Une 7e limite planétaire franchie… et les médias regardent ailleurs
L’autopsie d’un silence médiatique
Par Noan Petro Verneau, rédactrice et co-présidente de FastN’curious
Le mercredi 24 septembre 2025, une évaluation du Postdam Institute for Climate Impact Research a confirmé le dépassement de la 7e limite planétaire dans son rapport annuel sur l’état de santé de la Terre. Cette limite, c’est celle de l’acidification des océans. Son dépassement implique de graves conséquences pour les écosystèmes marins et, par ricochet, pour la stabilité climatique globale.
Avez-vous vu passer l’information ? Spoiler : sans doute pas…
En effet, si vous ne suivez pas de médias scientifiques ou spécialisés, il est fort probable que vous n’ayez jamais entendu parler de cette information pourtant essentielle. Malgré son caractère universel, cette annonce n’a pas fait l’objet d’un traitement médiatique important par les grandes rédactions françaises comme internationales.
Mais alors comment expliquer ce silence ? Pourquoi un tel décalage entre urgence scientifique et traitement médiatique ?
Dans cet article, nous tenterons de comprendre les raisons de cette invisibilisation médiatique et ce qu’elle révèle sur notre rapport à l’urgence climatique.
Une limite planétaire ? Qu’est-ce que c’est ?
Le concept de limite planétaire a été formulé pour la première fois en 2009 afin de désigner les neuf seuils à ne pas dépasser pour garantir la bonne santé de la Terre. Cet état de bonne santé correspond à la capacité de la planète à maintenir les conditions nécessaires à la vie en son sein pour tous les êtres vivants, y compris les humains. Dès lors, si on dépassait les neuf limites formulées, cela signifierait que la vie sur terre serait grandement menacée.
Aujourd’hui, sur les neuf limites formulées, sept ont été dépassées, la dernière en date correspondant à l’acidification des océans. Ce phénomène est provoqué par l’absorption du dioxyde de carbone (CO2) émis par les activités humaines. En se dissolvant dans l’eau, ce gaz forme de l’acide carbonique, ce qui fait baisser le pH de l’océan et rend l’eau plus acide. Seulement, les coraux, coquillages et de nombreuses autres espèces marines sont directement fragilisées par cette acidification, menaçant alors tout l’écosystème marin et les populations humaines qui en vivent.
Schéma du processus d’acidification des océans réalisé par l’association Bluetopia
Vous l’aurez compris, ça n’est pas une très bonne nouvelle pour notre planète et notre avenir sur celle-ci. Le but de ce rapport scientifique était donc d’alerter et de faire réagir les gouvernements ainsi que les individus.
Un mauvais timing ?
Manque de chance, au moment de la publication de ce rapport en septembre 2025, l’ancien président français Nicolas Sarkozy est condamné à une peine de prison, la Palestine est reconnue comme un État par plusieurs nations, et Trump vient d’insulter l’ONU. Ce rapport, pourtant primordial, est donc mis sous silence, noyé dans des nouvelles jugées plus intéressantes.
Bref, l’attention des médias est ailleurs.
Pourtant, même après ces semaines d’informations tumultueuses, le rapport du Postdam Institute for Climate Impact Research n’a fait la une d’aucun journal et n’a été le fil rouge d’aucune chaîne d’informations en continu. Et ce constat, on peut l’appliquer à tous les sujets qui touchent aux enjeux environnementaux. Selon l’OME, l’Observatoire des médias sur l’écologie, c’est seulement 3,4% de l’information audiovisuelle qui est dédiée aux enjeux environnementaux en octobre 2025.
On constate donc une réelle invisibilisation des enjeux climatiques et environnementaux sur les chaînes et médias privés français. Serait-ce là le signe d’une logique économique de profit qui dirige les médias français et les pousse à placer les questions écologiques au second plan ?
De fait, possédés par de grandes fortunes, ces médias répondent à des logiques capitalistes de profit. En effet, l’objectif est d’avoir le plus d’audience possible afin d’obtenir plus de revenus. Pour y parvenir, s’opère alors une hiérarchisation de l’information, selon l’intérêt qu’elle suscitera et donc les profits qu’elle pourra générer. Plus l’information est inédite et sensationnelle, et plus elle fera l’objet d’attention médiatique.
L’annonce de l’incarcération de l’ancien président de la République française en est un bon exemple. L’information a fait la une de nombreux médias, y compris à l’étranger, et a donné lieu à de vifs débats sur les plateaux télé. Cette annonce a donc inondé l’espace médiatique français. À côté, la publication du rapport sur l’état de santé de la Terre paraissait bien moins sensationnelle. Il apparaît peut-être même pour certains comme une énième mise en garde et nourrit une forme d’anxiété ou de déprime à ce sujet. Deux émotions bien éloignées du sensationnel et des logiques marchandes des médias privés en France.
