Culture

« Ce soir-là » : la fiction se penche sur l’attentat du Bataclan.

Le 28 Décembre dernier, France 2 a annoncé dans un communiqué avoir pris la décision d’ajourner un téléfilm, « Ce soir-là », prenant comme toile de fond les attentats du Bataclan. Un choix apparaissant judicieux au vu des nombreuses critiques que ce projet a suscitées. Outre les commentaires houleux ayant inondés les réseaux sociaux à la suite de l’annonce du début du tournage, c’est en particulier la pétition lancée par les familles des victimes qui a changé la donne. N’est-ce pas trop tôt pour adapter en fiction un événement aussi sombre qui a endeuillé la France entière ? C’est bien là toute la question.

Un projet audiovisuel qui fait réagir les familles des victimes.

Le film, réalisé par Marion Laine, raconte une histoire d’amour née le soir du 13 Novembre 2015. Les deux personnages principaux, incarnés à l’écran par Sandrine Bonnaire et Simon Abkarian, se rencontrent lors de l’attentat en venant porter secours aux victimes. Ils sont ensuite amenés à se revoir lorsque les personnes, qu’ils ont aidé ce soir-là, les recontactent afin de les remercier. De rendez-vous en rendez-vous, les deux protagonistes vont tomber amoureux l’un de l’autre.
Cette fiction n’a pas pour but de faire une reconstitution du drame : la réalisatrice a choisi de s’appuyer sur un scénario majoritairement fictif. Seulement, étant donné que le film prend pour point de départ le soir de l’attentat et met en scène des acteurs pour incarner des victimes du Bataclan, il est indéniable que le sujet reste central durant toute la durée du long-métrage.
Ce projet a été très mal accueilli par les familles des victimes qui se sont dites choquées, et accusent la chaine « d’exploiter la douleur des gens pour faire le buzz », comme l’a exprimé le père de Marie, une jeune femme tuée lors de l’attaque. Cette réaction est apparue d’autant plus justifiée que les familles ont dévoilé ne pas avoir été prévenues de la réalisation de téléfilm dont le tournage s’est terminé le 22 Décembre. Face à ce qu’elle considère comme un sujet de fiction beaucoup trop douloureux pour être destiné à attirer des spectateurs et faire grimper l’audimat de la chaîne, Claire Peletier, compagne de l’une des victimes, a lancé une pétition pour que France 2 renonce à la diffusion de ce « téléfilm romanesque sur fond d’attentat ». Une initiative qui s’est révélée efficace puisqu’elle continue de recueillir des signatures (plus de 46 000 au jour du 16 Janvier 2018), et qu’elle a poussé France 2 à mettre entre parenthèse ce projet le temps de « consulter largement l’ensemble des associations des victimes ».

La chaîne adopte donc une stratégie d’apaisement, face à l’ampleur que le débat a pris sur les réseaux sociaux. Mais ce choix ne lui a pas été imposé de force.

En parler ou se taire ? Un manque de communication autour du film.

En effet, Life for Paris, l’association d’aide aux victimes a réagi de façon beaucoup plus nuancée et n’a pas décidé d’interdire la réalisation du téléfilm. Pour elle une chose est sûre, ce projet arrive beaucoup trop tôt et peut raviver une douleur encore vive chez les familles qui font toujours leur deuil. Mais elle estime que son rôle est justement de rester vigilant et de veiller à ce que le film respecte la mémoire des victimes, et non de « jouer un rôle de censeur ».

Bien que cette décision soulage, elle provoque également l’indignation d’autres groupes qui y voit une atteinte à la liberté d’expression. Le Groupe 25 images, qui est un collectif de réalisateur de film de télévision, déplore cette autocensure. Mettre en scène les attentats terroristes ne pourrait-il pas avoir un effet cathartique ? Au sens psychanalytique du terme pris par Freud et Breuer, la catharsis serait un moyen thérapeutique par lequel le psychiatre amène le malade à se libérer de ses traumatismes refoulés. Pour Arnaud Sélignac, coprésident du Groupe 25 Images, cette notion est transposable à la situation actuelle : « Ce soir-là » pourrait être un moyen d’évoquer ces drames, quitte à raviver des plaies encore vives, pour mieux s’en libérer ensuite.
Après tout, pourquoi pas… Seulement tout dépend de la façon dont est réalisé le film : pas sûre que le fait de visionner un film à l’eau de rose basé sur un attentat qui a brisé la vie de plus de 130 personnes, soit un bon moyen de communiquer sur le sujet. Seulement il est difficile de savoir quel angle la réalisatrice a décidé d’adopter.

