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Qui es-tu, héros traditionnel ?

Plusieurs personnages, une seule symbolique : le héros traditionnel comme archétype

A l’évocation de la notion de héros traditionnel, les mêmes figures s’imposent presque immédiatement dans l’esprit de la plupart d’entre nous : les plus âgés revoient avec émotion (ou une pointe de cynisme) Charles Ingalls fendre inlassablement ses bûches de bois, les plus jeunes penserons plutôt à Eric Camden, le sage père de famille nombreuse de la série américaine Sept à la maison. Qu’ils soient pasteurs ou bûcherons, entraineurs sportifs ou employés de la CIA, ce qui frappe lorsque l’on se penche un peu plus sur ces héros qui jalonnent nos séries télévisées, ce sont les nombreuses similitudes qui les lient (bonté, honnêteté, fiabilité, et une pléiade de mots finissant par –té que nous détaillerons plus tard). Au point de pouvoir parler d’un archétype du héros traditionnel, qui se décline dans le temps et dans différentes situations, mais qui s’offre à voir dans toute son unité lorsque l’on s’amuse à comparer les rôles symboliques joués par les personnages qui l’incarnent.

charles ingalls

Une figure d’autorité, une figure paternelle : mon père, ce héros

Ce que l’on remarque presque immédiatement lorsque l’on confronte différents héros dits « traditionnels », c’est qu’il s’agit majoritairement d’hommes, et au-delà, de pères de famille. Car le premier trait de ce héros archétypal, c’est bien qu’il incarne une figure d’autorité puissante, qui se confond avec celle du père. Cette caractéristique est d’autant plus évidente dans les séries à forte connotation religieuse, comme La petite maison dans la prairie ou Sept à la maison. Le père y est dans les deux cas présenté comme un sage, une référence vers laquelle l’ensemble de la famille se tourne en cas de problème, qu’il soit d’ordre moral ou plus pragmatique, sachant d’avance qu’il trouvera comment le résoudre. On peut penser ici à un épisode de Sept à la maison, où la mère est convoquée dans le bureau du proviseur car le jeune fils, Simon, a fait un bras d’honneur devant le lycée. C’est bien sûr à l’attention du père que l’affaire est portée pour qu’il règle cette situation de crise, elle-même représentative d’une série ciblant particulièrement l’Amérique puritaine. Par ces héros, c’est donc tout un système de valeurs que les producteurs et réalisateurs des séries mettent en avant : celle de la famille notamment, soudée autour de figures parentales prônant la solidarité, l’honnêteté et la bienveillance, mais aussi une vision précise du père comme pilier de la structure familiale. L’objectif avec ces personnages semble en fait double : il s’agit à la fois de répondre à la demande d’une société conservatrice et traditionnelle déjà imprégnée de cette culture, mais aussi de plébisciter une certaine vision du monde auprès d’un plus large public. Dans les deux cas, le héros traditionnel s’affirme comme une figure sociale hautement symbolique.

heros

On pourra arguer que ces deux exemples sont spécifiques, les deux séries étant assez anciennes et centrées autour de modèles familiaux plus que conservateurs, qui ne sont pas forcément représentatifs de ce que l’on peut trouver dans le panorama des séries TV aujourd’hui. Pourtant, s’il est moins évident et paroxystique que dans les séries des années 80, le rôle d’autorité paternel qui définit le héros traditionnel semble toujours présent dans certaines séries actuelles, plus subtile mais encore fort. Comment définir des personnages comme Saul dans Homeland ou le Coatch Whitey dans One Tree Hill autrement que par leur rôle de conseiller, mais aussi de prescripteur auprès de jeunes gens en quête d’un chemin à suivre ? Les héritiers des héros traditionnels ne sont certes plus les géniteurs, mais des pères de substitution à une époque où la famille se fracture. Saul remplace le père de Carry atteint d’une maladie mentale et incapable de tenir son rôle, tout comme le Coatch Whitey se substitue à Dan qui n’a pas les épaules d’un père pour Lucas et Nathan. Les valeurs sont les mêmes (humilité, courage et sagesse étant certainement les plus mises en avant), savamment réactualisées pour conquérir et parler à un public jeune qui commençait à rire des héros au côté traditionnel assumé, voire à ouvertement s’en moquer.

