C’est la crise dans le milieu de la publicité programmatique
Le 20 mars 2017, Havas UK annonce la suspension de la diffusion de ses campagnes publicitaires sur Youtube à la suite de captures d’écran montrant que ses clients apparaissaient sur des contenus offensants. Une décision importante lorsque l’on sait que l’agence avait investi plus de 200 millions d’euros dans la publicité digitale. Mais c’est surtout un coup dur pour Google, qui depuis fait face à de nombreux retraits de grandes marques. Le début d’une crise, qui remet en question l’efficacité de l’algorithme de programmation Google et sa capacité à contrôler ses contenus.
Une programmation algorithmique en principe efficace
La présence des annonceurs sur Google peut être faite de deux manières : par le placement de liens sur des sites web, ou via une programmation algorithmique automatique. L’algorithme utilise le big data pour proposer la bonne publicité à la bonne personne au bon moment. Cette technique permet de cibler efficacement l’internaute, notamment sur le contenu vidéo qui est de plus en plus demandé (Youtube est la plateforme vidéo de Google).
Lorsque l’on navigue sur Youtube, la bannière publicitaire qui apparaît sur la vidéo est très précisément choisie par cet algorithme, en fonction de nos dernières recherches ou de notre shopping en ligne. La programmation algorithmique a le double avantage de coûter moins cher à l’annonceur (qui limite ses placements en les ciblant), mais aussi de paraître moins intrusif pour l’internaute dans un contexte de généralisation des Ad blockers. L’internaute rejette la publicité moins rapide- ment ce qui renforce son efficacité. C’est l’apparition de ces bannières sur des contenus offensants qui est à l’origine de la crise entre annonceurs et Google.
Quelques chiffres nous montrent l’explosion et la quasi systématicité de la publicité programmatique pour les marques. Selon l’Observatoire de l’ePub, 631 millions d’euros ont été investis dans ce domaine en 2016, une hausse de 51% par rapport à l’année précédente.
La réputation des marques en jeu
Toutefois, les marques refusent d’apparaître en bannière sur des contenus racistes, homophobes ou encore antisémites. L’image de la marque peut être abîmée par un contenu qu’elle n’a pas choisi elle-même. Adweek a très vite réagi en réalisant un sondage sur 502 internautes. 40% d’entre eux apprécieront moins la marque après l’avoir vue aux côtés d’un contenu offensant, et 36% pensent que la marque soutient le contenu outrageant du fait de sa présence. Premier flop pour les marques dont l’image fragile se détériore.
Selon Henry Ford « Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes ! ». Elle est essentielle à l’entreprise, c’est ce qui lui permet d’avoir la confiance des consommateurs et des investisseurs. Apparaître en bannière d’un contenu choquant, c’est abîmer son image auprès de l’internaute, mais aussi auprès de toute sa communauté. En effet, la problématique est digitale et il s’agit tout d’abord de l’e-réputation de l’entreprise. Les parties prenantes (clients, salariés, partenaires…) interagissent sur les réseaux sociaux. Cela donne lieu à des conversations, positives ou négatives, que les marques ne peuvent pas forcément contrôler ou influencer.
Lorsqu’une capture d’écran montrant une marque en bannière d’un contenu injurieux circule sur ces réseaux par exemple, les conséquences sont difficilement maîtrisables. Quelques captures seulement (l’apparition de marques sur des contenus offensants n’est pas systématique) sont nécessaires pour que la machine des partages et des commentaires se mette en marche. Les réseaux sociaux permettent aux marques de toucher directement les internautes, mais ils peuvent de leur côté façonner dans un sens ou dans un autre leur réputation. À travers ces enjeux, on comprend bien la réaction épidermique des marques face à ce genre d’apparition.
Ainsi, suite au retrait d’Havas, General Motors a par exemple suspendu sa présence sur Youtube « jusqu’à ce que Google adhère aux standards de notre marque ». Walmart a déclaré que « le contenu auquel nous sommes associés est épouvantable et contre les valeurs de notre entreprise », et somme Google de « rectifier la situation immédiatement ». Des déclarations qui sonnent comme des ultimatums posés au géant du web.
Matt Brittin, Président Business & Operations de Google, a présenté ses excuses, selon The Financial Times. « Nous avons une révision en cours en vue d’une amélioration. Nous sommes en train d’accélérer le process. ». Une maigre promesse qui fait suite à un mail du même acabit envoyé aux entreprises. Le contenu même de Youtube est difficilement maitrisable, avec 400h téléchargées par minute. Un véritable flop pour Google qui déçoit ses annonceur et perd des revenus publicitaires de plus en plus importants.
Une pratique par essence risquée
Selon Denise Colalella, responsable de la publicité à NBC Universal, la publicité programmatique est « une épée à double tranchant » : efficace, mais présentant encore beaucoup de risques. Nous sommes arrivés à un tournant dans l’histoire de la publicité, ce moment où les annonceurs considèrent Youtube comme presque aussi important que la télévision mais se heurtent à la dimension incontrôlable de l’algorithme. À force de considérer les individus comme un ensemble de données, on oublie que certains de leurs aspects ne sont pas quantifiables et même le meilleur des algorithmes ne peut anticiper toutes les réactions. La responsabilité est celle de Google, mais peut-être aussi des agences ayant trop misé sur la programmation publicitaire.
Quoi qu’il en soit, Google ne peut aujourd’hui plus se définir comme une « tech companie ». C’est une plateforme media, qui doit assurer un contrôle de ses contenus et ne peut plus revendiquer une neutralité. En effet, c’est indispensable pour les annonceurs qui placent leurs publicités sur ces plateformes. Google, comme Facebook, est un « éditeur », qui doit assurer la transparence et la sécurité de ses placements publicitaires, comme l’explique Carl Erik Kjærsgaard, Directeur marketing chez Blackwood Seven.
Mais alors, comment éviter ce genre de dérives si ce n’est en essayant d’améliorer l’algorithme ? Début avril, Youtube a annoncé accepter que des entreprises tierces exercent un rôle de « gendarme » pour contrôler les nouveaux contenus. Des entreprises comme Integral Ad Science ou Double Verify ont donc scellé des partenariats avec Google, cependant en l’état actuel du développement technologique il semble impossible que tous les contenus puissent être vérifiés à temps.
Louise Cordier
@LouisyCordier
LinkedIn
Sources
• Brands and Media Agencies Send Google an Ultimatum: Evolve or Else, Patrick Coffee, publié le 24/03/17 et lu le 28/03
• What Consumers Really Think About YouTube’s Offensive Content Problem and Its Advertisers, Christopher Heine, publié et lu le 28/03/17
• More Big Advertisers Suspend Google Ads Over Offensive Videos, Jack Neff, publié le 24/03/2017 et lu le 28/03/2017
• Havas UK stoppe la pub sur Google et YouTube à cause de contenus indésirables, Philippe Guerrier, publié le 20/03/2017 lu le 28/03
• Définition : Algorithme d’optimisation publicitaire Ecrit par B.Bathelot, mis à jour le 1 mars 2017, lu le 28/03
• La publicité programmatique, l’arme fatale des annonceurs Par Sylvain Rolland publié le 31/01/2016 , lu le 28/03
• Communication, edition OpenBook par Olivier Aïm et Stephane Billet, p. 212 à 215
Crédits photos
• Image Sondage Adweek : What Consumers Really Think About YouTube’s Offensive Content Problem and Its Advertisers, Christopher Heine, publié et lu le 28/03/17
• Capture d’écran youtube publié le 28/03 et lu le 28/03
• Photo de couverture, publié le 24 juin 2016, vue le 28/03/17