Mais on en parle quand même un peu, non ?
Si l’on met de côté le fait que les questions environnementales n’occupent que 3,6% de l’espace médiatique français selon l’OME, oui, on parle un peu de ce sujet. Toutefois, la manière dont certains journalistes abordent la question pose problème et participe à l’invisibilisation ou à la minimisation de ces enjeux.
En effet, une étude publiée par Data for Good et Quota Clima en avril 2025 montre la récurrence de fausses informations circulant sur les chaînes de télé et les radios françaises au sujet de l’environnement. Cela participe à une décrédibilisation et à une fragilisation de la parole en faveur de l’écologie. Cette étude menée par une intelligence artificielle et des fact-checkers a relevé 128 cas de désinformation sur les radios et chaînes de télé françaises sur une période de 3 mois. Et outre la désinformation, déjà extrêmement problématique, il arrive que les enjeux soient diminués ou occultés. Par exemple, lors de fortes chaleurs ou incendies, il est presque commun qu’aucun lien avec le changement climatique ne soit fait et que les images des incendies s’enchaînent avec les images des vacanciers profitant d’une glace au bord de la plage.
Ainsi, bien qu’il soit parfois traité par certains médias, le changement climatique est susceptible de faire l’objet de fake news et n’est pas toujours traité à la hauteur de l’urgence qu’il représente.
Mais en quoi ce détournement de l’attention médiatique est-il vraiment problématique ?
Les médias ont un rôle primordial sur l’opinion et peuvent susciter des prises de conscience qui mènent à l’action et à la participation citoyenne. Les médias sont également un moyen de pression sur les personnes influentes et peuvent confronter directement les personnalités politiques au sujet des lois climatiques insuffisantes. Alors, en évitant les séquences médiatiques liées au changement climatique, les médias participent à une atténuation de l’urgence environnementale dans les consciences, mais surtout à un affaiblissement de l’interpellation des politiques et de l’injonction à l’action.
Photo prise en février 2022, lors d’un rassemblement organisé par Extinction Rebellion et d’autres collectifs, par Antoine Mermet et Hans Lucas, via l’AFP
Il faut tout de même noter des avancées qui vont dans le sens d’un changement de nos pratiques médiatiques. En effet, depuis quelques années maintenant, on constate de minces efforts de la part de certains médias.
France TV notamment a lancé en mars 2023 son nouveau journal Météo-Climat. La chaîne propose des reportages, des analyses et des graphiques qui permettent de faciliter la compréhension des enjeux climatiques tout en apportant des solutions à différentes échelles. La diffusion de ce genre de programme sur une chaîne publique permet de sensibiliser les téléspectateurs en leur faisant prendre conscience des conséquences du changement climatique sur leur vie de tous les jours. C’est un premier pas.
Une autre avancée significative est la potentielle mise en application du projet de loi porté à l’Assemblée par le député socialiste Stéphane Delautrette. Sa proposition de loi vise à renforcer le traitement médiatique des enjeux écologiques dans les médias français. Cela reviendrait à pousser l’ARCOM, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, à surveiller les éventuelles fake news qui pourraient circuler au sujet de la crise climatique, mais aussi tout simplement veiller à son traitement médiatique.
La solution, faute de mieux, est d’adapter nos manières de consommer l’information. Il faut vérifier et croiser les sources que l’on consulte. Il est également possible de s’orienter vers des médias indépendants qui s’attachent à présenter les informations et l’écologie d’une manière enjouée et même ludique. C’est un processus qui peut réconcilier plus d’une personne avec les questions écologiques.
Alors gardons espoir et informons nous de manière responsable, interpellons les médias et les décideurs politiques.
En attendant, restez à l’affût de nouvelles informations concernant la COP 30, qui a débuté ce lundi 10 novembre 2025 à Belém, au Brésil. On espère qu’elle fera l’objet d’un traitement médiatique à la hauteur de son importance.
Quelques médias à suivre sur les réseaux pour l’actu écologique :
- @bonpotes
- Vert le média (newsletter mais aussi sur les réseaux)
- @Lejeuneengage
- @reporterre
Sources :
- https://observatoiremediaecologie.fr/
- https://jeunesreporters.org/wp-content/uploads/1225/article-eliseceline.pdf
- https://little-wing.fr/environnement-dans-les-medias-un-silence-radio-qui-fait-du-bruit/
- https://linsoumission.fr/2022/02/17/ecologie-27-espace-mediatique/
- https://www.actu-environnement.com/ae/news/proposition-loi-traitement-mediatique-enjeux-ecologiques-45051.php4