Société

SNCF et ubérisation: un train d'avance ?

La digitalisation du voyage

Alors que la SNCF va appliquer une augmentation de 2,6% sur le prix des billets de train le lendemain de Noël – augmentation jugée “particulièrement importante” par la presse au vu de la faiblesse de l’inflation (0,3% de novembre 2013 à novembre 2014, elle va dans le même temps et de façon assez étonnante mettre en place plusieurs partenariats avec des sites comme Airbnb, Ouicar et KidyGo. Des partenariats destinés à atténuer l’image d’une entreprise qui semble ne pas beaucoup se soucier du porte-feuille de ses usagers.
La SNCF met également en place un nouveau concept après son très remarqué TGV POP l’été dernier : « Le voyage qui rapporte de l’argent » pour reprendre l’expression de Franck Gervais, directeur général de Voyages-Sncf.com, dans une interview qui fait suite à des fuites dans la presse avant la révélation officielle de l’opération, et qui devait présenter « un nouveau business model avec les acteurs de l’économie collaborative ». A qui incombe la responsabilité de cette fuite ? Un mail envoyé aux principaux intéressés, à savoir les clients, la SNCF ayant court-circuité sa propre communication, une erreur inexcusable pour une entreprise de cette envergure.
En effet, la SNCF assure ne recevoir aucune commission de la part de ses différents partenaires. Pour elle, l’intérêt réside dans le fait de faire voyager les gens par différents moyens: KidyGo permet par exemple à des jeunes de se faire payer leur billet de train par les parents en échange de baby-sitting, ou Ouicar de louer sa voiture. Faire fonctionner l’économie collaborative semble être devenu le leitmotiv dominant du groupe, après une alliance assez réussie avec LePotCommun, start-up qui permet à chacun de payer sa part lors de l’organisation d’un voyage. La SNCF serait donc impuissante face à la montée irrésistible des prix, mais en contrepartie, elle mettrait tout en oeuvre pour limiter la casse.
Les bémols ? Alors que les déclarations pieuses de la SNCF se multiplient, l’entreprise aurait-elle oublié de préciser qu’elle avait pris une part majoritaire dans Ouicar ? Aurait-elle oublié, dans sa volonté louable de vouloir redonner du pouvoir d’achat aux passagers, qu’elle était avant tout une entreprise publique et à ce titre, dépendante de l’état, et qu’elle devait par conséquent participer avant tout au fonctionnement de l’économie nationale ?
C’est en tout cas ce que pensent ces partenaires de la SNCF, les hôteliers, qui ont immédiatement procédé à une levée de boucliers suite à cette infidélité assumée. En effet, Synorca, le syndicat des hôteliers s’interroge légitimement sur la question et se demande si c’est bien aux français de “payer le développement d’une société qui ne déclare que 5% de son chiffre d’affaires en France ». La SNCF a fait défection : comment se fait-il alors qu’elle ait frôlé l’uberisation ? (d’après la terminologie de Maurice Lévy, c’est à dire en train de voir que son activité était en train de disparaître face à l’émergence de nouveaux concurrents comme Blablacar).

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Entre public et privé, erreur d’aiguillage

Quand le gouvernement et les politiques se saisissent de l’affaire, les réponses se font plus mesurées et les couacs se succèdent. A l’image de Bruno Le Roux pour qui « il ne faut pas mettre à mal les équilibres économiques de nos territoires ». De son côté, La SNCF bat en retraite et estime que l’émulation produite profiterait à tous et qu’elle ne recommandait pas à ses clients de réserver sur Airbnb, mais seulement d’y référencer leurs appartements. Le tout en promettant dans le même temps de rencontrer les principaux acteurs du secteur, avant d’annuler tout bonnement sa conférence de presse. Curieuse justification alors que dans le même temps les publicités pour le site d’Airbnb changent de cible. Dans une volonté de se mettre au diapason de la SNCF, et ainsi se situer du côté des hôtes, avec des slogans comme « Mon appart m’aide à financer ma start-up », il ne s’agit alors plus d’insister sur l’imaginaire traditionnel de la création de lien social, mais de se concentrer sur quelque chose de plus pragmatique; celui de gagner de l’argent. En somme la SNCF et Airbnb ont adopté ensemble un virage à pleine vitesse et la collision était inévitable.
Les nouveaux modèles digitaux de type partage se multiplient et rencontrent un succès certain auprès de consommateurs soumis à une pression économique constante, et qui voient d’un bon oeil l’ubérisation de la société. Les réactions des professionnels du secteur sont jugées sans détour comme des archaïsmes résistant à l’élan de l’innovation. Le blog “le décodeur” qui analyse les discours de marques met bien en lumière la stratégie des acteurs victimes de ce mouvement : l’opprobre, le bûcher sur la place publique “parce qu’ils trichent”. Ces discours ont cependant fait leur temps, le consommateur impétueux ne prend en compte désormais que son bénéfice direct, à savoir ici les économies faites.
L’ubérisation soi-disant plébiscitée par le consommateur est aujourd’hui en recherche d’une acceptation par la puissance publique, qui oscille entre imposition dans une volonté de protection d’un modèle qui fait aujourd’hui office de musée économique, ou libéralisation.

Jérémy Figlia

Crédits photos :
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SNCF  

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