Politique

Jean-Luc Mélenchon, ou comment transformer une crise pour son parti politique en un véritable buzz médiatique ?

« Il y a une volonté d’intimidation » déclarait le président de La France Insoumise, chez Bourdin le 17 octobre. Il protestait contre les perquisitions qui ont eu lieu à son domicile, mais également au siège du parti. Retour sur l’événement qui s’est retrouvé au-devant de la scène politique française.

Mercredi 16 octobre, Jean-Luc Mélenchon se connecte à son compte Facebook et partage en Direct Live la perquisition qui se tient chez lui. « Vous me trouvez une drôle de tête ? C’est parce que je fais l’objet d’une perquisition depuis 7h », annonce-t-il. « Tout ceux qui ont travaillé avec moi subissent une perquisition » ajoute-t-il en déclarant qu’il s’agit là d’une tentative de « faire peur, d’intimider ».

D’une crise politique…

Facebook Live de Jean-Luc Mélenchon: mercredi 16 octobre 2018

Deux enquêtes sont ouvertes : l’une concerne les comptes de campagnes et l’autre d’éventuels emplois fictifs d’assistants parlementaires. Les perquisitions ont lieu le jour du remaniement annoncé par Emmanuel Macron, alors que le nouveau ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, entre à peine en fonction : « Voilà le début du nouveau ministre de l’Intérieur et de la ministre de la Justice », commente Jean-Luc Mélenchon.

Sur internet, ces perquisitions sont vite comparées à des actes anti-démocratiques d’intimidation. Jean-Luc Mélenchon pointe du doigt une « procédure légale non respectée ». Dès lors, se succède une série d’images qui seront diffusées dans les médias : on y voit Jean-Luc Mélenchon et plusieurs de ses collaborateurs, protestant contre les forces de l’ordre. Des altercations et des mots qui choquent : « la République c’est moi », « ma personne est sacrée », « on ne me touche pas, je suis parlementaire » déclare-t-il en colère, ce qui ne manque pas de diviser l’opinion.

Jean-Luc Mélenchon en colère face aux forces de l’ordre (Quotidien, TMC)

Yoel Goosz, chef du service politique de France Inter, compare Jean-Luc Mélenchon à Donald Trump : « son comportement s’est trumpisé » analyse-t-il sur la chaîne LCI, « il dit des choses très graves ».

…à une communication stratégiquement numérique

C’est un Jean-Luc Mélenchon très connecté que nous avions découvert en 2017. Il présentait une communication numérique accrue, notamment sur Facebook et YouTube, à la fois via les diffusions en direct mais aussi des vidéos en ligne. Lors des élections, il présentait le plus d’abonnés sur sa chaîne YouTube, avec plus de 3 millions de vues.

Le 16 octobre, c’est vers Facebook que Jean-Luc Mélenchon a choisi de se tourner pour s’exprimer. En sachant que son audimat, qui dépasse de loin le million d’abonnés, y est le plus réactif. Les lives de la perquisition se sont propagés en masse, atteignant des centaines de milliers de vues en moins de trois heures et un Trending Topic sur Twitter. Jean-Luc Mélenchon a saisi l’enjeu des réseaux sociaux : ils sont bien plus viraux qu’un meeting ou une conférence de presse.

D’où vient ce succès ? Un Français sur deux est actif sur les réseaux sociaux. Ce sont les supports les plus consultés avec plus de 38 millions de français connectés quotidiennement. En fondant sa stratégie sur du « cross médias sociaux », il optimise son audience et a adopté une stratégie d’hyper-communication digitale : un maître des hashtags sur Twitter, professionnel des Facebook Live et surtout fervent utilisateur des vidéos sur YouTube. Un excellent moyen pour toucher plusieurs profils d’utilisateurs, connectés à différents moments et à la recherche de contenus spécifiques. Un branding numérique d’une rare efficacité sur la scène politique.

Les Facebook Lives ont donc fait partie d’une stratégie permanente, qui vise à faire de Jean-Luc Mélenchon un homme connecté à son audience et à la pointe de la technologie. Si elle a permis à LFI de transformer cette crise en un buzz médiatique, elle l’a positionné au cœur d’une polémique communicationnelle : qu’en est-il de la place des médias et des journalistes dans cette affaire ?

Une hyper-communication digitale : conférence de presse diffusée en direct sur Facebook

Une hyper-communication digitale pour un discrédit de la presse ?

Il peut être légitime de se demander quelle est la place des médias traditionnels dans l’esprit de Mélenchon. S’il se qualifie comme un « intellectuel » et « militant politique classique », son comportement à l’égard des médias est plus que jamais sujet à controverses.

Il explique dans un nouveau Facebook Live qu’il se sent encerclé par les médias : « Heureusement que les réseaux sociaux existent ». « Sinon je serais encerclé », ajoute-t-il avant de dénoncer une « ambiance complotiste » alors qu’il brandit la Une de Libération parlant de « système Mélenchon ». Un système Mélenchon ? Pour lui ça n’existe pas. Il parle d’activité normale et de camaraderie politique. « Pas un média ne se sent obligé de me taper dessus » explique-t-il devant ce qu’il appelle ses « propres caméras ».

En employant « Infaux » à la place d’« Info » pour parler de la radio France Info, il pointe fermement du doigt les services publics d’information. Selon lui, il s’agit d’une « propagande d’État », ce qui rouvre encore une fois le débat sur l’inter-dépendance des médias publics par rapport à l’État. Enfin, il va jusqu’à discréditer les journalistes : « pourrissez-les », « ce sont des menteurs, des abrutis », s’exclament-il. Pour Sibyle Veil, la PDG de Radio France, les propos de Jean-Luc Mélenchon portent atteinte au rôle des médias publics en démocratie et comportent un véritable danger de perte de confiance des citoyens à leur égard. En effet, un tel discrédit des médias pourrait profiter, à terme, à l’instauration d’un système d’information uniquement contrôlé par des partis politiques. Est-ce que cela favoriserait des opinions de plus en plus extrêmes, au détriment de la pluralité et de la construction d’un esprit critique ?

LFI a-t-elle raison de pointer du doigt les médias ?

Vincent MULLER

Sources

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