La logomania au Moyen-Orient ?
Le Moyen-Orient, l’eldorado des marques de luxe
Dans les pays du Moyen-Orient, tels que l’Arabie Saoudite, l’Oman, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis et le Qatar, le client est roi. En effet, de nombreux facteurs illustrent l’attrait économique que représente cette clientèle pour les grandes marques de luxe.
Constituée tout d’abord d’une population relativement jeune – les moins de 30 ans représentent plus de la moitié de la population totale du Golfe – celle-ci bénéficie d’un taux d’éducation élevé. Peu touchée par la crise économique, née avec un fort pouvoir d’achat provenant de la manne pétrolière, cette jeunesse ultra-connectée considère l’accès au luxe comme un dû, contrairement aux générations précédentes qui ont pu connaître une progressive augmentation de leur pouvoir d’achat. D’un appétit insatiable pour les produits mode et beauté, cette clientèle dépense en moyenne 2400 dollars chaque mois dans les secteurs de la mode et de la beauté, dont 8% sont des maisons françaises telles que Chanel, Dior, Louis Vuitton ou Chaumet.
Cet engouement se traduit par un exubérant enthousiasme pour la consommation, célébrée à l’intérieur de centres commerciaux commerciaux appelés « malls », où sont affichés en vitrines logos et monogrammes prestigieux, faisant acte de la richesse de chacun. Cette exubérance prend alors forme dans un enchantement de la consommation décuplé, dans des activités de divertissement sensationnelles voire excessives.
Mall of the Emirates (Dubaï, Emirats Arabes Unis)
Je consomme donc je suis — ou comment s’affirmer par le logo
Dans son ouvrage Le système des objets, Jean Baudrillard affirme que les objets ne sont pas liés à une fonction ou à un objet défini mais servent de champ mouvant et inconscient à la production de signification. De cette façon, les objets signifient prioritairement le statut de leur possesseur.
C’est pourquoi le monogramme devient la figure de proue du luxe ostentatoire : se matérialisant sur un contenu connu et visible par tous – le LV de Louis Vuitton, le G de Gucci, le double C de Chanel, initiales généralement gravées sur le produit comme signature – associé au prestige de la marque, il signifie la réussite économique et sociale de son propriétaire. Dans le luxe, c’est le sens qui fait vendre et la représentation s’est substituée au produit. La marque-spectacle permet ainsi à son propriétaire de se positionner socialement par rapport à son groupe de référence ou d’aspiration et en conséquence, de s’assigner cette nouvelle identité sociale attribuée par le logo.
L’ère de l’overlogo atteint ainsi son apogée avec l’omniprésence de marques fortement visibles et reconnues comme Louis Vuitton ou Gucci. La course aux images et aux symboles de prestige s’affiche comme une accumulation, illustrant le désir de se « brander*» de ces consommateurs statutaires.
Les particularismes locaux se voient parfois modifiés par cet engouement proche de l’obsession, comme lors du défilé Croisière de Chanel à Dubaï où la salle en moucharabieh a été intégralement modelée au logo de la marque. Parallèlement, à l’instar des nouvelles collections d’« abbayas » siglées Dolce & Gabbana, les maisons de luxe ont su créer des produits spécialement destinés pour les pays du Golfe.
Un logo qui ne fait pas l’unanimité
Certains spécialistes, tels que le Groupe Chalhoub, principal partenaire français du luxe au Moyen-Orient, affirme que ces comportements vont peu à peu s’effacer pour laisser place à une recherche d’expérience et de personnalisation des produits.
Parallèlement, on assiste à un retour en catimini du logo en Occident où il devient acceptable à cependant une condition : qu’il ait l’air faux. Lacoste affiche son crocodile en citant son influence dans le streetwear et Gucci le modifie dans des notes romantiques. En faisant mine de se détacher des codes classiques du privilège et d’opter pour la ré-appropriation de sa contrefaçon, le luxe ne fait que renforcer son ADN : qualité, savoir-faire artisanal, détails et rituels invisibles. « Regardez, nous pouvons nous imiter mieux que vous le faites », un rapport entre la mode et son public qui interroge sur les conditions d’infraordinarité* du logo. Ainsi, face à une contrefaçon assumée, il s’agit de s’approprier l’anti-establishment* revendiqué par la jeunesse occidentale.
À condition de bien cerner les attentes et l’usage à la perception de son public, le logo a encore de beaux jours devant lui.
Flore DESVIGNES
Anti-establishment* : opposition au pouvoir existant, en tant que société ou gouvernement.
Sources
CHAPUIS Dominique, “Le client du Moyen-Orient s’impose comme le roi incontesté du shopping”, Les Echos.fr. Paru le 9 juillet 2014. Consulté le 13 février 2017. http://www.lesechos.fr/09/07/2014/lesechos.fr/0203631280317_le-client-du-moyen-orient-s-impose-comme-le-roi-inconteste-du-shopping.htm
TOUMA Nadine, « Les jeunes et le luxe au Moyen-Orient par le groupe Chalhoub », abcluxe.com. Paru le 10 octobre 2011. Consulté le 13 février 2017. http://www.abc-luxe.com/actus/culture-events/article/les-jeunes-et-le-luxe-au-moyen-orient-par-le-groupe-chalhoub
MASSON Delphine, “Au Moyen-Orient, je consommé donc je suis”, Stratégies. Paru le 29 décembre 2015. Consulté le 17 février 2017. http://www.strategies.fr/etudes-tendances/tendances/1027356W/au-moyen-orient-je-consomme-donc-je-suis.html
Le livre blanc du Groupe Chalhoub. Paru en 2014. Consulté le 17 février 2017. http://www.chalhoubgroup.com/uploads/downloads/Chalhoub_Group_White_Paper_2014_French.pdf
MOAWAD, Marie-Héléne, “Les facteurs explicatifs de la consummation ostentatoire des produits de luxe, le cas du Liban”, HAL archives-ouvertes.fr. Paru le 7 septembre 2009. Consulté le 17 février 2017.
https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-00413921/document
HERNAEZ FOURRIER Françoise, “le luxe arabe: un luxe résolument tourné vers l’avenir”, Ipsos GAME CHANGERS. Paru le 7 octobre 2014. Consulté le 17 février 2017. http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2014-10-07-luxe-arabe-luxe-resolument-tourne-vers-l-avenir
Crédits images
Pinterest « Louis Vuitton » https://fr.pinterest.com/wendygail15/louis-vuitton/
UAEZOOM, Noor
TNT magazine
Quatar News, courtesy JK, http://www.qatarliving.com/forum/news/posts/doha-court-overrules-verdict-villaggio-fire
Marie-Hélène Moawad, les facteurs explicatifs de la consommation ostentatoire des produits de luxe – le cas du Liban
Instagram @perso_print_dubaï
Captures d’écrin du défilé Chanel Croisière, youtube Liri Simple and Beauty
Instagram @avanope, Antidote