En effet, à l’heure actuelle, très peu d’informations circulent sur son contenu, et c’est d’ailleurs ce qui alimentent en grande partie la polémique. La directrice de la fiction de France 2, Fanny Rondeau, a uniquement déclaré que le but n’était pas « d’être voyeurs sur les attentats » mais d’être respectueux envers les familles. L’association Génération Bataclan, qui lutte en faveur de l’édification d’une statue ou d’un monument pour commémorer les attentats du 13 Novembre, regrette que les familles n’aient pas pu plus discuter avec la production pour voir ce qu’en était réellement le film. Pour le président de l’association, Olivier Legrand, ce type de programme « est nécessaire » à condition qu’il soit fidèle à la réalité. Un défi de taille puisque qu’on ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants de l’affaire du Bataclan, qui n’est pas encore bouclée au niveau judiciaire.

Mais n’est-ce pas le cas également de l’attentat de Thalys, que Clint Eastwood va adapter en film prochainement ?

Différences culturelles en matière de story telling des drames nationaux.

Cette polémique nous pousse à nous interroger sur la manière de traiter les affaires récentes : à partir de quand pouvons-nous considérer qu’un événement marquant, ou traumatisant, n’est plus un sujet trop sensible pour être aborder dans une œuvre de fiction ? Il semble que les critères ne soient pas les même chez nous que de l’autre côté de l’Atlantique.
Les américains abordent plus facilement les drames nationaux dans leurs fictions : songeons notamment à Patriots Day de Peter berg, sorti seulement 4 ans après l’attentat de 2013 survenu à Boston, ou encore à World Trade Center sorti en 2005 et dont le scénario est centré autour des attentats du 11 Septembre. Un film sur les attentats parisiens est même en cours de préparation (Violent Delight par Rachel Palumbo).

Plus décomplexés sur le sujet, évoquer leurs traumatismes à travers des œuvres est plus communément accepté chez les américains qu’en France. Arnaud Sélignac, que nous avons déjà évoqué plus haut, parle même à ce propos d’« une spécificité française » qui s’expliquerait notamment par des différences d’ordres culturelles. Alors qu’en France, il est plus courant de prendre de la distance par rapport au réel et d’aborder les événements récents sous un angle plus théorique, les américains sont plus habitués à raconter leur Histoire au travers des films. Le cinéma est d’ailleurs un élément important de la culture américaine puisqu’il a contribué à façonner tout un imaginaire. Par exemple, la production de nombreux western a participé à la construction d’une identité américaine marquée à la fois par des rêves de conquêtes et de liberté. L’Entertainment prend plus facilement le pas sur la retenue, et le sensationnalisme n’est pas connoté négativement. A Hollywood, la mise en spectacle est plutôt quelque chose d’assumée, là où en France, la pudeur et la discrétion sont de mises.
Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur, mais de comprendre pourquoi est-ce qu’une pratique est plus ou moins considérée comme inappropriée ou sujette à polémique pour certains et non pour d’autres. Dans tous les cas, la difficulté de la mise en récit des attentats réside bien dans le fait de parvenir à proposer un regard artistique, ou du moins original, sur le monde qui nous entoure, tout en ne déformant pas la réalité pour rendre hommages aux victimes.

Laura Philidor

 

Sources

  • La querelle du spectacle, les cahiers de médiologies, Gallimard. La catharsis, purge ou thérapie ?
  • Témoignage de Maurice Lausch, père d’une victime de l’attentat : « Téléfilm de France 2 sur le bataclan : 3c’est exploiter un peu la douleur des gens, on est vraiment choqué », France Info, publié le 28/12/2017
  • Claire Peltier, Pétition « n Pour que France 2 renonce à son projet de téléfilm romanesque sur fond d’attentat au Bataclan» consultée le 16/01/2017, sur change.org
  • Camille Langlade « Téléfilm sur le Bataclan : fausse polémique, vrai débat », Le Monde 12/01/2018 consulté le 16/01/2018
  • Thomas Fouet, Les sortilèges des blockbuster
  • Fabien Randanne « Pourquoi les américains abordent plus facilement les attentats dans leur fiction que les français ? », 20minutes, publié le 28/12/2017 et consulté le 16/01/2018.

 

Crédits Images

  • Image 1 : Huffpost , article du 28/11/2017, « France 2 tourne « Ce soir-là », un téléfilm sur l’attentat du Bataclan »
  • Image 2 : Communiqué de presse de France 2, Twitter
  • Image 3 : Affiche de « Patriots day », youtube
  • Image 4 : Affiche de « World Trade Center », Allociné
  • Image 5 : affiche « 15 :17 », film de Clint Eastwood, Allociné
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