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Le public face au héros traditionnel : entre admiration et cynisme

Car il faut bien remarquer que les héros traditionnels n’ont plus la côte : quand nos parents suivaient avec avidité les aventures du valeureux Charles Ingalls, la majorité d’entre nous préfèrent ironiser sur les excès de zèle d’Eric Camden. Cela révèle une profonde ambivalence dans la figure de ces personnages, qui ont tout pour plaire et être aimés sur le papier et qui pourtant avancent sur une pente savonneuse, risquant à tout moment de devenir ennuyeux, ou pire, surréalistes. La mode des antihéros, qui fleurissent dans bon nombre de nouvelles séries, le prouve bien : ce que veut le public aujourd’hui, c’est un individu qui lui ressemble plus, qui expose et assume ses travers et ses défauts. Un homme ou une femme juste un peu plus cruel, solitaire, ou dérangé que lui et qui le met à l’aise, en somme. On ne résiste pas ici à renvoyer le lecteur à cette réplique que Balzac fait prononcer à Mercadet dans Le Faiseur, et qui illustrait déjà cette dynamique contemporaine: « Savez-vous pourquoi les drames dont les héros sont des scélérats, ont tant de spectateurs? C’est que tous les spectateurs s’en vont flattés en se disant : — Je vaux encore mieux que ces coquins- là… ».

Dans ce contexte, le héros traditionnel peine à trouver sa place. Ces personnages si moralement irréprochables et surplombants nous rappelleraient-ils trop nos propres imperfections ? Serions-nous passés d’une relation d’admiration verticale à un rejet de ces modèles considérés comme anxiogènes ? Toujours est-il que les séries dont les personnages principaux étaient des héros traditionnels semblent avoir fait leur temps, et ces figures avoir été reléguées à des rôles de second plan, voire de faire-valoir. Les valeurs du héros traditionnel, qu’il met en avant dès qu’il en a l’occasion et qu’il porte avec une énergie inépuisable, sont souvent utilisées pour contrebalancer celles d’un héros plus contestable, mettre en lumière l’anticonformisme de ce dernier. Dans la série à succès Mentalist par exemple, l’agent Lisbonne (qui est une femme, et représente en cela une évolution du héros traditionnel que nous évoquions plus haut) et ses valeurs d’honnêteté et d’humanisme n’est là que pour servir le personnage de Patrick Jane, qui va constamment à l’encontre de ses préconisations et affirme des opinions aux antipodes du « communément admis ».

mentalist

La résilience du héros traditionnel dans un monde toujours avide de valeurs

Complexe donc, cette figure du héros traditionnelle, tour à tour adulée puis détestée, admirée puis rejetée, mais qui ne laisse jamais indifférent. Il suffit de s’intéresser à la polémique qui a éclaté il y a quelques mois autour des accusations de pédophilie portées à l’encontre de l’acteur jouant le rôle d’Eric Camden, pour constater que ces héros restent des modèles, qui participent à la construction de l’identité de ceux qui suivent leurs aventures au quotidien (leur rejet ne ferait-t-il pas d’ailleurs partie intégrante du processus ?). Qu’il s’agisse de celui des années 80 ou de ses héritiers modernes, plus nombreux qu’on ne l’imagine au premier abord, le héros traditionnel reste une figure emblématique des séries TV du monde entier, prêchant la « bonne » parole auprès de publics de tous âges et de tous milieux sociaux. Nous conclurons donc cet article par un avertissement : ouvrez l’œil, s’il semble désormais avancer masqué, le héros traditionnel est loin d’avoir disparu de vos écrans, prêt à vous inonder de bons sentiments au moment où vous vous y attendrez le moins. Vous êtes prévenus.

Sarah REVELEN
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