurs internautes (dont de nombreuses militantes féministes) ont décidé de réunir leurs témoignages de cyber-harcèlement avec le hashtag #HelloJVC. Sophie, connue sur Twitter sous le pseudo @DouxBidou, est à l’origine de cette initiative. Elle avait déjà eu affaire par le passé aux membres de ce forum, notamment après avoir partagé sur son compte Twitter le récit d’une agression qu’elle venait de vivre. En effet, si d’autres utilisateurs ont compati à son histoire, ou l’ont relayée, elle a également été la victime d’une campagne de harcèlement – aussi appelée un « raid » – lancée par la #1825Army (hashtag utilisé par les harceleurs). Ce raid comprenait entre autres des appels à l’agression, parfois même au viol. On est donc bien loin de l’ambiance bon enfant revendiquée par certains modérateurs.

La naissance du hashtag (crédit : @DouxBidou)

 
La réaction d’un membre du forum présent sur Twitter (crédit @K1000_1825)

Aujourd’hui, alors que le gouvernement multiplie les initiatives anti-harcèlement, Webedia semble se concentrer sur d’autres problèmes, davantage liés à la concurrence entre sites de jeux vidéo. Certes, le forum a été félicité pour sa gestion de messages extrêmes, surtout en ce qui concerne ceux liés à la religion, mais cela ne semble pas s’appliquer à toutes les dérives. Ainsi, qu’il s’agisse des modérateurs ou des dirigeants, ce qui se passe en dehors du forum (en l’occurrence sur les réseaux sociaux) ne semble plus les concerner, y compris quand les harceleurs mentionnent explicitement qu’ils viennent de JVC.

Cette affaire ayant fait grand bruit, de nombreux médias comme LCI ou Numerama ont contacté les salariés de Webedia afin de les faire réagir : sans résultat. Seuls les grands pontes du groupe se sont exprimés, pour rappeler que le travail des modérateurs est bénévole, et qu’ils ne peuvent donc pas s’occuper de tous les problèmes du forum. En effet, c’est une observation légitime, qui aurait pu être acceptée par les premières concernées, c’est-à-dire les harcelées, si un membre de l’équipe en charge du gaming chez Webedia, Cédric Page par exemple, avait eu un tweet ou un post Facebook de considération pour elles. Or au contraire, celui-ci a préféré rendre hommage à un meme, une private joke du 18-25 : l’acteur espagnol El Risitas, dont c’était l’anniversaire. Dans ce contexte, cette référence semble bien maladroite, car l’armée du 18-25 y voit un soutien de la direction : il y a donc désormais au sein de Webedia un double discours dangereux.

Des modérateurs très portés sur le droit du travail (crédit : @naglaglasson)

Une e-campagne qui prend de l’ampleur

Par ailleurs, il semblerait que le 18-25 devienne également un objet de convoitise pour les hommes politiques. En effet, après la présence sur les réseaux sociaux ou encore sur YouTube, il convient de continuer à propager son message auprès de la plus grande communauté de jeunes possible, et pourquoi pas donc par l’intermédiaire du 18-25.

Jean-Luc Mélenchon, dans ses vidéos YouTube remerciait ainsi régulièrement ses supporters inscrits sur le forum. Cela avait d’ailleurs conduit à une première campagne de harcèlement quand plusieurs militantes féministes lui avaient reproché ce soutien, ce que les forumeurs n’avaient pas apprécié.

Récemment, c’est Florian Philippot qui a également multiplié les références au fameux El Risitas, pour s’attirer, lui aussi, les faveurs des membres du forum. Pourtant, pour ceux connaissant cette polémique, il ne saurait s’agir d’une prise de position judicieuse et suscitant l’intérêt. En effet, comme dans le cas de Cédric Page, ces références et allusions apparaissent comme des soutiens aux membres du forum, et donc une certaine forme de négation de la souffrance des personnes harcelées.

La « Risitasse » comme l’appellent les utilisateurs du 18-25 (crédit  : LeLab Europe1)

Dès lors, la polémique autour de la gestion des forums de jeuxvideo.com par Webedia cache en fait deux flops majeurs qui relèvent tant de sa communication de crise que de sa politique.

En effet, en s’attachant aux références liées à l’image du forum, les salariés de Webedia semblent se désintéresser du sort des internautes harcelés et ce, malgré les propos graves tenus par ceux se réclamant de cet espace de discussion. Par ailleurs, en faisant de même, les hommes politiques qui continuent d’essayer de gagner en soutien, ne peuvent plus apparaître uniquement comme des personnes cherchant à se rapprocher de la jeunesse française. En tant que potentiels représentants de l’Etat français, leur silence apparaît comme une sorte de légitimation, un encouragement supplémentaire à continuer, et surtout une forme d’opportunisme envers une communauté dynamique et à même de se reconnaître dans « l’antisystème » prôné par le Front de Gauche comme par le Front National.

Justine Ferry

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Sources :

Condomines, Anaïs, LCI, Cyber-harcèlement et raids antiféministes sur le forum 18-25 de Jeuxvidéos.com : ‘cela a assez duré’, le 05/01/2017 (consulté le 23 janvier 2017)

Duchateau, Erwan, Les Inrocks, Quand Florian Philippot utilise Risitas pour draguer la communauté de Jeuxvideo.com, le 18/01/2017 (consulté le 24 janvier 2017)

Durand, Corentin, numerama, Cyber-harcèlement sur le 18-25 : JeuxVideo.com pourra-t-il se sauver de sa communauté ?, le 05/01/2017 (consulté le 22 janvier 2017) (crédit photo pour la photo de couverture)

Réaux, Amandine, LeLab Europe 1, Les grosses références de Florian Philippot au forum 18-25 de Jeuxvideo.com, 17/01/2017 (consulté le 24 janvier 2017)

– Le Monde, Après Mélenchon, Philippot fait de l’œil au forum de Jeuxvideo.com, 17/01/2017  (consulté le 23 janvier 2017)

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