Société

Touche Pas à Mon Poste, un dispositif particulier

Ce jeudi 24 janvier, le désormais tristement célèbre Cyril Hanouna recevait le rappeur Kaaris sur le plateau de son émission Touche Pas à Mon Poste. Kaaris, un artiste peu connu du grand public mais adulé par les fans de rap français, faisait depuis quelques jours le tour des rédactions et des radios afin de faire la promotion de son album Or Noir Part. 3, qui devait sortir ce vendredi 25 janvier. La dernière étape de cette tournée médiatique est donc le plateau de Touche Pas à Mon Poste, émission notamment appréciée par les jeunes. Pourtant, c’est un véritable piège qui attend Kaaris.

Rappel des faits:

Si Kaaris a eu l’opportunité d’être interviewé par autant de médias ces derniers jours, un seul sujet intéressait réellement les journalistes. En effet, ce n’est pas les talents d’artistes qui ont permis au rappeur d’être reçu partout mais plutôt une affaire qui a fait le buzz et les beaux jours des médias d’information pendant des années et encore plus, cet été.

Début du mois d’août, les rappeurs Booba et Kaaris, en froid depuis quelques années, se rencontrent au sein de l’aéroport d’Orly. Trop de menaces ont été faites de chaque côté, le dialogue n’est plus envisageable : une bagarre très médiatisée éclate.

Cinq mois plus tard, les deux rappeurs sont sortis de prison, mais le beef n’est pas terminé. Loin de là ! La nouvelle idée de Booba: un combat de boxe entre les deux rappeurs « pour enterrer la hache de guerre ». Kaaris, en pleine promotion, accepte de se battre mais pas selon les conditions proposées par son rival. Il fait donc appel à son avocat afin de rédiger un contrat qu’il devra envoyer à Booba.

Une stratégie particulièrement efficace

Ainsi, en fin de première partie d’émission, alors que Kaaris s’amuse avec Cyril Hanouna et ses chroniqueurs, le présentateur décide de revenir sur l’actualité de l’artiste venu promouvoir son album. C’est donc de Booba, évidemment, que l’on commence à discuter. Cyril Hanouna prévient: « C’est vrai que c’est mon pote [Booba] ». Le piège se referme donc sur Kaaris, qui comprend petit à petit le guet-apens qui se referme sur lui. La situation empire: Cyril Hanouna propose d’appeler Booba en direct pour que les deux rappeurs s’expliquent. Le nom de la séquence ? « Le rabibocheur: Kaaris et Booba vont-ils se réconcilier ? » Non.

Kaaris se retrouve donc sur le plateau, seul, entouré de chroniqueurs hilares. Face à lui, son interlocuteur est à l’aise chez lui, sans exposition. Pire : alors que Booba balance vanne sur vanne pour créer le buzz dont l’émission a besoin, Kaaris n’est même pas en position de lui répondre correctement puisqu’il n’entend pas totalement ce qui est dit, le téléphone de Cyril Hanouna étant simplement en haut-parleur. Dès lors, le cirque commence, les rappeurs s’insultent, les chroniqueurs et le public rient. On tient notre séquence.

Selon Michel Foucault, le pouvoir se sert de « dispositifs » afin d’asseoir sa domination. Dans Surveiller et Punir, il définit le dispositif comme un ensemble hétérogène constitué de discours, d’institutions, d’aménagements architecturaux, de règles et de lois, etc. En d’autres termes, le dispositif est constitué de dit (lorsque Cyril Hanouna rappelle Kaaris à l’ordre en disant « Du calme ») et de non-dit (le plateau télévisé, par exemple). Ainsi, Kaaris se retrouve seul face à la stratégie de Cyril Hanouna, qui lui impose un choix entre soumission et agressivité.

Au-delà de l’image que renvoie un tel combat de coq vis-à-vis de la musique rap ou des Noirs notamment, il semble que c’est un réel guet-apens qui a été mis en place sur ce plateau. Volontairement ou non, Cyril Hanouna place Kaaris au coeur d’un dispositif qui visait à asseoir la domination du DUC (surnom de Booba, plus que approprié à la situation) sur son ancien protégé. Dès lors, face à la « stratégie » du duo Hanouna/Booba, Kaaris n’a que la réaction, la « tactique » pour répondre à l’agression. Insultes, infox, références scatologiques, masculinité toxique… Tous les moyens semblent bons pour Kaaris afin de se sortir de la position inconfortable dans laquelle il se trouve. Malheureusement, Kaaris s’illustre comme un bien piètre tacticien.

Un dispositif, pour quel pouvoir ?

Comme nous l’avons expliqué plus tôt, un dispositif sert à défendre un pouvoir en place ; pourtant ici, on ne parle a priori que d’enfantillages entre deux artistes. Pourtant, c’est bien une rapport de force, une quête de pouvoir qui se joue ici et à plusieurs niveaux. D’abord, l’histoire entre les chanteurs témoigne bien de cette dimension « politique ». Aux sources de ce clash, un freestyle de Kaaris sur les ondes de la radio Skyrock dans lequel il prononce de nombreuses phrases agressives. La dernière :

« T’es numéro un, donc je n’ai pas le choix: je vais attendre que le soleil soit assez haut dans le ciel que tous me voient tuer le roi. »

Il n’en faudra pas plus à Booba pour partir en campagne contre ce nouvel ennemi, ancien allié. Depuis, les deux rappeurs se provoquent l’un et l’autre, tout en s’auto-proclamant «meilleur rappeur » ou « DUC » à l’occasion. Ainsi, les rappeurs se sont créés de véritables armées sur Internet avec les « Pirates » ou « Rate-pi » qui soutiennent le rappeur de Boulogne et les « Dozos » (nom de tribus de chasseurs de l’Afrique Subsaharienne) qui supportent Kaaris, le rappeur de Sevran.

C’est donc bien une guerre pour le pouvoir qui se joue, guerre dont la dernière bataille s’est jouée sur le plateau de l’émission de C8, avec l’aide d’un puissant allié, le souverain de ces lieux, Cyril Hanouna. Fort de son influence sur les jeunes téléspectateurs, ce nouveau protagoniste a forcément fait pencher la balance puisque ce sont des millions de Français qui regardent Touche Pas à Mon Poste chaque soir. Pour ce qui est du pouvoir d’influence du présentateur, il n’est plus à prouver.

Daniel FIXY

Sources:

  • Serge Mboukou, « Entre stratégie et tactique », Le Portique [En ligne], 35 | 2015, document 5, mis en ligne le 10 mars 2016, consulté le 28 janvier 2019. URL : http://journals.openedition.org/leportique/2820
  • M. de Certeau, L’Invention du quotidien. Les arts de faire, Paris, Gallimard, p. 59.
  • Michel Foucault, Surveiller et Punir
  • Giorgio Agemben, Qu’est-ce qu’un dispositif?

 

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