Culture

Lil Pump, les vertus de l’ignorance

Lil Pump, 18 ans, se place en tête de gondole de la scène rap ainsi qu’en fier représentant du « rap ignorant ». Le blog Refined Hype caractérise précisément ce courant : « Ignorant is hereby defined as any song built around a huge beat, a catchy hook and whose lyrics contain absolutely nothing of substantive value. » Il faut ainsi comprendre que « l’ignorant est défini comme toute chanson construite autour d’un rythme puissant, d’une bonne accroche et dont les paroles ne contiennent absolument rien de substantiel ». Tant sur le fond que sur la forme, l’ignorance de Lil Pump brille par son efficacité.

Si reconnaître que l’on est ignorant est une marque d’intelligence, ce n’est pas le cas du rappeur qui la revendique mais ne cherche en rien à s’en extraire. Si celle-ci se définit comme un décalage entre la réalité et une perception de la réalité on ne peut en rien blâmer le jeune rappeur pour son hermétisme (sa surmédiatisation et sa fortune n’aidant pas à une reconnexion).

L’ignorance is the message

Le tour de force se situe dans la cohérence entre le fond (ses textes) et la forme (ses réseaux sociaux et passages médiatiques) tous deux innervés de cette ignorance. Son plus gros succès reste Gucci Gang (n°3 du Billboard), un morceau extrêmement court (2 : 11) et pauvre lyriquement (49x « Gucci gang »). Ses publications Instagram en symbioses avec sa musique, se résumant à des photos de lui portant des chaînes ostentatoires et des vidéos de lui non moins provocantes. Cette vacuité ne l’empêche pas de comptabiliser 16 millions de followers. Rappelons également que son compte Twitter a été supprimé 2 fois, pour propos choquants. On peut également y retrouver des tweets comme « The earth is flat ».

Un très bon malentendu

La pauvreté du message de Lil Pump ne se prête a priori à aucune analyse. Cependant certains auditeurs cherchent cette « profondeur cachée » dont parle Olivier Aïm (enseignant-chercheur au CELSA) dans ses recherches sur le décryptage. On peut alors se questionner sur l’origine de ce malentendu. Ce dernier va souvent de pair avec l’ignorance. Qui en est l’instigateur : Lil Pump ou les auditeurs ?

Le rappeur serait-il alors à l’origine d’une déformation responsable ? Un émetteur peut « en déformant le vocabulaire usuel, faire croire à un phénomène nouveau » selon la sociologue Judith Lazar. Cette théorie serait cependant plus plausible pour un locuteur plus sérieux mettant en place un vocabulaire portant sur une matière concrète et non juste de simples gimmicks comme Esketit.

Il faut alors se pencher du côté des récepteurs qui dans le cas d’une diffusion erronée « dévoient sa thèse, quelquefois, simplement par mauvaise lecture, lecture imparfaite ou encore parce qu’ils estiment que l’interprétation qu’ils en font peut leur être utile à soutenir leur cause. » ; termes que l’on doit également au texte de Judith Lazar sur le malentendu.  Ce point semble plus adapté à la situation.

Une ironie palpable

En effet, il suffit de remarquer la prolifération des forums se questionnant sur le passage de Lil Pump à Harvard ou sur le génie de ses textes, comme Rap Genius par exemple, pour constater cette diffusion erronée. PewdiPie en a même fait une vidéo imbibée d’ironie dans laquelle il expose son point de vue sur le côté messianique de Lil Pump. Il conclut en soulignant qu’il faut cesser cette hypertrophie d’interprétation afin de simplement apprécier des chansons qui n’ont pas d’autres objectifs que le divertissement.

Lil Pump se plait de ce malentendu en brouillant les pistes, il suivait par exemple Harvard sur Instagram. Enfin, si Lil Pump est un maître pour manier son ignorance à l’origine de son succès lui conseiller de se cultiver semble risqué pour sa carrière. En revanche, cela lui permettrait de se montrer moins trivial et d’échapper à un ennui précoce
Qui est dupe dans cette situation, qui est ignorant ?
Matthieu ACAR
Sources :

Crédits photo :

  • photo extraite du clip « ESSKEETIT »
  • Icebox

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